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Analyse sémiologique et interprétation historico-idéologique de la "Railroad Builging Story", un sous-genre du western classique américain (1924-1962)

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Academic year: 2021

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Analyse sémiologique et interprétation

historico-idéologique de la Railroad Building Story, un

sous-genre du western classique américain (1924-1962)

Mémoire

Guillaume Lavoie

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l’écran

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Analyse sémiologique et interprétation

historico-idéologique de la Railroad Building Story, un

sous-genre du western classique américain (1924-1962)

Mémoire

Guillaume Lavoie

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Notre mémoire se penche sur un corpus de films spécifique; il s’agit des westerns américains racontant la construction d’un chemin de fer. Nous traitons ces films comme un sous-genre du western que nous intitulons Railroad Building Story. Est proposé dans notre étude que la structure narrative étant à la base de tous les récits du sous-genre provient d’une idéalisation des faits historiques entourant la construction du premier chemin de fer transcontinental aux États-Unis. Dans le premier chapitre, nous présentons une adaptation de la méthode d’analyse de Vladimir Propp, telle que présentée dans la Morphologie du conte, dans le but d’identifier la structure narrative stable des films du corpus et d’en décrire les unités narratives constantes. L’application de la méthode est effectuée dans le second chapitre, où chacune des unités narratives constantes est expliquée. De plus, nous confrontons ces unités narratives à l’histoire du chemin de fer transcontinental afin d’analyser les rapports idéologiques existant entre ces récits fictionnels et leur référent historique. Cette description sémionarrative et historique de la Railroad Building Story met en évidence sa fonction idéologique permanente en tant que mythe cinématographique du chemin de fer américain. Dans le troisième chapitre, les films sont analysés d’après leur contexte sociohistorique de production. Le chapitre est divisé selon les quatre périodes historiques dans lesquels les films du sous-genre furent réalisés, soit les années 1920, la Grande Dépression, l’ère maccarthyste et le début des années 1960. En analysant les films d’après une approche sociocritique, nous démontrons comment ceux-ci traduisent des préoccupations idéologiques liées au climat social de la nation américaine. Nous expliquons donc comment le mythe du chemin de fer américain se voit réapproprié à chaque période historique, et ce, afin de répondre aux exigences idéologiques contemporaines à la production des films de la Railroad Building Story.

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iv

Abstract

This master’s thesis takes a close look at a very specific corpus of films; the westerns that narrate the construction of a railroad. We treat these movies as a sub-genre of the western that we call the Railroad Building Story. Our study proposes that the narrative structure at the basis of all the sub-genre’s stories comes from an idealization of the historical facts surrounding the construction of the first American transcontinental railroad. In the first chapter, we present an adaptation of Vladimir Propp’s method of analysis, as found in his Morphology of the Folktale, in order to identify the stable narrative structure of our corpus and to describe its constant narrative units. The application of said method takes place in the second chapter, in which each constant narrative unit is thoroughly explained. We also confront these narrative units in the history of the transcontinental railroad as to analyze the ideological relations existing between these fictional narratives and their historical referent. This semionarrative and historical description of the Railroad Building Story highlights its permanent ideological function as the cinematographic myth of the American railroad. In our third chapter, we analyze the films in the light of their sociohistorical context of production. The chapter is divided between the four historical periods in which these movies were produced, that to say the 1920’s, the Great Depression, the mcccarthyism era and the early 1960’s. By analyzing these films with a sociocritical stance, we demonstrate how they express ideological concerns linked to the social climate of the American nation. Thus we explain how the American railroad myth is being reappropriated in each historical period in order to address the ideological exigencies that are contemporary to the production of the Railroad Building Story’s films.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

1.1 Avant-propos ... 1

1.2 Délimitation du corpus ... 2

1.3 Visées de l’étude ... 5

1.4 Le chemin de fer dans l’imaginaire américain ... 9

1.5 Méthode d’analyse structurale ... 13

1.6 Recours à l’histoire américaine ... 14

Chapitre I : Adaptation de la méthode morphologique de Propp ... 19

2.1 Analyse structurale et western ... 19

2.2 La Morphologie du conte merveilleux de Vladimir Propp ... 22

2.3 Le schéma et la méthode de Propp ... 24

2.4 Pourquoi Propp? ... 26

2.5 Adaptation de la méthode de Propp ... 29

2.6 Du structuralisme au pragmatisme ... 35

2.7 De l’interprétant au spectateur modèle ... 36

2.8 La paratopie et le « retraitement des valeurs » ... 40

2.9 De Propp à la sociocritique ... 44

2.10 Sémiotique et sociocritique : le concept de semiosis sociale ... 45

2.11 La méthode sociocritique selon Popovic... 48

Chapitre II : La structure narrative de la Railroad Building Story ... 50

3.1 Personnages principaux ... 50 3.1.1 Le Héros ... 51 3.1.2 Le Mandateur ... 52 3.1.3 Le Vilain ... 52 3.1.4 Les Travailleurs ... 53 3.1.5 Les Indiens ... 54

(6)

vi

3.1.6 L’Héroïne ... 55

3.1.7 Le Rival ... 56

3.1.8 Le Père ... 56

3.2 Les épisodes-types de la Railroad Building Story... 57

3.2.1 Mention Historique (MH) ... 58

3.2.2 Implication Gouvernementale (IG) ... 61

3.2.3 Construction (C) ... 67

3.2.4 Insatisfaction des Travailleurs (IT) et Motivation des Travailleurs (MT) ... 71

3.2.5 Impasse Critique (IC) et Ingéniosité du Héros (IH) ... 83

3.2.6 Tentative de Meurtre sur le Héros (TMH) ... 91

3.2.7 Combat Préliminaire entre héros et vilain (CP) ... 92

3.2.8 Instauration d’un Saloon (IS) et Destruction du Saloon (DS) ... 96

3.2.9 Le Vilain Manipule les Indiens (VM) ... 106

3.2.10 Guerre contre le chemin de fer (G) ... 114

3.2.11 Arrivée des Renforts (AR)... 119

3.2.12 Combat Final entre héros et vilain (CF) ... 124

3.2.13 Cérémonie Officielle (CO) ... 128

3.2.14 Mariage du héros et de l’héroïne (M) ... 136

3.3 La Railroad Building Story et la guerre de Sécession. ... 143

Chapitre III : Évolution historico-idéologique de la Railroad Building Story ... 158

