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C ULTURE AU M AROC

2. L A CULTURE MAROCAINE

La culture est un concept difficile à définir. En Anglais, elle est l’un des mots des plus compliqués à cerner (Williams, 1976). De manière large, la culture caractérise l’être humain. Selon Geertz (1973), elle différencie l’homme des animaux.

significativement, sans culture, pas d’hommes […] Nous sommes, en fait, des animaux incomplets ou non-finis qui se sont complétés par la culture et pas par la culture en général mais par des formes très particulières de la culture: Dobuan et Javanais, Hopi et Italiens, classes sociales aisées et défavorisées, universitaires et commerciaux. » (Geertz, 1973, p. 49).

La culture représente l’environnement que l’individu considère comme évident, qu’il ne questionne pas. Elle est un « ordre de la vie » (Tomlinson, 1999, p. 18). Elle renvoie à un ensemble de « traits de caractères, habitudes, pratiques, catégorisations,

etc. au sein d’un domaine donné » (Askegaard, Kjeldgaard, Arnould, 2009, p. 101).

Chaque groupe social construit une culture, un système de pratiques, de rituels, de croyances, de valeurs et de significations qui lui est propre. Ce système sert à contrôler les membres de la communauté. Le système culturel installé au Maroc est d’un type qui contraint fortement les comportements des genres grâce à la mise en place d’institutions sociales puissantes. Huit composantes de la culture marocaine ont un impact direct sur la perception des genres (Sadiqi, 2003a) : l’histoire, la géographie, l’Islam, l’oralité, le multilinguisme, le statut économique, le système politique et l’organisation sociale.

L’histoire marocaine est parsemée de divers types de patriarchie. Au cours de chacune de ces périodes, le rôle de la femme fut largement ignoré ou amoindri. Avant la mise en place des protectorats français et espagnol en 1912, la société marocaine était composée par un ensemble de tribus rivales dans lesquelles les femmes n’avaient pas de pouvoir dans l’espace public. À l’indépendance du Maroc en 1956, des intellectuels marocains cherchèrent à construire une identité marocaine (Sadiqi, 2003a). À cette période, la place de la femme commença à être au centre de débats. Elle est d’ailleurs toujours fréquemment invoquée comme un indicateur du niveau de développement du pays et est encore au centre des préoccupations des chercheurs et politiciens qui travaillent à définir l’identité marocaine (Newcomb, 2009).

De manière plus générale, le féminisme incarne l’essence de la modernité dans le monde arabe (Dialmy, 1996). Le féminisme marocain est relativement récent. L’Egypte par exemple, connut un féminisme invisible, dès 1909. En cette année, l’Égyptienne Malak Hifni Nasif écrivait sous le pseudonyme de Bahitat al Badiya – qui signifie la chercheuse de la campagne - en faveur de l’amélioration des conditions de vie des femmes. Son article intitulé al Nisaiyat faisait apparaître pour la première fois un terme équivalent à « féminisme » dans le monde arabe (Glacier, 2007).

Au Maroc, le premier mouvement féministe était du type libéral. Peu après l’indépendance en 1956, il prit la forme d’un phénomène de bourgeois cherchant à améliorer la situation de la femme, en adaptant des valeurs universelles telles que l’égalité et les droits de l’homme au contexte socio-culturel marocain. Mais les intentions n’étaient pas seulement orientées vers la libération de la femme. Elles étaient également un moyen pour les pères d’améliorer leur statut personnel et de « mieux » marier leurs filles (Sadiqi, 2003a). Les discours marocains postcoloniaux affichaient une distinction claire entre les genres et produisirent des idéologies où les femmes étaient reléguées à des positions secondaires, après les hommes.

