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Le Fils et la Création (He 1,10-12)

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 177-180)

Le Seigneur qui fonda le monde (He 1,10)

4.1 Le motif du Fils et la création dans l’Épître (He 1,2.3.10)

4.2.2 Dieu parle à son Fils maître de la création (He 1,5-14)

4.2.2.3 Le Fils et la Création (He 1,10-12)

Après avoir affirmé la souveraineté éternelle du Christ, l’auteur, par une longue citation du psaume 102, attribue au Fils une autre prérogative divine, à savoir le pouvoir sur le commencement et la fin de la création. Le Psaume 102 est un psaume de lamentation. La première partie fait entendre le soupir, la requête et aussi l'espérance d'un malheureux ; les versets 26-29 terminent sur une note de ferme confiance dans le Dieu qui crée et qui demeure. Le lecteur de l’Épître aux Hébreux peut aisément découvrir dans ce psaume des éléments permettant d’en faire une lecture chrétienne, à savoir l’intronisation du Christ (Ps 102,13), le renouveau de Sion (Ps 102,14.17

494 Pour l’éternité du trône voir: Lm 5,19 « Mais toi, Yahvé, tu demeures à jamais; ton trône subsiste d'âge en âge! » ; Ps 55,20 ; Ps 93,2.

495

MEIER, Symmetry, 515.

« Depuis longtemps tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains; eux périssent, toi tu restes, tous comme un vêtement ils s'usent, comme un habit qu'on change, tu les changes; mais toi, le même, sans fin sont tes années. Les fils de tes serviteurs auront une demeure et leur lignée subsistera devant toi ».

176 et He 12,2), la libération de la mort (Ps 102,21 et He 2,15) et le verset « on écrira ceci pour l’âge à venir et un peuple nouveau louera Dieu »496 (Ps 102,19) peut être lu de manière

messianique. Le passage du psaume cité par l’auteur peut être découpé en deux unités de tailles inégales concernant respectivement l’activité du Christ à l’origine (He 1,10) et à la fin des temps (He 1,11-12). Nous en donnerons un développement.

Le verset 10 introduit une nouvelle parole de Dieu adressée à son Fils, qui est une citation du Psaume 102,26 à partir de la LXX497. Le même procédé est employé. Un passage dont le sujet est Dieu s’applique, dans l’épître, au Christ. La phrase est toujours gouvernée par « pro.j de. » du verset 8a et le vocatif498

« Seigneur » s’applique au Fils (He 2,3 ; 7,14 ; 13,20). Le titre de Seigneur est absent du

Psaume ; son introduction permet de souligner le statut du Fils. L’auteur de l’Épître aux Hébreux, tout en citant la LXX, a modifié l’ordre des mots, plaçant le pronom « su, » avant « katV avrca,j ». Cette modification permet de lier immédiatement cette citation au Fils et de la mettre en relation cette citation avec la précédente, levant ainsi toute ambiguïté sur le fait que le titre de Seigneur s’applique au Fils.

La création concerne la terre et les cieux, soit l’ensemble du créé. L’expression «

katV avrca,j

» peut être considérée comme une allusion au premier chapitre de la Genèse. Elle permet de situer temporellement l’action du Fils à l’origine du monde. Le verbe «

qemelio,w

» (fonder) dans le grec des LXX renvoie dans la plupart des occurrences à la construction du temple ou d’un bâtiment et connote la stabilité. Il est cependant utilisé à plusieurs reprises499 dans le contexte de la création. Dans le livre des Proverbes il est écrit : « Le Seigneur a fondé (

evqemeli,wsen

) la terre par la sagesse, affermissant les cieux par la raison » (TOB) (Pr 3,19). Dans le contexte de la création également, la notion de stabilité est parfois prépondérante : « Tu poses la terre sur ses bases, inébranlable pour les siècles des siècles » (Ps 104,5). La création possède une solidité. Quant à l’expression « œuvre de tes mains » elle est employée dans le Psaume 8500 qui est un psaume de la création. Le ciel, décrit par le psalmiste, est embelli de la lune et des étoiles. L’artisan de cette œuvre est Dieu lui-même.

Le Fils est ainsi qualifié de Seigneur du ciel et de la terre. Dans l’exorde la formulation Dieu a créé « par le Fils » pouvait encore, et bien que le contexte ne s’y prête pas, autoriser à considérer le Fils comme un instrument, un agent subordonné. En appliquant le Psaume 102 au Fils, l’auteur proclame que le Fils est lui-même le créateur. L’auteur dit du Fils ce qui est dit depuis des siècles de Yahvé : « c’est toi qui aux origines

496 Ce psaume n’a pas été interprété comme messianique dans le milieu juif (E

LLINGWORTH, The

Epistle to the Hebrews, 126).

497

BATEMAN, Hebrews 1:5-13, 136.

498 Par rapport au texte massorétique, la LXX a choisi d’employer le vocatif pour souligner que dans le psaume 102,2, c’est de Yahvé qu’il s’agit.

499

Is 48,13 ; Jb 38,4 ; Za 12,1 ; Ps 89,12.

