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Le rôle des facteurs conjoncturels et structurels

SECTION 2 : LES DEUX DIMENSIONS DE L’EDUCATION

2.1. L’approche par les flux du capital humain

Dans les fonctions de production macroéconomiques, deux types d’approches du capital humain sont utilisées : l’approche par les flux portant sur les variables de taux contre l’approche de stock concernant les stocks du capital humain. Les différentes investigations empiriques menées dans le cadre de la validation des nouvelles théories de la croissance au milieu des années 80 ont été fortement influencées par ces deux approches. Le premier groupe d’auteurs utilise les variables de flux (notamment, Lucas (1988), Blanchet (1988), Romer (1989), Barro (1991), De Gregorio (1991), Mankiw, Romer et Weil (1992), Roubini et Sala-I-Martin (1992), Benhabib et Spiegel (1994), Barro et Sala-i-Sala-I-Martin (1995)). Le deuxième, par contre, a utilisé les variables de stock (Knight, Loayza et Villanueva (1992) Barro (1994), Borenszensztein, De Gregorio et Lee (1994), Bahalla (1995), Lau, Jamison, Liu et Rivkin

(1993), Bloom et Mahal (1995), OJO et Oshikoya (1995), Glaeser, Scheinkman et Sheiler (1995)).

En effet, alors que les théories de la croissance endogène attribuaient les différentiels de croissance économique entre pays aux différences dans les taux d’accumulation du capital humain –variable flux-, Nelson-Phelps (1966) et plus récemment avec Benhabib et Spiegel (1994) et Spiegel (1994) mettent plutôt en avant le rôle du stock du capital humain –variable de stock.

En effet, les résultats de Nelson-Phelps (1966) confirmés par Benhabib et Spiegel (1994) attribuent la divergence des trajectoires de croissance aux différences de stock de capital humain entre pays. Pour Nelson et Phelps, les taux de croissance de la productivité et des innovations sont positivement corrélés avec le nombre d’individus qui ont suivi des études secondaires et supérieures. Ces résultats restent valident car, dans les régressions plus récentes, Barro et Sala-i-Martin (1994) ont confirmé que le nombre d’étudiants dans l’enseignement secondaire et supérieur exerce un effet significatif sur le taux de croissance de la productivité13.

Cette explication des écarts de croissance entre pays a été rendue possible grâce à la disponibilité des données de comparaison à l’échelle internationale sur les niveaux des revenus et des prix (Summers et Heston, 1988) et grâce aux nouvelles approches initiées dans le cadre des modèles de Romer (1986) et Lucas (1988) et qui ont rendu possible de nombreuses investigations empiriques (Barro et Sala-i-Martin, 1995). Le perfectionnement du modèle de base de Solow par Mankiw, Romer et Weil, (1992a) a marqué une étape décisive dans la démarche en répondant aux questions que le néoclassique n’a pas clairement élucidée.

Il s’agit notamment de l’explication des différences quantitatives transnationales des niveaux de vie grâce à la prise en compte du capital humain. Que ce soit dans l’un ou l’autre cas, la structuration des études en approche par flux et l’approche par le stock, apparaît tout à fait justifiée en raison des résultats auxquels ont abouti les tests empiriques.

13 Barro et Sala-I-Martin (1994), in Philippe Aghion et Peter Howitt, Théorie de la croissance endogène, Théorie Economiques, 1998, MIT, Dunod, Paris, 2000.

En effet, l’utilisation des flux de capital humain dans les fonctions de production conduit à des enseignements selon lesquels, le capital humain d’un individu ou d’une économie est un bien de production dont l’accumulation dépend du niveau d’investissement de l’individu ou de l’économie considérée. Cette vision lie la croissance économique au taux d’accumulation du capital humain. De façon alternative, se développe l’analyse par les stocks portant sur l’idée que la courroie de transmission de l’éducation sur la croissance est la valorisation des compétences éducatives. Autrement dit, les capacités d’innover dépendent du stock du capital accumulé par les actifs et il existerait un stock minimum nécessaire pour enclencher le décollage d’une économie et un stock nécessaire pour innover.

