• Aucun résultat trouvé

L’ APPAREIL COMMERCIAL MAROCAIN

C ULTURE AU M AROC

1. L’ APPAREIL COMMERCIAL MAROCAIN

Pour faire face aux challenges de la globalisation, le Maroc a entamé une série de réformes économiques internes depuis 1999. Divers secteurs sont concernés et font l’objet de plans de développement: la banque, le tourisme, l’industrie, l’agriculture, la

pêche, les nouvelles technologies et le commerce. Le secteur commercial est jugé prioritaire par le gouvernement. Il contribue à hauteur de 12,8% au PIB - contre 17,7% pour l’agriculture, 35,7% pour l’industrie, et 46,6% pour les services - et occupe 1 200 000 de Marocains sur une population totale estimée à 31 606 000 habitants (United Nations Statistics Division, 2008).

Les réformes dont il est sujet ont abouti à la mise en place en 2008 du plan Rawaj vision 2020. Il s’agit d’un contrat-programme entre le gouvernement et des associations professionnelles dont la finalité est le développement du secteur commercial à l’horizon 2020. Les actions prévues visent à améliorer les conditions d’approvisionnement du citoyen marocain, améliorer le niveau de vie des commerçants, augmenter la contribution de la valeur ajoutée du secteur au produit intérieur brut et créer des opportunités d’emploi. Sur le terrain, diverses actions sont mises en place dont des aides à la modernisation. Le Ministère du Commerce et de l’Industrie contribue à l’achat et la rénovation des équipements. Son aide s’élève à 20 000 MAD par commerçant indépendant. En 2009, 600 points de vente en ont bénéficié.

L’appareil commercial marocain est demeuré stable dans ses formes pendant plusieurs décennies, et n’a véritablement connu d’innovation qu’au début des années 1990, lorsque le libre-service est apparu pour la première fois au Maroc. Aujourd’hui encore, la distribution au Maroc se caractérise par des circuits relativement longs et opaques (USAID, 2006). En moyenne, 4 à 5 intermédiaires constituent la chaîne de distribution (USAID, 2006) alors qu’en France, par exemple, seules 5 centrales d’achat couvrent 80% du marché et la distribution intégrée réalise 67% du chiffre

d’affaires du commerce de détail. Par ailleurs, le commerce marocain est fortement investi par l’informel, lequel représente 14,3% du PIB. Dans le secteur informel, le commerce occupe 57,4% des unités de production, 52,3% de l’emploi et 77,3% du chiffre d’affaires (HCP, 2009)

Avec le plan Rawaj, les autorités marocaines montrent leur volonté d’inscrire le secteur commercial dans une politique de modernisation et d’institutionnalisation du secteur informel.

Dans le souci de présenter l’appareil commercial marocain dans une perspective locale, nous utiliserons la classification proposée par le plan Rawaj. Elle découpe le secteur commercial marocain en trois types de commerce: le « commerce de

proximité », la « grande et moyenne distribution » et les « marchés de gros de fruits et légumes, les abattoirs et les halles aux poissons » (Rawaj, 2007, p. 1). La « grande et moyenne distribution » est une forme de commerce moderne, et relève de la

distribution intégrée (Vandercammen et Jospin-Pernet, 2005). Elle s’oppose aux deux autres types qui relèvent du commerce traditionnel. Comme la présente recherche se situe dans le domaine du commerce de détail, nous limiterons la présentation du secteur commercial marocain aux deux premières formes évoquées par le plan Rawaj, à savoir le commerce de proximité et la grande et moyenne distribution. Nous excluons volontairement les marchés de gros de fruits et légumes, les abattoirs et les halles aux poissons, bien que certains consommateurs finaux marocains s’y approvisionnent.

Le commerce marocain de proximité

proximité marocain occupe une place est importante dans l’économie du pays: en 2006, il représentait 91% du chiffre d’affaires du secteur commercial intérieur (Rawaj, 2007) avec 1,27 millions de points de vente (Challot, 2011). L’importance économique et sociale du commerce de proximité se reflète par ailleurs dans la dimension culturelle: il est considéré comme « socialement ancré à l’identité

nationale » (Rawaj, 2007, p. 1).

