Partie III – Les questions posées par les évolutions
3.1. Les évolutions en matière de génomique
3.1.5.2. Deux questions sur le champ du diagnostic préimplantatoire
Le DPI (autorisé depuis 1994) consiste à analyser des cellules prélevées sur l’embryon in vitro à un stade ultra‐précoce de son développement. Il n’est autorisé que :
- dans l’hypothèse où le couple, remplissant les conditions de recours à l’AMP, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic389. En 2015, 582 demandes ont été acceptées, sur 766.
- pour sélectionner l’embryon dont les cellules souches (issues du sang placentaire ou, plus tard, de la moelle osseuse) permettront de soigner de façon définitive le premier enfant du couple atteint d’une maladie orpheline rare se traduisant par une défaillance de la moelle osseuse390 (pratique391 du DPI‐HLA392 dite « bébé médicament » ou « bébé du double espoir »). Expérimentée dès 2004, cette pratique est autorisée de façon pérenne depuis 2011. Elle a représenté 38 demandes entre 2006 et 2014.
À l’occasion de cette nouvelle révision, le Conseil d’État identifie deux questions principales.
La première question consiste à déterminer si, à l’occasion d’un DPI, doivent pouvoir être recherchées certaines aneuploïdies393 affectant l’embryon (pratique dite du DPI‐A), alors même qu’elles ne constitueraient pas des maladies génétiques héréditaires.
Sur ce point, en l’état, l’incohérence du cadre réglementaire est parfois critiquée car le DPI ne peut pas être utilisé pour diagnostiquer des aneuploïdies alors que ces anomalies peuvent empêcher le développement de l’embryon implanté (en provoquant des fausses couches spontanées394) et qu’elles peuvent justifier, si elles sont dépistées ensuite dans le cadre d’un Diagnostic prénatal (DPN), une IMG plus traumatisante que de ne pas transférer l’embryon dans l’utérus. Le CCNE, dans son avis n° 107, avait déjà relevé ce hiatus et estimé que « l’interdiction de rechercher une trisomie 21 à l’occasion d’un DPI pour maladie génétique présente chez l’un des parents devrait être levée » sous réserve que cette évolution ne conduise pas « à modifier les conditions de la biopsie embryonnaire et en particulier à augmenter le nombre de cellules prélevées, ce qui diminuerait le taux de grossesses menées à terme ». Une telle extension semble donc pouvoir s’adosser au principe éthique de non‐malfaisance. Elle impliquerait de modifier le 6e alinéa de l’article L. 2131‐4 du
389 Art. L. 2131‐4 du CSP.
390 Anémie de Fanconi et bêta‐thalassémie notamment.
391 Dont la pratique est encadrée aux articles L. 1241‐1 à L. 1241‐7 du CSP.
392 HLA pour « Histocompatibilité humaine ».
393 Le fait de ne pas posséder le nombre normal de chromosomes.
394 Le taux de fausse couche obtenu après DPI est proche de 25%.
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code de la santé publique, qui prévoit que « Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection [maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic] ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter ».
Le Conseil d’État souligne toutefois les implications lourdes d’une telle extension : - elle constituerait une rupture avec la finalité originelle du DPI, qui est de
« permettre à des couples d’avoir un enfant alors que leur passé familial ou le handicap sévère d’un premier né les aurait conduit à y renoncer au regard du risque élevé de lui transmettre une grave maladie héréditaire »395. Cette extension tendrait à accréditer l’idée selon laquelle le DPI peut être regardé comme une forme de DPN ultra‐précoce (ce qui justifierait de vérifier dès ce stade l’absence de certaines anomalies déjà détectables, même si elles ne sont pas héréditaires), à rebours de la distinction claire entretenue jusqu’à présent entre ces deux diagnostics396 ;
- cette décorrélation entre la motivation justifiant le DPI (les antécédents familiaux) et le champ de ce qui serait recherché (des anomalies non‐
héréditaires) interroge également sur la possibilité d’autoriser la détection des aneuploïdies dans le cadre d’un DPI alors qu’une telle recherche resterait interdite pour les FIV sans DPI. Ce double standard n’apparaît pas évident à justifier au regard du principe d’égalité.
