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S ECTION 1 : D EFINIR LE CONCEPT DE COMPETENCE

4. L ES COMPETENCES DU CONSOMMATEUR

Bien que le concept occupe une place centrale en comportement du consommateur, la recherche sur les compétences est relativement récente (Aubert, 2007 ; Lachance et Choquette-Bernier, 2004). Les travaux principaux la lient aux ressources du consommateur. Dans le domaine de la recherche stratégique, les premières recherches faisant allusion à la compétence datent des années 1980. Elles font intervenir la notion de ressource en tant qu’élément incontournable pour le développement de la compétitivité de l’entreprise. Les ressources de l’organisation constituent les bases de l’avantage compétitif d’une entreprise. Elles sont le socle de l’entreprise. Mais elles sont rares, valorisables, non substituables et inimitables (Barney, 1986, 1991).

Pendant de nombreuses années, la logique dominante du marketing et de la stratégie des organisations était centrée sur l’échange de ressources tangibles. En 2004, Vargo et Lusch proposaient une nouvelle approche du marketing. Ils proposèrent d’adopter une nouvelle logique centrée sur des ressources intangibles, la co-création de valeur et les relations entre les acteurs de l’échange. Cette orientation du marketing privilégie les services et offre une place centrale à la notion de ressources.

Selon une approche Malthusienne, les ressources renvoient aux ressources naturelles sur lesquelles les êtres humains s’appuient pour se développer et vivre. Ces ressources sont essentiellement statiques, elles doivent être capturées pour en tirer un quelconque bénéfice. Or, les ressources sont aussi des fonctions intangibles et dynamiques de l’ingéniosité humaine. Selon l’approche de Vargo et Lusch, « les ressources ne sont

pas ; elles deviennent » (Vargo et Lusch, 2004, p. 2). Il existe deux types de

ressources : les ressources opérandes et les ressources opérantes.

Les ressources opérandes sont des ressources sur lesquelles il est possible d’effectuer une opération. Elles sont en générales matérielles. Les ressources opérantes sont utilisées pour agir sur des ressources opérandes. Elles regroupent les savoirs, les valeurs et les idéologies (Vargo et Lusch, 2004).

Le concept de ressource commença à intéresser un petit nombre de chercheurs en marketing au cours de la dernière décennie. Ces auteurs, qui voient le consommateur comme un collaborateur potentiel, ont développé une approche connue sous le nom de marketing collaboratif (Cova et Cova, 2012). Cette perspective approche le consommateur comme un agent actif dans la création et la détermination de la valeur, qui ne se contente pas de consommer passivement les produits qui lui sont proposés. Le marketing collaboratif souligne le travail conjoint des consommateurs et des

entreprises. Firat et Dholakia (2006) notent d’ailleurs que le marketing est l’activité de tout un chacun et que le consommateur est un marketeur. Cette vision est partagée par les chercheurs appartenant au courant de la Consumer Culture Theory (Arnould et Thompson, 2005), lesquels ont développé le concept de la consumer agency. Les consommateurs participent à la création de valeur en déployant leurs ressources et en s’appuyant sur les ressources offertes par l’entreprise (Arnould, 2005).

Les ressources opérandes du consommateur sont des ressources économiquement constituées par le consommateur (Arnould, Price et Malsche, 2006). Il s’agit notamment du revenu, de la richesse, d’objets matériels et d’espaces physiques. Les ressources opérantes du consommateur sont de trois types. Elles peuvent être physiques, sociales, ou culturelles (Arnould et alii, 2006).

Les ressources physiologiques sont les ressources de l’organisme pour fonctionner. L’habileté motrice, ou intellectuelle en font partie. Les ressources sociales offrent au consommateur la possibilité de trouver au sein de son environnement, les relations familiales, amicales et professionnelles ou encore des réseaux en ligne (McDonald et Uncles, 2007) qui l’appuient dans ses actes de consommation. Les ressources culturelles relèvent de la compréhension, des valeurs et des significations que l’individu attache au monde. Il s’agit en fait d’une habileté à appréhender l’environnement.

C’est par un mécanisme dynamique que le consommateur intègre certaines de ses ressources propres et des ressources fournies par l’entreprise. Dans ce processus, les capacités du consommateur à intégrer ces ressources sont centrales (Carú et Cova, 2011) et renvoient aux compétences du consommateur. La figure 3 ci-dessous illustre les mécanismes d’utilisation de ressources.

Figure 3: Les ressources opérantes et opérandes du consommateur

D’après Arnould, Price et Malsche (2006)

Le consommateur utilise un ensemble de ressources qui relèvent d’un double équipement : l’équipement incorporé à sa personne, c’est à dire ses ressources culturelles ou physiologiques, et l’équipement de son environnement, composé de relations familiales, amicales, des communautés de consommateur mais aussi des ressources mises à disposition par les opérateurs du marché. Le consommateur intègre ces deux formes de ressources de manière à réaliser ses objectifs personnels (Cova, Louyot-Gallicher et Bonnemaizon, 2010). Ces projets consistent en construire leur identité sociale et personnelle (Arnould et alii, 2006), démontrer des orientations de styles de vie (Holt 1997), articuler ou générer des identités individuelle, de genre de race ou de communauté (Kates, 2002), sceller des catégories culturelles (Applbaum et Jordt, 1996) ou réaliser ses rêves (Sherry, 1998).