Le commerce de proximité marocain n’a pas connu de modification majeure depuis l’indépendance en 1956, c’est à dire depuis plus de 50 ans. Comme certains pays d’Amérique Latine (Douzant-Rosenfeld et Grandjean, 1995) ou d’Afrique (Wilhelm, 1997), le Maroc dispose d’un commerce traditionnel prédominant assuré par des petites épiceries, les magasins indépendants et vendeurs ambulants mais également les marchands de gros (Rawaj, 2007). En effet, au Maroc, de nombreux grossistes et semi-grossistes assurent aussi une fonction de distribution de détail.

Le commerce de proximité marocain dispose d’une classification propre. On distingue les souks hebdomadaires, les kissariats et marchés municipaux, les vendeurs ambulants et le petit commerce.

Les souks représentent la forme la plus ancienne du commerce de détail (Masson et Wellhoff, 1972). Historiquement, les souks étaient situés en dehors des villes, là où une ou plusieurs caravanes s’arrêtaient. Les caravaniers déployaient alors leurs biens et procédaient à leur vente (baron d’Augustin, 1830 ; Potocki, 1792). De nos jours, les souks sont encore des marchés à caractère rural (Geertz, 1978 ; Kapchan, 1996). Ils s’installent généralement chaque jeudi, samedi ou dimanche à la périphérie des villes

et des bourgs. Y sont vendus des produits agricoles – céréales, fruits et légumes - et des animaux - poules, dindes, mules, etc. Outre les consommateurs ruraux, les souks attirent également de nombreux citadins (USAID, 2006). La taille des souks marocains varie de 350 à plus de 1 000 commerçants. Au Maroc, on recense 954 souks (USAID, 2006).

Les kissariats et les marchés municipaux regroupent des détaillants dans un même espace urbain. Il s’agit de petits centres commerciaux traditionnels. La kissariat comprend principalement des boutiques de textile d’habillement ou d’ameublement. Ce terme spécifique au Maroc est un « vieux souvenir du temps où dans toute la

romanité et le Nord de l’Afrique, la place de César était au coeur de la cité »

(Tharaud, 1930, p. 39). La kissariat fait référence à l’ancien forum des cités romaines organisé autour de la statue de César. Une kissariat est une « césarée » (Potier, 2006, p. 56).

Les marchés municipaux sont des souks sédentarisés. L’offre est composée de fruits et légumes, épices mais également viandes et volailles vivantes. Des épiciers d’alimentation générale installés dans le marché complètent l’offre. Au Maroc, on recense 197 marchés municipaux ; Casablanca abrite le plus grand nombre.

Tableau 7: Effectifs des marchés municipaux et des souks dans les principales villes du Maroc

Ville Marché municipal Souk Total

Agadir 5 48 53 Casablanca 43 5 48 Fès 8 13 21 Marrakech 3 55 58 Meknès 2 20 22 Rabat-Salé 7 21 28 Tanger 6 10 16 D’après USAID (2006)

Casablanca présente une proportion inversée de souks par rapport aux autres grandes villes du Maroc et donc un nombre restreint de souks notamment par rapport à Agadir ou Marrakech. L’explication est d’une part historique: Agadir et Marrakech étaient des centres commerciaux importants dans la région du temps des caravanes. D’autre part, au cours des années 60-70, de nombreux souks casablancais se retrouvèrent à l’intérieur de la ville suite à l’expansion démographique. Ils furent transformés en marchés municipaux.

Les vendeurs ambulants appartiennent au secteur informel. Certains disposent de charrettes qu’ils poussent ou qu’ils font tirer par des ânes ou des mules. D’autres déposent leurs marchandises à même le sol.

Le secteur de la distribution au Maroc est dominé par le petit commerce, une forme de commerce de détail née pendant l’Antiquité (Masson et Wellhoff, 1972). Celle-ci est caractérisée par une séparation entre l’acheteur et la marchandise. L’acheteur n’a pas accès aux produits offerts qui sont derrière un comptoir et le discours du vendeur joue un rôle important lors du processus d’achat. Comme d’autres pays en développement, la majeure partie de la population s’y rend pour y effectuer des achats ménagers. Les petits commerces incluent notamment les boulangeries-pâtisseries, les bureaux de tabac, les pharmacies mais également les épiceries. Il s’agit de petites entreprises indépendantes, employant un nombre restreint d’employés. Au Maroc, un petit commerce emploie au minimum deux personnes (Challot, 2011). A titre de comparaison, en France, le nombre de personnes employées est de deux au maximum (Lendrevie, Lévy et Lindon, 2003).

