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L’articulation entre photographie conceptuelle et photographie expérimentale

C’est ainsi que, au même moment, pour la première fois dans l’histoire de la photographie403, quatre photographes entreprennent séparément de questionner leur médium de manière analytique, et cela sans apparente

401 Siegel Steffen, “Die selbstbewusste Fotografie. Bildgeschichte der Fototheorie seit den 1960er Jahren”, Fotogeschichte, n°129, 2013, p.3-4, en ligne : <http://www.fotogeschichte.info/index.php?id=678&L=10D0A#c1278>, consulté le 4 mars 2015 [« La Photographie auto-consciente. Histoire illustrée de la Théorie Photographique depuis les années 1960 »].

402 Stoichita Victor I., L’Instauration du Tableau, Métapeinture à l’aube des temps

modernes, Genève, Droz, 1999.

403 David Campany a toutefois très justement fait remarquer, dans sa communication “Photography and its own condition” lors du colloque sur Ugo Mulas au Centre Pompidou le 11 mai 2011 (annexe B24), que cette pensée analytique sur la photographie avait déjà existé, sous des formes différentes, au moment de l’invention de la photographie au milieu du XIXe siècle.

148 concertation entre eux404. Ils travaillent selon des approches assez similaires, faisant varier systématiquement certains paramètres de la prise de vue, en observant les résultats, et les présentant sous forme de grille ou de tableau, comme dans une expérimentation scientifique. Ils agissent de manière froide, austère et sans subjectivité, ils ne se préoccupent pas, ou peu, du sujet photographié, mais bien davantage du dispositif photographique, de l’apparatus. De plus, Dibbets, Hilliard et Rautert donnent à leurs œuvres des titres qui ne sont que des descriptions du processus suivi afin de les réaliser, dans la lignée des artistes conceptuels. Pour eux, contrairement aux autres photographes conceptuels, le dispositif photographique n’est pas un donné, un simple médium, mais il est l’objet même de leur investigation. On pourrait dire, pour reprendre une formule de Michel Poivert dans un contexte différent405, qu’ils sont les premiers à être passé du corpus à l’opus. C’est aussi cela qui les distingue des mouvements allemands de la photographie concrète et de la photographie

404 Timm Rautert nous a indiqué (courrier électronique du 1er mars 2015) qu’il connaissait le travail de Jan Dibbets mais qu’il ne se souvient plus de quelles œuvres spécifiques il avait alors eu connaissance [“Dibbets has been the only artist I had seen during that time. But I don´t remember which of his work I saw”]. Lors de notre entretien, John Hilliard nous a dit qu’en 1971, il n’avait pas connaissance des travaux de Mulas, et que, d’autre part, quand, des années plus tard, il rencontra Antonia (Nini) Mulas, celle-ci lui dit que son mari ne connaissait pas le travail de Hilliard. John Hilliard nous a aussi indiqué ne pas connaître alors le travail de Dibbets, mais John Dibbets a fait le 19 avril 2013, lors d’un entretien téléphonique avec Sharon Boothroyd pour le magazine en ligne This is Tomorrow [ <http://thisistomorrow.info/articles/an-interview- with-jan-dibbets>, consulté le 20 février 2015], cette déclaration qui pourrait concerner Hilliard : «J’ai réellement développé un concept pour penser la photographie [avec Perspective Corrections]. Alors on m’a imité. Un étudiant à Saint Martin’s qui jusque là avait fait d’énormes sculptures colorées en plastique a vu mon travail et a commencé à faire des pièces à propos de la vitesse d’obturation. » [“I really developed an idea about thinking about photography. Then came the imitator. A student at St [sic] Martin’s who previously made enormous plastic colour sculptures saw my work and started making works about shutter speed”].

405 À propos du travail d’Éric Rondepierre, passant du cinéma au film, des pellicules à son œuvre propre. Voir la préface de Poivert Michel, « L’enfant sauvage ou le dernier des cinéphiles », dans Rondepierre Éric et Milly Julien, Le

149 générative, comme le note Gottfried Jäger406 à propos de Rautert, de Hilliard et de Mulas. On peut donc considérer ces travaux comme le passage d’une photographie conceptuelle, dont les autres représentants étaient restés éloignés des spécificités photographiques, à ce que nous définissons ici comme une photographie expérimentale.

