Partie II – Les questions qui se posent
2.3. La fin de vie
2.4.2.1. La question du consentement de l’enfant
Selon l’article 371‐1 du code civil, l’autorité parentale « appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». C’est donc en principe aux titulaires de l’exercice de l’autorité parentale de décider des soins à donner à l’enfant, et notamment de consentir à une opération chirurgicale (art. R. 1112‐35 du code de la santé publique)282.
281 Conseil national de l’Ordre des médecins, Commentaires du code de déontologie médicale, 2015.
282 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est dans le même sens, qui considère que le droit au respect de la vie privée et familiale inclut le droit des parents de décider du traitement médical et de l’hospitalisation de leur enfant (CEDH, 9 mars 2004, Glass c.
Royaume‐Uni, n° 61827/00).
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L’autorité parentale connaît néanmoins des limites et ne confère pas aux parents un pouvoir discrétionnaire de décision s’agissant des actes médicaux effectués à l’égard de leur enfant.
Tout d’abord, on l’a vu, lorsqu’il porte atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant, l’acte doit présenter une nécessité médicale, notion dont les contours ne relèvent pas de la seule appréciation des parents283.
Ensuite, l’autorité parentale a pour finalité, comme le précise l’article 371‐1 du code civil, l’intérêt de l’enfant. Il est dès lors possible, à titre exceptionnel, de passer outre la décision des parents lorsque celle‐ci porte manifestement atteinte à l’intérêt de l’enfant. Ainsi, l’article L. 1111‐4 du code de la santé publique prévoit que « dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale (…) risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur (…), le médecin délivre les soins indispensables ». C’est dans le même esprit que l’article R. 4127‐43 du même code prévoit que « le médecin doit être le défenseur de l'enfant lorsqu'il estime que l'intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage ».
Enfin et surtout, la loi du 4 mars 2002 a consacré l’obligation d’associer le mineur à la décision médicale284. L’article 371‐1 du code civil dispose de manière générale que
« les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Dans le domaine médical, l’article L. 1111‐2 du code de la santé publique prévoit plus précisément que les mineurs « ont le droit de recevoir eux‐
mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée (…) à leur degré de maturité (…) ». L’article L. 1111‐4 indique dans le même sens que « le consentement du mineur (…) doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ».
283 Rappelons que le consentement du patient à un acte médical ne constitue pas un fait justificatif d’une atteinte à l’intégrité corporelle et ne dispense pas le médecin d’éventuelles poursuites si l’intervention du médecin ne revêt pas une nécessité médicale au sens de l’article 16‐3 du code civil (v. sur ce point, Cass., avis., 6 juillet 1998, n° 98‐00006, qui rappelle que le consentement ne saurait suffire et qu’« une atteinte à l’intégrité du corps humain, telle la ligature des trompes de Fallope, pratiquée en dehors de toute nécessité thérapeutique, et à des fins strictement contraceptives, est prohibée par l’article 16‐3 du code civil ». V. également et déjà sur ce point Cass. crim., 1er juillet 1937, affaire dite « des stérilisés de Bordeaux » (Bull. crim. 1937, n° 139, D.H. 1937, 537), qui juge « que le consentement des opérés ne peut être exclusif de toute responsabilité pénale, ceux‐ci n’ayant pu donner le droit de violer sur leurs personnes les règles régissant l’ordre public ; que c’est évidemment les violer que d’accomplir sciemment de telles lésions corporelles que ne justifiaient impérieusement aucune nécessité médicale ou chirurgicale ».
284 Pour certains actes médicaux, qui relèvent de l’autonomie du mineur, l’exigence de consentement des titulaires de l’autorité parentale s’efface derrière celle de l’enfant. Il en va ainsi des actes médicaux en lien avec la vie sexuelle du mineur (par ex., art. L. 5134‐1 du CSP s’agissant de la délivrance ou de l’administration de contraceptifs).
