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L’Église corps et plénitude du Christ

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 138-143)

3.3.1 « Les hauts cieux »

3.4 L’Église à l’œuvre dans la création

3.4.2 L’Église corps et plénitude du Christ

Après avoir déclaré que le Christ ressuscité est au sommet de tout (Ep 1,21), l’auteur décrit le rapport du Christ et de l’Église (Ep 1,22-23) au moyen de la métaphore de la tête et du corps. Tout au long de l’Épître aux Éphésiens, cette image est reprise et développée selon plusieurs motifs. Le corps est inséparable de la tête et il est unique. En outre le corps se développe en tirant sa vitalité de la tête. L’Église est représentée comme un être vivant qui grandit. Une image similaire la dépeint comme une maison en construction. Comme corps elle est plénitude du Christ et, présente dans le monde, elle participe à l’œuvre de réconciliation universelle.

372

137 La relation entre le Christ et l’Église est illustrée au moyen de la double image de la tête et du corps. La création de l’homme nouveau (Ep 2,15) que le Christ crée « en lui », se traduit par l’existence d’un seul corps (Ep 2,16). De l’Église corps il a déjà été question dans le premier chapitre où, en Ep 1,22-23, le Christ est d’emblée présenté dans une situation de supériorité par rapport à l’Église : il en est la tête et l’Église est son corps.

L’idée que le corps et la tête sont intimement liés est, dans le Nouveau Testament, abordée uniquement dans les Épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens373. Cette image peut avoir sa source, soit dans l’Ancien Testament, soit dans la philosophie hellénistique, et sans doute faut-il voir en Éphésiens une combinaison de ces deux traditions. Dans une première étape nous examinerons l’emploi du terme corps en particulier dans les discussions sur le cosmos, puis nous nous intéresserons à la manière dont l’auteur d’Éphésiens a combiné ce terme avec celui de « tête ».

En grec, le terme «

sw/ma

»374 désigne en premier lieu le corps d’un être vivant et il embrasse toute la personne. Depuis Platon, «

sw/ma

» est explicitement et fréquemment lié à l'univers. Dans le Timée (30b, 39e), le cosmos est considéré comme une entité vivante et rationnelle qui possède une âme375. Dans l’univers religieux des stoïciens (Ier av J.-C. – Ier ap. J.-C.), le cosmos est considéré comme un corps gouverné par le Dieu suprême qui en est l’âme ou la tête. Pour Sénèque, le corps du monde est parcouru par l'eau et le vent qui coulent en lui tels le sang et le souffle à travers le corps humain. Ce que l'âme est à l’homme, Dieu l’est pour le cosmos (Sen Ep 65, 24). L’univers est Dieu et les humains en sont les membres (Sen Ep 92,30376). Dans leurs discussions métaphysiques les philosophes se représentent le monde comme vivant et intégrant l’humanité. Le Dieu suprême en est en quelque sorte le pilote. Dans le conteste social, la métaphore du corps et de la tête est également utilisée. On trouve, par exemple, l'affirmation selon laquelle la cité est composée de nombreuses parties, ce qui la rend semblable au corps de l'homme. Dans le même ordre d’idées, l'État est le corps de l'empereur, qui est en est la tête (Sen De Clementia I,5,1).

La LXX n’a pas subi l’influence de la philosophie grecque pour ce terme puisque le mot «

sw/ma

» y désigne toujours l’être humain dans sa totalité et n’est jamais associé à un corps inorganique ou à un groupe de personnes. En choisissant le terme «

sw/ma

» pour

373 En 1 Cor 12,-27 et en Rm 12,4-5 le concept de l'Église comme corps du Christ est évoqué. L’idée développée dans ces écrits est l’unité organique. À l’époque le terme de corps peut renvoyer à l’idée de corporation. C. Perrot (PERROT, C. ; « Après Jésus: le ministère chez les premiers chrétiens », Les Editions de l’Atelier, Paris, 2000) traduit « corps du Christ » par « la corporation du Christ » (45). Le Christ n’est pas la tête du corps il s’incorpore à ce corps même. À partir de Colossiens et d’Éphésiens le corps est identifié à l’Église dont le Christ est la tête. La tête se distingue du corps.

