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Chapitre II : Représentations et parcours de la chanson en classe de FLE

VI. La langue représentée dans la chanson francophone

VI.3. Les emprunts lexicaux

Si l’on parle des changements lexicaux, nous citons à titre d’exemple les néologismes, l’emprunt et les glissements de sens, à travers l’hyperbole, la métonymie et la métaphore. En ce qui est des changements syntaxiques qui sont, d’après Yaguello, plus difficiles à analyser, ces derniers sont liés pour partie à des faits d’ordre phonétique.

Toutefois, il est à souligner que ces changements internes, au sein du système linguistique, sont en interaction constante avec des causes externes liées aux conditions de la vie sociale et à l’histoire des communautés linguistiques ne se font pourtant pas au même rythme car la langue évolue beaucoup moins rapidement que la société. Conséquemment, les changements linguistiques s’opèrent de façon plus régulière.

Quant aux causes externes des changements linguistiques, celles-ci influencent le lexique,

particulièrement à travers le phénomène des emprunts : d’où l’adaptation aux besoins nouveaux, à l’avancée technologique et sociale en est une.

Nous pouvons aussi citer d’autres causes, comme les étymologies populaires, les « mots dans le vent », les phénomènes de mode « les argots », le vocabulaire « branché », de même que le snobisme et le phénomène de l’hypercorrection, expression de l’insécurité linguistique. De même, si c’est notamment le lexique qui est généralement atteint, il peut y avoir également des changements grammaticaux.

Après cette présentation un peu générale sur les changements linguistiques, nous allons traiter de façon plus précise le phénomène des emprunts lexicaux dans la langue française, qui constitue, comme il a été relevé, l’une des causes du changement de toute langue.

Dans ce contexte, Henriette Walter dans son ouvrage L’aventure des mots français venus d’ailleurs (1997), nous parle des emprunts lexicaux :

On sait bien que le français issue du latin, mais on oublie souvent qu’il s’est enrichi au cours de sa longue histoire d’apports venus des quatre coins du monde : apports celtiques, germaniques et grecs, mais aussi arabes, néerlandais ou italiens, et encore espagnols, anglais, amérindiens, africains, persans, turcs, japonais… WALTER, (1997 :9)

Certes, le latin a nourrit le français à travers des mots qui ont changé d’allure et de sens mais le latin n’est pas la seule source de la langue française. Il y a aussi des milliers de mots venus d’ailleurs mais seuls certains d’entre eux portent la marque qui révèle leur origine.

Au sujet des emprunts, H. Walter fait remarquer que,

lorsqu’une langue distribue son patrimoine, contre toute logique ses usagers s’en réjouissent, alors que, si elle bénéficie de mots venus de l’étranger, ils s’en désolent. WALTER, (1997 : 11)

Ces apports sont listés historiquement par Walter, qui souligne toutefois que deux langues sont privilégiées, à savoir le latin classique et le grec ancien. En plus de ces deux langues dont la langue française est issue et dont l’emprunt des mots a été fait tout au long de son histoire, il a eu donc: l’apport des langues parlées par ceux qui ont peuplé le territoire avant l’arrivée des Celtes et celui du gaulois ; celui de l’allemand avec l’occupation germanique ;

les mots des diverses langues régionales, nées du latin en même temps que le français ; les mots arabes, au Moyen-âge, souvent par le biais de l’espagnol, du catalan, du provençal ou de l’italien; les mots néerlandais. Mais c’est notamment, au XVIème siècle, l’apport de l’italien qui a été important, nécessitait même l’intervention du roi, celle d’Henri III qui

demandera au grammairien et lexicologue Henri Estienne de rédiger des ouvrages afin de prouver la supériorité de la langue française sur la langue italienne. WALTER, (1997 :12).

Yaguello à son tour ajoute :

l’invasion de la langue par des mots étrangers, qui remonte au seizième siècle avec la mode des italianismes, culmine aujourd’hui avec le « franglais », dénoncé naguère par Etiemble dans un pamphlet fameux : Parlez-vous franglais ? (1988 : 107).

Certes, le phénomène de l’emprunt existe dans toutes les langues ; mais ce qui inquiète Yaguello, c’est bien « la perte de l’aptitude à ‘digérer’ les mots étrangers en les intégrant phonétiquement et orthographiquement » id. p. 107

De toute façon, les interventions d’Henri III, (XVIème siècle) et celles de De Gaulle (XXème) démontrent bien, selon H. Walter (1997 : 12), qu’en France, la langue a toujours été envisagée comme une affaire de l’Etat, qui a souvent légiféré pour la couvrir des influences étrangères.