4.1 Préambule méthodologique ... 158

4.2 The Iron Horse et les années 1920, un traditionalisme moderne ... 163

4.2.1 Nostalgie de la Frontière et modernité industrielle ... 164

4.2.2 Isolationnisme et hyperpatriotisme ... 168

4.2.3 Le western devient un genre cinématographique ... 171

4.2.4 L’idéologie du Big Business ... 175

4.2.5 Les Indiens sont à la mode ... 179

4.2.6 La peur du bolchévisme et suspicions envers les contestations sociales ... 182

4.2.7 Le XIXe amendement et le nouveau rôle social de la femme américaine ... 185

4.3 Union Pacific et Western Union, des westerns rooseveltiens ... 189

4.3.1 La Grande Dépression et le New Deal : western et optimisme national ... 189

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vii

4.3.3 Moralisme économique : le business accusé ... 203

4.4 Ennemis de la nation et ennemis dans la nation : l’hystérie anticommuniste du début des années 1950 ... 210

4.4.1 Le début de la Guerre froide ... 212

4.4.2 Influence du maccarthysme ... 213

4.4.3 Le cas particulier de Santa Fe : ambiguïté maccarthyste ... 226

4.4.4 La guerre de Corée ... 232

4.5 How the West Was Won et la mort de la Railroad Building Story ... 244

4.5.1 Inclusion de l’épisode du chemin de fer au corpus ... 244

4.5.2 La résistance indienne comme métaphore du militantisme noir ... 247

4.5.3 Déclin du western traditionnel et mort de la Railroad Building Story ... 256

Conclusion ... 270

5.1 Hell on Wheels de AMC, la Railroad Building Story ressuscitée? ... 270

5.2 Conclusion méthodologique : de Propp à Popovic ... 272

5.3 Épuisement de la Railroad Building Story... 274

5.4 Application de la méthode d’analyse à d’autres corpus cinématographiques ... 276

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Remerciements

Je tiens d’abord à remercier messieurs Guillaume Pinson et Sylvano Santini qui ont accepté d’agir à titre d’évaluateur de mon mémoire, et ce, malgré la longueur peu orthodoxe du document qu’ils devront lire. Je leur dois gratitude pour cela, et bien plus. Monsieur Santini a déjà pris connaissance d’une partie du mémoire en prélecture et les commentaires et conseils qu’il a émis ont grandement contribué à parfaire la partie théorique de mon travail. Quant à monsieur Pinson, s’il n’a pas contribué directement à l’élaboration du mémoire, je tiens à souligner que la lecture d’un de ses ouvrages m’a inspiré quelques idées qui ont orienté mon travail par moment; j’avoue donc que son influence a joué un rôle dans mes recherches.

Je dois également exprimer mon immense gratitude envers mon directeur de recherche, monsieur Jean-Pierre Sirois-Trahan, sans qui mon mémoire n’aurait jamais vu le jour. Toute l’aide, le support et les conseils qu’il m’a prodigués tout au long de mon travail se sont avérés indispensables à sa réalisation. Je ne pourrai le remercier suffisamment pour toutes les heures qu’il a investies à me lire, me commenter et me fournir des corrections d’une qualité irréprochable.

Finalement, je remercie chaleureusement deux amis qui me sont chers, soit mon collègue Thomas et mon frère Jérémy, avec qui j’eus le plaisir de discuter de mes recherches au cours des quelques dernières années. Leur écoute attentive et leurs commentaires éclairés m’ont aidé à briser le sentiment de solitude qui accompagne parfois le travail de recherche, et je leur en sais gré.

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Introduction

1.1 Avant-propos

La présente étude se consacre à un type de films américains bien particulier, soit les westerns sur la construction d’un chemin de fer dans les contrées de l’Ouest américain. Ayant ce sujet principal en commun, la ressemblance entre ces films s’étend toutefois ailleurs, car leur récit répond au même schéma narratif. Notre entreprise est de décrire cette structure narrative et d’expliquer pourquoi elle est ainsi faite. Car ce n’est pas par hasard que tous les westerns racontant la construction d’un chemin de fer relèvent de la même matrice narrative, ce fait va au-delà de la simple imitation. Si ces films racontent cette histoire de la même façon, c’est forcément parce qu’on lui accorde une signification qui a son importance. Aussi, ce type de films a le charme particulier de parler d’un symbole patriotique américain (chemin de fer), et de le faire d’une manière tout américaine (western). Mais cette combinaison n’avait, jusque-là, pas suscité tant d’intérêt auprès des recherches sur ce genre canonique. Certes, on reconnaît l’existence de ces films, ce que font George N. Fenin et William K. Everson dans leur ouvrage The Westerns, from Silents to the Seventies (1977) alors qu’ils discutent de l’impact qu’eut The Covered Wagon (1923) et The Iron Horse (1924) sur le western :

Strangely, as the influence of The Covered Wagon began to wane in the late Thirties, that of

The Iron Horse grew. De Mille’s Union Pacific (1939), dealing with the construction of the

same railroad, not only used a vaguely similar plot, but repeated many sequences intact. One episode, an Indian attack on a supply train, even duplicated the composition and camera work of Ford’s film. In more recent times, the wagon train theme has not proven popular, while that of the railroad has gained in importance. Kansas Pacific, Santa Fe, Canadian Pacific, The

Denver and Rio Grande are among the films which utilized scenes and sequences originating in The Iron Horse (FENIN etEVERSON,1977 :143).

Malgré cette reconnaissance, on n’a jamais pris soin de se questionner sur l’unité narrative derrière ces films. La chose est toutefois compréhensible, car si certains de ces films sont considérés importants dans l’histoire du genre, comme The Iron Horse de John Ford, beaucoup d’entre eux ne sont que des œuvres mineures dans la filmographie westernienne. Cependant, une fois ces films rassemblés en un tout, leur intérêt se conjugue. Notre approche n’est donc pas basée sur l’excellence de ces films, ni sur l’excellence de leurs auteurs (malgré que trois des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma en fassent partie), mais simplement par leur unité d’ensemble. En ce sens, nous croyons apporter un regard nouveau sur le western, car on ne l’appréhende ordinairement pas de la sorte. Souvent, on discute du western comme un tout, ou alors par périodes, par auteurs, par films clés, et même par acteurs principaux. Isoler un type de westerns par sujet,

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2

sans discrimination quant à la qualité ou le prestige de tel ou tel film, est une approche qui a été peu envisagée. C’est donc en adoptant cette démarche peu commune pour aborder le « cinéma américain par excellence » (comme le disait Jean-Louis Rieupeyrout1), que nous proposons cette

étude entièrement dédiée à un type de récit westernien, celui dans lequel il faut construire une voie ferrée dans l’Ouest américain.

1.2 Délimitation du corpus

Cette idée d’isoler les films sur la construction d’un chemin de fer nous est venue à la lecture de l’ouvrage The Six-Gun Mystique Sequel de John G. Cawelti (1999)2. Ce dernier y cite une théorie

du romancier et scénariste Frank Gruber selon laquelle il n’existerait que sept types de récits westerniens :

1) The Union Pacific Story centering around the construction of a railroad, telegraph or stagecoach line or around the adventures of a wagon train; 2) The Ranch Story with its focus on conflicts between ranchers and rustlers or cattlemen and sheepmen; 3)The Empire Story, which is an epic version of the Ranch Story; 4) The Revenge Story; 5) Custer’s Last Stand, or the Cavalry and Indian Story; 6) The Outlaw Story; and 7) The Marshal Story. One could doubtless construct other lists of plots that have been used in Westerns, though Gruber’s seems quite adequate (CAWELTI, 1999 : 19).

Nous convenons avec Cawelti que malgré l’inévitable imperfection d’une telle liste3, on peut

certainement reconnaître dans ces sept catégories les récits de la majorité des westerns. Toutefois, sans prétendre que nous pouvons valider la proposition de Gruber en entier, il nous a semblé réalisable de choisir une catégorie et d’inventorier tous les films y correspondant, afin de dresser un portrait d’ensemble d’un type de récit westernien. La première catégorie nous sembla adéquate, car le nombre de films répondant à cette catégorie est moins imposant que celui, par exemple, des Ranch et Outlaw Story. Nous ne pouvions simplement pas nous imposer un corpus trop large, qui commanderait incidemment un travail colossal. Aussi, nous voulions nous assurer de choisir un

1 D’après le titre de son ouvrage Le Western, ou le cinéma américain par excellence (1953). 2 Sequel, car il s’agit d’une version augmentée de The Six-Gun Mystique (1971) du même auteur.

