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MÉTHODES QUALITATIVES

4.4.3 L’analyse comme confrontation des méthodes

La mise en relation des différentes méthodes présentées dans le chapitre 4 permet d’opérer une triangulation méthodologique lors de l’analyse, c’est-à-dire de confronter des données de sources multiples, recueillies pour l’étude d’un même phénomène. La triangulation vise avant tout à renforcer les interprétations. Il ne s’agit pas de chercher des preuves ou la « vérité », mais la

« vraisemblance » (Danic, Delalande et Rayou, 2006). La triangulation est particulièrement conseillée lorsque l’on enquête avec des populations vulnérables. Elle permet de contrebalancer les effets de censure liés aux rapports de pouvoir entre un enfant/jeune et un adulte, lesquels sont particulièrement marqués dans l’approche conventionnelle de l’entretien. Elle permet en outre de trouver un équilibre dans le dilemme mentionné par Punch (2002) et Lange et Mierendoff (2011) : tandis que les chercheurs souhaitent reconnaître la capacité d’action des enfants au même titre que des enquêté-es compétents, ils affirment par ailleurs la nécessité de trouver des approches spécifiques liées à leur âge et leur condition. La résolution possible est alors de

croiser des méthodes ordinaires utilisées avec des adultes avec des approches centrées sur les enfants. 95

Alors que les méthodes ont été initialement pensées pour se compléter, c’est une fois l’étude terminée que je constate en quoi elles se répondent au point de former des axes d’analyse. Le tableau ci-après liste les données recueillies par chacune.

95 Citation complète : « As in the discussion of surveys, the framing of questions and the appreciation of children’s competencies is hampered by the ambivalence of trying to empower the children and see them as competent interviewees, on the one hand, and the need to find some age-specific resources, on the other hand. This dilemma can be partially solved by mixing “ordinary methods” which are also used with adults and special, child-centred methods (Hill, Laybourn and Borland, 1996). » (Lange et Mirendorff, 2011, 85).

Tableau 4.6 : Présentation des données collectées par méthode d’enquête

Regard des jeunes usager-ères sur leurs pairs, puis sur eux- mêmes Projet en

Tableau 4.7 : Complémentarité des données et articulation au sein des chapitres

UNE POSTURE FÉMINISTE : SAVOIR D’OÙ JE PARLE

Depuis la proposition d’Haraway d’expliciter la dimension située de la connaissance comme gage de scientificité (Haraway, 1988), assumer le positionnement du chercheur-e a été revendiquée par les féministes. Avoir une posture féministe, c’est donc avant tout être critique vis-à-vis des conditions de production de la connaissance. En tant que discipline du regard, la géographie a, en effet, longtemps contribué à reproduire le point de vue de l’homme blanc bourgeois et hétérosexuel, qualifié de master subject par Haraway. Dans son étude sur la discipline géographique, Rose (1993) nous invite à rester critique vis-à-vis de cette posture objectivante (illusion de l’objectivité, de la séparation objet/sujet) et positiviste (la vérité sort du terrain) qui a longtemps fait foi en géographie. En outre, et par conséquent, le processus de recherche n’est pas prévisible, l’incertitude nous invitant souvent à improviser (Fall, 2005).

Par conséquent, expliciter d’où on parle, c’est reconnaître l’existence du regard géographique qui façonne toute recherche, et assumer le fait que toute recherche résulte d’interactions sociales, lesquelles ont une grande part d’inattendu.

Ma posture féministe peut se résumer en quelques principes : - L’usage du « je » est une posture d’honnêteté.

Je dis « je » pour les choix que j’ai fait. Je dis « nous » lorsque l’action ou la réflexion est collective.

- Expliciter le positionnement est un gage de scientificité

Les interactions sont plus faciles avec celles et ceux dont je partage les codes.

S’il est difficile de mesurer les effets de mon statut d’universitaire, les effets du sexe sur la récolte des données sont plus évidents. Questionner des jeunes garçons en tant que femme adulte a pu donner lieu à des échanges courts et inconfortables. En revanche, les contacts étaient bien plus faciles avec les filles tous âges confondus, générant des entretiens plus longs et plus nombreux qu’avec les garçons. Je comprends dès lors le choix notamment de Morris-Robert (2002) de mener une étude exclusivement avec des jeunes filles adolescentes. Ayant conscience du potentiel biais lié au manque de témoignage des jeunes garçons, je ne souhaitais pas pour autant exclure tous les garçons de l’étude.

Immergée dans une institution dont les espaces sont densément occupés par deux groupes de personnes (adultes/enfants), ma présence en tant qu’adulte ne pouvait pas passer inaperçue. En un sens, il fallait choisir mon groupe d’affiliation et en adopter le comportement et les attributs. J’étais alors dans une situation paradoxale, car même si je souhaitais être au plus proche des jeunes usager-ères, c’était mon statut d’adulte qui me garantissait les accès aux espaces de l’institution. Comme Balleys et Morris-Robert, j’avais par mon âge (26/27ans) et ma tenue (jeans, basket, sac à dos) l’avantage de paraître jeune.

Tout en facilitant parfois le contact avec les jeunes individus, mon « apparence »

me permettait de me fondre dans le paysage de la cour de récréation ; elle m’a aussi conduit à justifier plusieurs fois ma présence dans les couloirs auprès du personnel de la direction. Il était dès lors nécessaire d’endosser rapidement les codes relatifs au monde des adultes, tels que se tenir droite et tendre la main lors des premiers contacts.

Du point de vue des adultes, de mon statut dépendait la légitimité de ma présence dans les couloirs pendant les cours. Du point de vue des élèves, savoir que j’étais une adulte leur permettait d’évaluer quand ils transgressaient et de s’en protéger, comme dans la situation où l’on me demande si j’ai une cigarette (« mais moi je sais pas ce qu’elle est » s’emporte la fumeuse). Pour cette raison, les questionnements directs ou indirects des élèves assis à un mètre de moi étaient fréquents96.

Tout positionnement est relationnel. Il se définit en fonction d’autres individus en présence et du contexte. La réflexivité est particulièrement requise lors d’une recherche avec les enfants. En outre, l’abondante littérature à ce sujet semble impliquer, depuis une vingtaine d’année, la nécessité d’une posture « critique » qui peut passer pour un impératif. Mais qu’implique cette posture ?

RECHERCHER AVEC DES ENFANTS : L’IMPÉRATIF D’UNE POSTURE CRITIQUE

En conséquence d’un changement de paradigme dans les années 1980 (Alanen 1994), la recherche contemporaine avec les enfants invite la ou le chercheur à endosser une posture critique à toutes les étapes de la recherche : conceptualisation, méthodologie, analyse (Nilsen, 2005) et publicisation de la recherche, l’ensemble nécessitant la mise en place d’un nouvel outillage conceptuel et méthodologique (James et Prout, 1997). Dans la continuité de la Convention des droits de l’enfant de 1989, qui stipule que l’enfant a le droit d’être entendu et le devoir d’être pris au sérieux, cette posture vise avant tout à donner « la parole » aux enfants et aux jeunes. Donner la parole implique aussi de développer des approches participatives où l’enfant n’est plus l’objet mais l’acteur de la recherche. Il s’agit donc bien de rechercher « avec » plutôt que

« sur » les enfants.