374

TDNT, T.VII, 1024-1094. C.E. Arnold note que si l’on trouve la métaphore de la tête dans les papyrus magiques, les références traduisent cependant une grande différence avec Éphésiens ; aussi ne peut-on y voir la source de l’utilisation de l’image du corps (ARNOLD, Ephesians: Power and Magic, 79).

375

Philon suit les philosophes grecs et utilise le terme de «

sw/ma

» pour décrire le cosmos qui possède une âme. Le cosmos est le plus grand des corps et il contient en son sein la multitude des corps (Plant 7). Les différentes parties du cosmos conservent cependant leur unité (Abr 220). À l'instar de l'être humain, le cosmos se compose d’un corps et d’une âme (Her 155). Cependant, sa conception du cosmos est plus complexe, et y sont également acteurs le Logos et la Sagesse.

376

« Ce grand tout, dans lequel nous sommes compris, est un, et cet un est dieu : nous sommes ses associés, nous sommes ses membres » (Sen Ep 92,30).

138 désigner l’Église l’auteur d’Éphésiens s’inspire non de la LXX mais de l’usage grec qui lui donne la signification de groupe constitué en lien avec une autorité.

Dans l’Épître aux Éphésiens, la tête et le corps sont reliés de manière apparemment intentionnelle. En Ep 1,22 le Christ au sommet « de tout », chef suprême de l’univers, est la tête de l’Église. Le contexte est cosmique mais ce n'est pas le cosmos, mais l'Église, qui est son corps, le domaine spécial de sa présence. La tête, dans un sens métaphorique, désigne le chef, celui qui dirige ou celui qui est supérieur. C.E. Arnold377 propose d’expliquer la métaphore corps/tête en combinant les notions de « chef » de l’Ancien Testament à celle de la médecine grecque qui décrit les fonctions de la tête par rapport au corps et à ses membres. En effet, à partir d’Hippocrate (460 et 370 av. J.-C.), les connaissances médicales se développent. Galien (130-200 ap. J.-C.), dont les œuvres résument les progrès accumulés dans les sciences médicales, démontre que la tête est la partie la plus importante dans l'homme ; elle désigne le pouvoir qui anime le corps378. De cela il découle que l’auteur d’Éphésiens aurait pu attribuer à la tête non seulement le rôle de chef mais également un rôle de coordination et d’unification de tout ce qui se passe dans le corps. En d'autres termes, par son pouvoir, le chef est omniprésent et la relation entre le corps et la tête est dynamique. Loin de séparer Christ de son corps, la tête est un facteur de cohésion.

L’interprétation de la métaphore corps/tête de C.E. Arnold trouve une illustration en Ep 4,15-10. L’Église tire sa vitalité du Christ ; elle est son corps et en ce sens elle est unie à lui. Le corps n’est pas une structure immuable, il se développe. À côté de l’image du corps, et pour présenter la croissance de l’Église, l’Épître a recours à l’image d’une construction dont les fondations sont les apôtres et la pierre d’angle le Christ (Ep 2,20). À partir de champs sémantiques différents, les deux métaphores évoquent le développement de l’Église.

La croissance de l’Église est relative au Christ. Chaque membre est appelé à devenir adulte (Ep 4,14) et à grandir (Ep 4,15). Les versets Ep 4,15-16 que nous reproduisons ci-dessous expriment la croissance du Corps vers le Christ.

15

16

avlhqeu,ontej de. evn avga,ph| auvxh,swmen eivj auvto.n ta. pa,nta( o[j evstin h` kefalh,( Cristo,j(

evx ou- pa/n to. sw/ma sunarmologou,menon kai. sumbibazo,menon dia. pa,shj a`fh/j th/j evpicorhgi,aj( katV evne,rgeian evn me,trw| e`no.j e`ka,stou me,rouj( th.n au;xhsin tou/ sw,matoj poiei/tai eivj oivkodomh.n e`autou/ evn avga,ph|Å

15

16

Mais, professant la vérité, dans l’amour, nous grandirons de toutes manières vers lui qui est la tête, Christ,

de qui le corps tout entier coordonné et uni par toutes les articulations qui le desservent selon une activité à la mesure de chaque partie, réalise la croissance du corps pour son édification, dans l’amour.