Danièle Méaux inscrit la recherche de ces artistes dans la lignée de la pensée de Flusser, car, pour elle, ils restreignent le champ du photographiable :

« Au lieu d’envisager le caractère procédural et contraint de la prise de vue comme une entrave, un certain nombre de photographes (ou d’artistes) contemporains décident au contraire de penser l’ensemble de leur démarche créatrice sur le modèle d’une procédure contrainte dont ils attendent le résultat : aux contraintes de la machine, ils en ajoutent d’autres, consciemment élues; […] ces praticiens optent pour une

restriction consciente du champ des possibles, dont ils font un exercice de

liberté et un outil exploratoire407».

Outre leur recherche de liberté, on peut en effet percevoir chez ces artistes une forme de scepticisme envers la machine, une remise en question de l’apparatus, s’inscrivant, selon l’historienne de la photographie autrichienne Monika Faber, dans un contexte historique de scepticisme : « La conviction qu’il était possible de créer des images "internes" ou qu’une machine programmée par l’homme pouvait le faire fit place, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, à

406 Jäger Gottfried, Concrete Photography, Bielefeld, Kerber, 2005, p.24-26, p.250- 251.

407 Méaux Danièle, « Restreindre le champ du photographiable », dans Arrouye Jean et Guérin Michel (dirs.), Le photographiable, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2013, p. 111. Danièle Méaux mentionne Dibbets, Hilliard et Mulas dans son essai, mais pas Rautert.

150 une approche sceptique du médium408. » De même, le professeur à Goldsmiths Matthew Fuller, dans son essai The Camera That Ate Itself409, établit clairement un lien entre la pensée de Flusser, et en particulier son concept de programme, et les travaux de Dibbets et de Hilliard (il ne mentionne ni Mulas ni Rautert) : il note ainsi que la pièce de Hilliard Camera Recording… est un « sous-ensemble (vitesse et ouverture) du programme installé dans l’appareil qui est mis en relation avec l’extérieur410 » et qu’elle est la plus intéressante car, contrairement aux travaux de Dibbets ou à d’autres pièces de Hilliard (comme 60 Seconds), elle est autoréflexive411 et « parvient à l’autoréférentialité mais que, ce faisant, elle s’éventre elle-même : cette autonomie est une utopie suicidaire.412 » Ajoutant de manière provocatrice que ces photographies sont « vraiment ennuyeuses », le résultat d’une « maussade routine académique »413 délibérée jusqu’à l’épuisement, il met l’accent sur l’absence de volonté de représentation du monde réel dans ces photographies, comme une remise en cause du postulat représentationnel de l’apparatus photographique. Fuller replace par ailleurs ces travaux dans le contexte de la ‘crise de l’objet’ dans l’art et du développement de l’art conceptuel.

Ces travaux en 1970-71 ont marqué une véritable rupture tant avec la tradition représentationnelle de la photographie qu’avec la photographie conceptuelle

408 “The belief that it is possible to create “inner” pictures of for a machine programmed by creative man to do so yielded, in the late sixties and early seventies, to a skeptical approach to the medium”, Faber Monika, “The Disappearance of the Object”, dans Horak Ruth (dir.), Rethinking Photography

(II), Salzbourg, Fotohof, 2003, p.210. Dans ce texte Monika Faber mentionne

Mulas et Hilliard, mais ni Dibbets ni Rautert.

409 Fuller Matthew, “The Camera That Ate Itself”, Flusser Studies, n°4, mai 2007,

en ligne:

<http://www.flusserstudies.net/sites/www.flusserstudies.net/files/media/atta chments/fuller_the_camera.pdf>, consulté le 21 février 2015.

410 “… a particular set of the programs (speed and aperture) embedded within the camera, coming into combination with the outside.”, Ibid., p.30.

411 “(It has) the advantage of being explicitly reflexive of its apparatus. That is, it feeds the camera back through itself”, Ibid., p.21.

412 “A Camera Recording... however, achieves self-referentiality, but in the process, disembowels its 'self'. Such autonomy is a suicidal utopia”, Ibid., p.26- 27.

