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L’histoire comme une science de problèmes 110


Chapitre 2. Évolution de l’histoire en tant que discipline en France : du milieu

2.2 La consolidation du lien entre l’histoire et les sciences sociales :

2.2.5 L’histoire comme une science de problèmes 110


Durant le premier tiers du 20e siècle, de plus en plus d’historiens ne considèrent plus l’histoire comme une science dure qui interdit à l’historien, par une méthode stricte qu’il doit suivre entre la cueillette brute des documents et la présentation au lecteur des faits historiques qu’ils contiennent, de faire intervenir ses propres idées – que ce soit à travers le choix des éléments constituant son discours ou par la formulation d’hypothèses par exemple (Febvre 1936a : 8). On ne chasse plus les événements enfouis dans les documents d’archives et on abandonne progressivement cette conception issue du moment méthodique selon laquelle les faits historiques préexisteraient la recherche historique : « tout fait scientifique est inventé – et non pas donné brut au savant » (Febvre 1936a : 10).

L’historien doit construire son propre objet d’étude en fonction d’une série de problèmes qu’il veut résoudre. Les questions qu’il se pose sont délimitées par une période, un ensemble d’événements et des traces que l’historien aura sélectionnées au préalable. L’historien est désormais conscient qu’il doit choisir lui-même ce dont il va dire du passé. Non seulement ne peut- on plus faire de l’histoire sans un minimum d’élaboration conceptuelle, mais cette conceptualisation est désormais plus importante et plus féconde que le serait une recherche exhaustive en archive : « la bonne question, un problème bien posé importent plus – et sont plus rares ! – que l’habilité ou la patience de mettre au jour un fait inconnu mais marginal » (Furet 1982 : 76).

Les historiens de l’histoire-sciences sociales défendent une conception de l’histoire qui se trouve à l’opposé de l’histoire méthodique. Cette dernière se résume à la mise en série automatique des faits livrés indirectement par les documents écrits. Pour les historiens de l’histoire-sciences sociales, l’histoire n’est pas automatique, mais constructive, puisqu’elle est fondée sur l’élaboration de problématiques. L’histoire ne se réduit pas à une connaissance indirecte fondée sur des témoignages volontaires dont l’objectif premier est d’informer les lecteurs.

L’empirisme des méthodiques se fonde sur l’accumulation de connaissances acquise par une recherche exhaustive en archives. Les historiens de l’histoire-sciences sociales se dressent contre cet empirisme avec des

questions, des hypothèses et des concepts. L’historien s’engage dans le passé tout en ayant en tête un problème à résoudre et des hypothèses à vérifier. Contrairement à l’histoire méthodique selon laquelle les documents d’archives fournissent directement à l’historien des faits, les historiens de l’histoire- sciences sociales construisent les faits à partir d’un appareillage conceptuel (les questions, les catégories, les notions, les classifications et les hypothèses) qu’ils appliquent aux documents :

Les faits, ces faits devant lesquels on nous somme si souvent de nous incliner dévotieusement, nous savons que ce sont autant d’abstractions – et que, pour les déterminer, il faut recourir aux témoignages les plus divers, et quelquefois les plus contradictoires – entre qui nous choisissons nécessairement (Febvre 1953 [1992] : 23)40.

Les historiens mettent ainsi de côté « l’histoire-récit » (associée au moment méthodique et jugée trop superficielle et trop opaque) pour faire de « l’histoire une Science de problèmes » (Febvre 1936a : 13). La formule célèbre du physiologiste français Albert Dastre, reprise par Lucien Febvre, résume d’ailleurs bien la philosophie générale dernière ce passage vers une histoire- problème : « Quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on ne sait pas ce qu’on trouve » (Febvre 1936a : 11).

40 Tirée d’une conférence prononcée en 1941 par Lucien Febvre, « Vivre l’histoire, Propos

Cette nouvelle histoire-problème construit ses données à partir de documents choisis et à partir de questions conceptuellement élaborées. Dans son discours, l’historien indique et décrit de manière précise les sources qu’il utilise. Il met également en évidence l’intentionnalité qui se cache derrière les traces qu’il transforme en document. Pour faire comprendre, l’historien doit montrer (description) et en même temps expliquer (analyse). C’est pourquoi l’historien doit par ailleurs expliciter le réseau de relations qui existe entre les questions et les hypothèses qu’il formule et les conclusions qu’il propose. Toute information avancée par l’historien doit être vérifiée. Il en résulte un texte à la fois descriptif et démonstratif, et donc beaucoup moins narratif que le discours de l’histoire méthodique. Le rôle actif joué par l’historien dans l’écriture de l’histoire est par conséquent mis de l’avant.

Les tenants de l’histoire-sciences sociales continuent de miner la dimension littéraire du discours historique (tel que l’avaient fait avant eux les historiens méthodiques). On condamne une histoire « historisante », une histoire qui se suffit à elle-même en appliquant aux événements les seules lois de la discipline historique. Les historiens méthodiques avaient en quelque sorte isolé l’histoire des autres sciences dans le champ scientifique en développant une méthode stricte qui se suffisait à elle-même.

Replié ainsi sur lui-même, le discours historique se confond à un récit superficiellement descriptif qui crée une illusion de continuité (l’histoire de la

France de Seignobos – qui inclut la Gaule romaine jusqu’à la France des années 1930 – est l’un des exemples les plus patents selon Lucien Febvre ; Delacroix, Dosse et Garcia 1999 [2007] : 291). Le récit est par ailleurs négativement associé à la méthodologie de l’historiographie méthodique : « une mise en pages chronologique, tout au plus, d’événements de surface, le plus souvent fils du hasard » (Febvre 1949 : 229).

Deuxième partie. Historiographie du cinéma :

courants historiques actuels