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Chapitre II : Représentations et parcours de la chanson en classe de FLE

VI. La langue représentée dans la chanson francophone

VI.2. L’orthographe

Le français une fois ayant revêtu l’aspect écrit, l’orthographe s’est développée progressivement pour compléter l’insuffisance de l’alphabet latin, qui ne permettait pas de faire la distinction entre des homophones de sens différents. Même en étant considérée comme oppressive et souvent insensée par certains, qui proposent des réformes, elle conserve encore son charme. Cela a été déduit du succès des concours de l’orthographe qui ont commencé en 1985, appelés « Championnats de l’orthographe », conçus par le magazine Lire. D’après un sondage réalisé par H. Walter, celui-ci note que même les lycéens, ayant commis un nombre important de fautes à l’un de ces championnats,ne sont pas encourageants « à une réforme de cette orthographe, qui pourtant les pénalise » (WALTER, 1988 :270). De là, cet auteur trouve que l’orthographe exerce une sorte de magie sur l’ensemble des Français. Une magie qui n’a rien de logique, cela serait plutôt un attachement affectif, un peu comme on tient au patrimoine culturel de la France (id., p. 278). C’est peut-être ce qui explique le fait qu’il n’y ait aucun projet réel de réforme depuis le XVIème siècle jusqu’à nos jours. (id, ibid.).

Certains réformateurs prétendent que le conservatisme cause une cassure sociale entre les gens instruits et les incultes. En contrepartie, il paraît que beaucoup restent fiers que le français soit la langue des exceptions, et compris ceux qui en souffrent, en milieu scolaire. Or cette spécificité, pour H. Meschonnic (1997), ne reflète pas une image favorable de la langue française.

D’autres réformateurs trouvent encore qu’il est question de rendre la langue française plus accessible aux étrangers, à quoi Meschonnic répond :

une langue est plus qu’un instrument dont il faut faciliter le mode d’emploi, ou un article de marketing à essayer de vendre mieux qu’un autre. Une langue n’existe pas pour faciliter son apprentissage. Elle est un ensemble culturel à prendre comme il est. Une culture se mérite. MESCHONNIC, (1997 : 311)

Finalement, c’est l’usage qui a dominé, dans le parcours de l’orthographe, instauré d’abord sur la raison, progressivement instauré sur l’usage, d’où la stabilité qui consiste à procurer à chaque mot une physionomie fixe « qui permet une identification sémantique immédiate » MILLET cité par MESCHONNIC, (1997 : 315).

Cette stabilité se rapporte à l’histoire. Et comme la langue représente une histoire, le rapport à la langue est par toutes sortes d’aspects « un rapport à une histoire » (id., p315). Par ailleurs, Meschonnic nous évoque que l’orthographe est d’abord la graphie, la langue visible, un idéogramme.

Dans ce sens, le Monde (2009) ouvre un débat à travers une série d’articles thématiques axés sur « L’orthographe en péril » :

La sauvegarde de la langue française déclenche des débats passionnés. Malmenée par le langage SMS et la prédominance de l’anglais, son orthographe serait-elle en danger ? La faible maîtrise de la langue par les élèves, mise en évidence par des études universitaires, semblent l’attester. Comment, dès lors, remédier à ce problème ? L’orthographe doit-elle évoluer pour s’adapter aux usages en cours ?

Dans son article, la linguiste Danièle Manesse (2008) explique que si l’on se décide de garantir à tous « une maîtrise minimale de l’orthographe, cela mène à préconiser du temps en plus » réservé « à l’étude de la grammaire ».

Véra Vavilova (2009 : 21), dans le FDLM, questionne le journaliste François de Closets à propos de son opuscule Zéro faute (2009). D’après le journaliste, en publiant cet ouvrage, l’auteur relance le débat sur le sujet sous un angle journalistique, historique et sociologique :

j’ai abordé ce sujet en m’interrogeant sur cette étrange résistance de la France au monde moderne : pourquoi la France est-elle si réactionnaire face aux changements apportés par le progrès technique ? je pense notamment au refus de l’école d’intégrer les correcteurs de l’orthographe dans l’apprentissage du français. CLOSETS in : VAVILOVA, (2009 : 21)

En effet, comme il a été révélé par Vavilova, à propos de ce dit Closets dans son ouvrage

il existe deux mouvements contradictoires de la société française : d’une part, la désacralisation de l’orthographe à travers les nouveaux modes d’écriture, et d’autre part, la persistance de la « graphocratie » ou du culte orthographique… (id., ibid.).

Pour ce motif, l’auteur s’attend même à ce que cette révérence disparaisse :

l’ancienne génération étant appelée à disparaître, on peut dire de façon certaine que ce culte, sous lequel nous avons vécu et qui a fait vivre toute la population française dans la terreur et la honte de la faute d’orthographe, ce culte, à terme, va disparaître. CLOSETS in : VAVILOVA, (2009 :21).

