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Il ne s’agira pas ici de recherches techniques ou optiques visant à améliorer la technologie existante, mais bien au contraire de photographes, qui, par dérision ou rébellion, refusent les appareils standards et décident de construire leurs propres appareils photographiques. Le plus emblématique d’entre eux est

436 “ Learning to overcome their extensive optical limitations required Burnstine to rely on instinct and intuition--the same tools that are key when attempting to interpret dreams”. Biographie de Susan Burnstine, en ligne : <http://www.susanburnstine.com/bio.htm>, consulté le 26 novembre 2015.

164 certainement le Tchèque Miroslav Tichý (1926-2011), sur qui nous avons écrit notre mémoire de maîtrise en 2009437.

On peut dire que la démarche photographique de Miroslav Tichý a d’abord été caractérisée par son équipement photographique. Utilisant initialement des appareils soviétiques de qualité médiocre, il fabriqua bientôt ses propres appareils avec des matériaux de récupération, des déchets, des morceaux de bois, des bouts de verre ou de plexiglas repolis, au prix d’un apprentissage expérimental des lois de l’optique. Il subsiste aujourd’hui à la Fondation Tichý Ocean438 une demi-douzaine d’appareils, chacun correspondant en fait à une focale donnée (Image 20).

« C’est un objectif. J’avais l’habitude d’en fabriquer moi-même dans le passé. Je coupais l’objectif de plexiglas avec un couteau, le rectifiais et faisais un appareil en bois et en carton et je prenais des photos avec. […] L’obturateur était fait avec deux bobines et une bande élastique d’une vieille paire de shorts. Il y avait un morceau de contre-plaqué avec une fenêtre. Par la traction du caoutchouc je pouvais déterminer le temps d’exposition. Plus je tirais étroitement le caoutchouc, plus l’exposition était rapide. […] Ici c’est le bouton de rembobinage : je l’ai fait avec une capsule de bière439. »

437 Lenot Marc, Invention et retrait de l’artiste. L’exemple du photographe tchèque

Miroslav Tichý, Mémoire pour l’obtention du Master (M2) en Sciences Sociales,

Mention : Théories et Pratiques du Langage et des Arts, École des Hautes Études en Sciences Sociales, sous la direction d’André Gunthert, LHIVIC (Laboratoire d’Histoire Visuelle Contemporaine), juin 2009, Paris, en ligne : <http://issuu.com/lhivic/docs/lenot09>, consulté le 27 novembre 2015. Une bibliographie sur Tichý se trouve p.137-149 de ce mémoire.

438 Voir leur site, en ligne: <http://www.tichyocean.com/>, consulté le 27 novembre 2015. Voir également le site de Jana Hebnarova, légataire universelle de Miroslav Tichý <http://www.tichyfotograf.cz/>, consulté le 27 novembre 2015.

439 Toutes les citations de Miroslav Tichý dans cette section proviennent des sous-titres en français du DVD Buxbaum Roman, Miroslav Tichý, Tarzan retired, Zurich, Fondation Tichý Ocean, 35 minutes, 2004.

165 Dans ce processus de production, chaque étape était prévue, planifiée, presque ritualisée : la préparation des pellicules, parfois coupées en deux, le bricolage des appareils, la marche quotidienne dans la ville précédaient la prise de vue de manière très systématisée.

Du fait des caractéristiques de ces appareils et des conditions de prise de vue, les photographies de Tichý sont pleines de défauts techniques : la lumière entrant dans la chambre par des interstices mal colmatés a laissé des traînées plus claires sur l’image, les photographies sont souvent floues, prises au jugé, mal cadrées, la pellicule, de qualité médiocre, est souvent rayée, striée. Les conditions de développement étaient tout aussi précaires, à la fois très organisées et tout à fait fantasques : pendant longtemps, avant de s’aménager une sorte de chambre noire au fond de la cour, Tichý développa ses épreuves la nuit dans un seau ou dans son lavabo. Les films séchaient ensuite sur un fil à linge dans la cour, soumis à la pluie et au vent. Il les conservait, roulés très serrés et imprégnés de poussière, dans des petits cylindres de carton qu’il confectionnait lui-même.

