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Le Fils « premier-né de toute créature » (Col 1,15b)

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 72-74)

kai auvto,j evstin (18a)

2.2 Col 1,15-20 : Célébration de la médiation du Fils

2.2.1 Le Fils médiateur de la création inaugurale (Col 1,15-16)

2.2.1.2 Le Fils « premier-né de toute créature » (Col 1,15b)

Après avoir été désigné comme « image du Dieu invisible », titre qui exprime sa relation au Père, le Fils est ensuite qualifié, au verset 15b, de «

prwto,tokoj pa,shj kti,sewj

» (premier-né de toute créature). La juxtaposition « premier-né » et de « toute créature » est unique. Désigner ainsi le Fils ne va pas sans ambiguïté car cette dénomination semble l’intégrer à la création. Le substantif «

prwto,tokoj

»174 (premier-né) est construit à partir de «

prw/toj

» (le premier) et de «

ti,ktw

» (naitre). Les significations de «

prw/toj

» (le premier) se partagent suivant trois lignes : un sens spatial (devant), un sens temporel (le premier dans le temps) et un sens lié au rang ou à la valeur d’un individu (le plus important, le plus éminent). Pour comprendre la portée de cette expression dans l’Épître aux Colossiens nous donnerons les principales acceptions du terme «

prwto,tokoj

»175 dans la littérature juive (hors écrits de Sagesse). Puis, et bien que la Sagesse n’ait pas été désignée par le terme «

prwto,tokoj

» ni dans la LXX ni dans le judaïsme hellénistique176 nous considérerons les passages où la Sagesse semble précéder la création. Dans un troisième temps nous évoquerons le terme «

prwto,tokoj

» lorsqu’il se rapporte au Christ dans le Nouveau Testament.

Dans la LXX177, le terme «

prwto,tokoj

» (premier né) désigne habituellement l’aîné d’une fratrie. Appliqué à Israël ou au roi David il souligne la particularité d’une relation ou la supériorité du peuple ou du roi. Le substantif «

prwto,tokoj

» se retrouve principalement dans des généalogies ou dans des promulgations légales. Ces différents usages expriment le rôle important tenu par les premiers-nés. L'accent, dans le droit des aînés, porte sur l'honneur qui s'attache au rang plus que sur la priorité dans le temps : Jacob, en usant de ruse il est vrai, a réussi à devancer dans la bénédiction son aîné Ésaü ; de même Éphraïm, venu au monde après Manassé, a reçu les avantages du premier-né (Gn 48,17-19). Dans le livre de l’Exode,

173

La christologie dont il est question ici reste ancrée dans le monothéisme juif. N.T. Wright montre que l’arrière-plan du passage Col 1,15-20 est celui du monothéisme juif (WRIGHT, Poetry) ; cf. également DUNN,

Colossians, 88.

174

TDNT : 871,881. Le « prwto,tokoj » était peu commun, son usage s’est probablement répandu en raison du choix de la LXX qui l’a préféré à « prwto,gonoj ».

175

ALETTI, Colossiens, 96-98. 176

SMITH, Heavenly perspective, 162. 177

71 en Ex 4,22178, Israël est appelé premier-né. Cette dénomination suggère la relation particulière du peuple d’Israël et de son Dieu. Israël est le peuple élu. L’accent du texte porte sur le lien qui unit Israël et Yahvé. Hors de la LXX se développe également l’idée que l’élection d’Israël est liée à sa domination sur le monde. Dieu aurait créé le monde pour qu’Israël, son premier-né, le possède (4 Esd 6,58-59 : « et nous ton peuple, celui que tu as appelé ton Premier-Né, ton Unique, l’objet de ta jalousie, ton Bien-Aimé, nous sommes livrés entre leurs mains. Si le monde a été créé pour nous, pourquoi n’entrons-nous pas en possession de ce monde qui est notre héritage ? »). Dans le Psaume 89,28, le roi David est décrit comme étant l'aîné (prwto,tokoj), le très-haut sur les rois de la terre. Le verset 15b interprété selon les exemples précédents exprimerait la « Seigneurie du Christ » sur l’ensemble du créé. L’expression «

prwto,tokoj pa,shj kti,sewj

» doit, alors, être comprise comme un titre d’excellence.

