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Les hymnes dans la culture juive

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 52-56)

2.1 Col 1,15-20 : un « hymne » en ouverture de l’épître

2.1.2 Le genre littéraire : un hymne de louange au créateur ?

2.1.2.1 Les hymnes dans la culture juive

Aucun auteur à notre connaissance, n’a suggéré que Col 1,15-20 ait comme arrière- plan un psaume ou un hymne précis. Par contre, il est probable que les psaumes chantés à différentes occasions par les communautés juives aient influencé l’auteur. Les témoins de textes hymniques dans la tradition juive sont bien trop nombreux pour que nous entreprenions ne serait-ce qu’une recension exhaustive de tous les passages où Dieu est loué comme créateur. Nous nous contenterons de prendre quelques exemples dont les éléments stylistiques, structurels ou le vocabulaire auraient pu être source d’inspiration pour l’auteur de Col 1,15-20. Le livre qui contient la majorité des louanges au Créateur est le psautier. Aussi, avant d’aborder certains passages en détail, nous donnerons quelques éléments sur la poésie hébraïque et sur la classification des psaumes et nous nous attacherons à déterminer les caractéristiques des hymnes où Yahvé est célébré en tant que maître de la création. Pour compléter, nous évoquerons les hymnes présents dans la littérature sapientielle.

Bien que certains exégètes évitent d’employer le terme de poésie pour les psaumes et préfèrent parler de style plus ou moins soigné, des travaux ont permis de définir les contours de la poésie hébraïque. On peut ainsi relever quelques techniques mises en œuvre par les psalmistes. Dans les psaumes, les rimes sont inexistantes mais les assonances (répétition des mêmes voyelles) et les allitérations (répétition des mêmes consonnes) sont fréquentes. Le rythme joue un rôle particulièrement important. Le psaume superpose plusieurs rythmes en lien avec la respiration et l’accentuation de certaines syllabes. Les auteurs des psaumes usent de parallélismes qui sont soit synonymiques – le second stique fait écho au premier –, soit synthétiques – le second stique complète le précédent. Le parallélisme est une caractéristique de la poésie hébraïque et lors de l’étude de Col 1,15-20 il nous faudra en tenir compte.

Les textes du psautier ont été classifiés, par H. Gunkel (1862-1932) 118, initiateur de l’étude des genres littéraires du psautier, en trois119 genres principaux à savoir les

supplications, les actions de grâce et les hymnes qui possèdent une structure clairement

116 La distinction entre prose et poésie ne peut s’appliquer au Nouveau Testament qu’en tenant compte de l’évolution de la poésie grecque au premier siècle de notre ère. Or, à cette époque, « l’accent musical a fait place à l’accent d’intensité ». Si l’on tient compte du seul élément tonique pour déterminer la nature poétique d’un texte, alors le passage Col 1,15-20 peut être qualifié de texte poétique. J.-N. Aletti ne retient cependant pas ce critère comme majeur. ALETTI, J.-N., « Les passages néotestamentaires en prose rythmée, Propositions sur leurs fonctions multiples », dans Les Hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions, 241.

117

En particulier GORDLEY, The Colossian Hymn in Context, 41-110. 118

La classification proposée par H. Gunkel a été discutée. 119 À ces trois genres s’ajoutent des genres mineurs.

51 définie120. Ils commencent par une invitation à louer Dieu. Ensuite, vient le corps de l’hymne qui détaille les motifs de la louange comme les vertus divines ou les prodiges accomplis par Dieu. La conclusion reprend l’introduction et peut être augmentée d’une prière de demande. La partie descriptive est la plus importante. Les motifs évoqués sont variés. Plus d’une trentaine de psaumes abordent le thème de la création et, parmi ceux-ci, un tiers évoquent le salut, la libération ou la rédemption. Ce sont ces derniers qui se rapprochent le plus de Col 1,15-20121. Dans ces textes, Yahvé est présenté comme le roi de l’univers. Il déploie les cieux (Ps 104,2), maîtrise tous les éléments. Plein de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d'amour (Ps 103,8) il a fixé son trône dans les cieux et sa royauté s’étend par-dessus tout (Ps 103,19)122. Plusieurs psaumes évoquent la supériorité de Yahvé, le créateur, sur les autres divinités. Le psaume 96 en est un bon exemple. Les dieux des peuples sont des idoles et Yahvé fit les cieux (

o[ti pa,ntej oi` qeoi. tw/n evqnw/n daimo,nia o` de. ku,rioj tou.j

ouvranou.j evpoi,hsen

) (Ps 96,5). Yahvé surpasse tous les dieux (Ps 95,3 ; 96,4 ; 97,9 ; 135,5) et ainsi il est celui qui juge le monde avec justice (Ps 96,5), qui délivre des impies (Ps 97,10), qui aime les siens (Ps 97,10), qui donne la terre à son peuple (Ps 135,12). La supériorité de celui qui crée sur toutes les créatures est un des éléments psalmiques mis en valeur dans l’Épître aux Colossiens. Pour préciser les emprunts de Col 1,15-20 à la littérature hébraïque nous avons choisi de détailler la structure des psaumes 33 et 146 qui évoquent à la fois la création et l’action salutaire de Yahvé.

