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Partie II – Les questions qui se posent

2.1. L’assistance médicale à la procréation

2.1.3.1. La contrariété de la gestation pour autrui aux principes fondateurs

 Les obstacles du droit positif 

L’examen des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière de GPA met en  évidence la contrariété de cette pratique avec les principes d’indisponibilité du corps  humain et de l’état des personnes. Ils expriment d’abord une interdiction de disposer  des éléments de son propre corps, ou de ses facultés reproductives, en les mettant à  la disposition d’autrui sous une quelconque forme, hors l’hypothèse du don anonyme  et  gratuit  conçu  dans  le  cadre  du  modèle  bioéthique,  lequel  s’apparente  au  demeurant davantage à un don solidaire à la collectivité. Le don étant toujours  anonyme, le donneur ne sait pas à qui il donne et les receveurs ne savent pas de qui  ils reçoivent. Il n’opère jamais la rencontre entre deux volontés, essence même du  contrat, et condition sine qua non de la GPA. 

Ces principes interdisent en outre de disposer librement de son état, c’est‐à dire de  son nom, de son prénom, de son sexe, de sa filiation, de sa nationalité ou de sa  situation de famille. Ces éléments de l’état juridique d’une personne, qui touchent à  son essence même, ne sont en principe pas modifiables, échangeables ou cessibles  par l’effet de la seule volonté155. Ils reposent sur l’idée que la personne humaine,  dans les contours qui sont ceux de son corps et de ses attributs juridiques les plus  essentiels, est une et inviolable et doit être protégée contre les atteintes qui lui sont  portées par autrui et par elle‐même. 

La GPA questionne ces principes à plusieurs égards. D’abord, elle conduit la mère  porteuse à offrir, de manière plus ou moins consentie, à titre onéreux ou gratuit, ses  capacités gestationnelles mais aussi à renoncer à sa qualité de mère en principe  intrinsèquement liée à la grossesse. Dans son étude de 1988, le Conseil d’État avait  rappelé à cet égard que, nul ne pouvant renoncer à un droit non encore né, « la femme  ne peut pas avant d’être mère, renoncer aux droits essentiels de la maternité. Que la 

153 « GPA : Non au marché de la personne humaine », tribune publiée dans le journal Le Monde le 

19 janvier 2018, signée notamment par S. Agacinski, R. Frydman, D. Sicard et J. Testart.  

154 « On ne peut plus ignorer les enfants nés par GPA », tribune publiée dans le journal Le Monde 

le 16 janvier 2018, signée notamment par E. Badinter et I. Théry.  

155 Hors les mécanismes expressément prévus par la loi qui impliquent un certain nombre de  contrôles par des autorités, le plus souvent judiciaires. 

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détresse l’y contraigne, une fois qu’elle a eu son enfant, est déjà une chose dure. Qu’elle  y soit obligée serait plus grave. On ne porte pas un enfant sous l’obligation de  l’abandonner 156». Ensuite, elle repose sur la cession d’un enfant, objet d’un contrat, et  conduit à rompre le principe juridique jamais remis en cause selon lequel la mère est  celle qui l’a mis au monde157. Il est donc possible d’y voir une atteinte quadruple aux  principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, portant à la fois  sur le corps et sur l’état de la mère porteuse et de l’enfant. 

En outre, si l’on remonte aux sources pénales du principe d’indisponibilité du corps  humain, il est possible de se demander si le fait d’imposer contractuellement une  grossesse à autrui ne constitue par une atteinte à l’intégrité du corps, rendant  inopérant le consentement de la mère porteuse et impossible la GPA dite « éthique ». 

Toute grossesse et tout accouchement exposent la mère à des risques, même si elle  fait l’objet d’un suivi médical attentif. La femme est au surplus soumise au cours de  cette période à une forme de surveillance à distance puisque son mode de vie est  susceptible d’avoir une influence sur l’enfant. Elle doit ainsi par avance veiller à avoir  une hygiène de vie irréprochable (tabac, santé, exercice physique etc.). Elle est ainsi  conduite  à  aliéner pendant  la durée  de la  grossesse  une partie de sa  liberté  personnelle pour assurer les parents d’intention qu’elle ne fait courir aucun risque à  l’enfant qu’elle porte. Les conséquences psychologiques de la remise de l’enfant, y  compris pour les propres enfants de la mère porteuse, sont difficiles à mesurer. Tout  ceci n’a rien d’anodin et exposer la femme à de tels risques et d’aussi fortes  contraintes, sans justification d’ordre médicale pressante, entre en contradiction avec  les principes d’indisponibilité et d’intégrité du corps humain.  

