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S ECTION 2 : L’ ACCULTURATION DU CONSOMMATEUR ISSU D ’ UN PAYS EN

DEVELOPPEMENT

L’acculturation se définit comme le « procédé général de mouvement et d’adaptation

à l’environnement culturel du consommateur dans un pays par des personnes d’un autre pays » (Peñaloza, 1994, p. 33).

Les travaux sur l’acculturation de Berry (1997) ont été centraux dans l’appréhension du phénomène. Dans les sociétés multiculturelles, les individus développent certaines attitudes en fonction de leur orientation vis-à-vis de deux issues centrales : le maintien de la culture de leur propre groupe et le désir d’avoir des contacts avec un autre groupe. Selon Berry, les individus peuvent adopter une culture différente de leur propre culture – assimilation -, ils peuvent conserver leur propre culture – séparation - , ils peuvent combiner les deux cultures – intégration - ou ils peuvent prendre distance avec les deux cultures - marginalisation. Les travaux de Berry ont donné naissance à un courant riche de recherches, principalement centrées sur le processus de construction identitaire du migrant au travers de l’acculturation (Askegaard, Arnould, Kjeldgaard, 2005 ; Ataca et Berry, 2002 ; Chytkova, 2011 ; Oswald, 1999 ; Peñaloza, 1994 ; Üstuner et Holt, 2007). La théorie de l’acculturation sous-entend un processus long d’adaptation, avec des modes de rejets des cultures hôte dominante et d’origine dominée. En ce sens, elle ne pouvait constituer un cadre théorique pour notre

recherche car nous ne cherchons pas à appréhender un processus d’adaptation mais nous cherchons plutôt à comprendre comment les individus de débrouillent au cours de leurs premiers contacts avec un nouveau mode de commerce. Par ailleurs, nous ne voulions pas définir une culture dominante et une culture dominée. Pourtant, l’acculturation apporte des éléments intéressants pour répondre à notre problématique. Nous avons retenu trois recherches sur l’acculturation dont les contextes particuliers permettent de mettre en évidence le rôle central joué par les compétences.

Les travaux de Peñaloza (1989, 1994) révèlent les expériences douloureuses de l’adaptation des immigrants compte tenu des différences culturelles entre le pays d’accueil et le pays d’origine. Peñaloza (1989) décrit le processus d’acculturation comme l’apprentissage de comportements, d’attitudes, de savoir-faire et de valeurs nécessaire pour naviguer dans la culture du pays hôte. Les conséquences de ces expériences s’illustrent notamment dans les processus d’achat des immigrés, ceux-ci ne disposant pas des mêmes compétences et connaissances que les consommateurs du pays hôte. Les migrants mexicains racontent avec étonnement leurs premières séances de shopping : faire les courses aux États-Unis, c’est être confronté à des quantités plus grandes, à une diversification élevée des produits et à des prix plus faibles.

Peñaloza (1994) montre que les migrants éprouvent des difficultés liées à la langue et la monnaie. Ils sélectionnent les points de vente, les produits et les services en fonction de la langue parlée par le commerçant. Ataca et Berry (2002) observent des résultats similaires. Dans leur étude auprès de 200 immigrants turcs au Canada, Ataca et Berry soulignent l’importance de la langue pour acquérir des habilités sociales dans la nouvelle culture. La monnaie est une seconde source de difficulté. Le taux de conversion entre le dollar et le pesos (3 000 pesos/$) invitait le migrants à considérer

que les prix étaient excessivement bon marché aux États-Unis. Peñaloza évoque les nombreuses « traductions » faites par les migrants quand ils sont entre deux cultures (Peñaloza, 1994, p. 42). Ainsi, s’adapter à la culture d’accueil renvoie au processus de socialisation du migrant qui apprend à naviguer dans une nouvelle forme de commerce. Les ressources et les compétences que maitrise le migrant sont des facteurs facilitant l’adaptation du migrant au nouveau contexte.