C’est donc la théorie de croissance endogène qui a donné toute sa légitimité à la croissance économique soutenable conditionnée par deux variables de stock en insistant sur les dotations initiales en ressources comme accélérateurs de la convergence économique. Par conséquent, la plupart des études inspirées de cette réalité sont basées sur l’idée essentielle que les écarts de croissance économique entre pays sont expliqués par leurs dotations initiales en stocks de capital physique et humain ainsi que la capacité de ceux-ci à innover. Pour Krueguer (1968), 25 à 28% des différences de niveau de vie entre les Etats unis et une quinzaine d’autres pays s’expliquent par la scolarité. Dans le même ordre d’idée, Romer (1986) et Lucas (1988), ont montré que la croissance économique s’explique de manière déterminante par le capital humain et la Recherche et Développement. Romer (1990), Grossman et Helpmann (1991) y ont ajouté le rôle des dépenses publiques (1990) tandis que Bencivenga et Smith (1990) apprécient le développement du secteur financier. Il s’avère, en outre, que les stratégies d’ouverture commerciales pour promouvoir les exportations ainsi que le développement du marché concurrentiel des facteurs de production et la stabilité macroéconomique et politique

14 constituent eux aussi des facteurs non négligeables.

La question qui subsiste encore consiste à savoir si la distinction variable de stock –variable de flux est suffisante pour expliquer les divergences des résultats économétriques ? La

14 C’est un facteur fondamental pour promouvoir la confiance dans le système bancaire et d’encourager les entreprises privées.

section suivante nous fournira quelques éléments de compréhension à cet effet. Cette distinction n’apparaitra pas explicitement dans les résultats futurs qui s’intéressent essentiellement aux variables de flux.

Le taux d’accumulation du capital humain a été au cœur de l’analyse de la relation entre l’éducation et le progrès technique. En distinguant deux sources d’accumulation du capital humain à savoir, l’éducation et l’apprentissage par la pratique, l’analyse de Lucas est sous-tendue par « l’idée que la croissance est essentiellement expliquée par le taux d’accumulation du capital humain, de sorte que les différences de taux de croissance entre pays sont principalement explicables par les différences des taux auxquels ces pays accumulent le capital humain », (Aghion P. et Howitt P. (1998). Sur 38 articles analysés, 17 utilisent les variables de flux du capital humain et 11 utilisent les variables de stock tandis que les seize (16) autres utilisent soit, les deux, soit le taux de croissance des dépenses publiques consacrées à la scolarisation.

Evaluant l’impact de la croissance démographique sur la croissance économique de 78 pays en voie de développement entre 1960 et 1980 en utilisant les sous-périodes décennales, Blanchet (1988) a obtenu que l’impact du taux de scolarisation, le taux de mortalité, la croissance de la population, le taux de croissance de la population décalé de 10 ans et 20 ans ainsi que le taux de natalité et la densité de la population sur la croissance économique sont fortement corrélés. Selon les cas, ces variables ont des effets tantôt positifs, tantôt négatifs sur la croissance économique. Le taux de mortalité a présenté un effet négatif sur toute la période sauf entre 1970 et 1980 tandis que le taux de croissance de la population a des impacts positifs sur la croissance sur toute la période exceptée la période 1970-1980. Il en est de même pour le taux de scolarisation en début de période. Le taux de natalité quant à lui a présenté des résultats inverses.

Bien qu’elle puisse apparaître intéressante, cette approche ne sera pas utilisée dans notre analyse pour deux raisons principales. Premièrement, elle ne rend pas compte de la convergence des économies, soubassement essentiel de notre hypothèse de recherche. De même, le taux de scolarisation utilisée est celle de la seule année 1960 alors que le problème

de développement relève de la dynamique de long terme dont le taux de scolarisation du début de la période seul ne peut expliquer efficacement. Deuxièmement, l’analyse ne distingue pas les deux types de taux de scolarisation - primaire, secondaire.

