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La force d’une marque dans une perspective de tangibilisation des services

CHAPITRE 4 : VARIABLES D’INFLUENCE MOBILISEES DANS CETTE RECHERCHE

2.2. La marque de service et son impact possible sur le processus de tangibilisation des services

2.2.1. La force d’une marque dans une perspective de tangibilisation des services

Nous nous intéressons ici à la problématique de la force d’une marque dans la perspective de tangibilisation des services. Si l’affirmation selon laquelle la marque forte tangibilise l’offre de services est répandue dans la littérature, il faut néanmoins constater qu’aucun auteur identifié ne définit formellement ce qu’il entend par marque forte.

De Chernatony et McDonald (1998) estiment qu’une marque dotée de valeurs fortes, et positivement perçue par ses clients, peut tangibiliser le service. Selon eux, la marque doit

tenter de créer un maximum d’associations basées sur des éléments périphériques tangibles, ou sur l’environnement physique du service. Plus généralement, dans une perspective de tangibilisation, il importe de créer une image forte du prestataire de service (Zeithaml et al., 1985 ; Flipo, 1988). De plus, il semble souhaitable de créer au sein de cette image des associations à la marque qui tangibilisent la représentation mentale du service, notamment via l’utilisation de métaphores ou de symboles (Berry, 1980 ; Levitt, 1981). Keller (1998) ajoute également que les symboles associés à la marque peuvent aider à rendre le service plus concret. Finalement, comme signalé ci-dessus, Lovelock et Lapert (1999) suggèrent qu’une marque disposant d’un positionnement fortement ancré dans l’esprit des clients puisse aider la clientèle potentielle à se faire une idée d’un service qui autrement leur semblerait trop vague.

En reprenant ces idées, une marque forte dans une perceptive de tangibilisation serait donc une marque dotée d’un positionnement et de valeurs forts, positivement perçue par les clients, et qui bénéficierait d’un réseau d’associations à la marque fort et basé entre autres sur des éléments physiques, de même que sur des métaphores ou des symboles. Cette description de la marque forte est toutefois peu opérationnelle, et elle peut encore être affinée.

En 2000, Berry propose un modèle de marque de service susceptible de donner un éclairage important à la discussion. Il introduit dans son modèle la notion de « capital client de la marque », en proposant qu’une marque forte - c’est-à-dire selon lui une marque pouvant tangibiliser le service - est une marque dotée d’un capital client de la marque positif. Evaluer la force d’une marque dans une perspective de tangibilisation des services reviendrait donc, selon Berry (2000) à évaluer le capital de la marque aux yeux des clients.

Berry (2000) se fonde sur la conceptualisation du capital client de la marque de Keller (1993 et 1998), que nous présentons ci-dessous.

Le capital client de la marque selon Keller (1993 et 1998)

Alors que certains auteurs (citons par exemple Srivastava et Schocker, 1991 ; Aaker, 1992) incluent dans la conceptualisation du capital client de la marque des variables perceptuelles et comportementales, Keller (1993 et 1998) propose une conceptualisation exclusivement perceptuelle du capital marque. Il base son modèle sur deux dimensions du capital client de la marque : la notoriété de la marque et l’image de marque (cfr figure 4.2).

Figure 4.2 : le modèle de capital client de la marque de Keller (1993 et 1998)

Les travaux de Keller (1993 et 1998) se basent sur la théorie des réseaux sémantiques de la mémoire à long terme, qui caractérise la mémoire comme un ensemble de nœuds et de liens.

De façon générale, toute information va se stocker en mémoire dans un nœud, qui est relié à d’autres nœuds par des liens variant en terme de force. Le rappel d’une information met en œuvre un processus d’activation du réseau de nœuds auquel cette information est reliée. Plus le lien entre les nœuds d’information est fort et plus l’activation de l’un de ces nœuds va activer les autres (Collin et Loftus, 1975 ; Bourne et al.., 1986 dans Changeur et Dano, 1996).

Fidèle à cette théorie de la mémoire, la marque peut être considérée comme un nœud auquel sont reliés d’autres nœuds, qui sont les associations à la marque. Ce réseau de nœuds et de liens constitue le capital client de la marque (Keller, 1993).

La notoriété de la marque – la première dimension du capital client de la marque identifiée par Keller (1993) – fait référence à la force d’ancrage du nœud « marque » dans la mémoire des individus, et donc à la capacité d’activer ce nœud. En particulier, la notoriété de la marque souligne la probabilité que le nom de la marque vienne en tête des clients, et le degré de facilité avec lequel ce nom vient en tête. Elle peut être mesurée, soit de manière spontanée, soit de manière assistée.

