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L ES ORIENTATIONS ET LES MOTIVATIONS DE L ’ ACHETEUR

Deux articles fondateurs ont initié la littérature sur le shopping. Stone (1954) et Tauber (1972) ont chacun élargi la conception du shopping au-delà de la fréquentation des points de vente dans l’objectif d’acheter.

Pionnier, l’article de Stone (1954) introduit le concept de l’orientation des consommateurs et propose une catégorisation des acheteurs. Ses recherches menées auprès d’un échantillon d’une centaine de femmes concluent sur la possibilité de catégoriser les acheteuses en quatre groupes distincts : économique, à personnalisation des achats, éthique, et apathique. Gregory P. Stone (1954) définit l’acheteur économique comme un consommateur qui achète avant tout, tous ses comportements étant orientés vers l’achat de produits. L’acheteur économique est intéressé par le prix, la qualité et la facilité d’achat. Il utilise des produits qui sont visibles et produisent un effet sur ses relations sociales tels que le démaquillant, les crèmes de jours ou la crème pour les mains. L’acheteur à personnalisation des achats cherche à individualiser son rôle au sein du magasin et à maintenir une relation proche avec le personnel. Un tel consommateur n’achète pas des produits socialement

visibles, mais utilise des produits d’hygiène élémentaire. Les shampoings et les déodorants en sont des exemples typiques des produits qu’il achète. L’acheteur éthique a un statut social plutôt élevé et appartient depuis longtemps à sa communauté. Il voit dans les supermarchés et les autres chaînes de magasins une menace pour les relations sociales, et entretient une relation éthique avec les commerçants. Ses achats concernent principalement des crèmes nettoyantes pour le visage et des déodorants. Enfin, l’acheteur apathique cherche avant tout à minimiser ses efforts. Ce type de consommateur n’aime pas faire les courses, il déteste les chaînes de magasins, ne trouve aucune satisfaction à établir des contacts personnels avec les commerces locaux et ne recherche pas aucun lien étique avec les commerçants indépendants. L’acheteur apathique consomme une quantité importante de crème de soin et de shampoing.

Les travaux de Stone (1954) mettent en évidence l’adaptation des activités de shopping aux styles de vie des acheteurs. Mais ces orientations ne sont pas séparées et plusieurs peuvent être adoptées simultanément. Celles-ci dépendent de la catégorie de produits considérée. Mais l’apport principal de Stone (1954) est d’avoir défini le shopping comme un phénomène économique et social complexe.

Le deuxième article fondateur de la littérature (Tauber, 1972), se base sur une collecte par entretiens en profondeur auprès d’un échantillon de trente hommes et femmes. Ces travaux identifient deux classes de motivation : des motivations personnelles et sociales.

Les premières motivations sont personnelles. Elles renvoient au rôle joué, au divertissement, à l’auto-gratification, à l’apprentissage de nouvelles tendances, à l’activité physique et à la stimulation sensorielle. Le rôle joué fait référence au fait

que de nombreuses activités sont des comportements appris, attendus et acceptés comme parties intégrantes du rôle qu’un individu occupe dans la société. Les courses ménagères sont par exemple reconnues comme étant l’une activité de la mère de famille dans les sociétés occidentales. Tauber (1972) renvoie donc le manque de succès de la livraison des courses à domicile de l’époque à l’utilité positive que les femmes occidentales attribueraient à l’approvisionnement du foyer car il permet d’échapper à la routine quotidienne. C’est dans cette dimension que réside l’intérêt de l’article de Tauber. Il place le shopping comme une forme de récréation. Le shopping peut également être motivé par des états émotionnels ou par des humeurs particulières. Un individu peut s’adonner à une séance de shopping parce qu’il a envie de « se changer les idées ». Dans ces cas, l’individu ne recherche pas une utilité dans un acte de consommation mais une utilité dans le processus même d’achat. Le shopping est aussi l’occasion de s’informer sur les nouvelles tendances. Tauber (1972) rapporte que de nombreux individus sont intéressés par « voir de nouvelles

