• Aucun résultat trouvé

Marie-Rose avait laissé un mot à mon attention : « J’entre dans le Cabazor ressuscité de J,ésus qui prend par la même façon la place de mon propre cœur uni à celui de la Colombière. A toi asteure, ma chère Eva, de mener à bien ta mission. Prends bien soin de ne jamais tirer le bien de sa source». Je n'ai guère compris ce qu'elle voulut dire par "ne jamais tirer le bien de sa source". Elle était comme ça, à sortir des phrases qui faisaient songer ! Je pris une double décision : ne montrer ce mot à quiconque et ne point conter cette vision du triple cœur unissant Sœur Marie-Rose, J,ésus et la Colombière. Ce fut sans doute une femme visionnaire et intelligente, mais aussi un être torturé et sans bordière.

Après avoir découvert sœur Marie-Rose, enraidie, j’alertais la sœur surveillante. Elle s’occupa de tout discrètement. Elle nota en observant de près la tasse placée sur la table de chevet que Marie-Rose s’était probablement empoisonnée avec une décoction de fruits d’if. Elle ajouta comme pour elle-même : « Dire que l’if est le symbole de l’éternité ». Il y avait en effet au fond de la tasse des baies rouges écrasées qu’elle me montra. Je fus conduite au milieu de la nuit dans le bureau de la mère supérieure, Bénédicte Orvières. Elle ne ressemblait guère à Mme de Rochechouart, la supérieure de Saint-Orsan si raffinée et dominatrice. La femme devant moi respirait la simplicité et l’intelligence. Elle me reçut dans un coin de son bureau où se tenaient deux fauteuils en osier.

Elle avait une autorité naturelle et ne s’adressa point à moi de manière maternelle. J’eus le sentiment d’être à son niveau. Elle parlait à quelqu’un en moi que je ne connaissais point. Elle était belle mais ne paraissait pas s’en soucier. Ses phrases étaient longuement mûries avant d’être exprimées. Le fait d’être au milieu de la nuit entre deux messes rendait plus mystérieux encore ce rendez-vous à la lumière de la bougie.

Elle me causait de choses et d’autres comme si elle voulait ramener cette étrange nuit à la réalité quotidienne. Elle me laissa tranquille quelque temps m’apportant simplement un verre d’eau. Je crois que j’ai regardé dans le vide pendant de longues minutes. Puis, elle s’est assiétée en face de moi, le visage bienveillant. Je songeais bêtement que je ne pourrais point retourner me coucher auprès d’une morte. Finalement, Bénédicte Orvières se décida à deviser en profondeur.

Chapitre 33.- Oudropoque.

« La Sorbonne venait de condamner les idées de Luther. Je m’occupais des intérêts d'un duc qui voyageait beaucoup. Quand il décida de s’exiler car il pensait que cela allait mal tourner en France, je le suivis. Le royaume du B. nous faisait les yeux doux. Nous avons mis plus d’un mois pour arriver à notre destination, une ville située au bord du fleuve O. Je quittai, comme Luther, mon statut d’abbé pour ma nouvelle vie de converti. Au temple je rencontrai Eva, la fille d'un officier. Je n’avais jamais rencontré une telle femme. Autonome, elle

repensait tout par elle-même, sans rien prendre pour argent comptant. Elle avait lu, avec son frère, la Bible en latin, grec, hébreux tout comme en allemand. Sa liberté me grisait ; nous allions faire des promenades dans les forêts alentour.

Une fois au milieu des arbres la tempête s’est levée. Un couple de chevreuils tournait autour de nous et nous regardait drôlement avant de déguerpir. Nous écoutions le vent dans les arbres profond, violent, libre. Elle me prit la main et me fit traverser un épais bosquet de houx. Une étendue d’eau limpide et chaude dormait au milieu des fougères. C’était une source d’eau chaude qu’elle seule connaissait. A notre contact, la surface noire devint blanche comme du lait.

Le vent s’atténuait par moment puis reprenait violemment couchant presque les fougères autour de nous. Sous la capuche qu’elle avait conservée dans la source, le visage d’Eva ressembla un instant à celui d’une tortue : elle avait les yeux un peu sortis de leur orbite et une fine rangée de dents posés en fer à cheval. J'étais serein au milieu de cette forêt en furie profonde. Le couple de chevreuils est réapparu en se frayant un chemin dans le bosquet de houx. Lui, le mâle, nous a regardés longuement entre les branches, intéressé comme s’il allait venir vers nous, elle derrière plus timide. Puis, il s’est détourné, soudain, et à sauter au-dessus des branches suivi de sa compagne et ils ont disparu. La tempête s’accéléra encore. Ils voulaient peut-être nous prévenir.

Un arbre, à cinquante mètres, s’est écroulé d’un coup de tout son long, sans craquement annonciateur. Eva me souffla qu’il nous fallait sortir de la forêt, rejoindre les berges de l’Oder, avant de nous faire écraser. Nous avons presque couru. Tous les vieux arbres s’effondraient les uns à la suite des autres. Une cime termina sa course à quelques centimètres de nous. Enfin, nous sommes parvenus à l’orée de la forêt, le long du fleuve au milieu des joncs longs et épais qui se penchaient de tout côté comme des cheveux sous un séchoir. Nous restâmes quelques instants à reprendre notre souffle, regardant l’eau du fleuve contourner une langue de terre et entrer dans une sorte de petite mer formant des vagues successives, virant ensuite dans ce port naturel jusqu’à s’échouer avec force sur la berge. Eva sortit un couteau de sa manche. Nous étions protégés par un jeune et vigoureux tronc d’arbre qui ne risquait pas de céder.

Elle arracha avec précision des morceaux de peau d'un chêne. J’avais toujours trouvé ridicule de dessiner des petits cœurs sur les troncs d’arbre. Mais elle dessina un cœur inversé, la pointe en haut. Elle le coupa en deux de deux coups secs qui laissèrent intact, au milieu, une bande d’écorce».

Quand Philippe achève de raconter son rêve, le psy est encore en train de tailler ses crayons. Après avoir regardé le plafond, il se met à écrire consciencieusement. Le shrink relève la tête : — A qui ressemble cet Eva dans votre rêve ?

— Je n’y ai pas fronté avant, mais, oui, il s’agit du visage d’une chercheuse en théologie que j’ai meeté il y a quelque temps. Nous avons bien fité.

Ce rêve semble tout à fait incompréhensible à Philippe. Les griffures des photos qu’on lui a montrées la veille au soir, à peine arrivé dans le labo de Birmingham après un voyage en train depuis Paris via Londres, étaient pourtant profondes et claires. Le psy parait un peu embêté.

concluante mais elle n'est pas sans intérêt. Il faudrait peut-être augmenter la dose de drogue. Il conduit tout de même Philippe dans la salle de projection où se trouvent déjà la directrice de recherche et son adjoint.