Partie III – Les questions posées par les évolutions
3.1. Les évolutions en matière de génomique
3.1.5.3. Le développement du Diagnostic prénatal non invasif (DPNI)
Le but du Diagnostic prénatal (DPN) est de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité411, soit en raison des risques génétiques des parents ou de leurs familles, soit après la découverte d’anomalies fœtales à l’échographie (aucun texte n’en dresse la liste). Il peut permettre des interventions médicales sur le fœtus destiné à soigner l’affection identifiée. En 2015, en ont par ailleurs découlé 7 084 interruptions médicales de grossesse pour motif fœtal, soit 0,9% des naissances vivantes.
Depuis 2010, l’évolution des techniques a permis de réaliser des nouveaux tests précoces (dès la 11e semaine d’aménorrhée, c'est‐à‐dire dans le délai légal de l’IVG) et non invasifs (sur la base d’une analyse de l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel), initialement utilisés pour déterminer le rhésus fœtal lorsque la mère est
409 Le Conseil d’État, dans son étude de 2009 op. cit., relevait ainsi que « les questions éthiques
posées par le « double DPI » et le fait qu’il ait été peu utilisé pourraient justifier que le législateur envisage de mettre un terme à cette pratique ». Le député J. Leonetti, dans son rapport sur la révision de 2011, estimait que ce dispositif pouvait, dans de très rares cas, garder un intérêt.
410 V. sur ce point J. Guigui, « Révision des lois de bioéthique : le DPI‐HLA en question », Droit administratif, n° 1, janvier 2010, étude 1.
411 Art. L. 2131‐1 du CSP.
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rhésus négatif pour prévenir les incompatibilités sanguines fœto‐maternelles, puis pour dépister la trisomie 21.
Ainsi qu’en faisait état le CCNE dans un avis récent412, cette pratique permet d’éviter à de nombreuses femmes de subir des tests invasifs tels qu’une amniocentèse, et donc d’encourir les risques subséquents (fausses couches). Les DPN invasifs sont en effet proposés lorsque le risque de trisomie 21 est supérieur à 1/250. Ce seuil de risques, qui exclut du dépistage 20% des fœtus trisomiques, touche 3% des femmes alors que, dans 90% des cas, aucune trisomie n’est détectée. À seuil de risque équivalent, l’analyse de l’ADN fœtal peut permettre, avec une fiabilité très forte (>99%) et très peu de faux‐positifs, de limiter les DPN invasifs aux seuls prélèvements non interprétables avec cette méthode (soit 5% du total) : au total, 20 000 femmes sont susceptibles d’être exemptées d’examens invasifs413 alors même que le taux de détection se trouverait amélioré de 15%.
Ce nouveau test ne fait que rendre plus efficace et moins dangereuse une action de dépistage déjà systématiquement proposée sous une autre forme et il ne réduit pas le libre choix des couples ‐ qui peuvent le refuser. Elle permet en outre de diminuer l’anxiété des mères par une diminution des faux‐positifs et, le cas échéant, de réaliser des IMG plus précoces, donc moins traumatisantes. Ces considérations ont justifié que le décret n° 2017‐808 du 5 mai 2017 inscrive ce test dans la liste des examens de diagnostic prénatal. Même s’il n’est pas encore, à ce stade, remboursé par l’assurance‐maladie, la HAS414 recommande qu’il soit proposé à toutes les femmes dont la probabilité d’attendre un enfant trisomique est comprise entre 1/51 et 1/1000 (soit de l’ordre de 58 000 femmes par an).
Ces dépistages de très haute sensibilité, qui permettent de séquencer le génome du fœtus, sont, en outre, susceptibles d’apporter un grand nombre d’informations supplémentaires. La question émergente porte dès lors sur l’étendue des éléments qui peuvent être recherchés, ou découverts, à l’occasion de cette analyse de l’ensemble du génome fœtal. Au‐delà de la trisomie 21, ce test permet, à un stade très précoce de la grossesse, de déceler d’autres aneuploïdies, certaines microdélétions (qui seraient responsables d’un déficit intellectuel), les maladies monogéniques415 ainsi que certaines caractéristiques génétiques (comme des
412 CCNE, 25 avril 2013, avis n° 120, Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel, 25 avril 2013.
413 Haute Autorité de santé, Dossier de presse ‐ Dépistage prénatal de la trisomie 21.
414 Haute Autorité de santé, rapport sur la Place des tests ADN libre circulant dans le sang maternel dans le dépistage de la trisomie 21 fœtale, Synthèse de l’argumentaire et recommandations, avril 2017.
415 Comme la mucoviscidose, l’achondroplasie, la myopathie de Duchenne (v. article Le Conseil génétique, op. cit.)
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prédispositions à certaines maladies). Cet élargissement, déjà proposé dans certaines cliniques privées en France416, soulève plusieurs enjeux éthiques :
- il risque de conduire les couples à choisir seuls l’avortement sur la base d’une approche subjective et irrationnelle de la gravité d’une anomalie génétique qui leur serait annoncée, sans prendre en compte ni sa prévalence417 ni les conditions de son expression418. Ce risque est d’autant plus prégnant que le DPNI intervient dans le délai légal d’IVG, et par suite que cette appréciation subjective, par le couple, de la gravité de l’anomalie ne serait pas tempérée par celle, plus objective, effectuée par les Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal (CPDPN) pour les IMG419. Aussi, d’une part, ainsi que le relevait le Comité international de bioéthique de l’UNESCO, cette technologie implique un « risque de banalisation et d'institutionnalisation du choix de ne pas faire naître un enfant malade ou handicapé »420. D’autre part, un tel afflux d’informations, qui s’exprimeraient le plus souvent sous la forme d’un risque exprimé en probabilités, conduirait à paralyser l’autonomie du couple dans la conduite de son projet procréatif, à rebours de l’intention initiale qui est de lui permettre de se déterminer en toute connaissance de cause.