choses et avoir de nouvelles idées » (Tauber 1972, p. 47). De telles formes

d’apprentissage ont lieu dans les points de vente, que le consommateur procède ou non à un achat. Une motivation personnelle supplémentaire se situe dans l’activité physique. Dans un environnement urbain américain, les individus sont peu amenés à se dépenser physiquement dans un cadre agréable. Or, certains individus apprécient pouvoir marcher dans les centres commerciaux. Le shopping serait pour eux l’occasion de pratiquer des exercices physiques. Enfin, les acheteurs peuvent être motivés par la stimulation sensorielle trouvée dans les centres commerciaux au travers de la musique ou le parfum d’ambiance.

motivations recouvrent les expériences sociales en dehors du foyer, la communication avec d’autres personnes partageant le même intérêt, l’attraction du groupe de pairs, l’autorité et le statut, et le plaisir de marchander. Le marché a toujours été un lieu propice aux rencontres sociales. Dans les pays occidentaux, le jour du marché est une occasion pour avoir des interactions sociales ; faire ses courses le dimanche au marché est pour de nombreux citadins un prétexte pour passer un moment agréable avec des amis puis partager un café à une terrasse. Le shopping est dans ce cas l’occasion d’avoir une expérience sociale en dehors du foyer, de se faire de nouveaux amis. Mais le contact social peut aussi être indirect : l’acheteur flâneur passe son temps en regardant les autres. La seconde motivation sociale se situe dans le partage d’un centre d’intérêt. Tauber (1972) souligne que le personnel d’un point de vente est souvent sollicité par les clients qui désirent obtenir des informations particulières sur leur hobby. La troisième motivation sociale se trouve dans l’attraction du groupe de pairs. Les centres commerciaux sont par exemple le refuge de nombreux adolescents. Souvent, ces jeunes ne cherchent pas à acheter quelque chose. La visite d’un point de vente peut ne pas être lié à l’achat d’un produit mais refléter le désir d’un individu à rejoindre ses pairs ou à partager un moment avec un groupe de référence auquel il voudrait appartenir, comme le montreront plus tard les travaux de Haytko et Baker (2004). La quatrième motivation sociale renvoie à l’opportunité pour un individu de recevoir attention et respect. Le client peut ressentir une certaine prise de pouvoir face à un employé dont le rôle est de le servir. Car le concept du magasin réside effectivement dans l’attention à la clientèle. Et ce service est d’autant plus présent que le client a la possibilité de comparer les produits offerts. Le plaisir à être servi expliquerait pourquoi des clients repoussent le moment de l’achat ; ils essaient de prolonger le sentiment de pouvoir qu’ils éprouvent lors de la séance de shopping.

Enfin, la dernière motivation sociale identifiée par Tauber se situe dans le plaisir de marchander. Pour certains acheteurs, obtenir un « meilleur prix » engendre un sentiment de fierté. Les prix fixes empêchent évidemment ce type de satisfaction. Mais l’acheteur dispose toujours de la possibilité de « marchander » en comparant les prix entre les différents points de vente.

Les onze motivations énoncées par Tauber (1972) couvrent un champ large et ont engendré un nombre important de travaux de recherche. La recherche de stimulation, par exemple, contribue à la recherche de l’Optimum Stimulation Level (Steenkamp et Baumgartner, 1992) et des variables d’atmosphère du point de vente (Bitner, 1992 ; Dubé, Chebat et Morin, 1995 ; Mehrabian et Russel, 1974). L’affiliation à des pairs renvoie aux champs relatifs aux groupes d’appartenance et de référence (Matthews, Taylor and Percy-Smith, 2000). Mais l’intérêt des travaux de Tauber réside principalement dans sa compréhension du caractère hédonique du shopping. Les acheteurs font certes leurs courses pour s’approvisionner mais aussi pour se divertir. Le shopping est une activité duale que nous proposons d’aborder sous l’angle de la valeur.