Capital client de la marque

Notoriété de la marque

Unicité des associations Force des associations Valence des associations

Types d’associations

Source : Keller, 1993 / 1998 Image de la marque

L’image de marque est définie, quant à elle, comme « l’ensemble des perceptions à l’égard d’une marque, reflétées par les associations présentes dans la mémoire des clients » (Keller, 1993, p.3). Les perceptions des consommateurs à l’égard de la marque se fondent donc sur le réseau d’associations à la marque, qui donne véritablement le sens de la marque.

Finalement, Keller (1993) définit le capital client de la marque comme « l’impact différentiel de la connaissance de la marque sur la réponse du client à la marque et à son programme marketing ». Ainsi, une marque détient un capital client positif si le client réagit de façon plus positive à la marque et à son programme marketing qu’il ne le ferait pour un produit ou un service équivalent mais non marqué, ou marqué avec un nom fictif.

Le modèle de Keller (1993) suggère donc que, pour appréhender l’image d’une marque, il faut identifier et analyser le réseau d’associations à cette marque. Afin de structurer cette analyse, Keller distingue différents types d’associations, de même que trois propriétés des associations à la marque (force, valence et unicité des associations) :

Keller (1993 et 1998) propose que les associations puissent se structurer en trois types : les attributs, les avantages et les attitudes. Les attributs sont les caractéristiques descriptives d’une marque (couleur associée, prix, …). Les avantages sont les valeurs personnelles et le sens que les clients attachent aux attributs. Ils peuvent être fonctionnels, symboliques ou expérientiels. Finalement, les attitudes constituent le type d’association le plus abstrait. Elles sont définies comme l’évaluation globale de la marque par le client. Il s’agit par exemple d’une association du type « McDonald = nourriture qui n’est pas saine ».

La force d’une association fait référence à la force de la connexion entre l’association et le nœud « marque » et influence directement la qualité de l’activation, et donc l’accessibilité mentale de l’association en lien avec la marque. Plus une association est forte, plus elle sera rappelée à la mémoire du consommateur, et dès lors plus elle sera exploitable lors du processus de choix de la marque.

Le degré de favorabilité (ou la valence) d’une association fait référence à une évaluation de l’association plutôt favorable ou plutôt défavorable dans l’esprit du client. Le succès d’un programme marketing va en partie dépendre de la capacité à créer des associations positives autour de la marque.

L’unicité d’une association fait référence au caractère partagé ou exclusif de l’association avec les marques concurrentes. Des marques bénéficiant d’un positionnement fort et différenciant sont davantage susceptibles de présenter une ou plusieurs associations uniques.

Une étude empirique menée par Changeur et Dano (1998) dans la catégorie des produits de lessive leur a permis de démontrer qu’une marque à capital élevé possède des associations plus fortes, plus favorables et plus uniques qu’une marque à faible capital.

Pour rappel, partant des travaux de Keller (1993 et 1998), Berry (2000) suggère qu’une marque forte – donc une marque pouvant tangibiliser le service – est une marque disposant d’un capital client positif. Nous pouvons maintenant préciser que, selon Berry (2000), une marque forte est une marque connue, et dotée d’un réseau d’associations fortes, uniques et positives.

Cette prise de position de Berry (2000) peut paraître réductrice pour les experts de la marque.

En effet, il faut noter, dans la littérature sur la marque, une absence de consensus sur le sens à donner à la force d’une marque, de même qu’au capital client de la marque.

• Pour certains (p.ex. Park, 1992 ; Kamakura et Russel, 1993 dans Jourdan, 2002), la force d’une marque est fortement corrélée avec la part de marché de la marque, et peut donc être mesurée à l’aide de cet indicateur.

• Pour d’autres (p.ex. Srivastava et Schocker, 1991 ; Aaker, 1992 ; Schuiling, 2002), la force d’une marque est le capital client de la marque, et intègre des éléments perceptuels de la marque (notoriété et image, p.ex.) et des éléments comportementaux (fidélité à la marque, p.ex.). Aaker (1992) recense ainsi quatre critères qui déterminent la force d’une marque : sa notoriété, les associations à la marque, sa qualité perçue et sa capacité à fidéliser. Thomas (1993) adjoint lui aussi aux éléments perceptuels la variable de fidélité à la marque, de même que la position concurrentielle de la marque.