3 Il existe en effet des westerns qui entrent difficilement dans les catégories de Gruber. Nous pensons, entre

autres films, à The Ox-Bow Incident (1943) qui raconte l’histoire d’une communauté lynchant hâtivement trois hommes qui sont révélés innocents après coup. Ce film pourrait répondre, à la limite, à la catégorie de la

Revenge Story en mode négatif, ce qui reste toutefois imprécis. Toutes les adaptations du roman The Three Godfathers de Peter B. Kyne, soit The Three Godfathers (1916), The Marked Men (1919), Action (1921), Hell’s Heroes (1930), Three Godfathers (1936) et 3 Godfathers (1948), cadrent tout aussi difficilement dans

les catégories de Gruber. On y raconte la rédemption de trois hors-la-loi qui, au prix de leurs vies, sauvent un nouveau-né trouvé dans le désert. Ce récit de hors-la-loi est plutôt atypique de la Outlaw Story qui est habituellement basée sur les récits de Billy the Kid et Jesse James. Cette intrigue, pour le moins étrange dans le genre, ressemble beaucoup plus à un conte de fées sans éléments surnaturels qu’à un western, mais la quantité de westerns racontant ce récit le place définitivement dans l’histoire du genre. Ils existent beaucoup d’autres exemples, mais nous nous arrêtons ici par souci de concision.

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3

corpus modeste (en quantité de films) que nous pouvions consulter intégralement, sans devoir opérer de sélection arbitraire entre les films, fussent-ils des chefs-d’œuvre ou des œuvres « banales4 ». En visionnant les films répondant à la catégorie Union Pacific Story de Gruber, nous

avons décidé d’établir une restriction supplémentaire pour délimiter notre corpus. Seulement les westerns racontant la construction d’un chemin de fer allaient constituer notre corpus définitif. Les westerns « around the adventures of a wagon train », comme The Covered Wagon (1923), The Big Trail (1930), Brigham Young (1940) et Wagonmaster (1950), partagent certaines caractéristiques avec les films sur la construction d’un chemin de fer (itinéraire, épopée collective, aventures de pionniers),mais ils en diffèrent suffisamment pour considérer qu’ils forment un autre type de récit westernien5. L’exception à notre règle est l’ajout d’un film sur la construction d’une ligne

télégraphique, Western Union, dont la similarité avec les films sur la construction d’un chemin de fer6 est manifeste. Donc, suite à une recherche exhaustive, nous avons répertorié à notre corpus les

films suivants : The Iron Horse de John Ford (1924), Union Pacific de Cecil B. DeMille (1939), Western Union de Fritz Lang (1941), Canadian Pacific d’Edwin L. Marin (1949), Rock Island Trail de Joseph Kane (1950), Santa Fe d’Irving Pichel (1951), Denver and Rio Grande de Byron Haskin (1952), Kansas Pacific de Ray Nazarro (1953), Overland Pacific de Fred F. Sears (1954), ainsi qu’un épisode de How the West Was Won7 réalisé par Georges Marshall (1962).

Notre corpus se limitant à ces dix films, on comprendra que les films sur la construction

4 Nous désirions ainsi répondre à cette idée de Metz (1971 : 71) et Leutrat : « il est possible, comme le fait

Christian Metz à propos de l’œuvre banale, d’envisager que le sujet qui “s’exprime” dans la grande majorité des westerns n’est pas un individu, mais “un groupe social, ou une idéologie anonyme, ou un ensemble de représentations collectives, ou un archétype venu tout droit de quelque psychologie profonde mais impersonnelle, etc” » (LEUTRAT,1973 : 13). Ce parti pris de l’expression collective sur celle de l’auteur individuel se justifie par notre perspective d’analyse du genre, qui s’intéresse davantage à la question mythologique qu’à l’« auteurisme ». Aussi, c’est également ce qu’Anne-Marie Bidaud affirme dans son étude idéologique du cinéma hollywoodien : « Dans cette perspective, les films évoqués ici ne seront pas choisis en fonction de leurs qualités esthétiques ou artistiques, toute œuvre faisant sens. Même médiocre, un film est en effet tout aussi pertinent comme témoignage sur le fonctionnement de l’industrie hollywoodienne ou sur les préférences du public. Il peut même être plus fertile, dans le cadre de cette étude, qu’un chef-d’œuvre diffusé confidentiellement ou trop marqué du sceau d’un réalisateur, aussi prestigieux soit-il » (BIDAUD,2012 :13).

5 Selon nos propres critères, nous qui cherchons à isoler un type de récit singulier, non d’après ceux de Gruber

dont les catégories englobent décidément un plus grand spectre de récits.

6 Par contre, nous avons rejeté The Overland Telegraph (1951), film dans lequel le télégraphe joue un rôle de

décor sans importance au déroulement du récit. Également, nous n’avons pas identifié de film ayant comme sujet principal l’établissement d’une ligne de diligences. Gruber faisait probablement allusion à des œuvres littéraires, comme les dime novels ou à des historiettes publiées dans les populaires pulp magazines, ou encore à des serials et séries télévisées.

7 How the West Was Won (1962) est une œuvre collective réalisée conjointement par John Ford, Henry

Hathaway, Georges Marshall et Richard Thorpe (malgré qu’il ne soit pas crédité dans le générique du film, Thorpe a réalisé les séquences de transition entre les épisodes). Le film est divisé en cinq épisodes qui représentent chacune un cycle de la conquête de l’Ouest. Bien que nous discuterons de How the West Was

Won plus loin dans notre étude, nous spécifions que seul l’épisode du chemin de fer fait partie de notre

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d’un chemin de fer sont relativement rares dans la production intégrale du western. Par contre, leur réalisation s’étale sur environ une quarantaine d’années (1924-1962) qui coïncident avec presque toute la période du western traditionnel, ce qui mena d’ailleurs Nicole Gotteri à affirmer à l’aveuglette que « l’épopée de la construction, sur d’immenses étendues, de lignes de chemin de fer, [était] illustrée, entre cent autres exemples par The Iron Horse […] ou Union Pacific » (GOTTERI, 2005 : 51)8. Afin de proposer que ces films forment un sous-genre du western, nous démontrerons

dans la présente étude comment ils présentent une structure narrative semblable et ainsi créent à l’intérieur de ce genre une série « d’œuvres que relie une structure formant une continuité et qui se manifeste dans une série historique9 » (JAUSS, 1986 : 43). Stanley Cavell a fait une opération

semblable dans The Pursuit of Happiness (1981) en isolant les comedies of remarriage dans le genre hollywoodien de la screwball comedy des années 1930 et 1940. Avant Cavell, on ne distinguait pas nécessairement les comédies du remariage des autres screwball comedies, mais l’analyse de Cavell, en isolant ces films dans le genre et en révélant leurs spécificités, a démontré qu’ils forment un sous-genre de la screwball comedy. Il continua sa réflexion avec un autre ouvrage, Contesting Tears (1996), où il reconnaît un autre sous-genre qui communique, par contraste, avec la comedy of remariage qu’il intitule melodrama of the unknown woman. Ces exemples illustrent bien comment l’intervention du critique, en jetant un regard neuf et analytique sur l’histoire d’un genre, parvient à créer des classifications qui détaillent davantage ses différentes articulations10. Par ailleurs, une comparaison avec les mythes antiques peut justifier notre intention

d’isoler un sous-genre westernien, car si « la conquête de l’Ouest est, enfin, devenue mythe essentiel des États-Unis, […] le Western, avec ses milliers d’œuvres constitue [sa] mythologie » (ASTRE et HOARAU, 1973 : 11). Comme l’on distingue dans la mythologie grecque les cycles de la fondation de Thèbes, des aventures des Argonautes, de la guerre de Troie, etc., on peut également

8 Il y a des chances que par « cent autres exemples », Gotteri fasse aussi référence aux épisodes des serials Winners of the West (1940) et Roar of the Iron Horse (1951,) ainsi qu’aux séries télévisées Union Pacific

(1958) et The Iron Horse (1966-1968), tous centrés autour de la construction d’un chemin de fer. Cependant, il serait inexact de considérer la somme de ces épisodes comme autant de films sur la construction d’un chemin de fer, car la forme narrative morcelée des serials et séries télévisées, dont la plupart des épisodes n’ont finalement que peu à voir avec la construction d’un chemin de fer, présentent de façon hétérogène et incomplète quelques éléments épars de la structure narrative de la Railroad Building Story telle qu’inaugurée dans The Iron Horse (1924).

