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Une méthode rigoureuse 78


Chapitre 2. Évolution de l’histoire en tant que discipline en France : du milieu

2.1 L’établissement d’une méthode : l’histoire méthodique (des années

2.1.2 Une méthode rigoureuse 78


Le caractère « positif » des faits et des études historiques en général est assuré par une documentation qui est elle-même authentifiée et validée par la critique. Une recherche érudite des sources et une critique rigoureuse des documents constituent la base d’une nouvelle méthode historienne. L’historien doit maintenant rechercher les documents, les classer et y appliquer une critique interne et externe (soit distinguer le document d’archives de la source narrative).

Le manuel d’initiation intitulé Introduction aux études historiques et publié en 1898 par l’archiviste Charles-Victor Langlois et l’historien Charles Seignobos résume l’entreprise de recherche et de critique des sources selon le moment méthodique. Les auteurs y envisagent l’histoire comme la connaissance d’un passé atteignable par les traces qu’il a laissées. L’historien doit établir les faits en scrutant minutieusement les documents qui se trouvent devant lui.

L’historien se doit d’exposer ce qui a eu lieu. Il ne s’agit plus, comme c’était le cas des historiens romantiques avant eux, de juger le passé au bénéfice

des contemporains33. Le principe derrière cette nouvelle position isole le passé du présent.

Les sources de l’histoire sont les traces du passé. La connaissance historique est une connaissance par traces, c’est-à-dire qu’elle ne provient jamais de l’observation directe d’un phénomène ni d’une expérience renouvelable (comme c’est le cas avec les sciences de la nature), mais elle est rapportée par d’autres observateurs que l’historien lui-même.

[…] les faits disparus ont laissé des traces, quelques fois directement sous forme d’objets matériels, le plus souvent indirectement sous la forme d’écrits rédigés par des gens qui ont eux-mêmes vu ces faits. Ces traces, ce sont les documents, et la méthode historique consiste à examiner les documents pour arriver à déterminer les faits anciens dont ces documents sont les traces. Elle prend pour point de départ le document observé directement ; de là elle remonte, par une série de raisonnements compliqués, jusqu’au fait ancien qu’il s’agit de connaître (Seignobos 1901 : 5).

Les historiens méthodiques privilégient ainsi les témoignages volontaires, soit ceux destinés à informer le lecteur sur le présent de l’auteur. L’histoire méthodique se veut être la mise en série de faits livrés indirectement par les documents écrits.

33 Et ce, malgré le fait que, comme le dit Pierre Sorlin, « [m]ême complètement perdus au

milieu de leurs archives, même isolés au IIe millénaire avant J.C., les historiens ne répondent jamais qu’aux questions de leurs contemporains » (Sorlin 1984 : 7).

La véracité du discours de l’historien est notamment garantie par une double analyse critique des sources. L’historien juge d’abord de l’authenticité du document, de sa provenance, de son intégralité et de la manière dont il a été fabriqué. L’ensemble de ces procédures d’interrogation est la critique externe :

D’abord, on observe le document. Est-il tel qu’il était lorsqu’il a été produit ? N’a-t-il pas été détérioré depuis ? On recherche comment il a été fabriqué afin de le restituer au besoin dans sa teneur originelle et d’en déterminer la provenance. Ce premier groupe de recherches préalables, qui porte sur l’écriture, la langue, les formes, les sources, etc., constitue le domaine particulier de la CRITIQUE EXTERNE ou critique d’érudition (Langlois et Seignobos 1898 [1992] : 67).

L’historien tente par la suite de comprendre ce que l’auteur du document a voulu dire, si cet auteur a cru ce qu’il a dit et s’il a été fondé à croire ce qu’il a vu. Il s’agit d’atteindre la psychologie de l’auteur du document à travers la trace étudiée par l’historien. Cette deuxième démarche est la critique interne :

Ensuite intervient la CRITIQUE INTERNE : elle travaille, au moyen de raisonnements par analogie dont les majeures sont empruntées à la psychologie générale, à se représenter les états psychologiques que l’auteur du document a traversés. Sachant ce que l’auteur du document a dit, on se demande : 1o qu’est-ce qu’il a voulu dire ; 2o s’il a cru ce qu’il a dit ; 3o s’il a été fondé à croire ce qu’il a dit. À ce dernier terme le document se trouve ramené à un point où il ressemble à l’une des opérations scientifiques par lesquelles se constitue toute science objective : il devient une observation ; il ne reste plus qu’à le traiter suivant la méthode des sciences objectives. Tout document a une valeur exactement dans la mesure où, après en avoir étudié la genèse, on l’a réduit à une

observation bien faite (Langlois et Seignobos 1898 [1992] : 67-68).

Cette série d’opérations analytiques (critiques externe et interne) permet d’établir des « faits historiques » de manière rigoureuse. Une histoire conforme à ce qui s’est « réellement passé » peut être écrite à partir des faits ainsi dégagés. En somme, le chercheur s’affaire à trouver les faits qui se cachent dans les documents qui « parlent d’eux-mêmes ».

Les sources écrites jouent un rôle central dans l’élaboration du discours de l’historien : « En histoire, on ne voit rien de réel que du papier écrit » (Langlois et Seignobos 1898 [1992] : 178). C’est d’ailleurs à partir d’elles que les historiens méthodiques établissent la distinction entre la préhistoire et l’histoire, étant donné que l’histoire est la science qui étudie les sociétés ayant laissé des traces écrites. Les « documents figurés », comme les œuvres d’architecture, les sculptures, les ustensiles, les monnaies, les images de toutes sortes (les blasons, les sceaux, les peintures, etc.), sont souvent restreints à des champs particuliers de l’histoire (histoire de l’art) et à d’autres sciences auxiliaires de l’histoire (archéologie) (Langlois et Seignobos 1898 [1992] : 56).

Par leur méthode rigoureuse, les historiens positivistes revendiquent une objectivité qui garantit la scientificité de l’histoire.