Le Psaume 33123 (LXX 32) évoque le rôle de Dieu dans la création ainsi que ses actes dans l’histoire en vue de la sauvegarde de son peuple. Les premiers versets (1-3) invitent à l’action de grâce par le chant. Ils sont suivis d’une introduction (4-5) sur les qualités de Yahvé que sont la justice, la droiture et la vérité. La louange a pour objet l’efficacité de sa parole de Yahvé dont l’agir créateur est détaillé en vv. 6-9. La suite passe du plan de la création à celui des nations. Yahvé règne du haut des cieux, de sa demeure il observe (v. 14) et il prend soin des hommes en préservant leur âme de la mort (v. 19).

120

M. Gordley présente les approches de différents exégètes. Les différences au niveau de la structure générale d’un hymne sont cependant minimes. GORDLEY, The Colossian Hymn in Context, 45-46.

121

M. Gordley énumère les psaumes : 29,33,46,96,97,98,100,103,113,114,136,146,147,148,149. GORDLEY, The Colossian Hymn in Context, 51.

122

Les psaumes 147, 148 abordent également les motifs de la maîtrise de Dieu sur les éléments et de sa clémence pour son peuple.

123

GORDLEY, The Colossian Hymn in Context, 57-67; BEAUCAMP, E., Le Psautier, Ps 1-72, Gabalda, Paris, 1976, 148-151.

52 L’unité (6-9) aborde la thématique de la création. Les versets 6 et 9 renvoient au livre de la Genèse. Ils sont construits de manière parallèle autour du motif de la création par la Parole. Chaque verset comprend deux

membres. Le verset 6 adopte une forme passive ; la Parole ne crée pas mais Yahvé crée par la parole. Au verset 9, il parle et cela existe (

evkti,sqhsan

). Les versets 7 et 8 font allusion à la sortie d’Égypte mais restent dans le registre de la création puisque il est question de la maîtrise des éléments.

Sans qu’il soit possible de mettre en évidence un parallélisme strict entre le Psaume 33 et Col 1,15-20 nous pouvons repérer des similitudes entre ces deux écrits. En Col 1,16, une forme passive est employée pour le Christ agent de la création (

o[ti evn auvtw/| evkti,sqh ta. pa,nta evn toi/j

ouvranoi/j kai. evpi. th/j gh/j

) comme pour la Parole dans le psaume. Le psaume et le passage de Colossiens emploient le verbe «

kti,zw

». Ps 33,6 insiste sur la totalité de la création (

oi` ouvranoi… pa/sa h` du,namij

auvtw/n

) et Ps 33,8 évoque toute la terre, tous les habitants du monde. Quant au passage

de Colossiens, il mentionne « toutes choses », « le ciel et la terre », « les puissances visibles et invisibles » et les « Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances ». M. Girard124, partant du texte hébreu traduit le verset Ps 33,9 ainsi : « Car (c’est) lui (qui) a dit et (cela) est, lui (qui) a commandé et (cela) se maintient ». La stabilité des êtres dans l’existence se trouve exprimée par les racines «

!ma

» (Ps 33,4) et par «

dm[

» (Ps 33,9), à savoir « être fidèle, se maintenir ». La même idée est développée en Col 1,17 où toutes choses subsistent dans le Christ. Comme le Psaume 33 qui évoque tour à tour la création et les bienfaits de Yahvé pour l’humanité, l’hymne christologique de Colossiens présente également de manière consécutive le motif de la Création et celui du Salut. Si le Psaume 33 ne peut être considéré comme ayant directement été repris par l’auteur de Colossiens, plusieurs motifs semblables y sont abordés.

Le deuxième exemple retenu est le Psaume 146 (LXX 145) qui est un hymne au Dieu secourable. Après une invitation à célébrer Dieu (1-2), le psalmiste souligne que seul Yahvé est digne de louange (3-5). Puis, les versets 6 à 9 décrivent l’intervention de Yahvé en faveur de son peuple. Le verset 6 occupe une place particulière au centre du psaume ; il introduit la série d’actions du Seigneur par une évocation de la création : « lui qui a fait le ciel et la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment. Il garde à jamais la vérité » (

to.n poih,santa to.n

ouvrano.n kai. th.n gh/n th.n qa,lassan kai. pa,nta ta. evn auvtoi/j to.n fula,ssonta avlh,qeian eivj

124

GIRARD,M.,Les Psaumes, Analyse Structurelle et Interprétation, 1-10, Bellarmin, Montréal, 1984,

260-263.

6

tw/| lo,gw| tou/ kuri,ou oi` ouvranoi. evsterew,qhsan kai. tw/| pneu,mati tou/ sto,matoj auvtou/ pa/sa h` du,namij auvtw/n

Par la parole de Yahvé les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée;

7

suna,gwn w`j avsko.n u[data qala,sshj tiqei.j evn qhsauroi/j avbu,ssouj

il rassemble l'eau des mers comme une digue, il met en réserve les abîmes.

