Partie II – Les questions qui se posent
2.2. Le don et l’usage thérapeutique des éléments et produits du corps humain
2.2.1.3. Les différentes modalités envisageables pour l’accès aux origines
Enfin, la reconnaissance par le législateur d’un droit d’accès aux origines pourrait revêtir différentes formes, en fonction la pondération des différents intérêts en présence – ceux du donneur, ceux des familles et ceux de l’enfant – appréciés en fonction de différents paramètres.
Un premier paramètre réside dans le caractère requis ou non du consentement du donneur. L’accord de l’intéressé pour la révélation de son identité était le choix opéré par la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État219 dans le cas notamment des femmes ayant demandé le secret de leur identité lors de leur accouchement.
La première option maximaliste, ouvrant l’accès aux origines sans consentement du donneur, n’est possible que pour l’avenir, c’est‐à‐dire pour les dons effectués après l’entrée en vigueur de la loi. C’est une solution égalitaire puisque tous les enfants conçus par AMP pourraient à l’avenir obtenir la levée du secret sur l’identité de leurs donneurs, s’ils connaissent les conditions de leur conception et s’ils en font la demande à leur majorité. Elle est en revanche potentiellement déstabilisante pour les dons, même si l’absence de possibilité d’établir dans ce cadre un quelconque lien de filiation est réaffirmée.
La deuxième option consisterait à solliciter le consentement du donneur au moment où il effectue son don, avec possibilité, en cas de refus, de le réinterroger au moment où l’enfant majeur formule sa demande. Son consentement peut en effet évoluer avec le temps dans un sens favorable. Cette approche présente néanmoins l’inconvénient de créer ab initio deux catégories de donneurs, ceux qui acceptent la
218 L’art. 311‐19 du code civil prévoit déjà que : « En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation. ‐ Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur. ». Il ne paraît pas nécessaire d’interdire une action aux fins de subsides, dès lors que les conditions d’une telle action ne seront, à l’évidence, pas remplies (aux termes du 1er alinéa de l’art. 342 du code civil : « Tout enfant dont la filiation paternelle n'est pas légalement établie, peut réclamer des subsides à celui qui a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception. »).
219 V. art. L. 147‐6 du CASF.
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levée du secret et ceux qui la refusent, avec le risque que les receveurs revendiquent de pouvoir choisir entre les deux catégories.
La troisième option, que prévoyait le projet du Gouvernement en 2011, est plus protectrice des intérêts du donneur et de ses proches. Elle consiste à solliciter le consentement du donneur au moment où un enfant majeur, conçu grâce à son don, effectue sa demande d’accès aux origines. Le donneur serait informé de cette perspective au moment où il effectue son don. Cette solution n’est pas sans soulever de difficultés en cas de décès du donneur entre la date de son don et la majorité de l’enfant, privant ainsi ce dernier de toute possibilité d’accéder à ses origines. Il convient aussi de déterminer si l’accord doit être renouvelé à chaque fois qu’un enfant né du don solliciterait l’accès à ses origines. Par soucis de simplicité, il paraîtrait préférable que le consentement soit donné pour tous les enfants nés du don, au moment de la première demande formulée par l’un d’entre eux. Se pose également la question de l’accord de la personne vivant en couple avec le donneur, dont le consentement est actuellement requis au moment du don. Si cette condition n’est pas purement et simplement supprimée, il paraît préférable de recueillir le consentement du conjoint du donneur au moment de la demande d’accès aux origines. Cette option paraît in fine plus respectueuse des règles éthiques mais présente l’inconvénient de contraindre d’assurer la « traçabilité » du donneur.
Un deuxième paramètre réside dans la nature, la précision et l’ampleur des informations données qui peuvent être plus ou moins identifiantes. Un certain nombre de données objectives en possession des CECOS peuvent être aisément divulguées (âge, taille etc..). Elles ne satisferont probablement pas les demandeurs, qui souhaitent, sinon pouvoir rencontrer leur donneur, à tout le moins se projeter dans une histoire ce qui suppose de communiquer des éléments de contexte plus identifiants, voire le nom.