Des Marocains et des Marocaines œuvrèrent à la naissance du féminisme libéral. Allal al-Fasi, une figure nationaliste, milita pour l’abolition de la polygamie et pour la refonte de la répudiation au travers notamment de son ouvrage intitulé al Naqd Al

Dhaati – l’autocritique – qui fut publié en 1952 au cours de son exil cairote. Les

hommes impliqués dans le féminisme libéral avaient un niveau d’éducation élevé et étaient familiers des pensées occidentales. Les femmes appartenaient aux groupes favorisés de la population marocaine, des groupes où les filles, qui avaient fréquenté l’école, avaient des mères illettrées (Sadiqi, 2003a).

les Nations Unies. Le Maroc a participé à des évènements centrés sur la place de la femme – United Nations Decade for Women – et a signé la Convention pour la fin de la discrimination contre les femmes le 26 août 1993. La Convention to End

Discrimination Against Women consiste en une liste de 30 articles définissant la

discrimination envers les femmes et proposant un agenda destiné aux nations pour mettre fin à ces discriminations. A la signature de la convention, le Maroc avait toutefois émis des réserves quant aux articles relatifs au mariage et à sa dissolution. Depuis les années 1980, le gouvernement marocain soutient le féminisme libéral dans un mouvement vers les droits de la femme dans la famille et dans son travail.

La naissance du féminisme religieux marocain ne fut pas une réaction au féminisme libéral. Il apparut dans les années 1970. Féminisme et islamisme sont deux mouvements qui animent le paysage socio-politique marocain contemporain. Ils sont couramment pensés comme antagonistes bien que des auteurs cherchent à les réconcilier en cherchant dans les textes coraniques une théorie islamique de l’égalité des sexes (Dialmy, 1996). Pour les femmes, le discours féministe religieux est un outil pour réclamer des droits au sein de la loi islamique. Ces revendications permettent aux femmes d’entrer dans ce qui a historiquement constitué un des domaines de l’homme (Sadiqi, 2003a). Mais pour de nombreux Marocains conservateurs, l’Islam ne peut être discuté avec des arguments féministes car il ôte une forme de pouvoir social aux hommes.

Les principales avancées sur la place de la femme dans la société marocaine renvoient à la réforme en 2004 de la moudawana, le code de la famille. Le code de la famille est un texte qui régule l’ensemble des questions relatives à la famille : le couple, le mariage, le divorce, le statut de la femme mariée, l’adoption, la succession. Tous les Marocains y sont soumis à l’exception des Marocains de confession juive qui

répondent à un autre code, celui des règles du statut personnel hébraïque marocain. La nouvelle moudawana remplace l’ancien code du statut personnel et des successions qui datait de 1958 et fut écrit par des intellectuels marocains dont Allal al-Fasi. La réforme de ce code stipule, entre autres, un accès plus difficile à la polygamie et le recul de l’âge de mariage à 18 ans au lieu de 15 ans.

La culture marocaine est collective et se base sur la famille. Toutes les questions du nouveau code concernent par conséquent le quotidien des rapports sociaux. La question de la transmission de la nationalité marocaine par la mère n’était pas comprise dans la moudawana mais elle fut l’objet d’une profonde réforme qui aboutit en 2006. Depuis, la femme marocaine dispose du droit de transmettre sa nationalité à ses enfants.

La position géographique. Le Maroc est un terrain propice pour les échanges culturels grâce à sa position géographique. La perméabilité de ses frontières et les divers groupes qui composent sa population ont facilité une tolérance religieuse, une hétérogénéité culturelle et une complexité linguistique. Comparé à d’autres pays arabes du Moyen Orient, le Maroc est plus ouvert aux changements dans la perception des rôles (Sadiqi, 2003a). Cette flexibilité contrebalance les visions patriarcales rigides et s’accordent avec des perspectives plus modernistes.

L’Islam est un pilier de la culture marocaine. Il fut introduit au Maroc en 712 et conserva depuis sa place de religion officielle de l’état. La constitution définit le Maroc comme une monarchie islamique. Le roi occupe le double rôle de chef du pouvoir exécutif et de commandeur des croyants. Les aspects culturels de l’Islam sont apparents dans de nombreux faits de la vie sociale marocaine tels que les mariages,

les salutations, les naissances, les circoncisions, les funérailles. Dans les actes commerciaux, l’Islam est également présent. Par exemple, à l’achat d’un bien immobilier, les adouls, qui sont des sages religieux, peuvent rédiger une melkia. A la différence du titre foncier qui est un titre juridique moderne, la melkia est un document adoulaire régi par les règles traditionnelles du droit musulman. Mais dans la pratique, peu d’adouls écrivent des actes.