9 Jauss discute de littérature médiévale, mais sa volonté d’ouvrir la définition des genres littéraires médiévaux

selon le principe de série historique est parfaitement transposable à la théorie des genres cinématographiques et s’applique bien à notre propre délimitation d’un sous-genre du western.

10 Mentionnons également que Marc Cerisuelo a en quelque sorte suivi l’exemple de Cavell dans son livre Hollywood à l’écran (2000), où il discute des « métafilms américains », c’est-à-dire les films qui mettent en

scène l’univers de la production des films hollywoodiens (Show People (1928), Sunset Boulevard (1950), A

Star is Born (1954), etc.). Quoique cette catégorisation est beaucoup plus ouverte que celles de Cavell, les

« métafilms américains », par leur sujet métaréflexif, forment ensemble un genre spécifique d’œuvres cinématographiques.

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5

suggérer que la mythologie westernienne est composée de cycles, dont celui des récits de la construction d’un chemin de fer11. Cela dit, cycle mythologique ou sous-genre, les deux

appellations reviennent presque au même concernant le western, genre « né de la rencontre d’une mythologie et d’un moyen d’expression » (RIEUPEYROUT, 1953 : 7), pour reprendre la célèbre formule d’André Bazin12. N’empêche que dans cette étude, nous nous référerons à notre corpus

surtout en tant que sous-genre, dont nous prenons l’initiative de baptiser ainsi : Railroad Building Story13.

1.3 Visées de l’étude

Néanmoins, la délimitation d’un corpus n’est que le commencement d’une réflexion sur celui-ci. Nous voudrions désormais justifier notre approche analytique. Metz propose qu’il existe « deux entreprises distinctes et qui ne sauraient se remplacer l’une l’autre : d’une part, la sémiologie du film narratif […]; d’autre part, l’analyse structurale de la narrativité elle-même, c’est-à-dire du récit considéré indépendamment des véhicules qui le prennent en charge (film, livre, etc.) » (METZ, 1968 :144). Dans notre cas, c’est surtout la structure narrative des films qui sera discutée dans ce travail, ce qui implique que nous nous attarderons peu à la sémiologie narrative propre au cinéma (mise en scène, prises de vue, montage, bref, ce qui relève du langage cinématographique à proprement dit), sans rien enlever à la pertinence de cette question. Nous assumons d’emblée les conséquences d’un tel choix afin de nous concentrer essentiellement sur la forme du récit. Ce que cette étude propose, c’est une analyse historique et idéologique des récits de la Railroad Building Story. Nous positionnant entre les perspectives historique et mythologique, nous chercherons à comprendre les origines de la structure narrative du sous-genre et sa fonction mythologique au sein de la nation américaine. Car les approches historiques et mythologiques ne sont pas contradictoires, particulièrement en ce qui concerne le western. D’ailleurs André Glucksmann propose que « comme toute mythologie, le western n’a pas un rapport documentaire avec la vérité historique; il ne s’en suit pas qu’il faille le réduire à une conscience “fausse” ou à un reflet illusoire de la réalité »

11 D’autres cycles du western peuvent être identifiés selon le même principe que nous appliquons pour

délimiter notre corpus. Les films à propos de la migration vers l’ouest en charriots bâchés, que nous avons retranché de la catégorie de Gruber, pourraient constituer un autre cycle épique. Il serait également possible d’isoler les films centrés autour d’un personnage célèbre, comme Billy the Kid, Jesse James ou encore Georges Armstrong Custer, pourvu que les films choisis racontent un récit semblable. Certaines catégories de Gruber, comme celle du Marshall Story, forment à leur façon des cycles très larges, dans lesquels il serait envisageable d’établir des subdivisions selon divers principes structurels.

12 La préface de cet ouvrage de Rieupeyrout fut écrite par André Bazin.

13 Étant donné que notre démarche découle de la liste de Gruber et qu’il s’agit de films américains

d’expression anglaise, nous avons cru adéquat d’utiliser l’anglais pour nommer le sous-genre, ainsi que de choisir, en quelque sorte, une expression rappelant la catégorie de Gruber.

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6

(GLUCKSMANN,1993 :72).Aussi,lorsqu’un Roger Tailleur affirme que « le western ne fait qu’un avec l’histoire américaine » (TAILLEUR,1993 :19),il n’entend pas que le western peut être compris comme un document historique, mais que les fondements du mythe westernien se trouvent réellement dans les faits historiques de la conquête de l’Ouest. Le mythe s’approprie l’Histoire, il l’interprète à des fins idéologiques. Connaître le référent historique de la Railroad Building Story demeure donc nécessaire afin de pleinement saisir la fonction mythologique de sa structure narrative.

D’abord, il va de soi que le prototype du sous-genre, The Iron Horse, a joué un rôle important dans la définition de cette structure narrative14. Aussi, cette œuvre eut un grand impact

sur l’esthétique du western par son traitement de l’Histoire. Le film de John Ford fait partie de ces westerns dits epic15 des années 1920, où s’est jouée « la rencontre entre les films historiques et les

films sur l’Ouest » (LEUTRAT et LIANDRAT-GUIGUES, 1990 : 109). D’ailleurs, Leutrat remarque avec amusement qu’à sa sortie en salle « Le Cheval de fer est qualifié de historical romance », alors que selon le critique français, « ce film est incontestablement un western » (ibid. : 109). Que The Iron Horse soit un western, cela ne faitaucun doute puisque l’évolution du genre nous le confirme d’emblée. Néanmoins, à l’époque de sa production, un tel film se démarquait de la norme des films sur l’Ouest, qui n’entretenaient pas de lien sérieux avec l’Histoire et qui se souciaient peu de raconter une histoire structurée. Leutrat catégorise ces westerns de merveilleux, qu’il compare aux epics dans le passage suivant, en mesurant l’impact qu’eut l’avènement de westerns historiques et ce qui en découle au plan de la narrativité :

Donc la « westernité » n’est pas directement attachée à un passé dans les films merveilleux dont l’action se déroule le plus souvent au présent, ou dans une temporalité difficile à préciser. Le plaisir et le frisson que procurent ces films sont généralement liés à un rythme reposant sur la multiplicité des séquences construites autour d’événements qui ne cessent de faire rebondir l’action sans souci de linéarité16 narrative. Il s’agit de galoper dans les prairies, de dévaler des

pentes, de présenter des combats, de préférer détours et contours à la ligne droite. La notion d’humain, elle, est liée à l’Histoire. Alors que le récit merveilleux manifeste l’incapacité

14 Nous ajouterions que le deuxième opus, Union Pacific, instaura également quelques éléments qui

demeureront

constants dans le sous-genre, mais l’essentiel se retrouve déjà dans le film de John Ford.

15 On se réfère à ce type de westerns historiques des années 1920, dont The Iron Horse fait partie, sous

l’appellation epic. On peut également inclure dans ce groupe The Covered Wagon (1923), The Pony Express (1925) et Tumbleweeds (1925). La production d’epics ne se limite à ces films, puisque l’étiquette s’applique également aux films suivants : The Big Trail (1930), Cimarron (1931), Sutter’s Gold (1936), The Plainsman (1937), Wells Fargo (1937), Union Pacific (1939), Red River (1948), Cimarron (1960) et How the West Was

Won (1962) (LEUTRAT, 1973 :26). Ce qui caractérise les westerns epics est avant tout l’ampleur de leur

production, car il s’agit de films prestigieux dont la réalisation est très dispendieuse. Toutefois, dans la majorité des cas, les epics se justifient également d’un discours très patriotique, exaltant à grands frais la fierté américaine.