Dans son analyse, Romer (1989) a cherché à vérifier la validation empirique de son modèle théorique antérieur en régressant le taux d’alphabétisation en 1960 sur le taux de croissance du produit par tête et l’investissement de 94 pays entre 1960 et 1985. La variable éducative dans ces modèles affecte positivement la croissance économique mais son impact n’est pas significatif. A partir d’un vaste échantillon des pays pauvres et des pays riches issu des données internationales de Summers et Heston (1988), Romer (1989) a approfondi le test de convergence des économies et a conclu que la convergence absolue ne tenait plus dans le cas d’un vaste échantillon hétérogène de pays. Plus précisément, Romer a constaté qu’il n’y avait pas de corrélation significative entre les niveaux de revenus initiaux et les taux de croissance subséquents15.

L’étude de Barro (1991) a estimé en coupe transversale, le taux de croissance du produit par tête sur la période 1960-1985 de 98 pays en utilisant les valeurs initiales du taux de scolarisation primaire et secondaire, le taux d’alphabétisation, le ratio d’encadrement16, le taux de mortalité entre 0 et 4 ans et la fécondité et en introduisant par ailleurs, deux indicateurs caractéristiques de l’Afrique et de l’Amérique Latine. Par contre, en utilisant des variables en début de période, l’étude reste ancrée par les hypothèses des modèles néoclassiques selon lesquelles, le taux de croissance économique par tête d’un pays tend à être inversement lié à son niveau de revenu par tête en début de période. Les résultats de cette étude montrent que les taux de scolarisation au primaire et au secondaire initiaux (1960) ont présenté des effets positifs sur la croissance sur la période 1960-1985 – 0,0323 et 0,027 respectivement - tandis que le ratio d’encadrement a des effets négatifs pour le primaire - et non significatifs pour le secondaire. Les effets du taux d’alphabétisation sont négatifs lorsque les autres variables sont introduites dans le modèle. La fécondité et la mortalité présentent des

15 Serge Coulombe, Jean-François Tremblay et Sylvie Marchand (2004) : Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes : Performance en littératie, capital humain et croissance dans quatorze pays de l’OCDE, Statistique Canada – N°89-552 au catalogue, no 11

16 Cette variable est utilisée comme un proxy inverse de la qualité du service scolaire.

coefficients significativement négatifs. En outre, l’impact du taux de scolarisation primaire et secondaire est négatif sur la fécondité et positif sur l’investissement. Un des résultats importants mis en évidence, est que la corrélation entre le taux moyen de croissance du PIB réel par tête sur la période 1960-1985 n’est pas significativement lié au PIB réel per capita de 1960 (R²=0,09). Cela corrobore avec les modèles de Lucas (1988) et Robelo (1990) où ces deux variables sont indépendantes.

La structure du modèle utilisé, bien qu’elle introduise des variables supplémentaires reste toujours adossée à la logique néoclassique et s’attache à la relation traditionnelle économétrique et mécanique entre les variables éducatives et économiques. Aussi intéressante que semble être l’introduction du taux d’encadrement, la prise en compte des variables du début de période nous semble relever de la logique traditionnelle selon laquelle, la vitesse de croissance d’une économie est fonction de son niveau initial de stock de capital humain. Or, si cette hypothèse a eu un regain d’intérêt en son temps, la sophistication des comportements économiques et l’importance de l’asymétrie de l’information remet totalement en cause la plupart des hypothèses relatives à la concurrence pure et parfaite (Akerlof G., 1970)17 et la décroissance des rendements marginaux dont les hypothèses des modèles du capital humain a permis de contourner.

Pour ces raisons, nous écarterons les approches qui ont recours aux revenus par tête en début de période pour expliquer la croissance du PIB par tête des pays. Nous aurons essentiellement recours au taux d’inscription comme proxy du capital humain et de l’investissement éducatif.