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Faibles taux d’épargne publique

SECTION 4. LA RELATION EQUIVOQUE EDUCATION - CROISSANCE

4.2. L’éducation préalable à la croissance, la remise en cause des évidences empiriques

Pour Robert Barro (1991) « (…) a poor country tends to grow faster than a rich country, but only for a given quantity of human capital ; that is, only if the poor country’s human capital exceeds the amount that typically accompanies the low per capita income.” Ce résultat rend compte de l’antériorité de l’éducation à la croissance économique. On retrouve également les mêmes résultats dans les travaux précurseurs de Kaldor (1957), Arrow (1962), Becker G.

(1964) et Mincer (1974) ainsi que ceux des auteurs théoriciens de la croissance endogène, notamment Lucas (1988), Romer (1990), Barro R. (1990), Mankiw Romer et Weil (1992), D.

Goud et R. Ruffin (1995). Ces auteurs établissent tous que l’importance du rôle du capital humain dans la croissance économique est non négligeable. Les recherches impulsées par cette réflexion et dont Lucas peut s’arroser la paternité, ont adapté le cadre de l’analyse Néoclassique solowienne aux lois de rendements décroissants de Marshal. Le capital humain dont l’input est l’éducation va ainsi renverser la convexité de la courbe de production vers le haut.

Il faut relever que l'analyse microéconomique issue des travaux de Mincer (1974) reconnaissait déjà qu’il existe une corrélation positive entre le niveau d'éducation et le niveau des salaires des actifs et qu'une hausse du niveau d'éducation conduisait à la croissance. Dans une analyse récente de l’interaction entre l'éducation et l'innovation, NYSSEN Jules (2000) a examiné successivement les cas où chacune de ces deux sources de croissance est le moteur de la croissance de long-terme selon les phases de développement. Pour lui, l’éducation peut être à la base d’une croissance extensive grâce à l’accumulation du capital humain qu’il permet, quitte à ce que cette accumulation soit ensuite complétée par les externalités liées au progrès technique. Quatre canaux par lesquels l’éducation agit sur la croissance ont été identifiés.

Le premier canal concerne les externalités technologiques (ROMER, 1990a, 1986 et 1987) qui font bénéficier à l’ensemble des producteurs des progrès réalisés par chacun d’eux individuellement. L’éducation peut influencer la productivité en ce qu’elle détermine la capacité d’une nation à innover. Or, le progrès technique est lui aussi déterminé par deux

facteurs. : (i) le " Learning by doing ", dont la théorie a été élaborée depuis les premières observations de T. P. Wright dans l’aéronautique en 1936 et selon laquelle, le nombre d’heure de travailleur par avion est une fonction décroissante du nombre d’avion de même gamme précédemment produits. Cette théorie a ensuite été reprise et appliquée en économie par Solow (1956) et Arrow (1962). Dans sa version primitive, cette théorie cherchait à expliquer la relation entre le nombre d’heure de travail et l’output observé dans une entreprise particulière. Elle a révélé que c’est en produisant plus que l’on apprend à produire mieux en moins de temps. Autrement dit, l’apprentissage améliore la productivité du facteur travail et le rend plus efficace. Plusieurs approches sont utilisées. D’une part, le progrès technique agit sur le processus de diversification des biens en biens intermédiaires (Romer, 1987, 1990]), et de consommation (Grossman et Helpmann, 1991). D’autre part, il est perçu comme l’élévation de la qualité des biens à travers deux externalités positives : (i) effet de diffusion inter-temporelle des connaissances incorporées aux nouveaux biens et (ii) effet d’appropriation par les consommateurs. On relève cependant un troisième effet négatif à la Schumpétérienne : l’effet destructeur des innovations (Aghion et Howitt, 2000).

Le rôle du progrès technique dans l’augmentation de la productivité du travail a également été analysé par Kenneth Arrow en 1962 lorsqu’il étudiait les implications économiques de l’apprentissage par la pratique et le pouvoir des entreprises et de leurs dirigeants - la "

technostructure "- à imposer leurs produits au marché. Kenneth Arrow pense qu’il y a une différence nette dans les approches du terme « apprentissage ». Premièrement, toutes les écoles de pensée s’accordent sur le fait que l’apprentissage est la résultante d’une expérience car il n’est possible que dans les tentatives de recherches de solutions à un problème donné au cours d’une activité de production. Deuxièmement, l’apprentissage est étroitement lié à la répétition des tâches. C’est pourquoi, suppose t-il, que l’évolution technologique est imputable à l’expérience qui permet d’améliorer la productivité du travail. Car la productivité privée du capital humain a un effet positif qui s’étend au-delà de l’individu qui l’acquiert. En améliorant son niveau d’éducation et de formation, l’individu contribue à augmenter le stock du capital humain national et par là, même, la productivité de l’économie nationale (Lucas, 1988).

