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PREMIÈRE PARTIE

1.3. A CTEURS POLITIQUES , INTERMEDIAIRES ET AUDITEURS DES SCENES LOCALES

1.3.2. L ES MEDIATIONS NEGOCIEES DES SCENES LOCALES

1.3.2.2. L ES SCENES DE MUSIQUES ACTUELLES ET LEURS PROGRAMMATIONS

Les acteurs les plus financés du champ des musiques actuelles que sont les Smac, reçoivent également des critiques de la part des acteurs autonomes. La concentration financière sur un seul et même lieu pour une « efficacité relative » est souvent au centre de ces critiques. Un débat précisément semble émerger sur les scènes locales depuis quelques années, venant de certains acteurs autonomes, soutenu en quelque sorte par des publications296, fondé sur la représentation d’une uniformisation des programmations de ces lieux subventionnés. Cependant le mémoire de

295 REYNAUD Jean-Daniel, Les Règles du jeu : L'action collective et la régulation sociale, (1989) Paris : Armand Colin,

1997.

296 Un mémoire portant sur ce thème, relayé en ligne sur le site de l’association nationale Irma (centre

d’Information et de Ressources pour les Musiques Actuelles) en fait état : LEMAITRE Rémi, « L’uniformisation des scènes de musiques actuelles », mémoire de Maîtrise d’Information-Communication dirigé par Jean Luc Michel, Université Catholique de l’Ouest, présenté en septembre 2007. Notons que l’association Irma, conventionnée par le Ministère de la Culture, a mis fin en 2014 à ses 3 centres d’information-ressource spécialisés par esthétiques (CIMT entre d’information des musiques traditionnelles et du monde, CIR Centre d’information rock, chanson, hip- hop, musiques électroniques, CIJ Centre d’information du jazz). L’IRMA mène des actions d’orientations, conseil et formation des acteurs musiques actuelles, visant la structuration des pratiques et des professions, elle réalise notamment le répertoire l’ « Officiel de la musique ».

Rémi Lemaitre en l’occurrence ne vient pas forcément attester de cette représentation pourtant communément partagée. Finalement, ici encore les programmations des Smac peuvent se comprendre comme des négociations avec le donné. Les programmateurs doivent alterner entre des artistes qui feront salles combles qui permettront de compenser d’autres soirées aux jauges moins remplies, programmant des artistes moins connus mais non moins qualitatifs, dans une optique de découverte et de diversité musicale. Aussi, s’il est certain que de nombreux artistes tournant par exemple au Grand Mix de Tourcoing se verront aussi programmer à Nantes, il n’en reste pas moins que les populations locales ont de la sorte accès à ces concerts près de chez eux. Finalement le fait qu’une partie de la programmation des Smac s’uniformise au national a vraisemblablement un impact moindre sur les publics locaux qui assistent très majoritairement à des concerts sur leur territoire et non dans les autres villes de France. Voici ce que nous dit à ce propos un auditeur en entretien informel lors d’un concert à la Cave aux Poètes (samedi 5 mars 2011) :

« Je pense qu’au final on s’en fout pas mal que ça tourne aussi dans les Smac de Rennes ou de Toulouse. Ce qui est cool c’est de pouvoir voir ça en bas de chez soi ! Tant que ça m’évite de devoir faire des kilomètres jusqu’à Paris ou en Belgique pour voir The War on Drugs moi ça me va ! »

Une autre représentation critique partagée par certains acteurs à l’encontre de quelques lieux, notamment les Smac les plus importantes en taille (jauges), tient en leur inaccessibilité pour les groupes locaux. Notons à cet égard qu’il existe une diversité de structures selon les jauges, l’historique des lieux, soit préexistant au label d’Etat et ayant été labellisés par la suite, soit ayant été créées après la mise en place du label en 1996, mais encore les parcours des programmateurs297. Certains musiciens et médiateurs autonomes des scènes, regrettent qu’il n’existe pas plus de lieux intermédiaires entre les Smac institutionnalisées et les bars dans lesquels tourner.