En essayant de franchir la barrière des difficultés causées par l’orthographe, Closets explique qu’il est beaucoup plus judicieux de « diminuer la pression sur l’orthographe et tout concentrer sur le vocabulaire et la syntaxe » id. ibid. Tout en étant optimiste, Closets présume un futur heureux dans le domaine de l’écriture mais à certains critères. Pour lui, c’est quand on aura bien appris en classe le vocabulaire, la grammaire et l’art de se servir du correcteur « on va enfin retrouver le bonheur d’écrire » id, ibid.

Ce sujet a été mis en valeur à travers la chanson En relisant ta lettre, de Serge Gainsbourg, de son album L’étonnant Serge Gainsbourg, 1961. En voici les paroles

En relisant ta lettre je m’aperçois que l’orthographe et toi, ça fait deux C’est toi que j’aime…Ne prend d’un M

Par-dessus tout

Ne me dis point…Il en manque un Que tu t’en fous

Je t’en supplie…Point sur le i Fais-moi confiance

Je suis l’esclave…Sans accent grave Des apparences

C’est ridicule…C majuscule C’était si bien

Tout ça m’affecte…Ça c’est correct Au plus haut point

Si tu renonces…Comme ça s’prononce A m’écouter

Avec la vie…Comme ça s’écrit J’en finirai

Pour me garder…Ne prends qu’un D Tant de rancune

T’as pas de cœur…Y a pas d’erreur Là y’en a une

J’en nourrirai…N’est pas français N’comprends-tu pas ? Ça s’ra ta faute…Là y’en a pas

Moi j’te signale

Que gardénal…Ne prend pas d’E Mais n’en prend qu’un Cachet au moins…N’en prend pas deux

Ça t’calmera

Et tu verras…Tout r’tombe à l’eau L’cafard, les pleurs Les peines de cœur…OE dans l’O

L’auteur est en entrain de relire une lettre d’amour et sa réponse se fait à travers une série de commentaires non pas sur le contenu de la missive mais par rapport à la graphie des mots.

Apparemment dans cette situation, les règles d’orthographe deviennent plus importantes qu’un chagrin d’amour. L’auteur fait plus enseignant qui corrigerait les fautes de son élève, ce qui établit un rapport hiérarchique entre les correspondants.

L’auteur « corrige » les fautes au fur et à mesure qu’il relit la lettre, alternant écrit original et commentaire-corrigé. Nous pouvons remarquer qu’il y a deux voix–l’émetteur et le récepteur -, qu’on entend en une seule voix, celle de la personne qui relit la lettre.

Visiblement cette lettre n’est qu’un prétexte pour porter les paroles d’une chanson, où l’auteur a recours aux rimes et se sert d’une syntaxe appropriée à son but.

L’artiste utilise également la polysémie de mots comme « fautes/erreur » comme s’il estime que la faute ou l’erreur en orthographe est aussi grave que celle évoquée par le comportement de l’autre.

Ainsi, l’artiste joue avec la correspondante de même qu’il joue avec les mots et les sons, ce qui octroie aux paroles de la chanson un aspect humoristique. Voici quelques suggestions pour en faire une approche en classe :

Pour éveiller leur intérêt, l’enseignant commence d’abord par poser quelques questions aux apprenants :

Est-ce qu’ils trouvent nécessaire le fait d’écrire correctement, sans fautes d’orthographe ? Ont-ils des problèmes quant à la graphie des mots en français ? Ont-ils du mal à faire des dictées en français ?

Il leur demande ensuite leur avis sur une lettre amicale qu’ils auraient reçue, pleine de fautes d’orthographe : cela influerait-il sur l’appréciation de cette lettre et de l’émetteur ?

Le professeur peut attirer l’attention de ses élèves sur la manière dont, par la graphie, on a une transcription de la langue parlée, façon souvent employée dans les chansons. La chute du E muet : comme ça s’prononce/Moi j’te signale, etc. ; la disparition du pronom sujet neutre IL, la chute du NE systématique de la négation et la chute de la voyelle dans le pronom TU : t’as pas de cœur/ Y a pas d’erreur…Il est essentiel qu’ils fassent aussi la distinction qui existe entre un texte lu et texte chanté.

En faisant le lien entre cette chanson et ce qui se passe dans la vie quotidienne d’aujourd’hui, nous remarquons que ce support – la lettre écrite- a de moins en moins de chance d’être utilisé par la génération actuelle. Avec le courrier électronique et la rapidité des échanges dans la communication, on ne rédige plus de lettres, comme avant. On n’a plus le temps de vérifier l’orthographe ou même d’y faire attention. Alors, l’enseignant peut en profiter pour en faire un sujet d’expression écrite.