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U NE APPROCHE DU SHOPPING PAR LA VALEUR

La valeur est un concept multi facette qui dépendrait du contexte (Dodds and Monroe, 1985). La valeur occupe une place centrale en marketing. Elle peut être abordée selon deux perspectives qui reflètent la dichotomie des économistes entre la valeur d’échange et la valeur d’usage. La valeur d’échange correspond à la valeur globale d’un produit. Elle renvoie à l´évaluation globale de l’utilité d’un produit en se basant sur les perceptions de ce qui est reçu et donné (Zeithaml, 1988). Cette conception

s’inscrit dans l’échange et résulte du rapport entre les bénéfices et les sacrifices perçus (Monroe et Krishnan, 1985).

La valeur d’usage est une valeur de consommation et est donc attachée aux expériences de consommation ou de possession (Aurier, Evrard et N’Goala, 1998). Elle se définit comme une préférence relative qui caractérise l’expérience d’un individu qui interagit avec un produit (Holbrook et Corfman, 1985). Cette approche est issue du courant expérientiel (Holbrook et Hirschman, 1982) où la valeur ne se justifie ni par les caractéristiques de l’objet ni par les caractéristiques de l’individu mais elle est le résultat de leur interaction (Holbrook, 1999).

Les deux dimensions de la valeur se retrouvent dans le shopping. De manière générale, les valeurs utilitaire et expérientielle du shopping permettent de capturer la dualité de la récompense que l’on retrouve dans la plupart des comportements humains (Babin, Darden et Griffin, 1994). Elles illustrent la distinction entre le fait d’agir « pour obtenir quelque chose » et le fait d’agir « parce que l’on aime » (Triandis, 1977). Les deux types de valeurs sont utiles pour représenter les récompenses associées au shopping.

Le comportement d’un consommateur utilitaire a été décrit comme un comportement rationnel, orienté vers la résolution d’un problème (Engel, Blackwell et Miniard, 1993). La conception du shopping comme activité utilitaire est fortement influencée par la théorie économique. Selon cette perspective, l’objectif du shopping se réduit à la satisfaction d’un besoin. L’objectif est donc principalement instrumental. L’acheteur utilitaire s’approvisionne en produits ou services dont il a la nécessité en suivant un processus de délibération efficient (Babin et alii, 1994). Le consommateur

ne sort satisfait de son expérience de shopping qu’à la seule condition d’avoir trouvé ce qu’il cherchait. Ses achats représentent une récompense. Ce processus est à l’origine de la notion de valeur instrumentale du shopping.

Certaines séances de shopping sont d’ailleurs décrites par les consommateurs avec des termes communément utilisés pour évaluer la performance d’une tâche (Babin, et alii 1994 ; Remy, 2011 ; Sherry 1990 ; Thompson, Locander et Pollio, 1990). Dans leur recherche auprès des ménagères américaines, Thompson et alii (1990) associent les choix « judicieux » d’un consommateur à l’affirmation de « compétences

personnelles » et à un « succès dans la vie de tous les jours » (Thompson et alii,

1990, p. 360). Ils soulignent la sensation de « soulagement » (Thompson et alii, 1990, p. 354) qu’éprouvent les ménagères quand elles peuvent partager ou se dégager de la responsabilité de la prise de décision. Par ailleurs, l’attention et le soin porté à certains achats dévoilent la perfection recherchée, le désir de bien faire les choses et la conviction qu’il est possible de faire un achat parfait si elles disposent des connaissances nécessaires. Le succès, le sentiment d’accomplissement ou le soulagement laissent entendre que le shopping utilitaire est un travail à réaliser, une tâche que les consommateurs sont heureux d’achever (Babin et alii ,1994).

Il n’est donc pas surprenant que les recherches sur le shopping utilitaire dévoilent les tentatives d’optimisation des contraintes temporelle, spatiale et monétaire développées par les consommateurs. Le choix du point de vente est en ce sens parlant. Les consommateurs utilitaristes se dirigent vers des magasins qui leur permettent d’acquérir des produits ou services en un minimum de temps et d’argent. Ils choisissent les magasins qu’ils visitent de manière rationnelle en suivant une approche

coûts-bénéfices (Lombart, 2004). Or, la résolution d’un problème de maximisation du niveau d’utilité sous contraintes est source de satisfaction pour le consommateur. En effet, si le shopping utilitaire est envisagé comme un travail à réaliser, il convient de rappeler que l’accomplissement d’un travail complexe et délicat est un acte gratifiant pour le consommateur. C’est l’une des raisons qui expliquent pourquoi la satisfaction du consommateur peut augmenter avec la difficulté de l’expérience vécue. Fischer et Arnold (1990) rapportent par exemple que les femmes éprouvent un niveau de satisfaction plus élevé si le chemin à parcourir pour faire les courses de Noël est fastidieux. Les femmes sont très investies dans le shopping pour Noël qui incarne pour elles un devoir à accomplir. Leurs époux, au contraire, sont plus détendus face à cette tâche ; certains y voient même un jeu. Les valeurs attribuées au shopping de Noël diffèrent donc selon les genres. La valeur que les femmes attachent aux courses de Noël dépend des obstacles rencontrés, lesquels renvoient au « côté sombre » du shopping (Babin , Darden et Griffin, 1994 ; Fischer et Arnold, 1990).