Parmi les petits commerces, l’épicier marocain est un pivot essentiel de l’économie domestique marocaine (Jouad et Jouad, 2007). Il fournit en vrac, en petites quantités ou à l’unité les consommateurs de son quartier. Il est ouvert tous les jours et ne ferme que certains jours de fête religieuse. Sur tout le territoire marocain, on estime le nombre d’épiciers à près de 90 000 (Challot, 2011), mais il n’existe pas de statistiques officielles exactes à ce sujet. Au Maroc, en 2001, 200 points de vente seulement dépassaient 300m2 (USAID, 2006). Chez l’épicier, de nombreux produits sont vendus en vrac, comme les céréales, les légumes secs, les pâtes, le riz, le sucre, le beurre ou la levure de bière. Ils sont vendus au gramme près ou à l’unité. Par exemple, la levure chimique Alsa, dont le plus petit conditionnement est une boîte de dix sachets de 7,5g, est vendue par sachet chez l’épicier. Cette politique est retenue par tous les épiciers. Elle leur permet de s’adresser à une clientèle effectuant des achats fréquents en petites, voire très petites, quantités (Goldman, 1974).

Le commerce traditionnel au Maroc présente des caractéristiques relevées dans la littérature: un détaillant proche de sa clientèle qui travaille en famille (Vandercammen, Jospin-Pernet, 2005). Mais, deux caractéristiques supplémentaires sont centrales pour définir le détaillant traditionnel marocain.

Premièrement, le détaillant traditionnel s’approvisionne principalement en fonction des opportunités d’achat qui s’offrent à lui (Ghannam-Zaim, 2002). La demande est d’une importance secondaire dans la gestion des assortiments offerts par le détaillant. Par conséquent, le choix des produits dans le commerce traditionnel se limite souvent à une seule marque par catégorie de produit.

La seconde caractéristique réside dans la politique de prix du commerçant traditionnel. Les prix ne sont ni fixes, ni apparents. Par conséquent, dans l’appareil

commercial traditionnel, les acheteurs sont constamment à la recherche d’informations sur le marché, et le marchandage est une pratique courante. Afin de réduire les incertitudes liées à l’information, les acheteurs et les vendeurs tendent à privilégier des relations stables (Geertz, 1978). Le commerçant traditionnel connaît souvent nominativement la clientèle et il la sert personnellement. Cette connaissance du marché lui permet d’opérer une segmentation de sa clientèle et d’offrir certains services comme la vente à crédit à une clientèle ciblée.

Le commerce de proximité a connu diverses modifications avec une tendance au libre-service dans les pays développés (Vandercammen, Jospin-Pernet, 2005). La situation marocaine est toute autre. Depuis la fin du protectorat en 1956 jusqu’en 1990, les formes traditionnelles de commerce de détail couvraient tout le marché. La mutation de l’appareil commercial marocain survint après cette période. Le Maroc vit naître, dans les grandes villes du moins, une nouvelle forme de distribution qui chahuta le paysage établi. Ce fut le début de la cohabitation du commerce traditionnel avec le commerce moderne sur le marché marocain.

Le supermarché au Maroc

Avec l’implantation du premier hypermarché en 1990 à Rabat, la capitale administrative, ce furent simultanément deux innovations radicales qui apparurent dans l’appareil commercial marocain : une première innovation constituée par le concept d’hypermarché et une seconde innovation constituée par le libre-service. L’hypermarché associait le concept de libre-service à ses trois facteurs constitutifs, à savoir, tout sous un même toit, un parking étendu, et une politique quotidienne de prix faibles (Dupuis, 1998). À ce stade, il paraît important de préciser que les prix

pratiqués par les supermarchés au Maroc ne sont toujours pas inférieurs à ceux des commerçants indépendants. Nous reviendrons sur ce point dans la suite du document.

Contrairement à la France ou à d’autres pays développés, le Maroc accueillit le concept d’hypermarché sans avoir connu le libre-service au travers de points de vente plus petits tels que les supermarchés. Certes de petites supérettes de quartier ont existé mais le personnel était présent à l’intérieur du point de vente pour aider le client à se servir, voir à lui procurer les articles recherchés. Le premier supermarché sur le territoire français s’implanta en 1957 et le premier hypermarché en 1963. Au Maroc, la chronologie est inversée. Le premier hypermarché marocain ouvrit ses portes en février 1990 à Rabat, la capitale administrative du royaume et le premier supermarché n’arriva que 12 ans plus tard, en 2002 à Casablanca, la capitale économique. Actuellement, la grande distribution alimentaire au Maroc se répartit entre 4 acteurs.

