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Des idoles et le Dieu unique (1 Co 8,4)

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 31-34)

1.2 Un Dieu et Un Seigneur au service de la création (1 Co 8,4-6)

1.2.1 Des idoles et le Dieu unique (1 Co 8,4)

Au verset 4, Paul retourne à sa réflexion débutée en 1 Co 8,1 sur la viande sacrifiée aux idoles (

eivdwlo,qutoj

58) et concentre son discours sur la manducation de viande. Combattre les habitudes des païens convertis au sujet de la consommation de viande issue de sacrifices était une préoccupation des premiers missionnaires chrétiens. Le développement le plus complet se trouve dans le livre des Actes. Dans la lettre, que certains vont apporter à Antioche, les anciens et les responsables discutent des comportements chrétiens et rappellent l’exigence de s’abstenir des viandes immolées aux idoles (

avpe,cesqai

eivdwloqu,twn

) (Ac 15,29). Lorsque Paul vient à Jérusalem pour rendre compte de sa mission, les anciens recommandent aux païens de se garder des viandes immolées (Ac 21,25). Dans les chapitres 8 à 10 de la première Épître aux Corinthiens, le souci de Paul est de clarifier le comportement à tenir dans une société polythéiste où les sacrifices sont communs59. Tout en reconnaissant que les idoles ne sont rien, il recommande cependant la prudence car derrière les idoles se cachent les démons (1 Co 10,19-20). Mais en 1 Co 8,4 il n’est pas encore fait mention de démon. En deux propositions introduites par «

o[ti

» + «

ouvdei,j

» Paul énonce tour à tour l’insignifiance des idoles et l’unicité du Dieu des juifs et des chrétiens.

La première affirmation «

ouvde.n ei;dwlon

60

evn ko,smw|

» peut se comprendre de deux manières : ou bien « il n’y a aucune idole dans le monde »61 autrement dit, il n’existe pas

d’idole ou bien « une idole n’est rien »62 à savoir qu’une idole ne possède pas d’existence

réelle. En effet, le mot grec «

ouvdei,j

» peut se traduire par aucun ou rien, sans importance. Si l’on rapproche cette affirmation de la seconde affirmation du verset qui concerne le Dieu unique, on préférera la traduction « il n’y a aucune idole dans le monde ». Par contre si on la rapproche du verset 1 Co 8,563 où il est fait mention d’une quantité de dieux, on préférera la traduction « une idole n’est rien », c'est-à-dire qu’elle n’a pas d’existence réelle. Cette interprétation rejoint celle des prophètes d’Israël qui déclaraient que les idoles ne sont rien (Is 41,29 « ils ne sont rien, néant que leurs œuvres »; Jr 10,15) comparées au vrai Dieu. En

58

Cf. 1 Co 8,1.4.7.10 ; 1 Co 10,19 ; Ac 15,29 ; Ac 21,25 ; Ap 2,14.20.

59 Dans le Nouveau Testament, la consommation d’idolôthytes est également associée à la débauche (1 P 4,3 ; Ap 2,14).

60

Au temps du Nouveau Testament le terme « ei;dwlon » signifie image ou portrait. Dans le contexte religieux il peut renvoyer à la statue d’un dieu qui, pour les fidèles, posséderait un pouvoir spirituel. Par extension, « ei;dwlon » est utilisé dans certains cas pour désigner des êtres célestes.

61

TOB; BARRETT, Epistle to the Corinthians, 187; WAALER, The Shema and The First Commandment in

First Corinthians, 396.

62

Cf. BJ, SOMERVILLE, R., La Première épître de Paul aux Corinthiens (Tome 2), Édifac, Vaux-sur- Seine, 2005, 20.

63

30 1 Co 10,19-20, Paul à nouveau rappelle que les idoles ne sont rien. Par contre, derrière les idoles auxquelles la viande est sacrifiée se cachent des puissances néfastes. Dans ce verset, le terme «

ko,smoj

» renvoie à la création qui pourrait être considérée comme le lieu d’habitation des idoles si elles avaient une réalité.

La seconde affirmation «

ouvdei.j qeo.j eiv mh. ei-j

» (il n’a pas de Dieu sinon l’Un) réaffirme le monothéisme et renvoie à l’introduction du Shéma Israël : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un (

ku,rioj ei-j evstin

)» (Dt 6,4 : traduction de la TOB). Paul, lui aussi, partage la foi au Dieu unique (Ga 3,20 : «

o` de. qeo.j ei-j evstin

»)64. Comme tout Juif, il devait réciter le Shéma deux fois par jour. L’unicité de Dieu est rappelé à la fois par des auteurs juifs et chrétiens. Ainsi, Flavius Josèphe, dans les Antiquités Juives écrit « le premier commandement [du Décalogue] nous enseigne que Dieu est un » (Antiquités 3,991). Et, dans son évangile, Marc également se place dans la tradition juive en mentionnant l’introduction du Shéma Israël (Mc 12,29)65.