Si les auteurs se sont dans un premier temps tournés vers l’acculturation des migrants dans un contexte transfrontalier, Üstuner et Holt (2007) s’intéressent à des formes d’acculturation au sein d’un même pays et montrent les difficultés de femmes turques d’origine rurale à s’adapter à la culture de consommation turque implantée en ville. Ils relatent, par exemple, les séances de maquillage et les slogans publicitaires appris par cœur. Les jeunes femmes utilisent leur connaissance sur les marques qu’elles associent avec le style urbain pour se forger leur identité. L’acquisition des compétences à la consommation est centrale dans leur construction identitaire.

Les travaux récents de Fatima Regany (2012) apportent des éléments de compréhension sur l’acculturation des femmes marocaines immigrées en France. Ses recherches sont centrées sur les comportements de shopping de la dyade mère-fille dans les supermarchés en France. Elle rappelle par exemple que les mères immigrées de la première génération n’étaient pas habituées à faire les courses avant leur arrivée en France. Certaines ont conservé la répartition de rôles familiaux de type traditionnels associés à la notion d’espace : le mari s’occupe de l’approvisionnement de la maison et investit la sphère extérieure, la mère entretient la maison, s’occupe des enfants et investit la sphère intérieure (Regany, 2012).

La plupart des participantes trouvent dans le marché les ressources qui leur permettent de redéfinir leur rôle d’épouse et plus particulièrement leur rôle d’épouse « ethnique ». En effet, les achats au supermarché représentent pour elles un moyen de quitter la sphère intérieure et de prendre plus de décision d’achat en acquérant ainsi de l’autonomie. Par ailleurs, le supermarché apparaît comme un lieu de mixité sociale et culturelle pour les femmes immigrées, il est un lieu privilégié de contact avec les membres de la société dominante, « les Français ». Au travers de ce contact elles se sentent exposées au regard des autres, elles remettent en question leur comportement dans le magasin et s’interrogent sur leur capacité à consommer comme toutes les autres femmes. Elles manquent de compétences de consommation telle que l’utilisation d’une carte bancaire et développent des mécanismes pour détourner ce problème, la plupart vont ainsi payer en liquide leurs achats. La maîtrise de compétences nécessaires au shopping est porteuse d’une forte symbolique. Pour les participantes, payer en toute aisance par carte bancaire est une pratique associée au modèle français de consommation. Mais le double apport de la thèse de Regany pour notre recherche se situe dans la définition d’un modèle pour ces femmes immigrées et de la place centrale des compétences à la consommation pour suivre ce modèle. Les femmes marocaines se réfèrent à leur perception de la « femme française », une femme qui fait, seule, ses courses, qui remplit son chariot et paie à la caisse de façon autonome et indépendante. Une femme qui dispose ainsi des compétences nécessaires pour naviguer dans un environnement moderne de consommation, seule, sans l’aide de son mari. Sortir du foyer pour approvisionner le ménage est le symbole de son rapprochement et de son adhésion au modèle de la femme occidentale (Thompson, 1996). Les femmes immigrées marocaines installées en France dans cet échantillon redéfinissent leur identité ethnique sur la base de ce modèle. Si les travaux de Regany

(2012) abordent les compétences à la consommation des individus issus des pays en développement, ils n’entrent cependant pas en détail dans le domaine.

Les recherches centrées sur l’acculturation soulignent l’importance de diverses variables dans le processus d’adaptation des individus à la culture du pays d’accueil. Elles rappellent l’importance du contexte dans la définition des ressources et des compétences du consommateur et mettent en évidence les difficultés éprouvées dans les actes de shopping ou de consommation quotidiens lorsque les compétences maîtrisées par le migrant ne sont pas adaptées à la forme de commerce à laquelle ils font face, désormais. Si les recherches sur l’acculturation soulignent la place centrale des compétences dans le processus d’adaptation à la culture du pays d’accueil et dans la construction identitaire, les méthodes des consommateurs pour acheter dans un commerce moderne restent à découvrir.