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Appliquées aux enfants présentant des variations du développement génital, deux lectures de ces dispositions sont envisageables.
Une lecture statique conduit à estimer que lorsque le mineur est un nourrisson, et n’est donc nullement en état d’exprimer une quelconque volonté, son incapacité est générale et l’intervention du représentant est en quelque sorte indépendante du représenté. Dans cette hypothèse, la représentation devrait être qualifiée d’imparfaite285, et la volonté des titulaires de l’autorité parentale se substituerait pleinement à celle de l’enfant.
Une lecture plus dynamique invite à prendre en compte la circonstance que l’état de discernement du mineur sera nécessairement conduit à évoluer et que l’écoulement du temps permettra de recueillir son avis. Cette lecture mérite d’être privilégiée afin de donner un effet utile aux dispositions en cause, notamment lorsque les actes médicaux en cause portent gravement atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant.
On peut déduire d’une telle lecture, combinée à celle de l’article 16‐3 du code civil et aux dispositions du code de déontologie médicale mentionnées plus haut, que lorsque le mineur n’est pas apte à exprimer sa volonté, seul un « motif médical très sérieux » peut justifier que, sans attendre que l’enfant soit en âge de participer à la décision, un acte médical portant gravement atteinte à son intégrité corporelle soit mis en œuvre ; si le caractère très sérieux d’un tel motif n’est pas établi, il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui‐même la balance avantage‐risque de l’acte envisagé.
L’existence d’un motif médical très sérieux doit s’apprécier à la fois au regard de la finalité poursuivie par l’acte envisagé et du moment auquel il intervient.
Sur le premier point, une telle exigence renvoie selon le Conseil d’État, parmi les finalités des actes chirurgicaux effectués à l’égard de nourrissons présentant des variations du développement génital, aux seules interventions qui s’imposent afin d’éviter de mettre en jeu le pronostic vital de la personne ou les souffrances physiques associées à ces variations. Les traitements qui ont uniquement pour finalité de favoriser la construction identitaire des enfants sur lesquels ils sont mis en œuvre, dans la mesure où une incertitude demeure sur l’aptitude des actes envisagés à poursuivre un tel objet, ne répondent pas à une telle exigence.
Sur le second point, l’exigence d’un motif médical très sérieux suppose que des raisons impérieuses et fermement établies justifient le caractère précoce d’interventions chirurgicales effectuées avant que l’enfant soit en mesure de participer à la décision et qui n’ont pas pour stricte finalité d’éviter d’éventuelles complications médicales. Deux séries de motifs sont aujourd’hui mises en avant pour
285 V. J. Carbonnier, Droit civil, t. 1, Introduction – Les personnes, la famille, le couple, l’enfant, PUF, Quadrige, 2004, n° 296.
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justifier le caractère précoce de telles interventions : d’une part des raisons qui relèvent de la technique chirurgicale, tenant à la disponibilité des tissus et au climat hormonal des nourrissons qui seraient plus favorables que lorsque l’intéressé atteint l’âge de la puberté, d’autre part le moindre impact psychologique de ces interventions lorsque l’enfant est en bas âge. Or, les auditions réalisées par le Conseil d’État lui ont permis de constater que de tels motifs ne pouvaient pas, en l’état des connaissances, être établis avec certitude. D’une part, les avis sont partagés sur la question de savoir si les interventions chirurgicales pratiquées sur des nourrissons présentent plus de risques que celles effectuées sur des enfants prépubères ayant donc atteint un degré de maturité leur permettant de participer à la prise de décision médicale. D’autre part, l’impact psychologique supposé moindre d’une intervention sur un nourrisson mérite d’être nuancé au regard de l’avantage, sur le même plan du psychisme de l’enfant, que présente une action plus tardive permettant à l’intéressé de faire part de son avis et d’adhérer aux thérapies envisagées.
En définitive, l’acte médical ayant pour seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant ne devrait pas pouvoir être effectué tant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et de participer à la prise de décision.