151 elle-même, en étant les premiers (au XXe siècle) à questionner l’ontologie même de la photographie, et on peut les considérer comme ayant ouvert la voie à ce que nous avons défini ici comme la photographie expérimentale contemporaine. Mais on ne saurait pourtant affirmer qu’ils ont directement influencé les photographes expérimentaux des quarante années suivantes. Tout d’abord, Rautert a ensuite poursuivi une carrière de photographe documentaire assez classique – même s’il est sans doute symptomatique que son travail le plus connu, sur les Amish, porte sur des personnes refusant a priori la photographie – ; quant à Dibbets et Hilliard, ils se sont tous deux ensuite tournés vers des travaux davantage liés à la remise en question de la représentation, à la perturbation de la perception, et moins directement à l’ontologie photographique et à la remise en cause de l’apparatus. De ce fait, leurs travaux de 1971, s’ils étaient connus, ont rarement été perçus par d’autres artistes comme une étape majeure, à l’exception d’élèves de John Hilliard à Saint Martin’s School of Art, comme par exemple Lindsay Seers (voir chapitre 2.9) ou Laura Medler (voir chapitre 2.6), qui sont parmi les rares à le citer parmi leurs influences. Dibbets est en général perçu par ces photographes de manière encore plus marginale, davantage comme un artiste conceptuel que comme un photographe. Par contre, les Verifiche semblent avoir eu un impact nettement plus important, elles ont été plus largement connues, et nombreux sont les artistes qui reconnaissent aujourd’hui leur dette envers Mulas. On peut formuler plusieurs hypothèses sur cette influence : d’abord les Verifiche ne sont pas une série occasionnelle, mais forment un corpus cohérent de plusieurs pièces accompagnées d’un texte programmatique ; en plus de leur évidente appartenance à la recherche conceptuelle de Mulas, elles se trouvent au confluent de sa pratique documentaire et artistique et de l’histoire de la photographie ; l’artiste, qui avait une vingtaine d’années de plus que Dibbets, Rautert et Hilliard, est en effet le seul des quatre à avoir eu auparavant une pratique photographique importante et reconnue. Son travail conceptuel a donc été l’aboutissement de toute son expérience photographique, et non pas une exploration temporaire parmi d’autres. Enfin cette série de Mulas a sans doute aussi bénéficié d’une aura un peu particulière, due au fait que, réalisée peu avant son décès, elle a souvent été perçue comme son testament.

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Un prolongement conceptuel contemporain : Bonillas et Le

Minh

Ces recherches à la croisée de la photographie conceptuelle et de la photographie expérimentale, utilisant les codes conceptuels pour développer un questionnement de l’apparatus photographique, se prolongent de nos jours dans les travaux de quelques artistes contemporains. Nous citerons d’abord pour mémoire une forme de négation de la photographie, se traduisant par un refus de prendre des photographies, une forme de rébellion contre l’apparatus qui, pour certains artistes, va jusqu’à un questionnement radical de la photographie même414. Nous pouvons aussi établir un lien évident entre les recherches mentionnées ci-dessus et celles de Franco Vaccari, qui sont exposées dans le chapitre 2.10. Mais ce sont surtout deux artistes contemporains que nous souhaitons présenter ici, dans la lignée de ces quatre pionniers. Certes, contrairement aux autres artistes inclus dans ce corpus, ils pratiquent la photographie numérique, mais leur propos nous a paru suffisamment pertinent pour mériter d’être pris en compte dans notre recherche afin d’éclairer ce questionnement de l’ontologie photographique.

L’artiste mexicain Iñaki Bonillas (né en 1981), qui dit avoir été influencé par John Hilliard et Michael Snow (mais ne connaissait pas Ugo Mulas415), explore les limites de la photographie dans un travail qui n’est pas de photographie, mais sur la photographie, un travail méta-photographique : une de ses premières expositions, en 1998, dans le cadre du festival Fotoseptiembre à Mexico, portait sur le bruit des appareils photographiques, le paradoxe d’un

414 Voir en particulier Grimalt Benoît, 16 photos que je n’ai pas prises, Paris, Poursuite, 2013, et Steacy Will (dir.), Photographs Not Taken, Hillsborough, Daylight, 2012 ; on pourra aussi lire notre article sur ce sujet : Lunettes Rouges (pseudo) [Marc Lenot], Les photographes qui ne prennent pas de photos, 27 décembre 2014, en ligne: <http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2014/12/27/les- photographes-qui-ne-prennent-pas-de-photos/>, consulté le 28 février 2015. 415 Entretien avec l’artiste, Arles, juillet 2011 (annexe B5).