Aussi, nous avons demandé à Léo (entretien du 05 décembre 2013, 30 ans, directeur et programmateur d’une Smac) de nous faire part de sa méthode de programmation. Il nous la présente en cinq modalités qu’il hiérarchise par ordre d’importance. En premier lieu il programme ce qu'il aime musicalement depuis longtemps, donc à l’aune de son propre

297 Catherine Dutheil-Pessin et François Ribac ont mené une étude sur les programmateurs de lieux de spectacle

vivant (dont des Smac) partant de la constatation qu’il n’existe pas d’apprentissage de la programmation. Ils mettent en avant une expertise interactionnelle, passant par les connaissances et réseaux. Cette étude intitulée « La fabrique de la programmation culturelle » est à paraître au DEPS.

parcours d’auditeur. Ensuite il mène une veille constante dans les médias spécialisés en musique et en ligne (Fader, Fact, XLR8R, Spin, Stereogum, Gorilla vs Bear, Disco Bell, Pitchfork, Billboard, Okay Player, Na Right…), il fait des découvertes sur les sites de streaming, les sites des artistes, au gré de navigations sur Internet ou de « buzz médiatiques ». Après il fait également confiance en des producteurs de spectacles, et tourneurs avec lesquels il travaille régulièrement qui lui conseillent certains groupes, et il fait aussi confiance aux cinq associations organisant régulièrement des concerts dans son lieu. Il se nourrit également de tout ce qu’il a le temps de voir en live dans différents évènements, cela prend trois modalités : soit il va voir volontairement un groupe afin de se rendre compte de « ce que ça vaut en live », soit il découvre une première partie en concert avec des amis, soit encore il découvre des artistes lors des événements largement dédiés aux professionnels de la musique que sont le Printemps de Bourges ou les Transmusicales « qui sont fait pour ». Enfin dans une moindre mesure, il se tient informé de ce qui passe dans les autres salles. A chaque date de concert il tente de faire jouer trois groupes, soit deux groupes locaux et un ayant une envergure nationale, soit un groupe local, un national et un international.

Enfin de nombreuses Smac pratiquent la mise à disposition (ou location) de salle. Majoritairement dans les Smac le principe est de louer la salle à un producteur ou tourneur sans lieu afin d’en récupérer les bénéfices financiers qui viendront s’ajouter aux recettes propres de la Smac (comme les recettes de billetterie). Cependant cette pratique n’est pas toujours connue du public, ce qui peut occasionner des réactions d’incompréhension quant à ce qui apparaît comme une brèche dans la programmation. Comme on peut le lire ici sur un webzine local298 :

“L’Aéronef est quand même une salle surprenante. Alors que Jennifer remplissait la grande salle la veille - oui oui, Jennifer, on parle de la même - nous voilà samedi (...) dans la partie Club299 pour assister à la (re)présentation d’un pur produit local, les Forest Sessions quatrièmes du nom.”

Vraisemblablement ce rédacteur n’avait pas connaissance des pratiques de location de salle. De fait il était étonné de voir cette salle reconnue pour sa programmation se situant en partie dans la découverte voire les « niches artistique » (désignant des artistes ayant une couverture médiatique faible), programmer de la variété. Mais ces locations permettent justement en retour de continuer à « faire de la découverte », lors de dates « peu rentables » compte tenu de la relative

298 Webzine Niark Le Mag - We Write What We Want, dans la section Lille Live Report, www.niarklemag.fr

299 L’Aéronef, Smac de Lille a la particularité de pouvoir accueillir ses publics dans deux espaces différents, la salle

principale de quelques 2 000 places (debout) dans la plus grande configuration (étage ouvert) qui peut aussi faire office d’auditorium avec des sièges rétractables lors de conférences ; et une seconde salle nommée le Club ayant une jauge de 300 places.

confidentialité artistique des artistes programmés. Ainsi l’économie intermédiaire des Smac leur permet de jouer la carte de la découverte.

Les notions de coopération et de co-construction sont souvent présentes dans les discours des professionnels associatifs des musiques actuelles et reflètent leur fonction d’intermédiation. Ils portent un intérêt à la mise en commun des expériences pour favoriser de nouvelles initiatives et négocient en permanence la structuration prescrite par les politiques. La prise en compte de leurs revendications par les politiques publiques ont permis de mettre en place des innovations mais cette dynamique fait place selon Philippe Teillet300 à des approches politiques visant une normalisation, qui s’expliquerait par les coûts qu'infligent les modes de faire alternatifs. La poursuite de cette entreprise de régulation conjointe du secteur des musiques actuelles nous dira si les acteurs associatifs continueront à se répondre aux injonctions politiques de structuration et de territorialisation pour obtenir des budgets conséquents, ou s’ils pourront continuer à promouvoir un mode de faire alternatif œuvrant au maintien de pratiques autonomes.