• Sans spécifiquement parler de force de marque, des auteurs comme Keller (1993), Martin et Brown (1990) ou Lassar, Mittal et Sharma (1995) appréhendent le capital marque uniquement à travers des variables perceptuelles (l’image de marque et la notoriété étant les variables communes à tous les modèles).

Que penser dès lors de la position de Berry (2000), qui s’appuie sur la conceptualisation uniquement perceptuelle du capital client de la marque pour évaluer la force d’une marque ?

• Il faut d’abord rappeler le contexte de notre recherche. Nous cherchons à définir le concept de marque forte dans une perspective de tangibilisation des services, et plus spécifiquement dans une perspective perceptuelle de l’intangibilité. Seule la perception d’intangibilité nous intéresse. Dès lors, il paraît raisonnable de penser que des variables perceptuelles comme l’image et la notoriété de la marque vont être davantage susceptibles d’influencer la perception d’intangibilité que des variables comme la position concurrentielle ou la part de marché. Ceci est appuyé par la littérature, puisqu’une des recommandations liées à la marque comme levier de tangibilisation réside dans le développement d’une image forte du prestataire de service, et basée sur des associations concrètes (Zeithaml, 1981 ; Flipo, 1988 ; De Chernatony et McDonald, 1998).

• De plus, plusieurs auteurs suggèrent que le niveau de vente, la part de marché ou encore certaines variables comportementales (choix du produit marqué ou fidélité à la marque p.ex.) vont être fortement liés à une forte notoriété de la marque et à une image positive (p.ex. Keller, 1993 ; Krishnan, 1996 ; Changeur et Dano, 1998 ; Camelis, 2002 ; Leiser, 2003). Pour Krishnan (1996), le niveau de ventes et les associations à la marque sont fortement corrélés. Changeur et Dano (1998) valident empiriquement le fait qu’il existe une relation significative entre les associations valorisées par les clients et le choix du produit marqué. En outre, elles démontrent que dans la catégorie de produits étudiée (produit de lessive), la force de l’image de marque au sens défini par Keller (1993) est fortement corrélée avec la part de marché de la marque. Camelis (2002) défend l’idée qu’un niveau de notoriété élevé, conjugué à une forte image de marque, augmente la probabilité de choix de la marque, engendre une plus grande fidélité du client et du distributeur, et diminue la vulnérabilité de la marque face aux actions de la concurrence. Finalement, Keller (1993) affirme que la productivité des dépenses marketing – et donc leur efficacité à se transformer en chiffre d’affaires - est largement influencée par ces variables perceptuelles. Ces arguments renforcent donc la pertinence de ne prendre en considération que des variables perceptuelles. De plus, il est légitime de questionner le sens de la causalité entre le caractère fort d’une marque et les variables

comportementales ou de position de marché. Ainsi, est-ce qu’une marque est forte parce qu’elle est leader, et qu’elle dispose d’une clientèle largement fidèle, ou est-ce que la marque est leader et que beaucoup y sont fidèles parce qu’elle est forte (c’est-à-dire connue et bénéficiant d’une image basée sur des associations fortes, positives et uniques) ?

• Finalement, les variables perceptuelles – et plus particulièrement l’image de marque et la notoriété – sont très souvent considérées comme les antécédents principaux du capital client de la marque. L’image de marque et la notoriété sont ainsi les deux seules variables communes à une très grande majorité de modèles de capital client de la marque. Selon l'analyse de Jourdan (2002, p.436), l'évaluation de l'image de marque est une des deux approches pour mesurer le capital marque. O'Loughlin (2001, p.3) ajoute qu’« il y a une relation positive forte entre (…) l'image de l'entreprise et le capital client de la marque ». Biel (1993, p.70) affirme également que « le capital de la marque réside dans son image ». Il en est de même pour Grönroos (2000, p.287) qui va jusqu'à considérer capital client de la marque et image de marque comme des synonymes. De la même façon, selon Changeur et Dano (1998, p.1), les associations valorisées par les consommateurs « forment la dimension perceptuelle du capital marque qui est largement considérée comme le véritable capital de la marque ». Ou encore, selon Changeur (2002, p.6), « il y a un consensus à considérer les associations de la marque comme le principal antécédent du capital marque ».

Sur base de ces considérations, nous estimons donc que la conceptualisation de la marque forte selon Berry (2000) est adaptée au contexte de cette recherche.