153 document audio rendant compte d’un appareil visuel416. Une autre, Trabajos

fotográficos (Travaux photographiques), est une documentation de la ‘syntaxe’

des différents paramètres de la prise de vue photographique et du développement, ce qui constitue en quelque sorte un éloignement de l’image au bénéfice du processus : par exemple, Bonillas confia le même négatif, simple photographie d’une carte monochrome cyan, à chacun des cinq laboratoires de Mexico en mesure de faire des tirages manuels, et présenta côte à côte les cinq tirages différents417. Certaines de ses pièces sont inspirées par les archives photographiques de son arrière-grand-père (réel ou fictif), J.R. Plaza418, et son exposition aux Rencontres d’Arles en 2011, que nous allons analyser, est particulièrement emblématique de son travail.

Cette exposition titrée Double Clair-Obscur était basée sur une photographie, un petit portrait des années 40 représentant son arrière-grand-père, lequel tirage avait été autrefois recouvert d’une grille au crayon, mise au carreau devant sans doute faciliter une reproduction au fusain. Dans ce portrait, le visage est clair à gauche de l’image et sombre à droite, alors que le fond est clair à droite et sombre à gauche : ce déséquilibre lumineux entre zones sombres et claires, d’ombre et de lumière a intrigué l’artiste. Il partit d’abord des 104 carreaux délimités sur la photographie, imprima chacun séparément, et ordonna ces 104 tirages selon un simple principe de gradation : du plus clair (en haut à gauche) vers le plus obscur (en bas à droite). L’image initiale était toujours là, dans sa matière, dans sa texture, son ADN en quelque sorte, mais, ainsi décomposée et réduite à sa seule valence de lumière, elle n’était plus visible. L’étape suivante consista à réaliser 52 cadres, chacun ne comportant que deux carreaux, l’un sombre et l’autre clair, l’un de plus en plus en clair de cadre en cadre, et l’autre de plus en plus sombre ; le cadre final comportait donc deux carreaux de

416 Entretien de l’artiste avec Roelstraete Dieter, Bruxelles, août 2003, en ligne: <http://www.projectesd.com/images/uploads/Dieter_Roelstraete_talks_with _Iaki_Bonillas_engl.pdf>, consulté le 28 février 2015.

417 Cirauqui Manuel, “Iñaki Bonillas”, dans Variantes Discursivas. Colección

MUSAC III, Barcelone, ACTAR, 2010, en ligne: <http://www.projectesd.com/images/uploads/Manuel_Cirauqui_Text_catalo gue_MUSAC_collection_2010.pdf>, consulté le 28 février 2015

154 valence grise égale. Et, dans chacun de ces cadres, chaque carreau était à la place originale qu’il occupait dans le portrait initial ; si on avait pu superposer en transparence ces 52 fractions de l’image initiale, on aurait obtenu le portrait initial (Image 15). Ensuite, un film 16 mm montrait l’apparition progressive des 104 carreaux, d’abord le carreau le plus sombre, à sa place originelle, puis le suivant, et ainsi de suite ; ainsi, peu à peu le portrait apparaissait progressivement, carreau après carreau, il se laissait deviner, recomposer par l’esprit jusqu’à ce que, un bref instant, il soit là dans son entièreté, reconnaissable, complet. Puis les carreaux se défaisaient, dans l’ordre inverse, pour revenir au fond blanc : l’image en mouvement ne peut être qu’un palliatif éphémère à la disparition, un instant à saisir au vol. La pièce finale était un dessin recomposé à grande échelle du portrait de l’aïeul, tout à fait reconnaissable : l’artiste avait confié une par une les photographies de chacun des 104 carreaux à un dessinateur en lui demandant de les reproduire sans lui dire de quoi il s’agissait et sans lui permettre d’avoir une vue d’ensemble. Le dessinateur, confronté à cette énigme visuelle, avait cru y voir des vues marines, des vagues photographiées depuis un surplomb, et les avait interprétées dans ce sens. Mais, en quelque sorte à son insu, cette procédure non photographique, non informée, aveugle, avait néanmoins réussi à reproduire l’image originelle de manière réaliste, reconnaissable, convaincante419.