500 Le Psaume 8 est cité de manière plus explicite par l’auteur de l’Épître aux Hébreux au chapitre 2 ; 180.

Et encore : Toi, Seigneur, aux origines tu fondas la terre,

et les cieux sont l'ouvrage de tes mains

kai,\ su. katV avrca,j( ku,rie( th.n gh/n evqemeli,wsaj(

kai. e;rga tw/n ceirw/n sou, eivsin oi` ouvranoi,\

177 fondas le monde ». On ne peut trouver d’expression plus forte dans le Nouveau Testament pour affirmer que le Fils est l’acteur de la création

La suite tourne le regard du lecteur vers la fin des temps. Les versets 11 et 12 se réfèrent au Psaume 102,27-28.

Ils sont construits en chiasme autour du motif de l’immutabilité du Christ. Le verset 11 souligne le contraste entre la fragilité de l'univers, appelé à disparaître un jour, et l'éternité du Créateur. Comment comprendre le verbe «

e`li,ssw

» ? L’auteur veut-il insister sur l’importance de l’univers ou sur la destruction volontaire de celui- ci ? Le texte massorétique lit «

@lx

» qui est régulièrement traduit par « changer ». Cette idée est présente dans l’Ancien Testament où l’univers est décrit comme vieillissant (Is 51,6 ; Jb 14,12). L’insistance est mise sur le caractère transitoire de la création. Mais si l’on conserve l’image du manteau, la fin de l’univers est un acte volontaire : « tu les enrouleras, comme un vêtement » (He

1,12). Le verbe «

e`li,ssw

» rappelle Isaïe 34,4 où les cieux s’enroulent (

e`li,ssw

) comme un document (voir également Ap 6,14)501.

Le Fils maîtrise également la fin du monde. Il change l’ordre de la création aussi facilement qu’un humain change de manteau. L’auteur reviendra sur l’idée de la destruction de l’univers en He 12,25-28, au milieu d’un passage parénétique. Il est cependant inutile de lire les versets 11 et 12 comme une catastrophe eschatologique. La distinction entre le changement qui est inhérent au cosmos, et l’immutabilité de la divinité était déjà présente dans le texte du Psaume 102. Mais le psalmiste indiquait de manière métaphorique que Dieu régit la création. Introduisant ce texte dans le contexte d’exaltation, l’auteur de l’Épître introduit un cadre spatial502. Il met en évidence un contraste entre ce qui est visible et invisible, entre ce qui est présent sur la terre et la Jérusalem céleste. L’auteur envisage la destruction du monde. La théorie de l’auteur est que Dieu va remplacer le monde terrestre par un royaume céleste. Il fait la différence entre les choses qui doivent être changées et celles qui subsistent, dont le Royaume à venir. Il mentionne « le vrai tabernacle » qui n’appartient pas à cette création, la tente non faite de main d’homme (He 9,11). Les hommes sont pèlerins sur la terre (He 11,13) et leur pérégrination les emmènera jusqu’à une cité céleste (He 11,16). La fin d’He 1,12 souligne à nouveau l’éternité du Fils et son immuabilité. L’auteur développera ce motif dans le contexte du sacerdoce du Christ selon l’ordre de Melchisédech. Ce sacerdoce est éternel (He 5,6 ; He 7,24) et immuable (He 7,24). Le Christ

501 L’idée semble exister également chez Philon où la Parole de Dieu est dite se vêtir avec le monde symbolisé par les vêtements du grand prêtre (Fug 110).

502 L’argumentation rappelle l’idée du platonisme moyen qui distingue cette création en devenir et le

monde des formes (THOMPSON, J., The beginnings of Christian philosophy: the Epistle to the Hebrews, Catholic Biblical Association of America Washington, 1982, 135).

Eux périront, mais toi tu demeures, et tous ils vieilliront comme un vêtement. Et comme un manteau tu les rouleras, et comme un vêtement ils seront changés. Mais toi, tu es le même

et tes années ne s'achèveront point.

auvtoi. avpolou/ntai( su. de. diame,neij( kai. pa,ntej w`j i`ma,tion palaiwqh,sontai( kai. w`sei. peribo,laion e`li,xeij auvtou,j( w`j i`ma,tion kai. avllagh,sontai\ su. de. o` auvto.j ei=

kai. ta. e;th sou ouvk evklei,yousinÅ He 1,11-12

178 est rendu parfait pour l’éternité (He 7,28). Il résume sa conviction en He 13,8 : « Jésus Christ est le même hier et aujourd'hui, il le sera à jamais ».

Le Fils créateur a également la maîtrise sur l'avenir de l'univers, destiné à être « enroulé comme un manteau ». Déjà l'exorde reconnaissait le rôle du Fils dans l'origine et l'organisation du monde (He 1,2.3). Cette conviction préparait à la citation du psaume 102 pour affirmer que le Fils est tout à la fois le créateur et celui qui préside à la fin de la création.

La Seigneurie du Fils apparaît dans son caractère universel et transcendant. Il se situe au-dessus de l’univers créé et changeant. Son être dépasse l’ordre cosmique. Ce qui est affirmé dans ces versets est l’activité cosmique à travers les âges. L’accent est mis sur l’immutabilité du Fils. La supériorité du Fils sur les anges est ainsi affirmée de la manière la plus complète : il est à l’origine de la création et il est présent à la fin de ce monde.

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 177-180)