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Chapitre III : Évolution historico-idéologique de la Railroad Building Story

4.2 The Iron Horse et les années 1920, un traditionalisme moderne

4.2.2 Isolationnisme et hyperpatriotisme

Nous poursuivons ici notre propos sur la nostalgie de la Frontière, car si durant les années 1920, « l’Ouest est assimilé à un passé conçu comme une époque plus belle à vivre, il est aussi le produit d’une attitude isolationniste » (LEUTRAT, 1987 : 45). Comme Leutrat le propose, cet intérêt nostalgique pour le temps de la Frontière découle également de la doctrine politique de

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l’isolationnisme. Cette posture politique est, en grande partie, une répercussion de la résolution de la Première Guerre mondiale. Les Américains entrèrent très tard dans le conflit mondial, puisqu’ils prônaient encore une attitude neutre face aux conflits étrangers, attitude qui remonte à la fondation même des États-Unis. Cependant, s’ils rester à l’écart du conflit guerrier, il faut constater qu’économiquement la nation appuyait davantage les Alliés. Melandri et Portes notent qu’au début de l’année 1917, les États-Unis avaient « prêté 2,5 milliards de dollars aux Alliés, contre moins de 300 millions à l’autre camp »et qu’avec ces prêts, les Américains « sont désormais les créanciers, après avoir toujours été débiteurs » (MELANDRI et PORTES, 1991 : 49), ce qui a son importance dans l’équation, nous y reviendrons. Néanmoins, les États-Unis entre en guerre le 6 avril 1917 jusqu’à la fin des hostilités (11 novembre 1918); l’amertume d’avoir intervenu se manifesta lors de l’élaboration des traités de paix. Le président Woodrow Wilson se rend lui-même à Paris pour représenter les États-Unis185 et défendre ses idées sur la paix internationale, telles qu’exprimées

dans ses fameux 14 points (NOUAILHAT, 1997: 90-91). Croyant fermement en ses convictions et sachant très bien que toute l’aide financière apportée aux Alliés pesait implicitement dans la balance, Wilson pensait imposer aisément ses idéaux de paix aux nations européennes. Néanmoins, les compromis furent nombreux et la forme finale du Traité de Versailles ne répondit pas vraiment à l’idéalisme wilsonien (ibid. : 92). Alors que Wilson désirait que le traité soit clément envers les vaincus, les pays d’Europe, au contraire, cherchaient à pénaliser davantage l’Allemagne et maints aspects du traité allaient en ce sens. Pour cette raison et d’autres, le Sénat américain refusera de ratifier le Traité de Versailles :

Wilsons crusade in Europe finally came to an end when the United States senate failed to ratify the Treaty of Versailles. As the covenant of the League of Nations was incorporated in the treaty rejection of the treaty meant rejection of the League. This has given rise to a belief that when confronted with a choice between internationalism and isolationism the country chose the latter policy (ADAMS,1967 :59).

L’échec de Wilson à faire entrer le pays dans la Société des Nations confirmait que les États-Unis, suite à leur intervention internationale, désiraient renouer avec la doctrine politique de l’isolationnisme et de recentrer leurs intérêts aux limites géographiques du pays. Cette attitude isolationniste est en lien avec la nostalgie de la Frontière, puisque le pays, relativement désabusé des affaires étrangères, plongea alors dans l’expression nationaliste. Conscients du rôle crucial qu’ils ont joué dans le conflit international, les Américains y voient là un signe de la supériorité de leur nation. Dans ce contexte, il va de soi que le patriotisme est de bon augure. Aussi, Nouailhat affirme que l’attitude isolationniste des Américains « est constituée par la “conviction d’une

185 Ce qui est d’ailleurs « la première fois qu’un président des États-Unis décidait de quitter le territoire

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Quelques plans de The Iron Horse où l’authenticité de la représentation exprime la nostalgie de la Frontière propre aux années 1920. À gauche, une locomotive qui arrive près d’un boomtown; à droite, le campement déménage vers un autre boomtown, où un convoi de chariots bâchés (tradition) avance à côté d’une locomotive (modernité).

Deux photogrammes de Buffalo Bill et ses hommes qui chassent le bison.

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certaine supériorité morale”, étayée sur “l’expérience historique unique” des États-Unis et notamment fort différente des traditions européennes » (NOUAILHAT,1997 :102). Or, cette unicité des États-Unis, particulièrement dans la conscience des Américains des années 1920, c’est l’expérience liée à la Frontière et la Conquête de l’Ouest. L’adoption d’une posture isolationniste par les Américains est donc intimement liée à la nostalgie de la Frontière et le climat patriotique dans lequel les États-Unis des années 1920 baignent. Mais avant de continuer sur ce sujet, soulignons que l’attitude hautement nationaliste des Américains n’est pas uniquement due à la doctrine isolationniste. Nous ne pouvons ignorer que la situation économique est alors favorable au patriotisme, car « les États-Unis connaissent de 1922 à 1929 une remarquable prospérité » (ibid. : 98). Cette prospérité n’est évidemment pas sans rapport avec les aléas de la Première Guerre mondiale. Les États-Unis peuvent se conforter d’avoir attendu si longtemps avant de s’investir militairement dans le conflit, puisque leurs manœuvres économiques leur assura une prospérité d’après-guerre :

Les États-Unis ont tiré d’énormes profits d’une guerre à laquelle ils n’ont participé que tardivement. Au cours de la guerre, les Américains ont certes dépensé 22 milliards de dollars, mais les Français en ont dépensé 26, les Anglais 38 et les Allemands 39. […] Les importants achats des Alliés, notamment dans le domaine des matières premières, des produits alimentaires ou de l’acier, des munitions et du matériel de guerre, ont abouti à un commerce extérieur déséquilibré en faveur des États-Unis : la balance commerciale, faiblement excédentaire à la veille de la guerre, l’est constamment dans les années qui suivent la guerre (ibid. :98).

Les Américains ont alors toutes les raisons de croire aux bienfaits d’adopter une attitude isolationniste puisque c’est leur patiente neutralité devant le conflit qui leur ont permis d’accroître leur puissance économique aux frais des nations d’Europe. Tous ces facteurs participent à l’atmosphère patriotique du pays durant les années 1920, car une nation prospère est évidemment plus encline à exprimer sa fierté nationaliste. Comme Snowman le souligne, les années 1920 furent un âge « of hyperbolic expressions of loyalty to America and of superabundant patriotism » (SNOWMAN,1978 :27).