Bonillas réalise donc un travail ‘extra-photographique’ dans lequel la photographie est réduite à un jeu de pratiques, de procédures, de programmes, à un apparatus. Comme l’écrit Carles Guerra,

« la machine institutionnelle photographique n’a plus besoin du photographe pour continuer à produire des images. La photographie est devenue un dispositif qui va au-delà des fonctions mécaniques de

419 Description de ce protocole reprise de Lunettes Rouges (pseudo) [Marc Lenot], Borges et les limites de la photographie (Arles 9), le 11 juillet 2011, en ligne: <http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2011/07/11/borges-et-les-limites-de- la-photographie-arles-9/>, consulté le 28 février 2015.

155 l’appareil photographique. […] ce n’est plus le photographe qui prend une photographie, mais le contraire420. »

Ces postulats, qui font écho aux définitions de Flusser présentées plus haut, signalent donc une exploration analytique du médium photographique, une analyse critique poussée à l’extrême, ne se préoccupant pas de l’image, de la représentation, mais seulement de l’ontologie photographique.

L’artiste française Isabelle Le Minh421 (née en 1965) a réalisé une série de travaux visant à déconstruire en une dizaine de séquences tout le dispositif photographique, appareil, pellicule, développement, et tous les concepts sur la photo, index, aura et représentation. Ayant précédemment photographié le dos de tableaux pour mettre en évidence la ‘choséité’ du tableau et ayant effacé les personnages dans les photographies les plus fameuses d’Henri Cartier-Bresson pour en questionner l’instant décisif, elle a aussi développé une série nommée ‘After Photography’ dans laquelle elle conduit « une spéculation sur la nature de l’image ou […] une réflexion sur les outils et les moyens de production de la photographie à travers son histoire, ses “mythes“, son iconographie, ses “petites phrases“ ou son fonds canonique 422 ». C’est ainsi qu’elle a fait peindre en Chine par des tâcherons des tableaux hyperréalistes d’appareils photographiques, ou qu’elle a réalisé une sculpture composant le mot « Illusion » avec des bandes de pellicule développée sans avoir été exposée, en écho aux Word Paintings d’Ed Ruscha. Elle a photographié des bains de tirage

420 “ The institutional machinery of photography no longer needs the photographer to continue to produce pictures. Photography has become a device that goes beyond the mechanical functions of the camera. […] the photographer doesn’t take the photograph, but the other way around.”, Guerra Carles, “The extra-photographic sphere”, en ligne: <http://www.projectesd.com/images/uploads/Carles_Cuerra-

_Extrafotogrfico_engl.pdf>, consulté le 28 février 2015.

421 Nous remercions son galeriste Christophe Gaillard pour les documents qu’il nous a fournis sur Isabelle Le Minh. Voir son site <http://www.theshadowswilltakecareofthemselves.net/isabelle%20le%20min h/Isabelle_Le_Minh.html>, consulté le 7 mars 2016.

422 Citation de l’artiste sur son site, en ligne: <http://www.theshadowswilltakecareofthemselves.net/isabelle%20le%20min h/After_Photography.html>, consulté le 1er mars 2015.

156 dans la chambre noire, des images méditatives qui renvoient aux photos océaniques de Hiroshi Sugimoto, la surface du révélateur dans la cuvette devenant la ligne d'horizon de l'océan ; leurs légendes comprennent des formules comme : "Formule Anallergique (Génol 1.8g, Chlorhydroquinone 5.5g, Sulfite de sodium anhydre 25g, Carbonate de sodium 20g, Bromure de potassium 0.4g, Eau 1000ml)" ou "Formule de beers/bouguers" (Image 16).

Ayant d’abord travaillé comme ingénieure en brevets423, Isabelle Le Minh, après son passage à l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles, a pris conscience, face au développement du numérique, que « avec la multiplication et la diffusion massive des images tout avait déjà été photographié » et elle a eu « le sentiment que l’histoire et les objets de la photographie constitu[ai]ent un monde en train de disparaître »424. C’est alors qu’elle a remis en valeur des objets de la photographie argentique voués à disparaître, pellicule ou bain de révélateur. Son travail, teinté d’humour et inscrit dans une tradition artistique historique – la plupart de ses œuvres sont