La foi au Dieu unique entraine le rejet des idoles, comme l’indique le Décalogue, base des obligations juives, insiste : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi (Ex 20,3). Chez les prophètes, aussi, la foi au Dieu unique est réaffirmée dans les diatribes contre les idoles (Is 44,6.8.24 ; 45,5.6). Paul se situe dans la même lignée et les Actes mentionnent son aversion pour l’idolâtrie (Ac 17,16). Face à la multitude d’idoles, l’objet de la foi chrétienne est le Dieu véritable. Dans l’introduction de l’Épître aux Thessaloniciens, Paul décrit la foi des chrétiens de Thessalonique qui ont abandonné « les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable » (1 Th 1,9). De même, en Ga 4,8 il écrit « vous fûtes asservis à des dieux qui au vrai n'en sont pas ». Dans le premier chapitre de l’Épître aux Romains, Paul dénonce l’impiété des hommes (Rm 1,18). Au lieu de reconnaître le vrai Dieu, qui se laisse voir à l’intelligence par ses œuvres (Rm 1,20), « ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles » (Rm 1,20). Dans le livre des Actes, Luc fait dire à Paul : « en affirmant qu'ils ne sont pas dieux, ceux qui sont sortis de la main des hommes » (Ac 26,19).

Bien que la seconde affirmation soit une référence au Shéma Israël, nous avons choisi de traduire «

ouvde.n ei;dwlon evn ko,smw|

» par « une idole n’est rien ». En effet, l’affirmation de l’unicité divine est employée comme un argument dans les discussions qui portent sur les idoles. Ainsi, Paul, en accord avec les Corinthiens, et dans la lignée juive, oppose le Dieu unique aux idoles sans réalité. En adhérant au Christ, les membres de la communauté de Corinthe ont renoncé au polythéisme. Pour eux dorénavant les idoles ne sont rien, aussi manger de la viande qui leur est sacrifiée ne peut causer aucun préjudice. Bien que les idoles soient insignifiantes elles sont cependant nombreuses comme semble l’expliciter le verset suivant.

64

Voir également : Rm 3,30 ; Ep 4, 4-5 ; 1 Tm 1,17 ; 1 Tm 2,5 ; 1 Tm 6,15-16. 65

Dans son ouvrage « Gnosis : la connaissance religieuse dans les Épîtres de Saint Paul, E. Nauwlaerts, Louvain, 1949, 300-303 », J. Dupont étudie la possibilité que l’affirmation monothéiste du verset 4 soit d’inspiration grecque. En effet, à l'époque hellénistique, le « monothéisme » se développe suivant deux tendances. La première consiste à accorder la prééminence à un dieu, qui devient le souverain des dieux et des hommes. Dans la seconde, l’ensemble des dieux finit par fusionner en un seul principe divin dont les dieux ne seraient que différentes manifestations. Malgré l’existence de formules monothéiste s grecques, il montre qu’il est peu probable qu’elles aient inspiré Paul.

31

1.2.2

De nombreux dieux (1 Co 8,5)

Suite à l’affirmation de l’unicité de Dieu, le verset 5 semble concéder l’existence de plusieurs dieux. Au verset 5a, Paul fait référence à de prétendus (

lego,menoi

) dieux avant d’affirmer dans la proposition introduite par «

w[sper

» « qu’il y a de nombreux dieux et de nombreux seigneurs ». Les commentateurs se sont interrogés sur le sens que pouvaient prendre les termes « dieux » et « seigneurs » pour Paul. Différentes hypothèses ont été émises. Nous citerons A. Feuillet qui différencie les deux termes. Pour le reste, les commentateurs se divisent en deux catégories. Il y a ceux qui soutiennent que Paul admettait l’existence de Puissance célestes et ceux qui prétendent que le verset 5 souligne le simple fait que dans le monde païens des êtres célestes et terrestres sont adorés comme dieux ou seigneurs.

A. Feuillet66 propose de considérer le verset 5b comme une explication de 5a, avec une référence aux rois de l'époque hellénistique et aux empereurs romains qui se faisaient appeler «

qeoi. polloi. kai. ku,rioi

» et il traduit « en effet, s'il est vrai qu'il y a de prétendus dieux soit au ciel soit sur la terre, comme nous savons qu'en fait il y a beaucoup de dieux et de seigneurs (de ce genre) ». Les prétendus dieux qui sont au ciel sont les divinités imaginaires des mythologies païennes ; ceux qui sont sur la terre sont les princes divinisés, et 5b précise qu'il y a effectivement sur la terre une foule de dieux de cette espèce : dans ce dernier cas, il s'agit évidemment d'êtres bien réels, mais qui ne sont pas véritablement dieux et seigneurs. La distinction entre dieux et seigneurs ne semble pas faire l’unanimité. L’expression servirait avant tout à préparer le verset suivant où Paul opposera le seul Dieu et le seul Seigneur à la multitude des dieux et seigneurs.