Il convient également de préciser que si ce choix doit s’opérer à la lumière des exigences conventionnelles, ces dernières ne commandent pas de façon définitive l’orientation à retenir. Certes, dans son arrêt Costa et Pavan c/ Italie397, la CEDH a condamné l’Italie en raison de l’incohérence de son cadre réglementaire, interdisant de façon absolue l’accès au DPI alors même que certaines des maladies héréditaires qui auraient pu être identifiées lors de ce diagnostic étaient susceptibles de justifier, en aval, un avortement thérapeutique lorsqu’elles étaient découvertes sur un fœtus in utero398. Toutefois, ce précédent ne semble pas condamner le système français actuel, qui repose sur une logique cohérente assumée : limiter ce diagnostic aux seules anomalies génétiques héréditaires. À cet égard, d’une part, la Cour s’est bornée à juger que l’article 8 de la CEDH protégeait le désir des parents de procréer un enfant qui ne soit pas atteint par la maladie génétique dont ils sont porteurs, sans se prononcer sur les autres anomalies congénitales. D’autre part, en tout état de
395 V. CCNE, 15 octobre 2009, avis n° 107, Avis sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI), p. 20.
396 V. pour une formulation très claire en ce sens, l’avis n° 72 du CCNE, p. 5.
397 CEDH, 28 août 2012, Costa et Pavan c. Italie, n° 54270/10.
398 Les embryons in vitro entre les balances de la justice européenne et les éprouvettes des chercheurs, J.‐P. Marguénaud, RTD Civ., 2015/830 et C. Bénos, « L’interdiction du DPI sur la sellette européenne », RDSS, 2013/67.
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cause, lorsqu’un dispositif national peut se prévaloir d’une forte cohérence interne, la Cour de Strasbourg laisse une large marge d’appréciation à l’État concerné399, à plus forte raison lorsque les pays européens adoptent sur la question des solutions diverses400‐ ce qui est le cas en matière de DPI401.
En tout état de cause, en parallèle de ces questionnements éthiques, le Conseil d’État estime nécessaire, avant d’envisager une modification de la législation sur ce point, de conduire :
- une étude biomédicale aux fins d’apprécier l’efficacité et l’utilité d’une telle évolution : faute de travaux suffisamment randomisés, il est en effet difficile, en l’état, de se prononcer sur son opportunité médicale ;
- une étude médico‐économique402, afin de comparer le coût supplémentaire de ce DPI‐A (qui peut aussi nécessiter une vitrification de l’embryon aux fins de le conserver si cette analyse génétique ne peut être réalisée très rapidement) avec les surcoûts induits par les échecs d’implantation causés par ces aneuploïdies.
Ces éléments supplémentaires d’information permettront alors d’éclairer le choix entre les trois scénarios identifiables :
1‐ le statu quo ;
2- la recherche des aneuploïdies dans le seul cadre du DPI. Dans cette hypothèse, il faudrait alors déterminer si l’ensemble des aneuploïdies sont recherchées (y compris celles qui n’empêchent pas la grossesse d’aboutir) ou si sont seulement diagnostiquées les aneuploïdies qui rendent l’embryon non viable403 aux fins d’éviter les échecs répétés d’implantation ;
3- la recherche des aneuploïdies pour l’ensemble des FIV. Outre les difficultés pratiques qu’elle soulèverait404 et son coût important, cette option impliquerait d’effectuer un geste supplémentaire (une biopsie de l’embryon) – circonstance qu’avait d’ailleurs relevée le CCNE dans son avis n° 107 pour écarter cette hypothèse maximaliste.
399 Pour une analyse en ce sens, v. Les prudentes avancées de la Cour EDH en matière d’accès au
diagnostic préimplantatoire, note sous arrêt par C. Picheral, SJEG n° 43, 22.10.2012, 1148
400 V. en ce sens CEDH, G. Ch, 27 août 2015, Parrillo c. Italie, n°46470/11.
401 Pour un panorama, v. avis n° 72 du CCNE, Réflexions sur l’extension du diagnostic pré‐
implantatoire, pp. 14 et s. et, pour des éléments plus récents, les éléments de droit comparé de l’arrêt Costa et Pavan c/ Italie, §§ 29 et s.
402 Pour une proposition en ce sens, v. N. Frydman, « Augmenter les chances de succès de la FIV
grâce au diagnostic génétique préimplantatoire des aneuploïdies (DPI‐A) : mythe ou réalité ? », Med Sci (Paris), 2016, 32.
403 C'est‐à‐dire toutes les trisomies à l’exception de celles portant sur les chromosomes sexuels et
sur les chromosomes 13, 18 et 21.