Par ailleurs, dans l’hypothèse où la GPA est pratiquée à titre onéreux, c'est‐à‐dire où  le service rendu aux parents d’intention entraîne une rémunération de la mère  porteuse, elle devient contraire au principe de non patrimonialisation du corps  humain158 qui interdit de mettre à disposition d’un tiers une partie de son corps  contre une somme d’argent ou une quelconque contrepartie. 

En l’état de la jurisprudence, rien ne permet toutefois d’affirmer que la légalisation  de la GPA serait inconstitutionnelle, alors même qu’elle heurte la substance même du  modèle bioéthique français tel qu’il existe aujourd’hui.  

S’il ne fait pas de doute que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne  humaine a valeur constitutionnelle159, et constitue la matrice des principes bioéthiques 

156 Conseil d’État, Sciences de la vie – De l’éthique au droit, 1988, op. cit., p. 60.  

157 Dans le cadre de la maternité sous X, la mère est bien celle qui a porté l’enfant mais elle n’est 

pas connue.  

158 Art 16‐1 du code civil.  

159 V. le considérant 18 de la décision n° 94‐343/344 DC du 27 juillet 1994 portant sur les lois de 

bioéthique de 1994 : « Considérant que lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre  desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le  commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du 

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(primauté de la personne humaine, respect de l'être humain dès le commencement de  sa vie, inviolabilité, intégrité, absence de caractère patrimonial du corps humain et  intégrité  de  l'espèce  humaine),  ces  derniers  n’ont  pas  bénéficié  de  la  même  consécration constitutionnelle160. Il faudrait par conséquent considérer que la GPA  constitue par elle‐même une pratique contraire à la dignité de la personne humaine  pour qu’une une loi légalisant cette pratique soit regardée comme inconstitutionnelle. 

Rien dans la jurisprudence du CC ne lui interdit d’aller en ce sens, mais rien ne l’y  contraint non plus. 

 Une GPA « éthique » ? 

Les tentatives de définition d’une GPA dite « éthique », « altruiste » ou « encadrée »  sont nombreuses161 et retiennent souvent les critères suivants :

- l’existence d’une infertilité pathologique, hypothèse dans laquelle la GPA  serait réservée aux couples hétérosexuels, 

- l’absence de lien biologique avec la mère porteuse, 

- la gratuité du service rendu, en dehors de la prise en charge des frais  exposés, 

- la preuve du consentement libre et éclairé de la mère porteuse,  - des conditions liées à son âge, son état de santé, sa situation de famille. 

Si ces critères de réalisation de la GPA sont susceptibles d’en limiter les dérives  marchandes ainsi que les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux de la  mère porteuse, il n’en demeure pas moins que, d’une part, ils ne lèvent pas sa  contrariété aux principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes,  eu égard notamment à la difficulté de s’assurer du caractère désintéressé du geste de  la mère porteuse et, d’autre part, ils ne surmontent pas davantage les objections  relatives à l’enfant. 

corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine ; que les principes ainsi affirmés tendent  à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne  humaine ». 

160 V. à cet égard le commentaire de sa décision n° 2014‐700 DC du 31 juillet 2014 portant sur la 

loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes du 4 août 2014 : « Dans sa décision n° 94‐

343/394 DC du 27 juillet 1994, le Conseil a eu l’occasion de revenir sur le ‘’respect de l’être humain  dès le commencement de sa vie’’ en estimant que ce principe, ainsi que les autres principes de la  loi bioéthique alors adoptée, ‘’tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de  sauvegarde de la dignité de la personne humaine’’ (cons. 18). Il n’a toutefois pas donné de  portée constitutionnelle à ces principes en eux‐mêmes. » 

161 V. par ex. Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, Rapport d’information n° 421 

(2007‐2008) de Mme André et MM. Milon et de Richemont, fait au nom de la commission des lois  et de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 25 juin 2008., ou encore E. Badinter, 

« Je suis pour une GPA éthique », Elle, 8 mars 2013. 

