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ENGAGEMENTS DANS LA MUSIQUE

2.1. F AIT SOCIAL ET MUSIQUE

2.1.2. E XPERIENCES FESTIVALIERES

2.1.2.1. F ESTIVAL DE D OUR

Le festival de Dour en Belgique (situé à la frontière) a lieu dans un environnement spécifique, c’est un vaste champ appartenant à une commune de 16 000 habitants, qui est investi par près de 180 000 festivaliers (jusqu’à 45 000 le même jour) pendant quatre jours tous les mois de juillet depuis 26 ans. Cet environnement spécifique baptisé « plaine de la machine à feu », met à distance les supports usuels de la vie urbaine, loin des agents de contrôle social.

Extrait d’une newsletter éditée par le Festival de Dour, suite à l’édition 2012 : « La vie telle qu’elle devrait être : un microclimat où tout est possible. L’atmosphère si spéciale du festival qui fait sa réputation dans le monde entier est toujours bien présente. Le temps de 4 jours, le public éclectique vit réellement ensemble et oublie toutes différences sociales ou culturelles. Ils partagent une manière de vivre et d’être commune qui crée une magie que personne n’arrive vraiment à expliquer. Un début d’explication à ce phénomène, est peut-être la programmation variée, abondante, cohérente et exigeante où l’on a vraiment l’impression que tout est possible. Le public du festival est ouvert d’esprit et aime réellement la musique au sens large. Qui d’autre que Dour pourrait se permettre de programmer sur une même affiche Aphex Twin + Hecker, Pet Shop Boys, Sepultura et Alborosie ? »

Cet extrait atteste des représentations d’une expérience sociale collective particulière. Décrivons l’expérience de l’intérieur :

Allongés pour dormir sur un des immenses parkings de plus de 60 000 voitures, on peut voir arriver des fêtards qui ont fini leur nuit aux derniers concerts (6h du matin), et qui

saluent les festivaliers à moitié endormis avec un sourire qui se veut complice, rarement entrevu dans d'autres moments de la vie sociale. Les usages de produits psychoactifs ayant une incidence évidente sur ces comportements. En effet l’alcool est utilisé pour désinhiber les êtres, mais encore les drogues, notamment celles qui circulent le plus aujourd’hui sur ce genre d’événements, à savoir la Md mA, molécule active de l’ecstasy, anciennement surnommée « drogue de l’amour ». Les usagers étant dans une sensation de partage avec leurs amis comme d’illustres inconnus. On peut voir quelques jeunes monter sur les chapiteaux sous lesquels se déroulent les concerts, faisant un spectacle improvisé pour les centaines de danseurs amassaient devant car il fait trop chaud sous le chapiteau pour pouvoir y rester. Les festivaliers les acclament en cœur. On peut voir quelqu’un prendre une photo et avoir plus d'une quinzaine de personnes qui se mettent sur la photo avec le sujet initial. On peut entendre à tout moment entonner très fort par des centaines de personnes dourééééééé, comme un cri visant à confirmer le ralliement collectif et la présence dans l’ici et maintenant. On peut voir les gens sortir de leurs sacs des « paksons» d'herbe, des « bombes » de vodka (mise dans des ballons en plastique afin de passer les sécurités à l’entrée qui n’autorisent pas les bouteilles), de la Md mA en petite « bombe » faite avec des feuilles de papier à rouler cette fois, des ecstasy, des champignons, évidemment de l'alcool à foison, souvent bien calé dans le sac à dos à usage des sportifs habituellement ayant un tuyau qui relie la poche dans le sac à son détenteur. On peut le voir le partager et en proposer à ses amis et amis d'amis, personnes qui passent par là. On peut croiser des gens hagards, désorientés sans doute « en descente » de quelque drogue un peu forte. Passé une certaine heure on peut voir certaines personnes faire l'amour dans les recoins sombres sous les chapiteaux. On peut voir des amitiés éphémères se lier en quelques secondes en faisant la queue pour acheter à manger ou une boisson, se parler, se serrer la main lorsqu’elles se quittent avec cette complicité en forme de bienveillance notamment renforcée par des conditions intenses (du son, de la poussière, de l'alcool, des drogues, des pieds sales et des corps fatigués – sans compter les années où la « plaine de la machine à feu » inondée de pluies rend le terrain extrêmement boueux). L'expérience de Dour fait figure d’épreuve physique qui renforce probablement l'expérience sociale. On peut voir s'improviser une bataille d'eau entre deux tables (disposées pour se restaurer) de personnes qui ne se connaissent pas mais interagissent comme si c'était le cas et finissent conséquemment par se parler. Un allant de soi singulièrement à l’œuvre à Dour, fortement partagé par les festivaliers, prenant la forme d’une solidarité, semble fonder l’expérience collective du festival. Les organisateurs ont repris ce qui se disait sur la « plaine de la machine à feu » : « Dour c'est l'amour. ». On peut émettre l'hypothèse que la difficulté des conditions physiques proches de l'épreuve seraient à l'aune de ce comportement d'autant plus bienveillant des festivaliers les uns envers les autres. Quatre jours de son, 200 groupes sur 7 scènes, des concerts de 14h à 6h du matin, sans compter pour les campeurs un « warm up » (échauffer) au camping le mercredi soir. Là encore l'organisation a repris une réalité vécue : tous les ans les festivaliers soucieux d'être bien placés dans le camping -il y a 4 campings de plusieurs dizaines de milliers d’« emplacements »- arrivaient le mercredi pour être relativement bien situé par rapport à l’entrée du festival. Avec l'envie de festoyer dès l’amont du festival, il se passait souvent d'énormes fêtes dès le mercredi soir. Maintenant le « warm up » s'est « officialisé ». Pris dans des conditions extérieures relativement éprouvantes, les co-présents déploient des solidarités pour renforcer l’esprit

de communauté rassurante. Cela peut faire écho en un sens aux quêtes des musiciens concernant des formes de contraintes pour bénéficier de son potentiel fécond pour la création. Les contraintes (d’horaires/de groupes éphémères) permettant de déployer la créativité des musiciens, renverraient aux contraintes physiques de promiscuité et de mise à l’épreuve du corps des festivaliers visant à déployer des formes de solidarité rarement expérimentées de façon si intense par ailleurs.