« Les pellicules, tu les développais dans un seau ? – Oui, dans un seau, avec du révélateur, ou dans une baignoire, dans la cour, pendant la nuit. Ensuite je les laissais dans l’eau, quelques heures ou quelques jours, ensuite je les faisais sécher sur une corde à linge, mais c’est juste la routine, ça ne veut rien dire ».

Plus tard, parfois longtemps après, Tichý reprenait de manière impromptue une pellicule et décidait de tirer une épreuve. « Je ne sélectionnais rien du tout. Je regardais par le trou de l’agrandisseur et tout ce qui pouvait ressembler à la réalité, j’en faisais un tirage. […] Tout ce qui existe est une représentation du monde, et lorsque quelque chose devenait reconnaissable, j’en faisais un tirage. » C’était toujours une épreuve unique. Son agrandisseur était également construit à partir de morceaux de tôle et de bois. Les épreuves portent elles aussi la trace du bricolage : les impuretés de l’eau, l’excès de bromure, les empreintes de ses doigts, voire l’intervention inopinée d’un insecte, y ont laissé des traces bien visibles (Image 21). Les tirages s’entassaient alors en désordre

166 dans sa petite maison, formant des piles au sol, les plus anciens étant rongés par l’humidité. Parfois, Tichý reprenait un de ses tirages et le redessinait au crayon ou au stylo bille, soulignant les courbes du corps, redessinant les contours des maillots de bain ou les mèches de cheveux. Il disait ‘améliorer’ les clichés par ce geste d’artiste peintre : « Des fois, je redessine un peu les contours au crayon. Oui, je l’améliore un peu. » De plus, dans certains cas, il construisait et décorait un cadre en papier ou en carton (voire même avec un sac plastique jaune) à partir de morceaux de boîtes d’emballage ; ces cadres étaient ornés par lui de motifs géométriques répétitifs imitant les cadres classiques des photographies traditionnelles. Cette intervention, terminant le long processus de production, faisait accéder l’épreuve au statut d’œuvre finie, terminée, sacralisée, définitive. La fin du processus signait alors le désintérêt pour le produit fini, qui perdait tout intérêt aux yeux de Tichý : les tirages une fois finis étaient abandonnés au sol ou dans la cour, délavés par la pluie, utilisés parfois comme sous-bock, cale ou combustible pour allumer le feu. Certains portent des traces de morsures par des rats ou des souris440 (Image 22).

Le bricolage de Tichý, fabricant ses appareils photographiques et son matériel de tirage avec des matériaux de récupération, était une manifestation de son indépendance, essentielle pour lui ; cela le place d’office dans la catégorie des chiffonniers, des assembleurs avec les moyens du bord441 , des magiciens du quotidien qui, avec rien, font des prouesses. Cette démarche photographique autonome, s’appuyant sur un processus à la fois systématique et négligent et sur un amateurisme délibéré, fut un fondement essentiel de son travail. Ses appareils bricolés, sa technique photographique de fortune dénotaient son rapport rebelle à la technologie et sa volonté délibérée de s’affranchir des règles de la ‘bonne photographie’. L’utilisation d’appareils bricolés représentait, pour Tichý, un refus de se laisser déposséder de sa maîtrise sur le processus

440 Il faut noter que Tichý a au contraire toujours pris grand soin de ses tableaux, qu’il conservait relativement soigneusement, comme nous avons pu le constater lors de notre rencontre avec l’artiste les 17-19 avril 2009.

441 L’analogie entre bricolage et pensée sauvage développée par Claude Lévi- Strauss peut fort bien s’appliquer à Tichý (Lévi-Strauss Claude, La pensée

167 photographique au profit d’une automaticité technique. On peut mettre en relation cette volonté de contrôle technique avec celle de Nadar qui, présentant l’appareil Kodak à la Société Française de Photographie le 7 décembre 1888, montra comment débrider le ressort de l’obturateur et « poser avec le bouchon442 ». Denis Bernard et André Gunthert, rapportant cet épisode, le commentent ainsi :

« L’effort du photographe pour […] rattraper la possibilité [du contrôle sur son appareil], même au prix de la mise hors d’état du dispositif initial, dévoile l’insupportable, pour lui, de ce dessaisissement. L’ironie de Nadar [tient…] à la compréhension diffuse que la perte du contrôle de l’opération prélude à la disparition de l’exercice photographique proprement dit443 ».