Le deuxième élément concerne l’existence des déterminants « schumpetériens » des revenus, laquelle accroît considérablement la complexité de l’analyse. Elle suggère en effet, que les préférences qui augmentent l’effort de travail sont hétérogènes et diffèrent d’une activité professionnelle à l’autre. Leur valorisation par les employeurs dépend aussi des caractéristiques propres à chaque employé comme le genre ou l’origine ethnique. De même, l’analyse schumpetérienne met en avant le rôle des distorsions statiques (existence de profits de monopoles) pour motiver l’investissement en éducation et justifier l’efficacité dynamique du capital humain sur la croissance économique (Romer, 1990 ; Grossman Et Helpman, 1991 ; Aghion Et Howitt, 1992).

Le troisième met l’accent sur la qualification de la main d’œuvre (Lucas, 1988). En effet, dans son célèbre article publié en 1988, Lucas a montré que la croissance dans le modèle de Solow peut être auto-entretenue lorsque les agents peuvent améliorer leur qualification grâce à un processus à rendements constants. Pour lui, la croissance économique est essentiellement le produit du taux d’accumulation du capital humain. Le graphique ci-dessous conforte ce point de vue.

Graphique I.2 : Représentation graphique de la corrélation positive éducation-croissance de la production par tête

Source : Construit par l’auteur sur la base des WDI, 2005, Banque Mondiale

Représentant l’effort en investissement éducatif, le taux d’inscription combiné et le taux de croissance de la production entretiennent une relation positive. Le graphique 3 met donc en évidence que plus, on investit dans l’éducation, plus on enregistre une croissance forte. Cette présumée corrélation positive entre la croissance de la production par tête et le taux d’inscriptions combinés primaire-secondaire-tertiaire corrobore avec la thèse de l’antériorité de l’éducation, préalable à la croissance. Construit à partir des données des différents groupes de pays, pays en voie de développement, pays moins développés, pays Arabes, Asie de l’Est et Pacifique, Amérique Latine et les Caraïbes, Asie du Sud, Afrique Subsaharienne, Europe Centrale et de l’Est le CIS, Pays de l’OCDE et Pays de l’OCDE à Hauts Revenus. Sans en tirer une conclusion hâtive, ces données démontrent que le stock de capital humain conditionne la croissance de la production de l’économie mondiale.

En quatrième lieu, le rôle des dépenses publiques a été mis en avant par Barro (1990) du fait que l’investissement public en infrastructures améliore la circulation de l’information, des personnes et des biens.

Par ailleurs, Kuznets (1955), croit en l’existence d’une corrélation négative de longue période entre le niveau de développement et celui de l’éducation qui lui est attaché et les inégalités économiques. Pour cet auteur, les inégalités augmenteraient à la première phase du développement économique pour se stabiliser à un moment donné avant de décroître car l’accroissement des revenus permettrait à l’Etat d’accroître ses dépenses d’éducation, ce qui à terme, permettrait à un plus grand nombre d’individus d’accéder à un niveau de qualification supérieur resserrant par là même la dispersion des revenus. En combinant cet argument avec la vision microéconomique28 qui considère l’éducation comme une fonction de production et un bien de consommation, où les individus et les pays investissent en fonction des gains espérés, de leurs capacités intrinsèques, de leurs situations socioéconomiques, et/ou de l’environnement social, économique, culturel et politique dans lequel ils vivent. Dès lors, l’investissement en éducation sera différent d’un individu à l’autre ou d’un pays à l’autre

28 A ce niveau, le terme microéconomique doit être considéré dans le sens plus large et prenant en compte un pays ou une entreprise comme unité institutionnelle.

selon les caractéristiques intrinsèques de celui-ci. Ces quatre séries d’explications sont soutenues par des interprétations d’ordre économique, sociologique et psychologique.

Au plan économique, l’éducation est perçue comme moyen de valoriser la force de travail qui permet d’obtenir une production plus grande et un revenu plus élevé pour lutter contre la pauvreté. Tout d’abord parce qu’elle transmet des connaissances, des aptitudes et des habiletés qui améliorent la performance du travail. Ensuite, l’éducation et surtout celle des femmes a des effets positifs sur la réduction de la mortalité maternelle et infantile, un impact positif sur l’encadrement des enfants. En outre, le cadre physique d’apprentissage permet d’acquérir des compétences particulières qui préparent à l’exercice d’un métier. Il importe alors, à cet effet de distinguer la formation spécifique qui transmet des compétences spécifiques ne pouvant être valorisées que dans l’entreprise formatrice de la formation générale qui peut également l’être dans d’autres entreprises (Becker, 1964).

Dès lors, l’éducation peut être considérée comme l’un des grands ressorts de la croissance et du développement et apparaître économiquement et culturellement rentable sur le plan individuel et collectif. Elle constituerait à cet égard, un préalable à tout décollage économique. Car le progrès réalisé en matière d’investissement éducatif massif dans les pays industrialisés et les nouveaux pays industrialisés au début du siècle dernier semble expliquer leurs niveaux d’enrichissement actuel. Cependant, il arrive que de hauts niveaux d’éducation contrastent avec un taux de chômage relativement élevé parmi les plus scolarisés contrairement aux prédictions de Roberge (1979) selon lesquelles, le nombre d’années d’études est corrélé avec un indice de statut professionnel et négativement avec le chômage.