En réponse à la question concernant la « date » de l’emprunt d’un mot, H. Walter prétend que,

sauf exception, on ne peut pas vraiment savoir à quel moment un mot étranger a été adopté. Seule la plus ancienne attestation écrite connue pourrait réduire l’incertitude, mais on n’est jamais sûr qu’elle corresponde à sa première apparition dans la langue. Id. p.35

En se référant au Petit dictionnaire de la langue française Larousse ou le Micro-Robert Plus, H. Walter compte

environ 4200 mots courant d’origine étrangère (soit un peu moins de 13%) » mais l’auteur ajoute que « dans ce résultat ne figuraient ni les créations à partir du grec ancien (comme photographie ou biologie), ni les emprunts tardifs eu latin (comme sacrement, face à serment, face à frêle) id. p 17

Ici, la question qui vient à l’esprit : dans cet amalgame de langues, quelles seraient celles les plus prêteuses ? Selon Walter,

à la place d’honneur, se trouve l’anglais, mais cette situation est assez récente, car jusqu’au milieu du XXème siècle c’était l’italien qui venait en tête. Il est aujourd’hui au deuxième rang, suivi de près par le germanique ancien et par les autres idiomes gallo-romans, qui ont eux-mêmes souvent été les véhicules du gaulois. Viennent ensuite l’arabe et les langues celtiques, qui précèdent l’espagnol et le néerlandais. L’allemand moderne et les dialectes germaniques actuels arrivent en neuvième position. WALTER, (1997 :19-20)

D’après les chiffres présentés par ce dernier, il a été déduit que, à eux seuls, l’anglais (avec 25%), l’italien (avec 16,8%), le germanique ancien (avec 13%) et les dialectes gallo-romans (avec 11,5%) ont 66,3% du tout.

Toujours en ce qui concerne le rapport entre les langues, H. Meschonnic (1997) présente une autre vision. D’après lui, historiquement il existe des comparaisons entre les langues. Or cette comparaison s’est faite dans un contexte guerrier, ce qu’il nomme une « guerre des langues » :

Et comparer, c’est vite se préférer, dans une relation de sujet à objet, soit à la sauvage, soit sur un mode savant. id. p.344.

Néanmoins, il n’y a pas toujours eu de rivalité. Dans ce voyage historique Meschonnic évoque qu’au Moyen âge en Europe

il y a pendant des siècles une répartition entre le latin et les langues vulgaires, la rivalité avec le latin commence à partir du moment où les traducteurs conquièrent le savoir au français. Mais le latin continue d’être une langue de la pensée, et pas seulement des doctes, jusqu’au XVIIème S. La Réforme favorise les langues vulgaires. Au XVIème S., le français mène une rivalité avec l’italien, sans équivalent avec l’espagnol. Au XVIIème S. et au XVIIIème, la rivalité mobilise toutes les langues de l’Europe occidentale, incluant l’anglais et l’allemand. A la fin du XIXème S., se multiplient des projets de langue artificielle pour mettre en terme à la guerre en mettant un terme à la guerre des langues. Au XXème, surtout après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est l’internationalisation de l’anglais qui est une menace, pour le français (…) ainsi, depuis le XVIème S., il y a une guerre des langues-une politique identitaire qui a un rapport difficile à la pluralité. MESCHONNIC, (1997 :359)

Le jugement émis par Meschonnic sur cette situation va plus loin en cette perspective qu’il préconise une autre manière de concevoir cette concurrence, c’est ce qu’il nomme « une politique de la pensée » :

au lieu d’une concurrence, elle postule la diversité des langues comme la nécessité d’autant d’unicités irremplaçables, et la nécessité de leur connaissance ; la reconnaissance que l’identité n’advient que par l’altérité et que la réflexion sur la littérature et sur l’art est politiquement indispensable à une réflexion sur ce qu’est une langue. Id. (p360).

En la présence de l’état de guerre. Meschonnic (id. p.401) rapporte les propos de Claude Hagège (1996 :169), dans son ouvrage Le français, histoire d’un combat :

certes, on pourrait faire valoir qu’il est déraisonnable de vivre la diffusion mondiale de l’anglo-américain comme une entreprise de dépossession du français, ou comme un défi qui lui serait lancé. Car aussi bien, il ne semble pas que cette diffusion réponde à un plan concerté, qui viserait à nuire au français plus particulièrement qu’aux autres langues. mais c’est précisément parce que le français a connu un passé éclatant qu’il se trouve comme investi d’une mission : celle de témoigner en faveur de toutes les langues par l’action même qu’il conduit pour conserver son rang dans le monde contemporain.

A son tour, Meschonnic nous rappelle ce qui s’est passé en Louisiane en 1812, quand l’anglais a été imposé, pour éliminer le français, et ce qui se passe actuellement au Canada. Il y a toujours un jeu politico-économique, et des spécificités à défendre.

Dans cette optique, nous allons voir une chanson qui aborde le sujet des emprunts avec beaucoup d’humour. La chanson est intitulée Qui a volé les mots ?, de Michèle Bernard, de l’album Voler, 1999. En voici les paroles

Au voleur, au voleur, au voleur ! Qui a volé les mots, qui a volé les mots ? Encore ces Français, quel culot, voler les mots ! Regarde ! ils en ont plein la bouche, plein les poches De tous ces mots piqués partout, tu crois pas que c’est moche ?