Tichý bricolant ses appareils avait sans doute la même intuition rebelle, la même aspiration à maintenir un contrôle sur l’image et, ainsi, à conserver une certaine aura, comme le reste de son processus le démontre aussi. Sa manière de procéder – ses rituels quotidiens, sa nécessité de la marche en ville, son parti-pris délibéré d’un travail artisanal et bricolé, son intervention graphique a

posteriori sur ses épreuves, ou le dédain négligent avec lequel il traitait ses

photographies une fois terminées – démontre sa prédilection pour le processus de production plutôt que pour l’objet photographique comme produit fini. Ce processus fut pour lui un accomplissement en soi, une performance sans spectateur. Son approche, son refus de la technologie et de l’image bien faite, et sa capacité à s’affranchir des règles de l’apparatus photographique le placent d’emblée dans la catégorie des photographes expérimentaux.

442 Nadar, « Le Kodak, appareil à main », Bulletin de la Société française de

photographie, Paris, janvier 1889, p.47, cité dans Bernard et Gunthert, infra.

443 Bernard Denis et Gunthert André, « Oublier la technique », La Recherche

168 Peu d’autres photographes contemporains ont eu une démarche aussi radicale dans la construction de leurs propres appareils photographiques. On peut mentionner l’Américain Roger Newton444 (né en 1960), qui fabrique ses

propres émulsions, ses propres appareils et, en particulier ses lentilles, des récipients en verre dans lesquels il mélange de l’huile, de l’eau, du sirop de maïs, du miel, de la glycérine et autres liquides réfractant la lumière, afin de contrôler la qualité de la lumière et les couleurs (Image 23). Le photographe Adam Fuss dit de lui qu’il « pratique une photographie de l’invisible et de l’indéfinissable en se passant des matériaux prédéfinis et en maîtrisant les théories archaïques de l’argent et de la lumière ... il a découvert le sens du passage de la lumière à travers le miel445 ». Un autre Américain, John Chiara446

(né en 1971), a construit des chambres de très grande taille, la plus grande au format 125 x 200 cm dans une caisse de 24 m3, que Chiara tracte sur une remorque pour aller photographier des paysages californiens. Comme, de plus, Chiara développe lui-même ses papiers sensibles couleur dans un tuyau de 2 mètres dans lequel il verse les agents chimiques, son travail est tout à fait artisanal et ses photographies sont, comme celles de Tichý, pleines de défauts : sur- ou sous-exposition, traces de lumière parasite, coulées et rayures, répartition inégale des pigments … ; mais comme le dit le critique Eric Hofman « les défauts semblent être à leur place dans ses photographies447 ». Tout en produisant des photographies de paysages très éthérées, Chiara affirme que « le sujet de mon travail, c’est la photographie elle-même. Sa manifestation

444 Voir son livre Roger Newton. OP TICS, Portland, Nazraeli, 2006.

445 He “practices the photography of the unseen and indefinable by dispensing with the preformed materials of a craft and by a mastery of the archaic theories of silver and light. He …discovered the meaning of the passage of light through honeyʺ. Fuss Adam, “Roger Newton”, BOMB n°59, printemps 1997, en ligne : <http://bombmagazine.org/article/2051/roger-newton>, consulté le 24 février 2016. Nous remercions Adam Fuss d’avoir attiré notre attention sur le travail de Roger Newton, nous disant que c’était le premier nom qui lui venait à l’esprit en nous écoutant parler de photographie expérimentale. 446 Voir son site, en ligne: <http://www.johnchiara.com/>, consulté le 27 février 2016.

447 “ Failures have never looked so at home”. Hoffman Eric, “Memory’s Body. The Photographic Reconciliations of John Chiara”, dans John Chiara. Fort at

169 à travers ses moyens448 », et il assume et apprécie le caractère non-fini et incertain de ses photographies (Image 24).