L’oralité est une composante importante de la culture marocaine (Sadiqi 2003a). Cette caractéristique la différencie profondément de la majorité des cultures occidentales. Avant le protectorat, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture s’effectuait exclusivement dans les écoles coraniques dans un but religieux et seuls les garçons pouvaient en bénéficier. Son usage était à vocation religieuse principalement. Ce n’est qu’à l’arrivée des Français en 1912, quand se met en place le protectorat, que commence la généralisation de l’enseignement. Dans la vie quotidienne au Maroc, le discours porte une plus grande importance que l’écrit. La communication est faite principalement oralement. Dans le domaine de l’immobilier, par exemple, deux systèmes cohabitent. Dans le milieu urbain, le titre foncier, un document écrit, est d’usage. En revanche, dans les régions rurales, la majorité des transactions immobilières se fait de manière verbale devant témoins. La place unique de l’oralité au Maroc trouve sa source dans le fait que les deux langues maternelles sont orales. L’Arabe dialectal marocain - appelé Darija - et le Berbère ou Amazigh – qui comporte trois grandes formes de dialectes - ne s’écrivent pas ou peu. Par conséquent, l’oral est un système de communication puissant qui a profondément structuré la manière dont les représentations des rôles culturels sont construits, maintenus et perpétués (Sadiqi, 2003a, 2003b).

La situation linguistique marocaine est complexe (Laroui, 2011). Elle comprend non seulement une variété de dialectes et langues mais elle implique également une série d’oppositions telles que langue maternelle/langue apprises ; langue parlée/langue écrite ; langue prestigieuse/langue non prestigieuse (Sadiqi, 2003a). Au Maroc, aux deux langues vernaculaires – l’arabe dialectal et le berbère -, s’ajoutent l’arabe qui est la langue officielle, le français et l’espagnol. L’anglais est également utilisé mais de manière minoritaire. Les langages utilisés au Maroc n’ont ni le même statut ni la même valeur symbolique.

Le statut économique est une composante de la culture marocaine. La section précédente a présenté les avancées économiques du pays, nous ne revenons pas sur le sujet mais tenons à souligner qu’après l’indépendance du Maroc en 1956, le pays s’est lancé dans un processus de modernisation. Cette stratégie eut pour conséquence d’offrir à certaines femmes un accès à l’emploi rémunéré. Ceci engendra un réaménagement de l’espace publique et privé et le concept de familles élargies vivant sous le même toit fut révisé pour se réduire à une famille nucléaire.

Le système politique est étroitement lié aux hommes dans la société marocaine. Les femmes en sont quasiment absentes, comme le montre l’histoire marocaine. Au début des années 1980, le niveau d’éducation, le développement du marché de l’emploi et l’émergence de valeurs démocratiques permirent aux femmes de gagner en visibilité. Mais elles restent encore largement minoritaires. Seule une femme figure dans l’actuel gouvernement. Le roi Mohamed VI soutient l’émergence de la femme. Son pouvoir suprême est fortement respecté et valorisé dans la culture marocaine (Sadiqi,

2003a). La monarchie marocaine a toujours encouragé ouvertement la présence de femmes dans le développement social et économique du pays depuis son indépendance. À l’issue de la réforme constitutionnelle en 2011, le roi Mohamed VI annonçait l’égalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social culturel et environnemental. L’article 19 de la constitution stipule que l’État marocain œuvre « à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes ». Ainsi, la place des femmes dans la culture marocaine était traditionnellement secondaire. Mais les récents changements sociaux visent à lui donner une importance accrue.

L’organisation sociale est la composante de la culture marocaine qui a le plus d’impact sur la perception et la construction des genres. Les rôles des femmes et des hommes sont clairement définis dans la société marocaine. Le père occupe le rôle de

breadwinner et la mère de la famille est la nourricière du foyer. Ces rôles garantissent

la structure et le fonctionnement de la société. Les rôles des genres sont appris au sein de la famille qui est agnatique et patriarcale. À la tête de la structure familiale, se trouvent le père et la lignée masculine, laquelle est fondée sur des relations de sang4. Les interactions linguistiques quotidiennes traduisent la structure de pouvoir dans la société. Seuls les hommes ont accès à des discours forts qui rappellent ou installent les règles de comportement dans la famille. En présence d’outsiders, il est naturel pour les hommes de s’exprimer en public. Pour les femmes, en revanche, la situation est fort différente. On leur donne le droit de parler, mais leurs mots sont scrupuleusement surveillés (Sadiqi, 2003a).