16 En fait, ces séquences d’actions sont forcément linéaires, Leutrat veut sûrement dire qu’elles ne reposent

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d’adopter une position critique, le récit historique sous-entend cette attitude. Que le récit humain devienne historique signifie qu’il implique un discours sur le sens de l’Histoire. […] Le problème de la linéarité du récit se pose quand ce dernier devient historique (ibid. : 117).

C’est-à-dire que l’introduction du souci historique dans le western cinématographique va de pair avec l’intégration d’une logique narrative qui devient, du même coup, interprétation de l’Histoire. Toujours selon Leutrat, dans The Iron Horse « le propos est de sublimer l’Histoire pour rendre l’essence de la Nation, l’image (éternelle) de l’américanité intemporelle » (LEUTRAT,1985 :214).Il s’agit donc de donner un sens à l’Histoire qui nourrit le patriotisme de la nation américaine. En ce qui concerne The Iron Horse, l’Histoire, c’est la construction du premier chemin de fer transcontinental, grand accomplissement américain dont William Tecumseh Sherman17 qualifiera de

« most important event of modern times » (AMBROSE,2000 :357). Depuis sa construction jusqu’à nos jours, les Américains n’ont pas tari d’éloges envers cette entreprise colossale. La construction du chemin de fer transcontinental est considérée comme un des plus grands accomplissements de l’histoire américaine. The Iron Horse est la consécration cinématographique de l’événement, et notre projet et de démontrer comment l’origine de la structure narrative de la Railroad Building Story provient d’une idéalisation toute westernienne des faits entourant la construction du premier18

chemin de fer transcontinental. Aussi, même si plusieurs films du corpus racontent la construction d’autres lignes de chemin de fer américaines (et d’une ligne télégraphique), la suite événementielle de leur récit se fonde sur la structure inaugurée par The Iron Horse, parce que c’est en quelque sorte le mythe du chemin de fer américain qui s’est actualisé, cinématographiquement, en elle. Ce récit mythologique du chemin de fer correspond à ce que David E. Nye nomme technological foundation narrative dans son ouvrage America as Second Creation :

In the American beginning, after 1776, when the former colonies reimagined themselves as a self-created community, technologies were woven into national narratives. A few assumed particular prominence, among them the axe, the mill, the canal, the railroad, and the irrigation dam. This book is about those technologies and the stories that clustered around them. It is about an American story of origins, with America conceived as a second creation built in harmony with God’s first creation (NYE,2003 :1).

À notre avis, la Railroad Building Story est une version cinématographique de la technological foundation narrative à propos du chemin de fer américain. Nye reconnaît d’ailleurs que « the ultimate expression of this story was the transcontinental railroad […]. A line from Atlantic to the

17 William Tecumseh Sherman fut l’un des plus célèbres généraux de l’armée de l’Union pendant la guerre de

Sécession. Lorsque Ulysse S. Grant fut élu président des États-Unis en 1869, Sherman lui succéda à la tête de l’armée américaine. Il fut mêlé de près aux Guerres indiennes qui se déroulèrent peu de temps après la guerre de Sécession. La citation date de 1883, dans son dernier rapport annuel en tant que chef de l’armée américaine.

18 Nous spécifions ici « premier », car il eut un second chemin de fer transcontinental complété aux États-Unis

en 1881 (Southern Pacific Railroad) et un troisième en 1883 (Northern Pacific Railway). Cela dit, dans notre étude, nous nous référerons seulement au premier.

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Pacific was not merely an engineering project or a business proposition; it was the fulfillment of Manifest Destiny » (ibid. : 160). Notre analyse de la structure narrative de la Railroad Building Story démontrera comment elle constitue une interprétation des faits historiques servant à créer une version idéalisée de ce grand accomplissement américain. Car comme l’affirme Leutrat, le but de cette idéalisation et de « retrouver la force des mythes grâce au recours à l’Histoire, à ce qui enseigne les droits de l’émancipation et de la légitimité de la Nation et de son unité, de son existence » (LEUTRAT,1985 :206).

Cependant, le référent historique du sous-genre ne sera pas le seul temps historique étudié dans cet ouvrage car nous poursuivrons avec l’analyse d’un deuxième temps historique, qui est contemporain de la réalisation des films du corpus. Dans cette seconde étape nous tâcherons de comprendre, suite à l’éclaircissement de l’origine et du sens idéologique de la structure narrative, les motifs expliquant l’attrait qu’un tel récit puisse susciter chez la nation américaine, aux moments où les films de la Railroad Building Story ont été produits. Nous abordons plus particulièrement ici la fonction mythologique du western en tant qu’épopée nationale. Dans sa monographie sur le western, Yves Pedrono associe fermement ce genre à l’épopée. Il offre cette comparaison entre le genre cinématographique et certaines épopées antiques et médiévales :

L’épopée […] est systématiquement le produit d’un recours à des faits antérieurs destiné à traduire des préoccupations présentes. L’hellénisme qu’on perçoit dans L’Illiade et l’Odyssée est davantage un projet homérien que le souci d’Ulysse et de ses compagnons. De même, l’attachement au royaume de France au nom duquel Roland se sacrifie à Roncevaux, a toutes les raisons d’habiter bien davantage la pensée de son auteur, Turold, probablement enclin à encourager la volonté d’hégémonie naissante des Capétiens, plutôt qu’à traduire le patriotisme ambiant au temps de Charlemagne, empereur européen avant tout. Aussi ne faut-il pas s’étonner que Ford, Hawks et autres Mann aient conçu la conquête de l’Ouest au regard de l’histoire qu’ils vivaient au quotidien (PEDRONO,2010 :255).

En effet, l’épopée est la glorification des origines d’une nation servant à unifier, au sein du groupe, l’identité et les valeurs nationales qui, elles, reflètent surtout les idéologies contemporaines à la création de l’œuvre épique19. Or, puisque les films du sous-genre sont réalisés dans des contextes

historiques distincts, nous pourrons lire dans cette succession chronologique les modulations idéologiques qui s’opèrent entre chaque période de l’histoire américaine dans lesquelles ces films furent produits. Cela nous permettra de constater l’évolution idéologique de la Railroad Building Story et comment cette évolution répond aux différentes préoccupations sociales du pays. À cet effet, nous nous appuyons sur la définition de la fonction du « mythe » énoncée par Richard Slotkin, spécialiste de l’histoire de la conquête de l’Ouest :

19 André Glucksmann a bien résumé le phénomène dans cette proposition : « le Western est une mythologie

sécularisée où une société tente de réfléchir ses contradictions sous couleur d’en retracer l’origine » (GLUCKSMANN,1993 :71).

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Myths are stories, drawn from history that have acquired through usage over many generations a symbolizing function that is central to the cultural functioning of society. […] Each new context in which the story is told adds meaning to it, because the telling implies a metaphoric connection between the storied past and the present (SLOTKIN,1985 :16).

Par conséquent, nous devrons nous questionner sur chaque présent dans lequel un ou des films de la Railroad Building Story ont été réalisés, afin d’expliquer la connexion métaphorique existant entre ces récits sur la construction d’un chemin de fer et le contexte historique dans lequel ils furent racontés. À cet égard, nous identifierons notre perspective d’analyse à celle de la sociocritique et du concept de semiosis sociale, tels que définis récemment par Pierre Popovic dans son livre La Mélancolie des Misérables : essai de sociocritique (2013). Nous expliquerons cet aspect sociocritique de notre méthode dans le premier chapitre où nous exposerons en détails notre cadre théorique. Bref, cette analyse mettra en évidence les liens idéologiques entre l’histoire des États-Unis des années 1920 à 1962 et l’évolution historique de la Railroad Building Story en tant que récit épique du chemin de fer américain.