Dans un champ plus ironique, on peut citer le duo d’artistes suisses Taiyo Onorato & Nico Krebs449 (tous deux nés en 1979) dont le travail est centré sur la nature de la perception et de l’illusion. Ils ont construit des appareils photographiques intégrant des mécanismes standards (objectifs et châssis porte-film ou dos de chambre) dans des objets assez improbables, comme des carapaces de tortue ou de tatou, des rochers, des valises, ou des sculptures en bois, en céramique ou en argile, composant ainsi des sculptures photographiques étonnantes et ironiques. Les plus intéressantes sont sans doute celles composées en assemblant des livres sur la photographie, évidés pour constituer la chambre photographique : la lumière, avant d’atteindre le plan-film, doit traverser The Camera d’Ansel Adams, L’Histoire de la Photographie de Beaumont Newhall, La Chambre claire de Roland Barthes, et d’autres livres emblématiques (Image 25). L’ironie du propos amène ainsi à s’interroger sur le processus de formation des photographies, le prisme intellectuel faisant ici fonction de filtre des images, comme si pour être capables de voir des photographies, nous étions contraints de passer par la médiation des théoriciens de la photographie.

448 “the subject of my work is Photography itself. Its manifestation through its means”. Message électronique de John Chiara à la commissaire Virginia Heckert, 20 avril 2013, cité dans Heckert Virginia, Light, Paper, Process.

Reinventing Photography, cat.exp., Los Angeles, The J.Paul Getty Museum, 2015,

p.133 et note 6, p.137.

449 Voir leur site, en ligne: <http://tonk.ch/>, en particulier la section Camera Collection <http://tonk.ch/camera-collection/>. Voir également leur livre en deux volumes Onorato Taiyo & Krebs Nico, As Long as it Photographs, It must be

a Camera, autoédité, 2011, en ligne: <http://tonk.ch/as-long-as-it- photographs/>. Sites consultés le 27 novembre 2015.

170

Détruire l’appareil photographique

Une remise en cause radicale de l’appareil photographique serait d’en faire un appareil permettant de voir photographiquement, mais sans enregistrer l’image (revenant ainsi ironiquement à la proto-photographie, et à ses vains efforts pour fixer et enregistrer les images450), de manière délibérée, car considérant cet enregistrement comme superflu et inutile : c’est le projet (non réalisé) Awareness

Box de l’artiste Alain Bublex, « un instrument qui met votre regard en éveil, qui

vous ferait regarder autant que voir, et rien de plus », l’appareil n’étant plus qu’un « condensateur accentuant l’attention »451.

L’étape ultime de la remise en cause de l’appareil photographique passe par sa destruction. L’artiste française Céline Duval452 (née en 1974) a ainsi construit,

pour son diplôme de l’École des Beaux-arts de Nantes en 1998, une camera

obscura en chocolat noir : la chaleur du flash faisait peu à peu fondre le chocolat

et détruisait le dispositif ; ainsi, son « geste de création contient sa propre disparition, la perte visible453 », le désir de voir impliquant la destruction de la chose vue, comme dans le cas de certaines peintures rupestres ou de fresques dans des tombes de pharaons, détruites par la pulsion scopique454 (pas d’image disponible). D’autre part, Jean-François Lecourt (voir chapitre 2.9), à côté de ses tirs sur camera obscura, a parfois aussi tiré au fusil sur des appareils, l’ouverture due à la balle créant alors un sténopé par lequel la lumière entre et impressionne la pellicule, au moins ce qu’il en reste après le tir.

450 Voir Batchen Geoffrey, Burning with Desire. The Conception of Photography, Cambridge (Mass.), M.I.T. Press, 1997.

451 Bublex Alain, « Quelques dispositifs de prises de vues et autres appareils photo », dans Le Gall Guillaume (dir.), Avant l’image, des dispositifs pour voir, Paris, Le BAL/Textuel (Carnets du Bal n°6), 2015, p. 58-57.

