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S ECTION 1 : P OSTURE EPISTEMOLOGIQUE

Le processus d’exploration ne relève pas d’un paradigme épistémologique particulier. Il est donc indispensable pour le chercheur « explorateur » (Charreire Petit et Durieux, 2007, p. 59) de consacrer du temps à la posture épistémologique. C’est grâce à cette longue phase de réflexion que le chercheur pourra « asseoir la validité et la

légitimité » de sa recherche (Perret et Seville, 2007, p. 13). Trois grands paradigmes

scientifiques s’offrent classiquement au chercheur en sciences de gestion: le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme.

Le paradigme positiviste repose sur une hypothèse réaliste : la réalité possède une essence propre, indépendante du chercheur qui autorise le principe d’objectivité tel que décrit par Popper (1991). Selon les positivistes, la connaissance produite ne

dépend ni du contexte ni des interactions des acteurs. Le chercheur tente de construire de nouvelles conceptualisations théoriques valides et robustes qui ne dépendent ni de sa position personnelle, ni du contexte. Les résultats obtenus seraient donc généralisables. Dans cette démarche, les chercheurs positivistes utilisent des méthodes hypothético-déductives (Charreire Petit et Durieux, 2007). La compréhension du phénomène observé serait donc incluse dans l’explication (Perret et Séville, 2007 ; Pourtois et Desmet, 1988).

Jusqu’aux années 1980, le positivisme était l’unique courant de pensée et la science sociale positiviste l’unique méthode pour mener une recherche en comportement du consommateur. Puis certains auteurs ont cherché de nouvelles formes de savoirs (Belk, Wallendorf et Sherry, 1989 ; Sherry, 1983 ; Dholakia, 1988 ; Thompson, Locander et Pollio, 1989). Ces nouvelles perspectives amenèrent de nombreux débats (Hunt, 1991). Il fut notamment remis en question les notions de causalité, de déterminisme et de réalité. Les positivistes réagirent à ces nouvelles visions. Parmi eux, Shelby D. Hunt apporta des éclaircissements sur les positions des positivistes dans son article de 1991. Hunt rappelle que les travaux des positivistes évitent de consister en une recherche de « vraies causes » car ils perçoivent la causalité comme un concept non-observable. Si un positiviste observe que deux phénomènes surviennent avec une régularité constante, il peut supposer qu’il existe une relation entre les deux phénomènes ; mais il ne devrait pas conclure que l’un des phénomènes est la cause de l’autre. Hunt aborde, dans un second temps, la question du déterminisme. Il précise que les théories et les lois sont seulement des instruments de calcul pour faire des prévisions. Elles servent à mettre en place des modèles qui décrivent ce que le chercheur observe. Le seul objectif poursuivi de cette démarche

est de pouvoir émettre des prédictions et non de chercher les lois causales universelles. Enfin, le troisième sujet de débat concerne la nature de la réalité. Les positivistes pensent que la réalité est objective et existe indépendamment de ce que les individus perçoivent. Les positivistes sont réalistes dans la mesure où ils reconnaissent aux objets tangibles une existence propre. Mais ils ne réifient pas les états subjectifs et ne les traitent pas comme des objets. Les faits qui ne peuvent être observés sont, aux yeux des positivistes, des concepts métaphysiques qui doivent être strictement évités.

Contrairement à la pensée positiviste, l’interprétativisme exclut l’existence d’une réalité objective, une réalité extérieure qui pourrait être découverte par un chercheur parti à sa recherche (Corbin et Strauss, 2008). L’objet et le sujet dépendent l’un de l’autre, ils se façonnent et interagissent. Un chercheur interprétatif voit plusieurs réalités sociales liées à des contextes particuliers. La recherche interprétative est ancrée dans son contexte (Corbin et Strauss, 2008). Cette vision du monde façonne la compréhension des phénomènes observés. Le chercheur ne s’intéresse pas à un fait isolé, il appréhende un phénomène dans sa globalité et dans sa complexité. Il le rattache à d’autres évènements sociaux, politiques, ou culturels. Le phénomène est aussi compris dans ses relations au genre, à l’information ou à la technologique (Corbin et Strauss, 2008). La connaissance produite à l’aboutissement de notre processus de recherche ne sera jamais que représentée et non découverte, elle sera subjective et contextuelle (Perret et Seville, 2007).

Une troisième posture épistémologique s’offrant au chercheur en sciences de gestion réside dans le constructivisme. Les constructivistes reconnaissent le même statut de la

connaissance que le paradigme interprétativiste mais ils croient aussi en une réalité construite (Perret et Séville, 2007). Dans cette perspective, le chercheur participe aussi à la construction de la réalité. Or, nous n’adhérons pas à l’idée d’une une réalité construite avec le chercheur.

Nous n’épousons pas non plus la vision du monde du paradigme positiviste. Nous attachons de l’importance à la variété des actions humaines, à l’interaction et aux réponses émotionnelles des individus. Nous aspirons à une compréhension du monde dans sa globalité en tenant compte de toute sa complexité (Holbrook et O’Shaughnessy, 1988). Nous ne pouvons donc inscrire la présente recherche dans un paradigme positiviste. Adopter une posture positiviste signifierait atténuer les différences qui existent entre les individus. Nous sommes désireuse au contraire de comprendre les phénomènes au travers des multiples interprétations qu’en font les acteurs. Nous positionnons la présente recherche dans le paradigme interprétativiste. Mais l’adoption d’une posture épistémologique a des implications sur la nature des résultats produits.

L’objectif de notre recherche est de développer une compréhension des mécanismes qui sont attachés au shopping dans le commerce moderne. La problématique retenue offre une flexibilité et une liberté suffisante pour appréhender le phénomène dans sa globalité comme le recommandent les auteurs interprétativistes (Strauss et Corbin, 2008).

Au-delà, de la posture épistémologique du chercheur, le mode de raisonnement est l’objet d’une réflexion approfondie. Deux logiques, inductive et déductive, portent les modes de raisonnement. La figure de Chalmers (1987) résume les relations entre les

situations observées et les concepts.

Figure 5 : Les modes de raisonnement

D’après Chalmers (1987)

Notre problématique suggère une logique inductive. Nous partons d’observations empiriques pour produire une contribution théorique. Mais nous établissons des allers et retours entre nos connaissances théoriques et empiriques pour interpréter les données collectées. Ces allers et retours ont rythmé notre recherche. Les collectes de données ont été comparées à la littérature ; puis ces analyses nous ont amenée à retourner sur le terrain, et ainsi de suite. Cette démarche nous a permis de structurer le système de données pour produire du sens. La finalité de notre démarche résidait en la proposition de nouvelles conceptualisations théoriques valides.

Un objet de recherche peut être construit selon cinq voies différentes : des concepts Lois et théories

Conceptualisations Hypothèses, modèles, théories

Explications et prédictions Logique inductive Logique déductive Démarche hypothético-déductive Démarche abductive

Faits établis par l’observation

ou théories, une méthodologie, un problème concret, un terrain ou un domaine d’intérêt (Allard-Poesi et Maréchal, 2007). Dans une recherche interprétative, il est courant que le processus émane de l’intérêt du chercheur pour un phénomène particulier, comme il a été notre cas.