Tableau 8: Les quatre acteurs du commerce alimentaire intégré

Nombre de supermarchés Nombre d’hypermarchés Marjane group 30 supermarchés ACIMA 27 hypermarchés MARJANE Groupe Label’Vie 45 supermarchés CARREFOUR 8 hypermarchés CARREFOUR

Ynna Holding - 15 hypermarchés ASSWAK

ASSALAM

BIM 45 magasins de hard discount -

Les innovations radicales entrainent des transformations de comportement. Avec le commerce traditionnel, les acheteurs marocains bénéficient de l’assistance de vendeurs dans un espace réduit et sont confrontés à un assortiment étroit et peu profond. Le premier hypermarché marocain offre brusquement en 1990 un espace de vente de 5 200 m2 et plus de 10 000 références de produits. Par rapport aux commerces de proximité, la surface de vente du premier hypermarché et le nombre de

produits offerts étaient 100 fois supérieurs. L’acheteur marocain qui s’aventurait dans l’hypermarché rencontrait, pour la première fois au Maroc, le libre-service, une surface de vente étendue, un assortiment important de produits et des prix fixes et apparents.

Tableau 9: Caractéristiques du commerce traditionnel et du commerce moderne au Maroc dans le secteur de l’alimentaire

Caractéristiques Commerce traditionnel Commerce moderne assortiment offert - offre spécialisée ou

généraliste - offre restreinte

- offre généraliste

- prédominance alimentaire - large assortiment

produits vendus par unité ou en vrac

vendus par unité

quelques produits vendus en vrac

prix - variables

- non apparents

- fixes - apparents relations vendeur-

acheteur - personnalisées - stables dans le temps

- rôle actif du/des vendeurs au cours du processus d’achat

- contacts humains réduits entre vendeurs et acheteurs

- vente en libre-service

Les caractéristiques particulières des deux formes de commerce ont des conséquences sur les comportements des consommateurs. Par exemple, les travaux de Geertz (1978) appuyés sur ceux de Rees (1971), montrent que la recherche d’information est intensive dans les marchés traditionnels marocains alors qu’elle est extensive dans le commerce moderne. Ils aboutissent à la conclusion que le commerce traditionnel marocain s’apparente au marché des voitures d’occasion. Les produits extrêmement hétérogènes entrainent des problèmes dans la recherche d’information. Dans une démarche classique de recherche d’information, les acheteurs tentent de retrouver et de classer des cas identiques. Dans le processus d’achat d’une voiture de seconde main, les individus ont tendance à analyser chaque voiture séparément. Il s’agit plus d’identifier les caractéristiques d’un cas particulier que de trouver la distribution

traditionnel marocain, l’acheteur doit s’appuyer sur une poignée d’agents et leur poser un nombre important de questions sur l’offre du marché. Au contraire, dans le commerce moderne, l’acheteur a plutôt tendance à entamer une recherche extensive qui consistera en une poignée de questions posées à un nombre important d’agents.

Les différences marquées entre le commerce moderne et le commerce traditionnel auraient pu constituer une barrière forte à l’adoption de l’innovation que représente le supermarché. Pourtant, les supermarchés au Maroc connaissent une croissance forte et soutenue. Marjane Group a enregistré 10% d’augmentation de son chiffre d’affaires en 2012 et espère doubler le chiffre d’affaires au cours des cinq prochaines années. Le plan de développement à 3 ans 2012-2014 prévoit un investissement de 4,8 milliards de dirhams, la création de 20 000 emplois, une surface de vente additionnelle de 90 000 m2 et l’ouverture de plus de 40 magasins – au rythme annuel de 5 hypermarchés, 4 supermarchés, et 4 magasins d’électroménagers (Belghiti, 2012).

Décrire le paysage commercial marocain ne suffit pas à donner une vue holistique du contexte de la recherche. Nous proposons d’entrer par la culture pour appréhender l’environnement marocain. Il est communément admis qu’un pays ne peut se développer sans la participation des femmes. (Newcomb, 2009 ; UNPD, 2005).