- il pourrait conduire à un paradoxe421 : puisque l’analyse de l’ADN fœtal libre circulant est un élément de dépistage et non de diagnostic, la confirmation du dépistage requerrait le plus souvent des analyses invasives, d’autant plus nombreuses que le champ de ce qui est recherché est large. Là encore, cette évolution irait à rebours de la justification originelle du recours à l’analyse de l’ADN fœtal, qui est de permettre d’éviter de tels actes invasifs.
- il risque de prédestiner le futur enfant sur la base de ses caractéristiques génétiques : ce test est en effet susceptible d’apporter de nombreux éléments, jusqu’alors inconnus, sur le génome de l’enfant avant sa naissance. En l’état, les tests anténataux ont pour objectif de permettre un choix négatif (ne pas implanter un embryon atteint d’une maladie donnée en DPI) ou d’apporter des éléments d’information qui, en tout état de cause, seraient connus à la naissance
416 V. M.‐J. Thiel, « L’essor des techniques de dépistage prénatal – des questions d’éthique biomédicale et politique », Revue d’éthique et de théologie moral, 2017/5, n° 297.
417 Pourcentage des individus qui, parmi ceux possédant l’allèle en cause, développent la maladie.
418 Même pour les maladies génétiques à pénétrance complète, il est souvent difficile de prédire
l’âge d’apparition et l’intensité des symptômes correspondants.
419 En 2015, les CPDPN ont refusé 132 demandes d’IMG (Bilan 2016 de l’Agence de la biomédecine).
420 Rapport du Comité international de bioéthique sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome
humain et les droits de l’homme, octobre 2015.
421 Rapidement évoqué (p.22) de : J.‐C. Harper et a., « Recent developments in genetics and medically assisted reproduction : from research to clinical applications », European Journal of Human Genetics, 2018, à propos de la détection d’anomalies des chromosomes sexuels ou des microdélétions responsables du syndrome DiGeorge. V. aussi le rapport du Comité international de bioéthique, op. cit. p. 26.
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ou peu de temps après (la trisomie 21 par exemple). À l’inverse, si le DPNI devait se déployer sur un champ plus large, il risquerait de « réifier la personne dès sa naissance (…) en la réduisant à la séquence de certains de ses gènes »422.
- enfin, cette évolution conduirait à devoir proposer ce test à l’ensemble des femmes enceintes au lieu de ne cibler que les femmes à risques, ce qui poserait des problèmes organisationnels et économiques lourds.
À la lumière de ces risques, le CCNE – dans son avis précité – recommande de n’autoriser à dépister que les maladies d’une particulière gravité. Dans le même sens, la société européenne de génétique humaine recommande que cet examen ne concerne que les anomalies graves et qui seraient soit congénitales, soit amenées à se développer dès l’enfance423 (« there are strong ethical reasons for not expanding the scope of prenatal screening beyond serious congenital and childhood disorders »).
Le Conseil d’État estime que l’innocuité d’une technique ne doit pas rétroagir sur l’étendue des affections recherchées à l’occasion du DPN. Dans cette optique : - l’utilisation du DPNI pour dépister des anomalies d’ores et déjà recherchées avec
les techniques existantes apparaît légitime, sous réserve d’une analyse au cas par cas de la HAS (à l’instar de celle conduite pour la trisomie 21) ;
- la finalité du DPN telle qu’elle résulte de la loi (détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité) gagnerait en revanche à être préservée, ce qui fait obstacle à ce que le DPNI soit mobilisé pour dépister des affections ne présentant pas de telles caractéristiques ;
- la liberté des couples quant au choix de recourir ou non, selon leurs désirs ou leurs convictions, à un tel diagnostic doit être garantie. Ainsi que le relevait le CCNE dans son avis n° 107, c’est cette liberté qui permet de distinguer les diagnostics mis en place d’une politique eugénique. À l’échelle du couple, cette liberté implique qu’une information appropriée lui soit fournie et qu’il puisse choisir le champ exact du dépistage auquel il consent. À l’échelle de la société, l’effectivité de cette liberté dépend aussi de l’absence de pression exercée sur les couples quant au recours à ce diagnostic et aux conséquences à en tirer, ce qui implique de veiller à la non‐stigmatisation à l’égard des personnes atteintes, enfants comme adultes, et d’assurer la qualité de leur prise en charge.
Enfin, dans cette même logique d’éviter une prédestination de l’enfant, le Conseil d’État recommande de ne pas revenir sur le cadre juridique applicable au dépistage des maladies néonatales, qui en l’état du droit424 circonscrit aux seules fins de
422 Tests génétiques – Questions scientifiques, médicales et sociétales, Inserm, op. cit.
423 G. Stapleton, « Qualifying choice : ethical reflection on the scope of prenatal screening », Med
Health Care and Philos, 2017.
424 Art. R. 1131‐21 du CSP.
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« prévention secondaire »425 le recours à un tel dépistage (réalisé sur la base de marqueurs biochimiques pour cinq maladies monogéniques426). Le passage à un dépistage de type génétique n’apparaît pas souhaitable en ce qu’il risquerait de conduire à identifier de nombreuses prédispositions, y compris pour des maladies susceptibles de se développer à l’âge adulte, et à induire de lourds risques en termes de discriminations427.