Un troisième paramètre concerne la possibilité qui pourrait être laissée à un couple infertile de garder le secret sur les modalités de la conception de l’enfant et sur le recours à un tiers donneur, alors même qu’il s’agit d’un préalable indispensable pour que l’enfant puisse demander la mise en œuvre des nouvelles dispositions sur l’accès à certaines informations relatives au donneur. L’étude du Conseil d’État de 2009 estimait que cette question relevait des « secrets de famille » et de la vie privée du couple et pouvait difficilement faire l’objet d’un encadrement par le législateur.
L’appréciation est aujourd’hui plus délicate compte tenu de l’ouverture envisagée de l’AMP aux couples de femmes, voire aux femmes seules. La question du secret ne se posera pas en effet pas de la même manière pour ces enfants, introduisant une possible rupture d’égalité entre les enfants nés par AMP dans la possibilité d’avoir accès à leurs origines. Le respect de la vie privée commande toutefois de ne pas contraindre les parents à révéler les conditions de conception à leurs enfants. En revanche, dès lors que l’enfant a connaissance du don de gamètes, il paraît préférable de ne pas requérir le consentement des parents, l’accès à certaines données relevant
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uniquement du choix de l’enfant devenu majeur et du consentement éventuel du donneur.
Le schéma qui paraît susciter le moins d’inconvénients est celui qui permettrait à tous les enfants issus d’un don, et ayant été informés par leurs parents, de solliciter à partir de leur majorité l’accès à l’identité de leur donneur. Le donneur donnerait son consentement au moment de la demande formulée par le premier enfant né de son don. En cas de refus ou de disparition du donneur, des données non identifiantes pourraient être portées à la connaissance de l’enfant comme le proposent les CECOS.
Quelles que soient les options retenues, qui présentent toutes un certain degré de complexité, le Conseil d’État préconise de ne pas accroître la charge pesant sur les CECOS. La gestion du système pourrait être confiée à un organisme central, tel que le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) avec des missions et moyens élargis.
2.2.2. Le prélèvement d’organes post‐mortem : maintenir le consentement présumé
Le besoin en greffons ne cesse d’augmenter du fait du vieillissement de la population et des progrès de la médecine. L’activité de greffe a progressé de 17% en moyenne, pour tous les organes, entre 2012 et 2016220. La barre symbolique des 6 000 greffes a été franchie à la fin de l’année 2017. Dans le même temps, le nombre de malades en attente d’un organe a augmenté de 27% : ils étaient 22 627 en attente d’un organe en 2016 et 552 décédés au cours de cette attente.
Les greffes proviennent encore aujourd’hui à plus de 80% du don post‐mortem qui repose depuis plus de quarante ans, comme dans la plupart des pays européens, sur le principe du consentement présumé (article L. 1232‐1 al 3 du code de la santé publique issu de l’article 2 de la loi du 22 décembre 1976 dite « Loi Caillavet »). Le prélèvement d’organes sur une personne décédée peut ainsi être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement.
Le taux de refus en France reste néanmoins élevé, supérieur à 30% depuis plusieurs années, alors qu’en Espagne il est, par exemple, deux fois moindre. Cette moyenne nationale masque des différences importantes selon les régions, encore mal expliquées : le taux de refus est ainsi de 37,7% en zone Ile de France contre seulement 24,9% dans l’est de la France221. C’est souvent la famille qui, ignorant la position du défunt sur la question, préfère, dans l’incertitude et à titre de précaution, opposer un refus. Pourtant le droit positif prévoit seulement de tenir compte de l’opposition du défunt, sans envisager que la famille puisse substituer sa propre
220 Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018.
221 J.‐L. Touraine, Mission « flash » relative aux conditions de prélèvements d’organes et du refus
de tels prélèvements, Assemblée nationale, commission des affaires sociales, 20 décembre 2017.
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appréciation, si la volonté du donneur potentiel n’est pas clairement exprimée. Le Conseil d’État l’avait déjà jugé, de manière très nette, en 1983 à l’occasion du recours dirigé contre le premier décret d’application de la loi Caillavet (CE, 18 mars 1983, Inéd., JCP 1983, II, 2011)222.