8

fobhqh,tw to.n ku,rion pa/sa h` gh/ avpV auvtou/ de. saleuqh,twsan pa,ntej oi` katoikou/ntej th.n oivkoume,nhn

Qu'elle tremble devant Yahvé, toute la terre, qu'il soit craint de tous les habitants du monde

9

o[ti auvto.j ei=pen kai. evgenh,qhsan auvto.j evnetei,lato kai. evkti,sqhsan

Il parle et cela est, il commande et cela existe

53

to.n aivw/na

). La totalité du créé est déterminée par l’ensemble de la terre et du ciel auquel l’auteur ajoute la mer. À l’évocation des différents lieux il ajoute la totalité des êtres (tout) qui évoluent dans les différents étages de la création. Rien n’échappe à la création de Dieu. Yahvé garde la vérité « à jamais », c'est-à-dire qu’il fait Alliance avec son peuple. Cette mention temporelle crée une liaison entre le verset 6 et le verset 10 où Yahvé est décrit comme régnant « pour les siècles » (

eivj to.n aivw/na

). Les deux mentions temporelles indiquent que l’action divine transcende le temps. Les versets 7 à 9 décrivent l’agir de Dieu en faveur de son peuple : « rend justice aux opprimés, il donne aux affamés du pain, Yahvé délie les enchaînés. Yahvé rend la vue aux aveugles, Yahvé redresse les courbés, Yahvé aime les justes, Yahvé protège l'étranger, il soutient l'orphelin et la veuve ». Parce qu’il est maître de la création, Yahvé est source de salut pour Israël.

Col 1,15-20 se rapproche du Psaume 146, tant par le vocabulaire que par une dynamique commune. Comme dans le psaume, Col 1,15-20 mentionne le ciel et la terre mais omet la mer. L’ensemble des créatures est évoqué dans les deux écrits. Dans le psaume, c’est parce Yahvé est le créateur qu’il peut conduire et prendre soin de son peuple. De même, puisque le Christ est celui par qui « toutes choses sont », ce qui englobe les Puissances, les êtres invisibles, il est celui qui peut agir en faveur de la création et l’amener à la réconciliation finale.

Outre les hymnes du psautier, la littérature juive comporte d’autres exemples d’hymnes qui évoquent la création. Dans la littérature sapientielle, des passages de forme hymnique peuvent être identifiés. M.Gordley125 choisit de ranger parmi les hymnes le passage Pr 8,22-36 bien que ce texte où la Sagesse décrit son rôle dans la création soit à la première personne. Dans d’autres textes composés en grec, les louanges concernent des agents divins, en particulier la Sagesse (Sg 7,22-8,1 ; 10,1-21 ; Si 1,1-10 ; 24,1-22). La Sagesse est image (

eivkw.n

) de la bonté de Dieu (cf. Col 1,15). Elle renouvelle l’univers (Sg 8,27) et elle le gouverne (Sg 8,1). Par l’utilisation de la forme passive et l’emploi de certains termes Col 1,15-20 peut être comparé aux textes de Sagesse126. Le lien entre ces écrits et Col 1,15-20 se situe au niveau de tournures syntaxiques comme l’emploi de la forme passive, du vocabulaire, ainsi que du développement de la thématique de la création.

En conclusion de cette étude des hymnes dans la culture juive, il n’est pas possible de déterminer une dépendance directe de Col 1,15-20 avec un psaume ou un hymne issu de la littérature de Sagesse. Pourtant Col 1,15-20 emprunte à la tradition hymnique hébraïque des artifices stylistiques comme le parallélisme ou la répétition. De plus, les procédés utilisés par les psalmistes pour louer Yahvé sont les mêmes que ceux employés par l’auteur de Colossiens pour le Christ. Comme dans les louanges vétérotestamentaires, les titres divins alternent avec leur justification127. De la même manière que dans les hymnes où Dieu est célébré pour sa majesté (créateur et seigneur de la création) et pour sa miséricorde (sauvant et libérant son peuple), le Christ est loué comme celui par qui tout a été fait et celui par qui tout est réconcilié. La création est l’œuvre de Dieu et de ce fait le créateur est supérieur à

125

GORDLEY, The Colossian Hymn in Context, 67-73. 126

Nous reviendrons à plusieurs reprises sur les textes de la littérature sapientielle qui peuvent avoir influencé l’auteur de l’hymne christologique.

127

54 toutes les puissances ; un procédé identique est appliqué au Christ dans l’Épître aux Colossiens. Aussi Col 1,15-20 invite les lecteurs à la conclusion que celui qui sauve est celui qui crée et vice versa128. Col 1,15-20 se rapproche de la littérature sapientielle par le vocabulaire et par l’emploi de la forme passive.

L’évocation de l’hymnologie issue du judaïsme ne suffit peut-être pas à définir toutes les sources d’inspiration de l’auteur de Colossiens. En effet, la lettre adressée à l’Église de Colosses a été écrite au sein de la culture grecque dans laquelle des poètes composaient de nombreux éloges aux dieux.

Dans le document Le Christ, Parole créatrice (Page 52-56)