Partie III – Les questions posées par les évolutions
3.1. Les évolutions en matière de génomique
3.1.5.1. Autoriser le diagnostic pré‐conceptionnel ?
Cette possibilité, non ouverte en l’état du droit, a été évoquée dans les récents avis nos 120 et 124 du CCNE. Elle consisterait à autoriser les couples qui envisagent d’avoir un enfant à réaliser un test génétique (à partir d’une prise de sang) permettant de déterminer si les membres du couple sont hétérozygotes et porteurs d’une mutation pathogène sur un même gène377 responsable d’une maladie monogénique (dite « mendélienne ») transmise selon le mode récessif378, grave et
/ ‐ certaines mutations homoplasmiques de l’ADN mitochondrial (comme c’est fréquent dans la neuropathie optique héréditaire de Leber) ne permettent pas non plus d’envisager un DPI.
377 Présentant une faible diversité de mutations.
378 En effet si la maladie est transmise selon le mode dominant, le parent concerné se sait en principe atteint et, à ce titre, le couple est éligible au DPI.
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incurable (donc susceptible de justifier une IMG379). Ce diagnostic préventif viserait donc des individus qui ne se savent pas susceptibles de développer une telle maladie génétique grave (notamment parce qu’ils sont porteurs sains).
Un tel diagnostic est déjà autorisé dans d’autres pays, y compris européens depuis plus de quarante ans380. Il cible souvent certains groupes de population au sein desquels la probabilité de développer une maladie génétique donnée apparaît plus élevée. Sa mise en place est fréquemment justifiée par des considérations financières, en réaction aux coûts importants induits par certaines maladies génétiques graves, fréquentes et pour lesquelles l’espérance de vie du malade augmente grâce aux progrès de la médecine (plus élevés que les coûts de mise en place d’un tel dépistage). Par ailleurs, un nombre croissant de sociétés étrangères proposent de tels tests via internet.
Le Conseil d’État n’a pas identifié d’obstacle conventionnel ou constitutionnel de principe à l’instauration d’un tel diagnostic, sous réserve des modalités de son déploiement (cf. infra). En revanche, la question éthique sous‐jacente est délicate.
D’une part, un tel diagnostic aurait le mérite de fournir aux couples une information leur permettant de mieux appréhender leurs risques de transmettre une maladie héréditaire et d’en tirer, le cas échéant, des conséquences quant à leurs choix procréatifs (notamment en recourant au DPI pour sélectionner les embryons sains), sans avoir à passer par l’épreuve de la maladie pour leur premier enfant.
D’autre part, le développement de ce diagnostic renforcerait les risques d’eugénisme. À terme, il risquerait de stigmatiser les parents n’y ayant pas recours.
Par ailleurs, ainsi que le relevait le CCNE dans son avis n° 120, « cette identification de couples à risques (…) conduit à constituer une espèce de « carte d’identité de risque génétique » qui présenterait le double risque d’interférer dans les unions entre personnes envisageant un projet parental et de cataloguer ou catégoriser ces personnes, les soumettant ainsi à de potentielles discriminations ou stigmatisations ».
Enfin, même dans le cas des maladies mendéliennes, selon la nature des mutations, les répercussions sur la symptomatologie éventuelle de l’enfant sont variables381 quant aux modalités et au moment de son expression : en ce sens, l’information résultant de ce test ne fournirait souvent qu’un éclairage imparfait des conséquences réelles, sur l’enfant, de la maladie génétique dont il pourrait potentiellement hériter.
En définitive, le Conseil d’État estime que le déploiement d’un tel test n’est pas justifié au regard des risques qu’il induit, et alors même que le cadre actuel permet
379 On peut citer, par exemple, la mucoviscidose ou l’amyotrophie spinale.
380 Italie (Sardaigne depuis 1977), Chypre, Grèce, Royaume‐Uni : v. J.‐L. Mandel, « Améliorer l’homme par la génétique ? », Revue d’éthique et de théologie morale, 2015/4, n° 286.
381 L. Pasquier, « Génétique et société », Contraste, 2018/1, n° 47, p. 15.
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par ailleurs aux couples de réaliser des tests génétiques en présence de signes d’appel, même ténus. Au demeurant, le système de soins français ne dispose pas, en l’état, des capacités techniques lui permettant de répondre à l’augmentation de la demande subséquente en tests génétiques – ce d’autant plus qu’un tel test aurait aussi pour effet indirect d’augmenter le recours au DPI, sollicitant ainsi de plus fort les services, alors que les délais de prise en charge sont en moyenne de douze à dix‐
huit mois382.
