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CHAPITRE 1 : COMPRENDRE LE SECTEUR DES SERVICES

2.2. La conceptualisation « physique » de l’intangibilité

Shostack (1977) est l’une des premières à définir formellement le concept d’intangibilité, en l’opposant au terme de tangibilité. Ainsi, « tangible » signifie selon elle « palpable » et

« matériel ». « Intangible » est l’antonyme, et signifie donc « impalpable », « immatériel »,

« incorporel ». Elle ajoute que les éléments intangibles d’une offre sont dynamiques, subjectifs et éphémères. Ils ne peuvent pas être touchés, ni essayés comme pourrait l’être un vêtement. Ils ne peuvent pas être exposés sur un présentoir. Et ils sont très difficiles à quantifier.

Shostack s’oppose résolument à une présentation dichotomique et discrète de l’intangibilité, qui tendrait à proposer qu’un produit est tangible, alors qu’un service est intangible. Selon elle, il existe peu de produits purs ou de services purs dans les marchés. Ainsi les entités à commercialiser sont composées d’éléments discrets - soit matériels, soit immatériels - mais le tout ne peut être décrit qu’en terme de dominance, et peut donc varier selon un degré d’intangibilité.

Pour illustrer ses propos, elle propose d’examiner deux offres commerciales : une voiture et un vol en avion de ligne. Ces offres de voyage aérien et d’automobile, bien qu’étant officiellement classées, la première dans les services, la seconde dans les produits, comportent des attributs tangibles et des attributs intangibles, comme l’indique le graphe ci-dessous.

Ce graphe mérite une plus grande explication. Il faut d’abord rappeler la conceptualisation du produit5 proposée par Lambin (1999), basée notamment sur les travaux de Levitt (1980). Pour lui, le produit constitue un ensemble de valeurs, appelé panier de services. L’acheteur d’un produit bénéficie ainsi de la valeur fonctionnelle du produit, c’est-à-dire de son service de base, mais également des services secondaires de nature variée, esthétique, sociale, culturelle, qui améliorent ou complètent le service de base. Ces services secondaires sont le plus souvent déterminants dans le choix d’un produit ou d’un service. Ainsi, le client d’une compagnie aérienne ne va pas uniquement payer pour le service de base, qui consiste à le transporter par exemple de Paris à New-York. Si seul le service de base comptait aux yeux du client, le prix serait le seul facteur de choix. Il achète plutôt une expérience globale de transport, c’est-à-dire une offre globale de services, où les services supplémentaires jouent un rôle fondamental, ainsi que tous les éléments tangibles qui entourent le service de base. Et ces éléments

5 le produit étant ici entendu au sens large, englobant à la fois les biens et les services Transport

aérien Paris - NY

Avion

Service en vol

Repas Horaire

fréquence et

Service avant et après vol

L’automobile

Les options

Entretien et réparation Facilité de

paiement

Transport

Eléments intangibles Eléments tangibles

Figure 2.1 : Représentation de deux offres commerciales (inspiré de Shostack, 1977)

Hôtesses et stewards

périphériques au service de base constituent les leviers qui permettent aux compagnies et aux clients de différencier les compagnies aériennes entre elles. Ainsi, toutes les compagnies aériennes reliant Bruxelles à Rome offrent le même service de base, mais c’est la flexibilité lors de la réservation et de l’enregistrement des bagages, la qualité du service à bord, l’apparence physique de l’avion et de l’environnement physique général, la qualité du repas, le confort des sièges, … qui vont conditionner la perception que le client a de son expérience de service. Le client achète donc un mix d’éléments tangibles et intangibles, qui vont constituer l’offre globale pour laquelle il est prêt à payer.

Il en va exactement de même pour un produit matériel, qui représente beaucoup plus qu’un objet tangible. Du point de vue de l’acheteur, le produit constitue une promesse, un ensemble de valeurs souhaitées parmi lesquelles les éléments intangibles sont aussi importants que les éléments tangibles (Nollet et Haywood-Farmer, 1992). Acheter une voiture ne consiste pas uniquement à acheter un châssis sur quatre roues. Avant tout, le client achète le service de transport que le véhicule procure. En outre, l’expérience d’achat du client va être influencée par des éléments périphériques parfois essentiels, comme les facilités de paiement, la garantie offerte, des contrats d’assistance (réparation ou entretien gratuit pendant les 50.000 premiers kilomètres p.ex.), … A nouveau donc, le client n’achète pas uniquement un objet, mais une offre globale constituée d’éléments tangibles et intangibles.