1.4 Le chemin de fer dans l’imaginaire américain

Afin de pleinement saisir la signification de certains éléments de la Railroad Building Story, nous devons prendre conscience d’un détail capital relevant de l’imaginaire collectif américain. Il s’agit de la signification symbolique que le chemin de fer occupe dans cet imaginaire. Certes, cette donnée imaginaire est moins prégnante de nos jours, mais il ne fait aucun doute que la technologie du chemin de fer a joué un rôle important dans la définition identitaire du peuple américain depuis son invention au XIXe siècle jusqu’à l’époque moderne. Dans l’introduction à son histoire de la

compagnie de chemin de fer Union Pacific, Maury Klein exprime admirablement bien cette idée. Nous nous en remettons à ses mots pour l’illustrer :

The impact of the railroad on American life can hardly be exaggerated. It rearranged the nation’s economic geography, trained several generations of businessmen and financiers, and laid the foundation for many of the era’s great fortunes. Everyone got a piece of the action. The railroad opened new land for settlers, new markets for merchants, new sources of profit for financiers, new ressources for industrialists to exploit, new jobs for everyone from manager to itinerant laborers, and new enterprises for the ambitious. […]

All these things can be measured to some degree, but there is no way to measure the

impact of the railroad on the American imagination20. The locomotive was the dominant symbol of the age for Americans from every walk of life. Nothing else fired such lofty visions of their private and national destinies. Other mechanical wonders impressed or even inspired them, but none touched them more deeply or passionately. […] To many ambitious farmboy the locomotive whistle wailling across the endless prairie or plains was a call of destiny, promising freedom, adventure, and new possibilities for the future.

20 Nous soulignons.

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Within a remarkably short time the railroad became part of American folklore, its tales an important chapter in the saga of our national development. No tale occupies a more prominent place than that of the first transcontinental road and its climax, the driving of the golden spike. For that reason the Union Pacific occupies a unique niche in American history. As part of the first line to bridge the continent it became a central chapter in the national mythology. (KLEIN, 2006 :xi-xii)

Il est très signifiant que malgré les visées historiques et factuelles de son ouvrage, Klein mette une aussi grande emphase dans son introduction sur l’impact qu’eut le chemin de fer sur l’imaginaire américain. On doit en conclure que le chemin de fer tient une place toute particulière dans l’histoire de la nation américaine, ce qui est particulièrement identifiable lorsqu’il est question de raconter le chemin de fer. Car c’est par la mise en récit que ce genre de donnée imaginaire devient le plus manifeste. Aussi, la grande majorité des ouvrages historiques sur les chemins de fer américains que nous avons consultés démontre un intérêt vibrant pour la signification symbolique du chemin de fer au sein de la nation américaine. Le rôle technologique du chemin de fer aux États-Unis est indissociable de sa fonction symbolique, à un tel point qu’il n’est absolument pas exagéré d’affirmer qu’en tant que nation, les Américains se soient identifiés imaginairement au chemin de fer. Stewart Hall Holbrook est catégorique à ce sujet : « […]to me the steam railroad is the essence of America, the America I have known and believe to be the finest place on earth » (HOLBROOK, 1947 : 18). En fait, cette question culturelle est si pertinente que James A. Ward l’étudie spécifiquement dans son Railroads and the Character of America (1986). Selon cet auteur, le chemin de fer est devenu pour les Américains « a vital metaphor representing the nation’s hopes and aspirations » (WARD, 1986 : 11). On peut expliquer cette identification par certains parallélismes existant entre les idéaux américains et la représentation imaginaire du chemin de fer au XIXe siècle. C’est-à-dire que certaines idées qu’on associait au chemin de fer s’accordaient aux

caractéristiques de l’identité américaine. Au cœur de cette identification, il y avait accord entre le chemin de fer et le caractère « progressiste » de la nation américaine. Symbole par excellence du progrès (technologique), le chemin de fer devint l’outil privilégié par lequel les États-Unis devinrent rapidement une société industrialisée et prospère durant le dernier tiers du XIXe siècle : « The main

achievement of the railroads was to help enormously to build the United States into a world power and do it well within the span of one man’s lifetime » (HOLBROOK,1947 :3). Cette identification ne s’exprime pas qu’en terme technologique; il y a une association presque spirituelle entre le chemin de fer et le peuple américain du XIXe siècle. Prenons par exemple ce propos de Daniel J. Boorstin

qu’on retrouve dans sa préface de l’ouvrage American Railroads : « For most of the nineteenth century railroads were a symbol of the anachronism which was the romance and the strength of the new nation » (STOVER,1961 :vii). Par « anachronisme », Boorstin veut dire que le chemin de fer

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était un signe hypermoderne dans le paysage américain de l’époque21. Il est anachronique dans la

mesure où l’on y voit, au-delà de sa réalité matérielle, le signe d’un avenir en devenir, c’est-à-dire, du futur : « More than steamboat, more than anything else, the railroads were the harbinger of the future, and the future was the Industrial Revolution » (AMBROSE,2000 :25).Or, cela nous éclaire sur les motifs de cette identification imaginaire au chemin de fer, puisque les Américains se voyaient eux-mêmes comme un peuple entièrement tourné vers le futur, dont la coordonné spatiale était l’Ouest. Dans son livre The Iron Way (2011), William G. Thomas rapporte les propos étonnants de Richard Cobden22, un Britannique émerveillé par l’optimisme que les Américains

vouaient dans le futur de leur nation23 :

To a friend Cobden tried to explain what he had seen in the free states : an unbridled optimism, a faith in progress, opportunity, and stastistical success, and a calm assurance that nature had favored them. « Nobody can doubt the future » of the free states, he wrote. « Their faith in the destiny of coming generations becomes a part of their estimated power when measuring themselves against the old world. – They are the only people who in their statistical works carry on their progress into the future. – Take a table of the past growth of Chicago, for instance, & you will see, in addition to the exports & imports to the present time, an estimate of their increase for a dozen years to come. – Such a people cannot be beaten or humbled by present misfortunes. They take refuge in the future. – which offers them advantages over the whole world » (THOMAS,2011 :53).

Suivant la pensée de Cobden, nous comprenons que cet optimisme devant le futur est un trait distinctif du caractère américain. Donc, reconnaissant le chemin de fer comme l’outil par lequel le futur se réalisera, les Américains y ont vu une métaphore de leur identité nationale. Ce phénomène est proprement mythologique, car cette identification fonctionne comme un système de compensation imaginaire. Les États-Unis, voulant être résolument modernes, s’identifient au chemin de fer en tant que symbole le plus manifeste de la modernité à venir, ou plutôt en devenir.

Mais dans l’imaginaire collectif américain, le chemin de fer ne signifie pas seulement le « progrès ». Plus fondamentalement, et particulièrement lorsqu’on parle du transcontinental, le chemin de fer fut un symbole d’unité nationale pour les Américains. Cette idée était cruciale, car la question de l’unité nationale était une source d’incertitude et d’anxiété au moment (autour de 1850) où les chemins de fer s’imposaient sur le territoire américain. Le besoin de résoudre ce doute

21 Roger Tailleur souligne d’ailleurs ce détail en discutant d’un certain effet « surréaliste » qui est propre à

l’univers westernien : « L’Ouest fait tout naturellement co-exister (peu pacifiquement) la préhistoire (le bison), les peuplades barbares (les Indiens), la féodalité (les rois du bétail) et la civilisation industrielle (les chemins de fer), en une fresque surréaliste nous offrant la rencontre quotidienne, sur une mesa de l’Utah, du vieux parapluie en peau de buffle du chef Rain-in-the-face et d’une machine à coudre les kilomètres de l’Union Pacific » (BELLOUR,1993 :22).

22 Richard Cobden était un homme d’État libéral également investi dans le développement industriel. Ayant

des intérêts financiers aux États-Unis, il y fit quelques voyages durant lesquels il parcourut le continent grâce aux réseaux ferrovières.