Si un tel test devait toutefois être autorisé en France, les exemples étrangers témoignent de ce que ce diagnostic peut se déployer selon des modalités variées383. Calibrer ce nouveau diagnostic supposerait de manier cinq variables – même si, pour certaines, des impératifs juridiques supérieurs semblent commander l’orientation à retenir :
- un tel diagnostic serait nécessairement réalisé sur une base volontaire. Si certains pays ont pu rendre ces tests obligatoires, il apparaît qu’une telle orientation, outre qu’elle ne semble pas souhaitable au Conseil d’État, encourrait un fort risque d’inconstitutionnalité. En effet, si le Conseil constitutionnel a jugé l’obligation de vaccination conforme à la Constitution384, c’est en considération du fait que les maladies visées, très graves, étaient contagieuses et, par suite, que la santé collective requérait nécessairement la vaccination de tous. Un tel raisonnement ne serait pas transposable ici dès lors que le fait de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique n’a aucune incidence sur la santé d’autres individus. Partant, une telle obligation serait selon toute vraisemblance regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et à la liberté personnelle.
- le choix de ne pas recourir à ce diagnostic ne devrait emporter aucune conséquence sur la prise en charge de la grossesse et, le cas échéant, de la pathologie de l’enfant à naître. De même, le choix d’une conception naturelle alors même que le couple, après avoir réalisé un tel diagnostic, se saurait en situation de risques élevés ne pourrait davantage influer sur la prise en charge de l’enfant atteint de la maladie recherchée. Cette exigence découle directement de la logique universelle de l’assurance‐maladie (à laquelle la Nation marque son attachement à l’article L. 111‐2‐1 du code de la sécurité sociale), qui ne fait pas dépendre le remboursement du comportement de l’assuré ; elle pourrait aussi se réclamer du droit à la protection de la vie privée.
382 C. Bordet et al., « Le conseil génétique », Contraste, 2018/1, n° 47.
383 En Arabie Saoudite, ce test est obligatoire pour détecter la transmission de la thalassémie. À
Chypre et en Sardaigne, ce test porte également sur la β thalassémie. En Israël, la détection systématique est recommandée pour 8 maladies dont la fréquence des hétérozygotes est supérieure à 1/60, et gratuite pour 4 d’entre elles (mucoviscidose, Tay‐Sachs, dysautonomie familiale, thalassémie).
384 CC, 20 mars 2015, décision n° 2015‐458 QPC, Epoux L.
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- il faudrait ensuite déterminer s’il est possible de réserver ce diagnostic à certaines catégories de la population davantage exposées à une maladie génétique donnée. À l’évidence, même si certains groupes ethniques385 présentent des prévalences plus fortes pour certaines maladies, il serait inconstitutionnel de cibler ce diagnostic sur la base de tels critères386. En revanche, il pourrait être envisageable, à l’instar de ce qui est réalisé pour le dépistage des maladies néonatales387, de réserver ce diagnostic aux populations qui présentent un risque particulier de développer l’une de ces maladies. À cet égard, plutôt que d’établir des critères rigides, difficiles à définir compte tenu de la mixité de la population française et qui, en outre, pourraient se heurter au principe d’égalité tel qu’il est interprété par le Conseil constitutionnel388 (si le différentiel de probabilités entre les groupes n’était pas regardé comme suffisant pour justifier de proposer le diagnostic à certains et pas à d’autres), il conviendrait de laisser cette appréciation du risque, nécessairement multifactorielle, au médecin.
- si de tels tests devaient être autorisés, se poserait alors la question de leur remboursement par l’assurance‐maladie. En première analyse, pour éviter une inégalité d’accès à ce test, ce dernier devrait être pris en charge, ce d’autant plus qu’une telle mesure serait justifiée par la circonstance que les coûts globaux de ce dépistage resteraient bien inférieurs aux coûts de long terme liés à la prise en charge des personnes atteintes par les anomalies dépistées.
- enfin, le dernier élément de calibrage du dispositif impliquerait de déterminer le champ des maladies génétiques qui seraient visées par ce diagnostic. Pour prévenir le risque eugénique déjà évoqué, il semble indispensable de cantonner les maladies concernées aux seules maladies génétiques transmises sur le mode récessif d’une particulière gravité, actuellement incurables et justifiant, le cas échéant, une IMG. Mais, sur cette base, un choix doit être fait pour savoir si ne sont ciblées que les maladies présentant une forte prévalence, ou si doivent être recherchées l’ensemble des maladies présentant de telles caractéristiques.
385 La drépanocytose est plus fréquente chez les populations originaires d’Afrique ou d’Inde. Il a
en outre été démontré que la prévalence de la maladie de Tay‐Sachs était significativement plus forte au sein de la population juive ashkénaze.
386 V. décision n° 2007‐557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à
l’intégration et à l’asile.
387 L’art. R. 1131‐21 du CSP prévoit en effet que ce dépistage est effectué « auprès de tous les nouveau‐nés ou, dans certains cas, auprès de ceux qui présentent un risque particulier de développer l’une de ces maladies ».
388 Qui juge que « Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (v. par ex. décision n° 87‐232 DC du 7 janvier1988).
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