Dans la proposition « nous grandirons de toutes manières vers lui qui est la tête, Christ » (v. 15) l’interprétation de «

ta. pa,nta

» 379 pose problème. En effet, «

ta. pa,nta

» peut être considéré soit comme un adverbe soit comme un complément. Dans ce dernier cas, le verbe est transitif, et l’interprétation pourrait être la suivante : « nous faisons croître l’univers

377

ARNOLD, Ephesians: Power and Magic, 81-82. 378

« vers la région d'où l'âme tire sa première origine, la tête qui est notre racine, a tenu droit le corps entier », Galien, Des habitudes, chap. 5.

379

139 vers celui qui est la tête ». Cette interprétation serait alors dans la lignée d’Ep 3,10 où l’Église annonce le mystère aux puissances. L’Église réaliserait le projet divin qui est de récapituler l’univers en Christ. Mais cette interprétation signifierait cependant que l’univers est le corps du Christ. Or, dans le contexte d’Éphésiens, le corps du Christ est l’Église. Il est probablement préférable de conserver la première solution où «

ta. pa,nta

» est considéré comme un adverbe et traduit par « de toutes les manières ». Ainsi, l’Église grandit vers le Christ.

Tout en étant dirigée vers le Christ c’est de lui que l’Église tire sa force. Le verset 16 est parallèle à Col 2,19, et dans les deux épîtres, le Christ est la tête. Dans la lettre aux Colossiens, Dieu donne la croissance au corps alors que, dans l’Épître aux Éphésiens, le Christ tient ce rôle. L’Épître aux Éphésiens insiste sur la vitalité du corps. La préposition «

evk

» a été choisie pour exprimer d’où le corps tire sa croissance. Apposée au Père (1 Co 8,6 ; Rm 11,36), elle traduit l’idée d’origine dans des expressions liées à la création. Appliquée au Christ, dans ce verset elle souligne que ce dernier est l’origine des dons reçus. Du Christ le corps reçoit son principe vital. Ainsi cette perspective est cohérente avec le fait que le Christ « nourrit » (Ep 5,29380) son corps et prend soin de lui.

La croissance du corps (Ep 4,15-16) comprend deux volets. La vie dans la vérité permet à l’Église de croître (« nous grandirons vers la tête ») vers le Christ et en retour l’Église en tant que corps reçoit cohésion et vitalité de la tête, lui permettant de croître. Cette croissance entraîne l’Église vers une dimension cosmique, ainsi M. Bouttier381 peut écrire :

« L’édification du corps est proposée comme ultime visée à l’œuvre du Christ exalté afin qu’il occupe l’univers ».

Le motif de la croissance de l’Église avait déjà été abordé au chapitre 2, non pas au moyen de la métaphore de la tête et du corps mais avec l’image de la construction. L’Église créée en un seul corps (Ep 2,16) est ce nouveau temple de la présence divine dont les membres sont de la maison de Dieu. Les fondements de la maison sont les apôtres et les prophètes, et l’«

avkrogwniai/oj

», le Christ (Ep 2,20). Ce terme peut prendre le sens de « pierre angulaire » ou de « clé de voûte »382. Si l’on retient « clé de voûte » pour traduire «

avkrogwniai/oj

», alors le Christ représente l’achèvement de l’édifice. Les différents matériaux s’ajustent (

sunarmologe,w

). L’idée sous-jacente est que des éléments d’origines diverses servent à édifier la maison. Pour évoquer le temple qui grandit (

auvxa,nw

) Ep 2,21 utilise le même verbe que celui qui est employé pour décrire la croissance du corps. La métaphore du temple rejoint ainsi celle du corps.

Le Christ est considéré comme le chef de l’Église. Toutefois, l’auteur d’Éphésiens insiste davantage sur d’autres aspects. L’Église en tant que Corps est pleinement reliée au Christ qui est la Tête. Elle reçoit de lui toute l’énergie qui la fait vivre et grandir. La croissance de l’Église n’a pas de limite. Elle est ainsi associée à l’action du Christ dont le but est « de remplir toutes choses » (Ep 4,10). Aux déclarations qui concernent l’Église corps et

380

« Car nul n'a jamais haï sa propre chair ; on la nourrit au contraire et on en prend bien soin. C'est justement ce que le Christ fait pour l'Église : ne sommes-nous pas les membres de son Corps » (Ep 5,29-30).

381

BOUTTIER, Éphésiens, 197. 382

140 temple s’ajoute dans l’Épître aux Éphésiens l’affirmation de l’Église plénitude du Christ. En particulier Ep 1,23 appose les deux termes de « corps » et de « plénitude ».