Sur base de cette représentation de l’offre globale acquise par le client, Shostack (1977) propose un parallèle avec la chimie, en considérant les entités à commercialiser comme des molécules constituées d’un nombre variable d’atomes de nature différente. Certaines entités sont composées en majeure partie d’éléments tangibles, alors que d’autres sont principalement composées d’éléments intangibles. Dès lors, même si le noyau de l’entité peut être clairement tangible ou intangible, le tout ne peut être décrit qu’en terme de dominance. Tout produit ou service se positionne donc sur un continuum en fonction de la proportion d’éléments tangibles et intangibles qui le constituent. Ainsi, l’intangibilité d’une entité à commercialiser sera d’autant plus grande que la proportion d’éléments intangibles au sein de cette entité est grande.

En guise d’exemple, Shostack propose le continuum suivant, où elle positionne intuitivement onze entités à commercialiser.

Figure 2.2 : Continuum de Shostack (1977)

Partant de ce continuum, Shostack conclut que « plus le poids des éléments intangibles est élevé dans l’offre commerciale, plus il y aura de divergences par rapport aux produits dans l’approche et dans les priorités marketing ».

En 1981, Levitt reprend les idées de Shostack dans un article où il examine en quoi les facteurs intangibles entrant dans la définition d’une offre commerciale affectent les stratégies de vente des services et celles du suivi après-vente. Son article – initialement écrit et publié en anglais dans Harvard Business Review – ne propose pas de définition formelle de l’intangibilité. Il est par contre intéressant de noter que, dans une version française de son article publiée dans Harvard l’Expansion (1981/1982), le terme « intangibility » est traduit par le terme « immatérialité », le mot « intangibilité » n’apparaissant pas dans la version française. Ceci nous permet donc de proposer que Levitt définit l’intangibilité comme un synonyme de l’immatérialité.

Dans un article où elle étudie le processus d’évaluation relatif aux services, Zeithaml (1981) propose une définition de l’intangibilité basée sur l’inaccessibilité aux cinq sens avant achat.

Pour elle, l’intangibilité fait référence à « l’incapacité pour un service a être vu, senti, entendu, touché ou goûté avant d’être acheté ». Cette définition est largement reprise dans des travaux ultérieurs (voir p.ex. Cowell, 1984 ; Zeithaml, Parasuraman et Berry, 1985 ; Kurtz

Sel Soft

drinks Détergents

Automobiles

Cosmétiques

Restauration

Agence de pub Cie

aérienne Gestion portefeuille

financier

Consultance

Enseignement rapide

Dominante

tangible Dominante

intangible

et Clow, 1998 ; Kotler, 2000 ; Zeithaml et Bitner, 2000). En 1984, Flipo étend cette définition en affirmant que l’inaccessibilité sensorielle peut également être perçue pendant l’achat, voire même après achat (par exemple, l'entretien d'une automobile ou une opération chirurgicale).

En 1988, Flipo réexamine le concept d’intangibilité, et en restreint l’inaccessibilité sensorielle à la seule inaccessibilité au toucher, en le définissant comme étant synonyme de l'immatérialité. Il estime que l’immatérialité est la seule caractéristique véritablement universelle face à la très grande diversité des services. Et il ajoute que ce qui est universellement immatériel dans un service, c’est l’acte de service lui-même, et non la personne qui preste le service, ou le support physique qui lui est associé. Dès lors, il affirme qu’il est faux de considérer qu’un service est plus ou moins intangible, puisque si l’on considère le service dans son sens strict, il est par nature même intangible. Il termine en insistant sur l’importance de ne pas confondre immatérialité avec imperceptibilité - la musique, par exemple, peut être perçue par le sens de l’ouïe sans pour autant être matérielle –, et il conclut que les facteurs intangibles peuvent donc être perçus par les autres sens que le toucher.