Certains commentateurs considèrent que Paul reconnaît aux dieux et aux seigneurs une réalité en tant que puissances invisibles exerçant sur les humains une influence mauvaise. Les partisans de cette idée mentionnent le fait qu’en 1 Co 10,19-21 l’apôtre classifie les idoles comme des démons. Pourtant l’interprétation qu’ils font du verset 1 Co 8,5 diffère selon les chercheurs.

J. Héring67 considère que le verset 5a évoque des divinités qui n’en sont pas. Quant au verset 5b, il s’expliquerait par l’angélologie juive qui admettait grand nombre d'êtres angéliques très puissants que les hommes pouvaient être tentés de nommer « dieux », et qui effectivement sont parfois appelés « dieux ». Cependant, nulle part ailleurs Paul n’utilise « dieux et seigneurs » pour parler des anges. Cette interprétation est peu suivie. Selon H. Conzelmann68, Paul affirme que la connaissance invoquée par les Corinthiens est partielle et théorique car il pense qu’il existe des puissances célestes, anges et démons. L’enjeu, pour lui, n’est pas la reconnaissance ou non de ces êtres, mais la foi en un Dieu unique. Si

66

FEUILLET, Le Christ : Sagesse de Dieu, 62. 67

HÉRING, J., La première épitre de saint Paul aux Corinthiens, Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 1959, 64-65. En faveur de l’hypothèse d’Héring selon laquelle « dieux et seigneurs » désigneraient des anges citons volontiers Col 1,16-20, où l'on rencontre la même formule caractéristique "soit au ciel, soit sur la terre" . Dans ce passage les anges sont appelés « ei;te qro,noi ei;te kurio,thtej ei;te avrcai. ei;te evxousi,ai ». Voir aussi Ep 1,21. Dans d’autres passages Paul utilise le vocable « evxousi,aij » que nous traduisons les puissances (1 Co 15,24 ; Ep 3,10 ; 6,12 ; Col 1,16 ; 2,10.15).

68

32 l’accent est mis sur l’affirmation de l’unicité divine, peut-on pour autant ignorer les idoles ? Ce n’est pas l’opinion de C.K. Barrett69 pour lequel Paul a assurément cru en l’existence des

êtres démoniaques qui font l’objet des rites païens ; le fait qu'ils aient été défaits par le Christ n'enlève en rien leur menace pour certains chrétiens. De plus, il serait vain de nier que le mot « dieu » était d'usage courant ; dans l'opinion commune, le monde est peuplé d’êtres divins, qui, bien que leur résidence soit généralement dans le ciel, peuvent agir et apparaître sur terre. Paul semble cependant aller plus loin dans la réflexion. Le mot dieu employé par les païens ne désigne pas le Dieu de l’Ancien Testament. Mais il ne s'ensuit pas qu'il ne désigne rien, et que ces êtres que les païens appellent dieux n'aient aucune existence. Ceci, toujours selon C.K. Barrett, rejoint l’idée de l’Ancien Testament qui mentionne l’existence de divinités (« car Yahvé votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs » (Dt 10,17)). D’autres commentateurs70 émettent l’hypothèse que Paul mentionne comme simple

fait que, dans le monde païen, des êtres célestes et terrestres sont honorés comme dieux ou seigneurs. Les dieux n’existent pas de manière objective mais de manière subjective par le fait qu’ils sont adorés.

En conclusion, les dieux mentionnés en 1 Co 8,4-5 sont probablement les dieux païens adorés dans les temples de Corinthe. Cependant, l’intention de Paul n’est pas claire. Faut-il relier l’affirmation « et de fait il y a de nombreux dieux et de nombreux seigneurs » (5b) à la mention « une idole n’est rien » (v. 5a) ? En Ga 4,8, où Paul a été plus explicite, les dieux adorés par les gentils sont « des dieux qui, de leur nature, ne le sont pas ». Dans le verset 1 Co 8,5, l’ambiguïté est peut-être voulue par Paul dont le souci serait avant tout pastoral comme le suggère l’explication de J.D.G. Dunn71. L’apôtre aurait eu l’intention de donner du poids aux craintes des « faibles », qui chaque jour sont confrontés aux diverses pratiques cultuelles dans les temples de Corinthe. Il insiste sur le nombre des dangers potentiels avec des termes au pluriel «

lego,menoi qeoi.

» (prétendus dieux), «

qeoi. polloi.

kai. ku,rioi polloi,

» (quantité de dieux et quantité de seigneurs) mais également au moyen de l’opposition «

ei;te evn ouvranw/| ei;te evpi. gh/j

» (soit au ciel, soit sur la terre). Face aux nombreuses idoles qui ne sont rien, Paul a déjà mentionné le Dieu unique (

ei-j

) (v. 4). Il peut maintenant expliciter son argument principal.

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 31-34)