ressources sociales relations familiales communautés de marque tribus de consommateurs relations commerciales ressources culturelles savoir et savoir-faire spécialisés attentes et histoire de la vie imagination ressources physiques habileté sensorimotrice énergie émotions force

consommateur

opérante opérande

objectifs

projets de vie rôles de vie

capacités autoritaires capacités allocatives

économie

objets matériels espaces physiques

Un corpus récent de recherches culturelles rassemble les expériences vécues par des consommateurs dans les points de vente qui toutes montrent que les consommateurs trouvent dans les points de vente des ressources (Arnould, 2005 ; Borghini, Diamond, Kozinets, McGrath, Muñiz et Sherry, 2009 ; Hayto and Baker, 2004 ; Kozinets, Sherry, Storm, Duhachek, Nuttavuthisit et Deberry-Spence, 2004). Ces ressources sont suffisamment diverses pour mériter un développement. À titre d’exemple, Haytko et Baker (2004) montrent comment les adolescentes utilisent les centres commerciaux pour atteindre des objectifs sociaux. Elles y retrouvent des pairs, font des connaissances, échangent avec des employés de magasins. Se faisant, elles développent leurs ressources sociales. Le shopping n’est qu’un élément secondaire dans de nombreuses visites de centres commerciaux.

Dans leur recherche sur les courses de Noël, Fischer et Arnold (1990) montrent combien de temps et d’énergie les femmes consacrent aux préparatifs de Noël. Ces séances de shopping renforcent leur orientation traditionnelle de genre, leur identité et leurs ressources sociales.

Quand de multiples générations de femmes descendent dans le American Girl Place à Chicago, elles assimilent des ressources culturelles d’ordre général. Le American Girl Place est un point de vente sur trois étages qui sert autant d’attraction touristique que de point d’intérêt pour les locaux (Borghini et alii, 2009). Au sein de l’American Girl Place, les acheteuses renforcent ou acquièrent les valeurs de la famille modèle américaine et les normes d’une féminité vertueuse. Le point de vente offre l’éventail complet des interactions entre trois générations de femmes. Cette offre permet de créer des liens émotionnels et historiques pour toutes les générations de femmes au sein d’une même famille. Les grands-mères par exemple apprécient la reproduction d’espaces domestiques appartenant à différentes périodes. Elles peuvent ainsi

participer aux conversations des générations plus jeunes. Elles racontent leurs souvenirs. Le salon de coiffure pour les poupées est un espace où les filles échangent sur les valeurs féminines. Elles retrouvent d’autres filles avec lesquelles elles partagent la même culture de femmes. Elles construisent une communauté en évoquant et en reproduisant l’atmosphère d’un salon de coiffure réel. Pour les mères, les poupées sont des symboles de boucliers qui protègent leurs filles de la culture actuelle. L’atmosphère qui règne dans le point de vente ajoute de la valeur en renforçant les liens familiaux. Au travers des résultats de leurs recherches, Borghini,

et alii (2009), Haytko et Baker (2004) ou Fischer et Arnold (1990) montrent comment

les ressources du point de vente sont utilisées pour reproduire les rôles et les normes traditionnellement associés aux genres. De manière générale, les travaux qui explorent les activités des consommateurs dans les points de vente dans une perspective culturelle montrent que les comportements de consommation tendent à préserver et à perpétrer les normes associées aux genres (Otnes et Zayer 2012).

Dans son article intitulé Animating the Big Middle, Eric Arnould (2005) souligne que les distributeurs aident les consommateurs à atteindre leurs objectifs en leur offrant des ressources culturelles. Il propose une catégorisation de ces ressources culturelles et les divise en ressources économiques, utopiques, ludiques et temporelles. Le point de vente offre des ressources culturelles économiques quand il facilite la poursuite de projets personnels organisés autour de schémas culturels associés à la frugalité, l’économie, la valeur de l’argent mais aussi le luxe. Les ressources utopiques sont les ressources qui permettent au consommateur de s’imaginer dans un monde utopique, une réalité parfaite et ramène ce rêve dans la vie de tous les jours. Le point de vente offre des ressources ludiques quand il facilite la

poursuite du jeu. Ces ressources engagent des activités gratifiantes et créatives qui peuvent être à la fois autocentrées ou interpersonnelles. Enfin, le distributeur offre des ressources temporelles quand il facilite l’activation des styles de temps désirés par le consommateur, soit en accélérant le processus, soit en offrant un slow time.

Les ressources culturelles proposées par les distributeurs sont valorisables à partir du moment où elles permettent aux consommateurs de configurer leurs rôles sociaux (Arnould, 2005). Mais les consommateurs ne peuvent parvenir à réaliser les valeurs potentielles contenues dans les ressources de l’entreprise s’ils ne disposent pas des compétences requises, c’est à dire s’ils ne parviennent pas à mobiliser de manière efficiente les ressources requises par la situation de consommation. Or, des chercheurs en psychologie ont montré que les individus ne pouvaient apprécier et tirer profit des significations d’un contexte particulier s’ils ne disposaient pas des compétences et ressources nécessaires (Scribner et Cole, 1981). Il convient à ce stade de s’interroger sur les mécanismes qui permettent au consommateur d’utiliser les ressources offertes par le contexte lorsqu’il ne dispose a priori ni des ressources personnelles ni des compétences adaptées à ce contexte particulier.