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identitaire, ne serait-ce qu’imaginairement, était impératif. Ward explique comment les promoteurs de ligne de chemin de fer misaient sur cette promesse dans leurs discours promotionnels :

That an overwhelming majority of the metaphors at least touch upon the promise that rails will finally unite the nation says much about Americans’ uncertainty about their future. And many of the metaphorical expressions display a nervous edge; they are a little too enthusiastic and too effusive, even allowing for their promotional intent. They reveal a deep fear that the nation will not endure, much less prevail. Many of the metaphors radiate an almost desperate energy, an intimation that railways might be the last hope for holding the political experiment together (WARD,1986 :17).

Cette idée que les chemins de fer ont unifié la nation américaine est soulevée dans pratiquement tous les ouvrages historiques sur les chemins de fer américains. Par exemple, Holbrook dit : « the country did crack several times, but it never quite blew up, or collapsed, and the reason it not only survived but prospered in wealth, in population, and in power was the railroad » (HOLBROOK, 1947 : 5).Cette idée est d’autant plus importante pour notre étude, que la représentation ultime de cette unification nationale est la complétion du premier transcontinental, soulignée par la cérémonie du Golden Spike à Promontory Point :

[…] people wanted a transcontinental railroad. This was because it was absolutely necessary to bind the country together (AMBROSE, 2000 : 24).

The completion of the first transcontinental railroad in 1869, America’s real symbol of unity (WARD,1986 :150).

On May 10, 1869, the nation’s telegraphs hummed with the exhilarating news that the Golden Spike had been driven at Promontory Point, Utah. As the New York Times announced the next day, Americans were « henceforth emphatically one people » (THOMAS,2011 :206).

Que les Américains aient vu dans l’achèvement du premier chemin de fer transcontinental le symbole de leur unité nationale souligne également comment cette notion était incertaine dans leurs esprits. Or, cela est fort compréhensible historiquement, puisque seulement deux années séparent l’éclatement du grand schisme américain qu’est la guerre de Sécession (1861-1865) et la construction du transcontinental (1863-1869). À vrai dire, la signification historique de la construction du premier chemin de fer transcontinental est directement reliée aux événements de la guerre de Sécession, et ce, sous différents aspects. Aussi, nous aurons le loisir de discuter plus en détail de cette question dans le cadre de notre étude, puisque les films de la Railroad Building Story abordent tous le conflit sécessionniste américain, avec une constance étonnante, bien que chaque film évoque différemment l’événement.

L’idéologie progressiste d’un futur providentiel assuré par le chemin de fer est exprimée, explicitement et implicitement, dans les films de la Railroad Building Story. Le chemin de fer est le symbole de la modernisation du pays à venir, il va donc de soi que l’Américain patriote construit et

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défend le chemin de fer parce qu’il a foi en la destinée de la nation. Par contre, aussi importante soit cette représentation progressiste du chemin de fer, c’est le mythe de l’unité nationale qui est primordial à la signification historique du sous-genre. Nous croyons d’ailleurs que cette affirmation s’applique aux deux dimensions historiques analysées dans le présent ouvrage. D’une part, cette magnification des faits historiques opérée par la structure narrative de la Railroad Building Story confirme idéologiquement que le transcontinental, comme les Américains se l’étaient imaginé, est effectivement le symbole de leur unité nationale. D’autre part, c’est également la question de l’unité nationale qui paraît justifier les modifications idéologiques du sous-genre durant son évolution, en ce sens que chaque période pendant laquelle ces films furent réalisés constitue un moment où l’unité nationale présente de nouvelles tensions. Chacun des films réactualise cette structure narrative pour les résoudre métaphoriquement.

1.5 Méthode d’analyse structurale

Pour effectuer notre analyse narrative de la Railroad Building Story, nous appliquerons à notre corpus une méthode de type structuraliste. Ce choix se justifie en partie par l’efficacité de l’approche structuraliste pour étudier les phénomènes mythologiques, comme les travaux de Claude Lévi-Strauss l’ont démontrée. Cependant, bien que le western puisse être considéré comme « a kind of myth of American modernization » (PIPPIN, 2010 : 62), nous ne pouvons confondre un genre cinématographique avec les mythes tribaux analysés par Lévi-Strauss. Le western est une mythologie, certes, mais il faut cependant reconnaître qu’il l’est dans un contexte moderne. Will Wright, qui a mené une étude structuraliste du western dans son ouvrage Six Guns and Society (1975), précise d’ailleurs que « in a scientific, skeptical society, myths cannot depend upon magic and supernatural events and must have a more realistic base for the narrative action » (WRIGHT, 1975 :150), ce qui est parfaitement le cas pour le western, qui fonde son univers diégétique sur l’histoire de la conquête de l’Ouest. En ce qui concerne notre corpus spécifique, notre opinion sur l’origine historique de la Railroad Building Story va tout à fait en ce sens. Mais encore, le western étant le produit d’une société industrialisée, on pourrait alors penser que la logique mercantile qui régit la production cinématographique hollywoodienne est en contradiction avec le mode de création anonyme et collectif des mythologies primitives. En fait, cette idée est une forme de leurre, car les conditions mercantiles de la production cinématographique sont, mutatis mutandis, l’adaptation moderne de la diffusion des mythes (sous forme de récits fictionnels) dans une culture s’adressant aux masses. À cet égard, Richard Slotkin explique comment les réalités économiques et mythologiques du western sont, tout naturellement, interdépendantes :

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Producers offer their fables and images, consumers buy or refuse to buy them; producers respond to consumer choices. […] What emerges at the end is a body of genres and formulas whose appeal has been commercially validated; and this body of genres and formulas may be taken as the myth/ideology of the mass culture that consumes it, a kind of « folklore of industrial society24 » (SLOTKIN,1985 :28-29).

Ce commentaire de Slotkin nous paraît juste. Pour les États-Unis, le western est une forme moderne de folklore issue des réalités sociales de l’industrialisation. Ce folklore, comme il le souligne, est le résultat de la validation des genres et de leurs formules par l’effort commun du public qui les consomme et des studios qui les produisent. Anne-Marie Bidaud propose même que les spectateurs de films hollywoodiens sont partiellement responsables du contenu de ces dits films : « Le public peut donc être tenu coauteur des messages contenus dans les films dans la mesure ou la vision de l’Amérique et plus largement la lecture du monde que lui proposait le cinéma ont rallié ses suffrages » (BIDAUD,2012 :10)25.La Railroad Building Story, avec ces dix films réalisés sur une quarantaine d’années, est l’une de ces formules westerniennes qui se sont manifestées suffisamment dans l’histoire du genre pour que nous-mêmes, dans le présent ouvrage, l’appréhendions comme structure narrative mythologique. Mais nous laissons ici ces considérations, car la présentation de la méthode structurale appliquée à notre corpus sera l’objet de notre premier chapitre.

1.6 Recours à l’histoire américaine

Au cours de notre enquête, nous aurons recours à certains ouvrages historiques sur la construction des chemins de fer aux États-Unis, plus particulièrement à propos du premier transcontinental26. On

pourrait nous accuser d’anachronismes par l’utilisation d’ouvrages écrits jusqu’à récemment, alors que The Iron Horse fut réalisé en 1924, supposant que maints détails contenus dans ces ouvrages

24 Slotkin forme ce propos d’après les réflexions de John Cawelti (Adventure, Mystery and Romance : Formal Stories as Art and Popular Culture, 1976) et Daniel Boorstin (« The Rhetoric of democracy », dans Robert

Atwan, Barry Orton, William Vesterman (dir.), American Mass Media : Industries and Issues, 1978) sur le contexte économique de la culture de masse.

25 La version originale de l’ouvrage Hollywood et le rêve américain. Cinéma et idéologie aux États-Unis de

Bidaud date de 1994, mais nous utilisons une version revue et corrigée de 2012.