Pour conclure, les acheteurs utilitaires sont généralement indifférents, voire même ils n’aiment pas faire du shopping (Lombart, 2004). Le shopping utilitaire est attaché à un vécu peu agréable, (Pinson et Jolibert, 1997), il est perçu comme autant de « corvées » (Falk et Campbell, 1997). Le shopping en ce sens est un « enfer » (Guiry et Lutz, 2000, p. 5).

Mais le shopping peut également être envisagé comme une activité agréable. En 1972, Tauber décrivait aussi le shopping comme « une opportunité de divertissement dans

la routine de tous les jours et représente une forme de récréation » (Tauber, 1972, p.

47). Le shopping récréationnel rassemble à la fois les coûts, que la conception utilitaire visait à diminuer, mais également les bénéfices intangibles et émotionnels

qu’il est nécessaire de prendre en compte pour appréhender pleinement le shopping (Holbrook, 1986 ; Babin et alii, 1994). La conception récréationnelle du shopping n’avait guère retenu l’attention des chercheurs jusqu’au début des années 1980. Mais Holbrook et Hirschman (1982) proposent en 1982 un schéma général de la consommation mettant en évidence les différences entre une approche centrée sur la résolution d’un problème et une perspective expérientielle. Ils opposent l’achat à l’usage, les décisions d’achat à l’expérience de consommation et les choix aux activités. Ils opposent les deux conceptions de la consommation : l’une est expérientielle, et renvoie à l’amusement, la joie et le plaisir ; la seconde conception est centrée sur la manipulation de l’information et comprend la consommation selon sa fonction, ses résultats et sa finalité.

Sous l’angle de la valeur, la dimension hédoniste extraite de l’activité de consommation est reconnue comme étant plus subjective, personnelle et résulte de plus d’amusement et de joie que la conception utilitaire qui se résume à l’accomplissement d’une tâche (Bourgeon et Filser, 1995 ; Holbrook et Hirschman, 1982 ; Sherry 1990). Il en résulte une augmentation de l’excitation, de l’implication, de la liberté perçue. Par la consommation, l’individu échappe à sa vie quotidienne et entre dans un monde imaginaire (Bloch et Richins, 1983 ; Hirschman, 1983). Ce processus peut avoir lieu sans que le consommateur ait procédé à l’achat. Dans cette perspective, le shopping avec ou sans achat est une source de valeur hédonique. Plusieurs auteurs ont observé ce phénomène dans une variété de contextes. Fischer et Arnold (1990) se sont intéressés aux émotions éprouvées par les acheteurs au cours des achats des cadeaux de Noël. Ces derniers se décrivent « comme un enfant dans un

parce qu’au fond d’eux ils sont encore des enfants. Babin et alii (1994) évoquent un individu qui apprécie faire du shopping parce que les courses lui permettent « d’oublier [ses] problèmes » (Babin et alii, 1994, p. 646). Sherry (1990) note que, dans un marché aux puces, le marchandage est une source indéniable de plaisir, qui dépasse le plus petit gain économique. La recherche d’expériences hédoniques peut donc être bien plus signifiante que la simple acquisition de produits (Sherry, 1990). Dans un magasin, l’acheteur se promène, se détend, interagit avec le personnel et nourrit une vie sociale (Filser, 2001).

Il existe donc une dualité dans la conception du shopping. Le shopping est à la fois un processus de recherche d’informations centré sur l’acquisition de biens, mais il est aussi une recherche de loisir, de détente ou d’amusement. Dans la première conception, le shopping est assimilé à un travail, dans la seconde, il est considéré comme un loisir. Le tableau comparatif de Falk et Campbell (1997) permet de visualiser l’opposition des caractéristiques du shopping utilitaire au shopping récréationnel.

Tableau 2: Caractéristiques du shopping

Shopping corvée - utilitaire Shopping plaisir - récréationnel Economiser le temps Dépenser du temps

Un moyen Une fin en soi

Implique toujours de faire des achats N’implique pas de faire des achats

Planification Impulsivité

Satisfaction réaliste des besoins Rêverie et hédonisme

Être aussi efficace que possible L’efficacité n’est pas importante

Nécessité Plaisir

Une routine parmi d’autres Sortir de la routine quotidienne Valorisation de la rationalité Valorisation de l’expérience

Sérieux Ludique