La thématique de la plénitude, évoquée à plusieurs reprises dans l’Épître aux Éphésiens en lien ou non avec l’Église et avec le Christ, s’appuie sur le mot «

plh,rwma

» (Ep 1,10 (accomplissement des temps) ; 1,23 ; 3,19 ; 4,13) et le verbe «

plhro,w

» (Ep 1,23 ; 3,19383; 4,10 ; 5,18 (remplis de l'Esprit)) qui, selon le contexte, renvoie au sens actif de « remplir » ou passif « d’être rempli ». Seules nous intéressent les occurrences des chapitres 1 et 4, qui mentionnent le Christ et l’Église ou le Christ et les chrétiens.

Dès le premier chapitre, le verset Ep 1,23 qui comme nous l’avons vu pose des problèmes de traduction, affirme que l’Église est la plénitude du Christ. Dans son interprétation M. Bouttier384 associe les sens actif et passif et donne l’interprétation suivante : « L’église est plénitude du Christ dans la mesure où celui-ci l'anime entièrement de sa présence. Mais, animée par lui, elle devient sa manifestation au point d'apparaître comme sa présence au monde, et, plus encore, pour lui, tête, son propre achèvement ». Grâce à sa relation avec le Christ cosmique, l'Église, comme sa plénitude, est le moyen par lequel celui- ci remplit le cosmos d’une manière cachée, mais qui le fera de manière ouverte et complète385.

Nous avons déjà examiné Ep 4,8-10386 où le Christ est présenté comme celui qui remplit l’univers (

plhrw,sh| ta. pa,nta

) (v. 10). Ce passage est en lien avec l’Église car les dons évoqués en Ep 4,8 sont des dons qui lui sont faits. Le Christ fait vivre son Église, vue ici sous son aspect cosmique, par le don qu’il fait de lui-même. C’est à ce titre qu’il est donné comme tête à l’Église qui elle-même est le moyen par lequel le Christ remplit le monde. L’Église est le signe que le Christ remplit tout en tous. Elle révèle ainsi la plénitude du Christ ressuscité. Il remplit l’univers en tant que Ressuscité. Ce n’est pas par soi que l’Église est cosmique. Elle l’est par celui qui domine le cosmos.

Quelques versets plus loin, le motif de la plénitude est à nouveau évoqué. Au verset Ep 4,13, l’homme parfait, qu’il serait préférable de traduire par l’homme adulte (celui qui a achevé sa croissance), est celui qui réalise « la plénitude du Christ ». L’expression «

eivj

me,tron h`liki,aj tou/ plhrw,matoj tou/ Cristou/

» enchaîne trois génitifs («

h`liki,aj

», «

tou/

plhrw,matoj/

», «

tou/ Cristou/

»). Les deux premiers confirment le champ sémantique de l’homme parfait et la BJ les appose à «

a;ndra te,leion

». M. Bouttier387 propose de leur faire préciser la Plénitude du Christ et traduit : « à la mesure de la dimension de la plénitude du Christ ». L’accent est, au chapitre 4, mis sur la construction (Ep 4,12), la croissance, la cohésion du corps (Ep 4,16). L’Église en tant que plénitude est encore à réaliser.

383 En Ep 3,19, la connaissance de l’amour du Christ permet aux chrétiens de pénétrer la plénitude de Dieu. Le mot plénitude ne peut être qu’actif lorsqu’il est appliqué à Dieu. Les croyants iront jusqu’à recevoir la plénitude de Dieu qui sera tout en tous.

384

BOUTTIER, Éphésiens, 89-90. 385

LINCOLN, The theology, 100. 386

Cf. 122. 387

141 L’Église n’est pas une réalité figée dont les contours sont établis une fois pour toutes. J.-N. Aletti388 résume l’ecclésiologie d’Éphésiens ainsi : « (…) l’ecclésiologie d’Ep se meut entre deux pôles, celui d’un déjà-là originel puisque l’Église est plénitude du Christ, c’est-à-dire totalement remplie par lui (Ep 1,23) et qu’elle doit néanmoins marcher vers cette plénitude qu’elle n’a pas encore – second pôle (Ep 3,19 ; Ep 4,13) ». L’Église est plénitude du Christ, remplie de lui afin d’en combler l’univers. Toujours en croissance, l’Église est associée à la mission de sa Tête pour réaliser le dessein de Dieu à l’égard de la création.

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 138-143)