Voler des mots sans en avoir l’air Et coller en douce dans son dictionnaire

Voler des mots sur toute la planète

Ah ces Français sont pas nets, de vrais pickpockets ! Voler aux Grecs, aux Latins, aux Gaulois

Ça va de soi, ça va de soi

Voler aux Anglais, aux Allemands, aux Italiens C’est normal entre voisins, c’est normal entre voisins

Ils même volé les Polynésiens Piqué paréo et tabou aux Tuamotu Chez les chinois le mot typhon soufflé pour de bon Banane et macaque en Afrique, tu parles d’un trafic Le raphia chipé aux Malgaches à coup de cravache

Même aux Arabes, c’est le bouquet, t’imagines pas c’qu’ils ont piqué ! Le barda, le safari, le café, le nénuphar

La guitoune et le satin, la valise et le hasard Le magasin, le cramoisi, le charabia et l’alchimie

Le sirop, le sofa, le souk et la nouba

Visiblement cette chanson est extrêmement riche en matière des paroles, en ce qui concerne notre sujet, par les emprunts lexicaux, mais aussi par la présence de quelques expressions et termes familiers (piquer, moche, c’est le bouquet) qui servent à illustrer ce registre de langue ainsi que des locutions adverbiales (ça va de soi, pour de bon), dont le sens est difficiles à trouver dans le dictionnaire.

Cette approche vise essentiellement à apprendre aux étudiants une activité très utile qui est le recours dictionnaire monolingue.

Sur le plan musical, l’instrument utilisé –l’accordéon- porte les auditeurs à chanter, d’ailleurs il est suivi par un chœur à deux reprises comme un refrain : « ça va de soi / c’est normal entre voisins ». Le rythme est à peu près le même à deux exceptions : lorsqu’on parle des Arabes et des Turcs, le rythme syncopé est remplacé par un rythme oriental.

La démarche pédagogique

Le sujet peut être introduit par quelques questions :

Les étudiants savent-ils l’origine de la langue arabe ? Y a-t-il des mots arabes dans la langue française ? Qu’est qui participe aux changements linguistiques ? Reconnaissance du mot « emprunt »

Ensuite, l’enseignant leur soumet à une écoute de la chanson. Il leur interroge sur le rythme, la mélodie, les instruments utilisés, les voix. Est-ce qu’ils ont aimé la chanson ou non? Pourquoi ?

Après cette mise en route, il leur distribue le texte en leur faisant réécouter la chanson simultanément.

Le texte de la chanson se prête à une approche globale :

- 1.2. ou bien distribuer les paroles avec des pointillés à la place des noms des peuples pour inviter les apprenants à les remplir, selon les mots empruntés qu’ils ont repérés et la langue dont ils relèvent.

- Faire recopier au tableau, comme une dictée, les mots d’après leur origine commune. - Consulter le dictionnaire pour trouver la définition des mots inconnus, en vérifiant

également leurs origines.

Passer ensuite au contenu de la chanson : quel est le sentiment de l’auteur vis-à-vis de ce vol ? Attirer l’attention des apprenants sur les verbes employés : « voler » et ses synonymes en langage familiers : piquer, chiper.S’agit-il d’un vrai vol, est-ce un sentiment de colère qui doit y avoir lieu pour ce genre de chose? Le sens de l’humour, des expressions familières. La notion de vol, sorte d’hyperbole, pour un phénomène linguistique courant, qui est accentué par des locutions adverbiales et des tournuresqui donnent l’idée de faute et de quelque chose d’irréparable, de manière effrayante ou, au contraire, de façon estompée (au nez de, en douce…). Faire découvrir l’expression (plein le : beaucoup) qui indique la quantité (plein la bouche/plein les poches).

L’enseignant peut également leur demander de reprendre ces nouvelles formes linguistiques, à travers des exercices lacunaires mais une autre démarche intéressante consiste à leur demander d’avoir un carnet pour qu’ils notent au fur et à mesure les mots nouveaux qu’ils auront appris tout au long de leur apprentissage de la langue.

Il s’agit donc d’une chanson qui convient bien à une exploitation linguistique pour ceux qui soulignent cet objectif. En ce qui est du registre de langue qu’elle requiert, il n’est pas nécessaire d’expliquer tous les mots, les apprenants eux-mêmes peuvent procéder à ce travail de recherche dans le dictionnaire.Quelques mots suffisent pour la compréhension du contexte de la chanson, ce qui la rend accessible à un public débutant.

Cette chanson serait une source de réflexion à ceux qui s’inquiètent de l’invasion des mots et expressions anglo-saxonnes. Et les étudiants verront cette affaire sous un autre angle : la langue a besoin d’emprunts pour s’enrichir.