404 Les structures réalisant les FIV n’étant pas nécessairement en mesure de procéder à un DPI‐A.
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La seconde question revient à déterminer s’il est pertinent de maintenir la pratique du DPI‐HLA. Le récent rapport de l’ABM sur l’application de la loi de bioéthique relève que « l’hôpital Antoine Béclère, le seul à avoir pratiqué le DPI associé au typage HLA en France a cessé depuis 2014 cette activité longue et lourde, tant pour les couples que pour l’équipe médicale ». Dans un récent article scientifique405, plusieurs praticiens spécialistes de la procréation expliquent cette désaffection par les inconvénients de cette pratique (qui nécessite un engagement très important de l’équipe médicale et est génératrice de lourds surcoûts) pour des résultats mitigés406, alors même qu’elle pose des questions éthiques délicates. En particulier, le point le plus sensible est lié à la condition posée au dernier alinéa de l’article L. 2141‐3 du code de la santé publique, qui interdit au couple de recourir à une nouvelle stimulation ovarienne dès lors qu’il dispose d’embryons « sains », même si ces derniers ne sont pas HLA‐compatibles. Or, la probabilité de disposer d’un embryon à la fois sain et HLA‐compatible est très faible (de l’ordre de 10%) : aussi, en pratique, cette condition conduit souvent à donner de « faux espoirs »407 à de nombreux couples, qui renoncent à la FIV quand cette dernière ne leur permet pas de donner naissance à un enfant susceptible de soigner leur aîné malade, et place les soignants dans une position délicate.
Pour autant, si elle explique le faible recours au DPI‐HLA, cette condition a été pensée, lors du vote, à titre expérimental, de cette disposition en 2004408, comme une garantie visant à s’assurer que seul l’intérêt de l’enfant à naître soit pris en compte et à éviter son instrumentalisation à des fins thérapeutiques : en effet, la logique sous‐jacente est de faire de la compatibilité du cadet un potentiel effet collatéral positif du DPI, qui doit avant tout viser à éviter que ce nouvel enfant soit atteint de la même pathologie génétique, et non l’objectif premier justifiant le recours à un tel diagnostic. Avant l’intervention de la loi le CCNE, dans son avis n° 72 d’octobre 2002, relevait en ce sens que le fait de rejeter des embryons (sains mais
405 V. J. Steffann et a., Le DPI appliqué aux maladies génétiques hématologiques avec ou sans typage tissulaire dans le contexte législatif français, février 2016, ScienceDirect.
406 En 9 ans, 3 greffes ont pu être réalisées alors que les résultats « naturels » ont permis aussi
d’identifier 3 enfants compatibles.
407 Terme employé par S. Viville lors de son audition du 11 mars 2009 devant l’Assemblée nationale.
408 V. en ce sens le rapport n° 333 du sénateur Giraud sur la révision de 2004 : « Votre commission
note enfin que, dans la plupart des cas, la combinaison des chances de succès de la procédure et de l'intervention de l'Agence de la biomédecine, qui étudiera au cas par cas chaque demande, ferme la porte à l'essentiel des dérives pouvant découler d'une telle extension du DPI. / Votre commission n'imagine en effet pas que l'agence autorise le recours au DPI par un couple de manière réitérée et dans un laps de temps bref. Elle appuie ce raisonnement sur le contenu des dispositions de l'article 18 du présent projet de loi qui interdisent qu'il soit procédé à une nouvelle FIV tant que des embryons sains, mêmes non HLA compatibles, existent. S'il n'existe pas ou plus d'embryon sain et compatible, mais un grand nombre d'embryons sains non compatibles, le couple ne pourra demander à bénéficier d'une nouvelle FIV pour recommencer la procédure ».
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non‐HLA compatibles) « indiquerait que l’enfant à venir n’était pas d’abord voulu pour lui‐même, mais bien pour un autre », ce qui lui semblait impensable au regard des valeurs qu’il défendait.
Le Conseil d’État ne mésestime pas ces difficultés, qui étaient toutefois largement connues lors de la pérennisation du DPI‐HLA en 2011409. Il identifie, dès lors, deux scénarios possibles :
1‐ supprimer cette condition consistant à devoir utiliser tous les embryons sains, même non‐HLA compatibles, avant de procéder à un nouveau cycle de DPI. Un tel assouplissement, en ce qu’il augmenterait les chances de succès du DPI‐HLA410, conduirait vraisemblablement à ce qu’il y soit davantage recouru. Toutefois, cette évolution renforcerait le risque, soulevé par le CCNE dans son avis n° 107 d’octobre 2009, que l’enfant à naître soit avant tout appréhendé à l’aune de son utilité thérapeutique pour son aîné ;
2‐ si cette condition ne devait pas être remise en cause, la non‐utilisation de ce dispositif pourrait justifier son abrogation, déjà envisagée en 2011. Le Conseil d’État préconise plutôt de ne pas revenir sur ce dispositif tant que les alternatives émergentes (notamment les greffes de sang de cordon en situation non apparentée et la thérapie génique des cellules de la moelle des enfants malades) ne sont pas stabilisées, étant évidemment précisé que le choix de recourir ou non à cette technique appartient aux équipes médicales concernées.