Plus encore, comme l’ont constaté si bien Welch (1970) et Schultz (1975), le rôle principal de l’éducation qui permet aux gens de mieux se représenter, traiter et exploiter l’information, de voir des déséquilibres, d’imaginer des solutions et d’y donner suite, donc de réagir aux changements, s’y adapter, voire le susciter est l’un des ingrédients essentiels du développement.

Au plan sociologique, l’école est plus un lieu de socialisation, d’adaptation à la vie de groupe, qu’un simple cadre d’apprentissage d’un savoir livresque. Dès lors, l’éducation a un caractère

plus social : lieu d’acquisition de la discipline, de la persévérance, de la « débrouillardise », et de l’ambition et toutes les qualités utiles au travail et à la vie en société. Aussi, ces différents facteurs contribuent-ils largement à améliorer la productivité du travail et donc la croissance de la production. Liant ainsi l’éducation à la croissance économique, cette interprétation fait apparaître là aussi, l’éducation comme un préalable à tout progrès social et économique.

Enfin, l’interprétation psychologique qui coïncide avec la théorie de sélection considère l’éducation non pas comme moyen d’acquisition des compétences. Mais elle lui attribue le rôle de repérage des talents ou un filtre qui réduit le coût de recherche d’informations à l’occasion de recrutement et sur la productivité des travailleurs. Contestant le fait que l’éducation n’ajoute rien aux aptitudes mais qu’elle les relève, cette interprétation conforte le fait que même à niveau d’éducation élevé, certains pays peinent à décoller.

En utilisant les panels de 100 pays ayant des niveaux de développement différents, Barro (2001) a dressé les constats suivants. Premièrement, le plus haut niveau d’éducation facilite l’absorption supérieure de la technologie en provenance des pays leaders. Il faut ajouter que ce canal est spécifiquement important pour l’éducation secondaire et supérieure. Nelson et Phelps (1966) ont, quant à eux, montré que les hauts niveaux du capital humain affectent positivement la vitesse d’adoption et de diffusion de la technologie. Dès lors, la capacité d’une nation à adopter une nouvelle technologie et à l’internaliser dépend de son niveau de capital humain national. Ainsi, le taux de croissance peut différer d’un pays à l’autre en fonction des différents niveaux de capital humain. De même, les pays ayant un niveau de capital humain élevé seront toujours des leaders en terme d’implémentation et de diffusion de la technologie et maintiendront leur leadership aussi longtemps que leur niveau de capital humain sera soutenu. C’est pourquoi, Aghion P. Cohen E. (2004) soutiennent que les pays les plus avancés et donc les plus proches de la « frontière de technologie » doivent privilégier l’enseignement supérieur, passerelle entre la recherche, l’innovation et la créativité, seules stratégies qui leur permettront de rester dans le peloton de tête et d’affronter les contraintes de concurrence et de compétitivité ; tandis que les pays pauvres, doivent quant à eux, préférer l’imitation et le rattrapage en concentrant leurs efforts dans l’enseignement primaire et secondaire. Ceux-ci se vérifient d’une part, dans les résultats de Philips (1994) sur les pays de

l’OCDE où une année supplémentaire d’études au secondaire et au supérieur des hommes accroît le PIB par tête de 0,44% par an (voir aussi Philips, 1994). D’autre part, ayant évalué l’impact de l’éducation sur la Malaisie, E. Lafaye De Micheaux (2004) a conclu que l’éducation dans le primaire a joué un premier rôle, contribuant à hauteur de 74% à la croissance économique de ce pays alors que celle du secondaire y contribue beaucoup moins (14%). Les études de Mingat et Tan (1996) et Mingat et Suchaut (1998) ont tiré les mêmes conclusions relatant l’impact positif de l’éducation primaire sur les économies africaines et le rôle relativement non significatif des autres niveaux d’éducation.

Ces constats sont essentiels pour une bonne orientation des investissements éducatifs en Afrique et dans les autres pays en voie de développement qui se situe en marge de la frontière technologique. Cependant, il y a également lieu de se poser la question de savoir quels sont les préalables pour que l’un des deux entraîne des effets significativement importants sur la croissance. L’éducation primaire est-elle importante pour des pays ayant à niveau initial d’accumulation du capital humain élevé ? Qu’en est-il de l’éducation au secondaire ? Ces questions constituent la deuxième problématique de notre recherche.

Il ressort de toutes ces études, une caractéristique commune selon laquelle, l’éducation est un déterminant de la croissance et un préalable à la croissance économique de long terme même l’on peut relever une absence de consensus sur le rôle de l’éducation sur la croissance économique. Beaucoup d’auteurs pensent que, s’il en était un, un certain nombre de conditions doivent être remplies pour qu’il soit maximal.