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Conçu par GPA, l’enfant est soumis à un parcours fragmenté entre ses origines  génétique, gestationnelle et sociale. En outre, pendant la période de gestation il  développe de nombreuses  interactions  avec  la  mère  porteuse, décrites  par  le  CCNE162, dont il est séparé, parfois dans des conditions brutales. Certains voient dans  cette pratique un refus de tenir compte des enjeux strictement humains qui se jouent  pendant la grossesse y compris dans l’entourage de la mère porteuse, d’autres  décèlent, dans l’usage du terme de gestation, la réification, consciente ou non, du  corps de la femme163. Enfin, quelles que soient la nature et les conditions du contrat  passé avec la mère porteuse, l’enfant en demeure l’objet. 

 L’absence d’effet de l’ouverture de l’AMP sur la légalisation de la GPA :

Comme cela a été rappelé, si l’éventuelle ouverture de l’AMP aux couples de femmes  et aux femmes seules ne manquera pas de renforcer la revendication d’une liberté de  procréation de tous, y compris de la part des couples d’hommes et des hommes  seuls, au nom du principe de non discrimination, elle ne saurait avoir pour effet  juridique d’impliquer nécessairement l’autorisation de la GPA.

D’une part, le principe d’égalité ne trouve pas à s’appliquer car il n’existe pas de droit  à l’enfant et, en tout état de cause, la pratique de la GPA se heurte à des interdits  spécifiques qui la distinguent de l’AMP. 

D’autre part, le degré d’implication du tiers, « fût‐il exotique et loin de nos yeux 164»,  dans la GPA, sans commune mesure avec le donneur de gamètes de l’AMP, est tel 

162 Avis n° 126 op. cit. p. 34 : « Pendant la grossesse, les relations que la mère porteuse noue avec 

le fœtus, et donc avec l’enfant à venir, sont étroites et spécifiques. Les échanges sont biologiques  et psychiques, avec des marques épigénétiques, et des empreintes de l’environnement auquel la  femme ‐ et donc l’enfant ‐ est exposée (v. annexe 9). Il existe une symbiose entre le fœtus et la  mère qui le porte. Il perçoit ses mouvements, ses émotions, les variations de ses rythmes cardiaque  et respiratoire, ses phases d’activité/repos ; il est réceptif au type d’alimentation, aux odeurs, aux  sons familiers et notamment des voix maternelle et paternelle. À la naissance, une rupture est  programmée. L’enfant est séparé de la « mère porteuse », soustrait à l’environnement qui a été le  sien pendant la vie fœtale, et transplanté dans un autre monde prévu pour sa vie future : celui des  parents d’intention, dont la langue est différente, qui vivent dans un monde de sons, odeurs,  rythme de vie différents de celui dans lequel il a baigné jusque‐là. » 

163 « La gestation est un terme non pas nouveau, mais déplacé. La gestation est le mot utilisé pour 

les animaux, tandis que les femmes vivent une grossesse. L’idée véhiculée par l’usage de ce  vocable est que les animaux ne développent pas d’affection pour le petit pendant la gestation et  que l’affection de la mère pour l’enfant pendant ce temps de la grossesse n’est pas d’origine  biologique, mais sociale. Dès lors, seul le parent social serait le vrai parent. », M.A. Frison‐Roche, 

« La GPA, ou comment rendre juridiquement disponibles les corps des êtres humains par  l’élimination de la question », in (dir.) B. Feuillet‐Liger, S. Oktay‐Ozdemir, La non‐patrimonialité du  corps humain : du principe à la réalité. Panorama international, Droit, Bioéthique et Société, n° 17,  Bruylant, 2017, p. 365‐382. 

164 Françoise Héritier, audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet 

de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, 13 décembre 2012 : « Elle [la 

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qu’il emporte la contrariété déjà soulignée avec les principes d’indisponibilité du  corps humain et de l’état des personnes.

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