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Doreen Massey : (l’école) un espace relationnel, hétérogène et fluide Dans l’introduction de son ouvrage For Space (2005), Massey résume en trois

SOCIOLOGIE À LA GÉOGRAPHIE

2.1.2 Doreen Massey : (l’école) un espace relationnel, hétérogène et fluide Dans l’introduction de son ouvrage For Space (2005), Massey résume en trois

propositions sa pensée sur l’espace.

Sa première proposition porte sur la dimension relationnelle de l’espace.

L’espace se construit dans les interactions et à toutes les échelles : « Tout d’abord, nous devons reconnaître l’espace comme le produit des interrelations ;

41 Insistance dans le texte original.

en tant qu’il est constitué à travers les interactions, de l’immensité du global à l’intimement petit. »(9)42

Sa deuxième proposition porte sur le caractère multiple de l’espace. Parce que l’espace se construit dans les interactions, il relie et réunit les êtres humains entre eux. Il rend possible l’hétérogénéité et n’existe qu’à travers elle : « Deuxièmement, que nous comprenons l’espace comme le champ de la possible existence de la multiplicité au sens d’une pluralité contemporaine ; comme le champ à l‘intérieur duquel les trajectoires distinctes co-existent, comme le champ par conséquent d’une hétérogénéité qui co-existe. Sans espace, pas de multiplicité ; sans multiplicité, pas d’espace. »(9)43

Dans cette perspective, questionner l’espace, ou la multiplicité qui fait espace, revient à poser la question du « vivre-ensemble », ce qu’elle explique dans un entretien avec Walburton au sujet de son ouvrage For Space (2013) :

« Maintenant, ce que cela signifie c’est que l’espace est la dimension qui nous révèle l’existence de l’autre ; l’espace est la dimension de la multiplicité. Il me rend compte de l’existence de ces amis d’Amérique Latine et cela veut dire que c’est l’espace qui nous rend compte de la question du social. Enfin il nous confronte à la question la plus fondamentale qui est comment nous allons vivre ensemble. »44 L’espace est ce qui nous permet d’être ensemble, définissant nos conditions de vie et nous reliant avec nos différences.

Alors qu’elle est invitée à préciser le principe de multiplicité de l’espace, elle distingue ce dernier du temps qui permet la succession. L’espace a la particularité de permettre aux choses et aux êtres d’exister en même temps : « Si le temps est la dimension où les choses surviennent les unes après les autres, c’est la dimension de la succession, alors l’espace est la dimension des choses étant, existant au même moment : de la simultanéité. C’est la dimension de la multiplicité. »45

Suivant les deux propositions précédentes (espace produit des interrelations et espace dimension de la multiplicité), la troisième porte sur la fluidité de l’espace : « Troisièmement, que nous reconnaissons l’espace comme toujours en construction. Précisément parce que l’espace dans cette perspective est le

42 Ma traduction de: « First, that we recognize space as the product of interrelations; as constituted through interactions, from the immensity of the global to the intimately tiny. » (Massey, 2005, 9)

43 Ma traduction de : « Second, that we understand space as the sphere of the possibility of the existence of multiplicity in the sense of contemporaneous plurality; as the sphere in which distinct trajectories coexist; as the sphere therefore of coexisting heterogeneity.

Without space, no multiplicity; without multiplicity, no space. » (Massey, 2005, 9)

44 Ma traduction de « Now what that means is that space is the dimension that presents us with the existence of the other; space is the dimension of multiplicity. It presents me with the existence of those friends in Latin America and that means it is space that presents us with the question of the social. And it presents us with the most fundamental of political of question which is how are we going to live together. » (Massey et Walburton 2013, 3).

45 Ma traduction de : « If time is the dimension in which things happen one after the other, it’s the dimension of succession, then space is the dimension of things being, existing at the same time : of simultaneity. It is the dimension of multiplicity » (Massey et Walburton, 2013, 3).

produit des relations-entre, relations qui sont nécessairement enchâssées avec des pratiques matérielles qui ont été menées, c’est toujours dans un processus en train de se faire. Ce n’est jamais fini, jamais fermé. Peut-être que nous pourrions imaginer l’espace comme une multiplicité des histoires déjà-là. »46 Puisque le changement fait partie de l’espace, penser un espace « en train de se faire » nous invite à considérer les processus et à accepter d’analyser des situations en cours de modification.

Lefebvre, puis Massey, proposent une définition de l’espace comme produit et producteur des rapports sociaux. Parce qu’il est produit par les interactions sociales, il est nécessairement hétérogène et potentiellement contradictoire. En conséquence de sa triplicité (Lefebvre), il se caractérise par la multiplicité et l’hétérogénéité (Massey). Pour ces auteurs, questionner l’espace revient à questionner la manière dont on vit ensemble, comment on se constitue en société et « fait » groupe. Le corps, espace et attribut des individus, joue un rôle essentiel.

Schéma 2.1 : L’espace (scolaire) selon Lefebvre et Massey

46 Ma traduction de : « Third, that we recognise space as always under construction.

Precisely because space on this reading is a product of relations-between, relations which are necessarily embedded materiel practices which have been carried out, it is always in the process of being made. It is never finished; never closed. Perhaps we could imagine space as simultaneity of stories-so-far. » (Massey, 2005, 9)

Dans un but de clarté, je présenterai ce que l’on sait de l’espace scolaire en suivant la triplicité de Lefebvre. Je commencerai néanmoins par l’espace conçu, pour m’attarder ensuite sur l’espace perçu/pratiqué puis vécu/habité, deux dimensions qui seront plus amplement discutées dans cette recherche. C’est d’ailleurs en considérant l’école comme un espace pratiqué que l’hétérogénéité de l’espace définie par Massey prend le plus de sens pour comprendre les processus sociaux constitutifs de l’institution scolaire. Bien qu’elle ne parle pas d’espace « pratiqué », l’espace, qu’elle définit comme relationnel, hétérogène, fluide et toujours en construction, résulte nécessairement de « pratiques » humaines.

L’ÉCOLE, ESPACE CONÇU ET CONSTRUIT : UN ESPACE IDÉOLOGIQUE Les représentations de l’espace, c’est-à-dire l’espace

conçu, celui des savants, des planificateurs, des urbanistes, des technocrates « découpeurs » et

« agenceurs », de certains artistes proches de la scientificité, identifiant le vécu et le perçu au conçu (…).

C’est l’espace dominant dans une société (un mode de production). Les conceptions de l’espace tendraient (avec quelques réserves sur lesquelles il faudra revenir) vers un système de signes verbaux donc élaborés intellectuellement. (Lefebvre, 1974, 48-49)

L’espace conçu permet dans un premier temps, et dans une perspective de cadrage, de comprendre en quoi l’école, en tant qu’institution, est un espace et un contexte spécifiques de « production » des pratiques. Nous verrons comment l’école est devenue un édifice incarnant un projet de société. Si nous ne ferons pas l’historique de l’architecture scolaire, nous évoquerons quelques caractéristiques nationales. Dans cette sous-partie, il importe de présenter l’école comme un espace politique à trois échelles : des politiques nationales, des politiques d’établissements et des politiques en train de se faire dans les failles des dispositifs spatiaux.

2.2.1 L’école, quand le temps devient espace