4 La culture marocaine a une orientation in-group reposant sur des systèmes de parenté basés sur le sang. Le schéma classique familial dans une culture orientée in-group est : un père dominant et orienté vers l’extérieur, une mère protective et orientée vers l’intérieur, des frères et sœurs rivaux dans la famille mais alliés quand comparés aux autres groupes. Par contraste, les cultures orientées out-group

La culture du consommateur influence son comportement. En particulier, le caractère patriarcal d’une culture a souvent été invoqué comme facteur explicatif du rôle dominant des hommes dans les décisions d’achat (Green, Leonardi, Chandon, Cunningham, Verhage et Strazzieri, 1983). Par exemple, les Asiatiques et les Hispaniques sont attachés à des rôles traditionnels (Henthorne, Latour et Matthews, 1995). L’homme campe le rôle de breadwinner et prend en charge les décisions importantes d’achat. Mais il convient de nuancer ces propos. Dans certaines cultures, telles que les cultures chinoises et indiennes, les normes patriarcales sont fortes et inflexibles. Au Mexique, en revanche, le rôle de l’homme dans la décision d’achat tend à se modifier. Une explication tiendrait dans l’évolution de la société. Au fur et à mesure que sont adoptées des attitudes et des valeurs plus égalitaires, la femme occupe une place plus importante dans les décisions familiales (Cooney, Rogler, Hurrell et Ortiz, 1982). Les recherches de Webster en Inde (2000) introduisent un facteur supplémentaire. La culture indienne est d’un type patriarcal, où la forte domination des hommes est nourrie au travers de récits et de textes. Les contes, légendes et poèmes valorisent la dichotomie homme-femme, l’aveugle fidélité à l’époux, les obligations filiales et le respect accordé aux hommes et aux membres plus âgés de la société. Par conséquent, dans la société indienne, l’homme bénéficie d’un pouvoir extrêmement fort. Pourtant, il existe pour la femme indienne la possibilité d’avoir du pouvoir dans les décisions d’achat. Au-delà des facteurs culturels, ce sont les traits de personnalité de la femme qui conditionneraient son influence relative dans les décisions d’achat. Ainsi, la culture n’est pas le seul facteur explicatif des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes mais elle influence l’adoption d’un modèle particulier. L’Inde présente des similarités avec le Maroc dans les rapports entre les genres. Comme nous l’avons présenté, la culture marocaine offre

aux hommes un terrain propice pour le maintien d’un pouvoir fort dans la prise de décision. Mais les travaux de Webster (1997, 2000) permettent d’envisager des changements.

Pour clore cette section, nous revenons sur les quatre points qui ont motivé le choix du Maroc comme contexte général de notre recherche. Tout d’abord, l’appareil commercial marocain vit une période de mutation qui a débuté avec l’arrivée du premier hypermarché dans les années 1990. Deux formes de commerce cohabitent depuis sur le marché marocain, avec une prédominance du commerce traditionnel. Ensuite, le commerce moderne alimentaire présente des caractéristiques fortement distinctes du commerce traditionnel marocain. Les assortiments offerts sont plus généralistes et vastes dans le commerce moderne, les prix sont fixes et apparents et la vente s’effectue en libre-service. L’acheteur marocain devrait donc être confronté à certaines situations critiques d’achat pour lesquelles il ne disposerait peut-être pas a priori de toutes compétences requises par le nouvel environnement.

Puis, le succès de cette forme de commerce auprès des acheteurs se manifeste au travers de la croissance forte de son chiffre d’affaires. Le supermarché est un concept qui plait aux acheteurs marocains. Le supermarché marocain paraît s’imposer comme terrain de la recherche sur les mécanismes développés par l’acheteur pour faire ses courses dans le commerce moderne.

Enfin, la forte dichotomie entre les genres dans les rôles liés à l’achat familial apparaît comme une caractéristique culturelle intéressante pour la recherche sur les compétences de l’acheteur. En effet, les courses ordinaires sont une activité attachée au rôle de la femme dans les pays développés et au rôle de l’homme dans les contextes arabo-musulmans.