• Aucun résultat trouvé

PREMIÈRE PARTIE

1.2. L ES MUSICIENS DES SCENES LOCALES

1.2.3. P ROPOSITION DE TYPOLOGIE DES MUSICIENS DES SCENES LOCALES

1.2.3.3 R EGIME D ’ ENGAGEMENT PERENNE

Ce groupe de pratiquants issu de la classification ascendante hiérarchique est majoritairement constitué des musiciens de plus de 30 ans, qui font partie de groupes de quatre à cinq membres, répétant en groupe en moyenne une fois par semaine et consacrant toujours en moyenne six à dix heures à la musique par semaine. Ils effectuent entre six et dix concerts par an, et jouent principalement sur deux types de scènes (salles de petites jauges et cafés-concerts).

Ce type de pratique marque un engagement durable dans le temps. Les musiciens de plus de 30 ans révèlent des pratiques soutenues non seulement en termes de fréquence de répétitions et concerts mais aussi en termes de longévité. Ils ont globalement dépassé la phase indécise du choix de vivre ou non de la musique et choisi de continuer à la pratiquer malgré d’autres ancrages sociaux progressivement prenants (travail, couple et/ou enfants, lieu de vie stabilisé). En contrepartie ces ancrages procurent des modes d'organisations stables, qui permettent d’aménager le temps réservé à la pratique musicale. Par ailleurs, leur insertion de long terme dans un réseau musical leur permet de tourner assez aisément, en trouvant des dates pour leurs groupes grâce à leurs relations. On notera à ce propos, que l’ensemble des musiciens, même les

plus avancés en âge, continuent à se produire en cafés-concerts257 qui font ainsi office d’intermédiaires indispensables à la vitalité des scènes locales258. En parallèle de cette catégorie issue de l’enquête statistique, voici ce que dit Pierre de sa pratique musicale à 33 ans (entretien du 22 mars 2010, 33 ans, composition/guitare/chant lead, journaliste radio et rédacteur pour un fanzine local) :

« J'ai appris en autodidacte, avec des principes stupides du genre, pas besoin de connaître le nom des accords ni les gammes de notes... J'avais 18 ans, aujourd'hui 33. Aujourd'hui je joue avec des musiciens d'horizons différents, avec mon ami guitariste Raphael que j'ai rencontré y a un peu plus de deux ans maintenant, qui a un goût immodéré pour les Stones ! Et c'est Raph qui m'a présenté Bertrand, il travaille avec lui sur un autre projet. La bassiste, on l'a sollicité à une soirée où elle se produisait, on a fait un essai et depuis, on essaie de répéter tous ensemble au moins une à deux fois par mois, pas toujours évident d'accorder les emplois du temps de chacun, les répéts durent trois, quatre heures en moyenne… Pour le moment l'objectif c’est d'enregistrer un quatre titre pour démarcher des concerts, voire plus cet été en vue d'un pressage disque, et puis poursuivre le travail de compo, en vue d'un autre EP pourquoi pas. »

On comprend ici que la pratique musicale se poursuit dans des modalités similaires concernant les rencontres d’autres musiciens par interconnaissance, on note les difficultés pour aménager le temps de chacun, et la résolution assurée d’enregistrer un EP259 pour pouvoir tourner, après quoi continuer à composer. La potentialité d’en vivre n’apparaît plus comme horizon potentiel, c’est la pratique pour elle-même qui prime.

Cette typologie, si elle nécessite d’être prise avec prudence compte tenu des biais potentiels dus à l’échantillon260, propose d’affiner le regard porté aux pratiques musicales des scènes locales et aux modalités d’engagements des musiciens au travers de ces pratiques. A l’issue de ces

257 Avec un bémol concernant les musiciens intermittents qui réalisent encore occasionnellement quelques dates

en cafés-concerts mais leur préfèrent souvent des dates en salles de petite et moyenne jauges et en festivals.

258 On notera l’engagement de la plateforme nationale des cafés-cultures, au travers du « Collectif Culture Bar-

Bars », dont la finalité est de préserver les dynamismes culturels et singulièrement musicaux soutenus par les cafés-cultures, ayant notamment expérimenté un dispositif d’aide à l’emploi des musiciens dans les cafés-cultures en région Pays de la Loire (financé par le Conseil Régional), ayant vocation à se nationaliser au travers du Groupement d’Intérêt Public qui lui est dédié, visant à gérer les fonds publics et leur redistribution.

259 Extended Play, souvent appelé EP (à ne pas confondre avec Maxi 45 tours), est un format musical plus long que

celui du single mais plus court qu'un album.

260 Rappelons que la population mère de l’enquête est constituée des 425 musiciens ayant postulé en 2011 à un

explorations de terrain, un des thèmes les plus congruents qui émerge est celui de la coopération à l’œuvre sur les scènes, aussi bien dans les processus de création que dans le fonctionnement réticulaire des scènes locales. Ces pratiques collaboratives renvoient à des formes sociales émergentes que l’on retrouve dans d'autres domaines et que l’on analyse dans les parties suivantes261. Enfin ne faut-il pas voir aussi en ces pratiques une nécessité au regard des contraintes de statut et de pluriactivité, d’intermittence de l’activité, de fragilité de l’engagement dans la musique : déployer et forcer les opportunités, ouvrir de nouvelles portes, accéder au possible succès.

En conclusion, les scènes locales donnent à voir des musiciens aux pratiques engagées au travers de la musique qui est investie comme domaine d’expression de sa singularité, et dont la diversité des pratiques se laisse difficilement circonscrire par des catégories préformées. Des musiciens intermittents, musiciens étudiants, musiciens fonctionnaires, musiciens éducateurs, musiciens journalistes se croisent et échangent sur les scènes développant des représentations ambivalentes des catégories professionnelles et amateurs, oscillant entre statut, passion ou conditions matérielles de réalisation. Les sciences sociales s'accordent aujourd’hui sur le fait que la création est un acte qui relève avant tout du collectif et non de l'individuel, ce qui corrobore la dimension collective des pratiques de ces musiciens dans leurs modalités de transmissions, de création et de diffusion. Les créations sont les résultats de divers processus d'actions auxquels contribuent de multiples acteurs, et non pas le résultat de la seule inspiration de l’artiste. C’est pourquoi l’étude des acteurs intermédiaires et prescripteurs culturels qui occupent une place active dans les réseaux de création, permet de penser les évolutions des pratiques musicales dans leur contexte socio-économique.

261 Le développement d’un amatorat, l’expansion des pratiques en amateurs à l’heure du numérique favorisant des

1.3. A

CTEURS POLITIQUES

,

INTERMEDIAIRES ET AUDITEURS DES