452 Elle travaille sous le nom “documentation céline duval”. Voir son site, en ligne: <http://www.doc-cd.net/v1/index2.html>, consulté le 24 février 2016. 453 Courrier électronique reçu de Céline Duval le 12 mai 2014.

454 C’est aussi le cas, de manière plus anecdotique, de la camera obscura de neige de la Finlandaise Marja Pirilä (chapitre 2.3).

171 C’est l’artiste anglais Steven Pippin455 (né en 1960), qui a exploré de la manière

la plus approfondie cette destruction de l’appareil. Toute la démarche artistique de Pippin (qui se qualifie lui-même d’opérateur plutôt que d’artiste ou de photographe) a à voir avec la remise en question, souvent ironique, des appareils. Pippin est un personnage très flegmatique, maniaque et opiniâtre, et

adepte d’un humour assez absurde. Pour lui, le dispositif photographique est

un sujet de réflexion artistique avant d’être un producteur d’images. Il s’intéresse à la science et à la technologie456, et les machines (principalement, mais pas uniquement, photographiques) sont pour lui des inventions dont on peut détourner les programmes, l’homme étant leur explorateur, voire leur accoucheur, plutôt que leur fonctionnaire ou leur employé. Par certains côtés, on peut rapprocher le statut ontologique qu’il attribue à la machine des concepts de Gilbert Simondon sur l’objet technique et sur l’aliénation de l’opérateur du fait de la zone obscure centrale de la machine457. Tentant de pénétrer cette zone obscure, Pippin s’intéresse aux procédures, aux modes de fonctionnement, à leur magie et à la possibilité de la manipuler. Les photographies qu’il obtient ne sont pour lui que des pièces à conviction, des preuves de la procédure employée, et il a fréquemment présenté côte à côte une photographie témoignant du processus suivi et une photographie montrant le résultat de ce processus458. Pour lui, le procédé photographique n’est pas conçu pour être au service de l’obtention d’une image attendue, mais c’est au contraire le procédé qui va déterminer au final le résultat obtenu. Dans la description de son projet Prototype 50/50, où il coupe un appareil (numérique) en deux et conçoit un dispositif où chaque moitié de l’appareil prend une photographie de l’autre moitié, « comme un appareil qui vivrait une expérience de ‘sortie du corps’, un œil extensible capable de se regarder lui- même », il a écrit : « Mon intention est de pousser l’appareil standard dans ces

455 Son site, en ligne: <http://www.mrpippin.co.uk/>, consulté le 28 novembre 2015, est actuellement en mode restreint.

456 Voir Paul Frédéric, « STeven PiPPin : du bon uSage de l’enTonnoir», 20/27, n°6, 2012, p.244-265

457 Simondon Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012 [1958], p.338 sq.

172 retranchements, de manière à tester les limites de ce matériel, et de voir jusqu’où il est possible d’élargir son utilisation pratique sans renoncer à produire une image (quitte à ouvrir l’appareil pour en observer les mécanismes) »459.

Tout son travail s’inscrit dans une réflexion sur la fin de la photographie, due à la lassitude engendrée par la prolifération des images, et sur la meilleure manière de s’en débarrasser, de tourner la page. Dans son texte « Photographicus Philosophicus », il écrit :

« L’essor de la photographie est inversement proportionnel à la qualité de ses contenus. La multiplication, l’amélioration et l’intégration des appareils photographiques dans d’autres produits électroniques a pour corollaire une baisse continue de la qualité (en termes de contenu plutôt que d’image). La saturation du monde par les images est telle qu’elle finira par submerger la réalité. En effet, le volume des images existantes – qu’elles soient imprimées sur des supports photographiques traditionnels ou compressées sous la forme de fichiers numériques – est tel que leur masse conjuguée est appelée à surpasser celle de la terre460. »

Face à ce constat désabusé, et à l’impossibilité qu’il ressentait de photographier de manière standard, Pippin a d’abord transformé divers objets en appareils photographiques. Pour lui, non seulement tout peut être photographié, et le sera mais, de plus, tout peut être photographiant, transformé en appareil photographique. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre sur les