Puisque Col 1,15-20 est proche de l’expression de certains textes de Sagesse la question de l’interprétation du titre « premier né » par rapport à ceux-ci mérite d’être posée. En Pr 8,22179 la Sagesse est créée « prémices de ses œuvres » . En hébreu le terme employé est «

tyviare

» dont l’une des traductions est « premier-né ». Cependant, les écrits bibliques de Sagesse ne disent pas que la Sagesse « est » premier-né simplement qu’elle fut créée au commencement (Si, 24,9), « avant toutes choses » (Si 1,4.9, Pr 8,22). Philon à diverses reprises, mentionne l’antériorité de la Sagesse sur la création. Dieu a créé la Sagesse comme la première de ses œuvres, il l’a établie avant le début des temps (De Ebrietate 31) ; elle est plus vieille même que la création du monde (De Virtutibus 62). La formulation de Col 1,15b est ambiguë et peut amener à identifier le Fils à la Sagesse dont le courant sapientiel souligne la participation à l’œuvre créatrice, la prééminence et l’antériorité par rapport à toutes les créatures. En Col 1,15b, il n’est pas mentionné que le Fils fut créé. Aussi parait-il difficile d’affirmer que le Fils est le premier d’un ensemble de créatures. La tradition sapientielle ne permet donc pas d’expliciter sans ambiguïté le terme «

prwto,tokoj

» dans l’Épître aux Colossiens.

Après l’examen de la LXX et la littérature sapientielle, il nous reste à considérer les versets du Nouveau Testament où «

prwto,tokoj

» désigne Christ (Lc 2,7; Rm 8,29 ; Col 1,15.18 ; He 1,6 ; Ap 1,5.). En Lc 2,7 et en He 1,6 le terme est utilisé seul sans motif de comparaison. Luc renvoie sans équivoque à la naissance : Marie « enfanta son fils premier- né (

prwto,tokoj

) ». «

prwto,tokoj

» désigne, dans l’Épître aux Hébreux, le Fils au moment de la Parousie et He 1,6180, évoque les anges qui adorent le « premier-né ». Le cas de Rm 8,29 est un peu différent. «

prwto,tokoj

», suivi de «

evn

» plus du datif, est employé pour désigner le premier d’une lignée de frères. Les croyants sont considérés comme des frères du Christ en étant conformes à son image, et atteignent la réalisation eschatologique. Le Christ est leur frère mais demeure au-dessus d’eux en dignité, car il est le Seigneur.

178

Voir également Si 36,11 (prwto,gonoj), Ps Sal 18,4 où premier-né est associé à fils unique. 179

FEUILLET, Le Christ : Sagesse de Dieu, 188-191 et 194-202.

180

Une autre interprétation du verset He 1,6 est possible. En règle générale « oivkoume,nh » désigne le monde céleste, mais il pourrait dans ce verset signifier le monde terrestre. Dans ce cas « eivsa,gw » (introduire) renverrait à l'incarnation du Seigneur préexistant. Dans ce cas « prwto,tokoj » soulignerait l'unique relation de filiation entre le Fils préexistant et le Père.

72 En Col 1,18 et Ap 1,5, «

prwto,tokoj

» est suivi d’un génitif partitif dans l’expression «

prwto,tokoj evk tw/n nekrw/n

» (premier-né d’entre les morts). La priorité temporelle est un aspect important. La résurrection du Christ est un prélude à la résurrection générale lors du dernier jour. Le verset Ap 1,5 « et par Jésus Christ, le témoin fidèle, le Premier-né d'entre les morts, le Prince des rois de la terre. Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang » renvoie au Psaume 89,28, « Et moi, je ferai de lui l'aîné, le très-haut parmi les rois de la terre ». Dans ce verset de l’Apocalypse, « premier-né » renvoie à la Seigneurie du Christ ressuscité qui règnera sur l’ensemble des dignitaires.

Les diverses occurrences de «

prwto,tokoj

» ne nous donnent pas d’indication précise pour déterminer le sens de « premier né de toute créature ». Par contre, Ap 1,5 et He 1,6 semblent inviter à une interprétation qui affirme la suprématie du Fils.

En conclusion, malgré la tentation de faire le lien avec la Sagesse en raison du contexte de Col 1,15, il est préférable d’entendre «

prwto,tokoj

» hiérarchiquement en suivant la tradition hébraïque. L’expression «

prwto,tokoj pa,shj kti,sewj

» souligne la suprématie du Fils sur l’ensemble de la création. En Col 1,15, la description du Fils comme «

prwto,tokoj pa,shj kti,sewj

» (premier né de toute créature) trouve son explication dans les versets suivants qui montrent que « toutes » les créatures, sans exception, lui doivent leur existence. Le Fils a le statut de créateur181 et non de créature ; le verset suivant développe ce point en présentant le Fils comme médiateur de la création.

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 72-74)