26 Nous recourrons au témoignage de Grenville M. Dodge (1966 ; document original de 1910), ingénieur en

chef de l’Union Pacific durant la construciton du transcontinental, ainsi qu’aux ouvrages de Nelson Trottman (1966; version originale 1923), Stewart Hall Holbrook (1947), John F. Stover (1961), Robert West Howard (1962), Charlton Ogburn (1977), Maury Klein (2006; version orginale 1987), Stephen E. Ambrose (2000)26 et

William G. Thomas (2011). Le livre d’Ambrose ne fut pas rédigé dans un contexte académique, mais demeure utile à notre entreprise, et ce, malgré qu’une critique rédigée par The Committee for the Protection of

« What is Truth » in Railroad History a été adressée à l’auteur pour cette publication. Ayant consulté la dite

critique, la plupart des erreurs relevées concernent des détails techniques et spécifiques aux réalités technologiques de l’époque, soit rien qui concerne réellement nos intérêts. De plus, environ 90 % des erreurs sont liées à la Central Pacific, alors que nous nous intéressons principalement à l’Union Pacific. Pour consulter cette critique, voir : G. J. Graves, Edson T. Strobridge, Chales N. Sweet, The Sins of Stephen E.

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étaient probablement inconnus de Ford et de son équipe à l’époque. Néanmoins, nous prenons le pari que l’équipe de The Iron Horse n’était pas tellement plus ignorante des faits entourant la construction du premier transcontinental que les historiens des chemins de fer américains, particulièrement en ce qui regarde les éléments historiques racontés dans le film. D’ailleurs, la production même de The Iron Horse s’enorgueillissait à l’époque de respecter fidèlement ces faits historiques, ce que Leutrat explique ainsi :

les recherches savantes de Hollywood n’ont rien à envier, si l’on en croit les press-books, à celles d’une Université. Les grands studios possèdent un département chargé d’un travail de cette nature. La publicité du Cheval de fer proclame: « Cette histoire en images de la construction du premier chemin de fer transcontinental est précise et fidèle dans le moindre détail, qu’il s’agisse des faits et de l’atmosphère27. » Pour ce film, le travail de recherche se

serait effectué à la Bibliothèque du Congrès, au Smithsonian Institute, à l’American Museum History. Les archives des compagnies Central et Union Pacific, les bibliothèques de New York, de Los Angeles, de San Francisco, de Sacramento et de Omaha auraient été mises à contribution. De telles énumérations donnent l’impression que toutes les garanties de sérieux ont été fournies (LEUTRAT et LIANDRAT-GUIGUES, 1990 : 118).

Il est vrai que l’objectif publicitaire de ces affirmations soulève un doute quant à ladite rigueur derrière la recherche historique menée par l’équipe de The Iron Horse, néanmoins, cela prouve aussi que les sources historiques utilisées sont loin d’être des ouï-dire, qu’ils avaient même accès à des sources de première main, telles les archives des Union et Central Pacific. Qui plus est, ayant nous-mêmes comparé le récit de The Iron Horse à l’histoire du chemin de fer transcontinental, nous pouvons affirmer que les prétentions historiques des promoteurs du film, quoique pompeuses, sont justifiables. Ceci dit, l’objectif n’est pas d’accuser Ford28 ou autres réalisateurs d’avoir menti ou

honteusement manipulé les faits, mais de démontrer comment ils ont agencé certains faits à des éléments fictionnels pour créer une structure narrative constituant une interprétation idéale et patriotique de l’événement historique29. Le recours aux ouvrages historiques servira à démontrer

quels éléments de la structure narrative sont tirés de l’Histoire et comment ils sont adaptés au récit westernien. Nous serons tout aussi attentifs aux éléments provenant de l’Histoire que ceux purement

27 Cette notice constitue d’ailleurs le premier carton du film.

28 D’ailleurs, John Ford avait un oncle qui avait travaillé sur le chemin de fer transcontinental. Il en parle

brièvement dans une entrevue qu’il a donnée à l’Université de la Californie à Los Angeles : « Uncle Mike was a laborer on the Union Pacific Railroad when it was built. I was always interested in the railroad and wanted to make a picture about it » (PEARY,2001 : 64-65).

29 Ford en particulier a toujours avoué qu’il désirait rendre une image patriotique de l’Ouest historique dans

ses films. Dans The American West on Film : Myth and Reality (1974), Ken A. Maynard dit que « Ford was always aware of the history of the real West, and his films contain actual locations and realistic settings. However, Ford freely admitted that he shaped his West according to what he considered the nation’s need for heroic figures » (MAYNARD,1974 :76).Dans un entretien de Ford avec Peter Bogdanovich, à la question : « The end of Fort Apache anticipates the newspaper editor’s line in Liberty Valance, “When the legend becomes fact, print the legend.” Do you agree with that? », Ford répond : «Yes-because I think it’s good for the country. We’ve had a lot of people who were supposed to be great heroes, and you know damn well they weren’t. But it’s good for the country to have heroes to look up to » (ibid. :77).

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fictionnels, car ce qui compte avant tout est la constance de ces éléments dans les films de la Railroad Building Story ainsi que leur combinaison. Cette analyse constituera le noyau principal de la première partie de ce mémoire, qui sera précédé par une brève explication portant sur l’adaptation spécifique de la méthode de Propp à notre corpus. En guise de conclusion à l’analyse de la structure narrative de la Railroad Building Story, nous discuterons des liens historiques et idéologiques existant entre la guerre de Sécession et la construction du premier transcontinental. Si la guerre de Sécession ne constitue pas un épisode précis dans les récits de la Railroad Building Story, il n’en demeure pas moins que tous les films du corpus s’y réfèrent explicitement ou implicitement. Nous considérons donc que l’allusion au conflit sécessionniste est une constante sémantique du sous-genreet qu’une explication mérite d’éclaircir cette question. Cet argument nous permettra de mettre sur table quelques considérations qui seront abordées dans la deuxième partie de notre étude.

Dans son ouvrage Showdown : Confronting Modern America in the Western Film (1980), John H. Lenihan propose que « the study of a single genre is especially revealing of how a particular form is modified in accordance with the constantly changing concerns and attitudes of a society. » (LEHINAN, 1980 : 4) C’est, en somme, ce que nous tâcherons de démontrer dans la seconde partie de notre étude en discutant de l’évolution historique de la Railroad Building Story. Pour ce faire, nous diviserons le corpus en quatre différentes périodes, soient les quatre contextes historiques qui ont vu naître ses films. Si notre analyse préalable du référent historique s’attardait plus particulièrement aux éléments constants de la structure narrative du sous-genre, cette seconde analyse portera une plus grande importance aux éléments variables se manifestant dans chacun des films. Par éléments variables, nous entendons autant la manière particulière dont un film actualise un élément constant, que les éléments non constants, mais importants dans les films du sous-genre. Car, si notre description de la structure narrative du sous-genre se base sur ce qui fonde la continuité générique du corpus, l’analyse de son évolution historique se déduit davantage par ce qui singularise chacun des films. Cette confrontation du western à son contexte social de production est une perspective d’analyse de plus en plus répandue dans le champ des recherches westerniennes. Le premier ouvrage entièrement dédié à cette problématique est l’ouvrage de Lehinan mentionné plus haut. Toutefois, durant les dix dernières années, quatre études sur le western se consacrent partiellement ou entièrement à ce sujet, soient Cowboys as Cold Warriors de Stanley Corkin (2004), Le Western, une histoire parallèle des États-Unis de William Bourton (2008), Et Dieu créa l’Amérique!30 d’Yves Pedrono (2010) ainsi que Hollywood Westerns and American Myth de Robert

30 Le titre complet va comme suit : Et Dieu créa l’Amérique! De la Bible au western, l’histoire de la naissance des USA. Il ne faut pas se laisser méprendre par ce titre clinquant, car la question biblique n’occupe

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