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Chapitre II : La structure narrative de la Railroad Building Story

3.2 Les épisodes-types de la Railroad Building Story

3.2.11 Arrivée des Renforts (AR)

Même si le clan du chemin de fer conjugue toutes leurs forces pour combattre l’attaque ennemie, la victoire dépendra de l’aide nécessaire apportée par l’arrivée des renforts. En effet, la séquence guerrière suit une progression dramatique s’intensifiant jusqu’au point où la situation devient critique et que la défaite du clan du chemin de fer est envisageable. C’est, bien entendu, un effet de suspense. L’épisode-type AR et en quelque sorte l’équivalent positif de l’épisode-type VM. Le vilain a pactisé avec l’ennemi national, l’Indien, mais la victoire du chemin de fer sera assurée par le renfort national, soit la cavalerie américaine. Évidemment, cet élément narratif est un poncif du western classique, qu’on nomme ordinairement the last minute rescue (sauvetage de dernière minute), qui figure d’ailleurs dans une des œuvres les plus emblématiques du western, soit Stagecoach de John Ford (1939). Dans la structure narrative de la Railroad Building Story, l’intervention de l’armée américaine fait écho à l’Implication gouvernementale, confirmant que les institutions nationales soutiennent la protection et l’expansion du chemin de fer dans l’Ouest. Cette intervention militaire a également pour fonction d’étendre la sphère collective du chemin de fer à

147 Historiquement, les Indiens ont effectivement contesté le chemin de fer en brûlant des ponts de l’Union

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Dans The Iron Horse, la communauté du chemin de fer prête à se défendre contre l’attaque indienne (gauche) et Ruby mourante après l’affrontement guerrier (droite).

Le piège du château d’eau habilement préparé par les Indiens dans Union Pacific et le feu sur le campement des travailleurs dans Western Union. Dessous, les Indiens de Union Pacific qui pillent et festoient chaotiquement après le déraillement du train.

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l’échelle nationale. L’armée représente les intérêts de la nation et le sauvetage de la communauté du chemin de fer par celle-ci explicite son intérêt national. Donc, l’épisode-type AR survient au point névralgique de l’attaque sur le chemin de fer et vient complètement renverser la situation. Si le combat des travailleurs se réalise dans un état de panique général progressant jusqu’à l’éventualité d’une défaite, l’arrivée des renforts efface en un instant toute trace d’anxiété chez les travailleurs qui savent que le combat est désormais assurément gagné. Alors que les travailleurs durent se serrer les coudes pour contenir, tant bien que mal, l’invasion ennemie, la cavalerie ne fait qu’une bouchée des assaillants, particulièrement lorsqu’il s’agit d’Indiens. On peut y voir là une forte expression du patriotisme militaire américain dédaignant les qualités guerrières des sauvages primitifs.

Dans la plupart des films du corpus, le renfort provient effectivement de la cavalerie américaine, mais il y a quand même certaines nuances à préciser ainsi que quelques variations à mentionner. Par exemple, dans The Iron Horse, c’est une division bien particulière de la cavalerie qui vient à la rescousse des travailleurs de l’Union Pacific, soit les Pawnee Scouts, qui étaient des Indiens Pawnee recrutés par l’armée américaine pour participer aux conflits armés avec les tribus hostiles. La tribu des Pawnees était ennemie des tribus qui causaient le plus de trouble à l’expansion des États-Unis vers l’Ouest148, et de ce fait, cette alliance avec l’armée américaine leur donnait

l’opportunité de combattre leurs ennemis tout en profitant de la protection supplémentaire de l’armée américaine. Dans Kansas Pacific, puisque le contexte guerrier se situe à l’aube de la guerre de Sécession, les renforts proviennent de l’armée de l’Union du Nord, qui est distincte de l’armée américaine prise au sens général. Cependant, dans certains films les renforts ne proviennent pas de l’armée américaine, comme dans Canadian Pacific, ce qui va de soi vu le contexte canadien du récit. En remplacement, c’est simplement des travailleurs accompagnés de l’ingénieur en chef qui constitue les renforts. Dans Rock Island Trail, les renforts proviennent de la tribu d’Alita, la princesse indienne. Toutefois, contrairement aux Pawnee Scouts de The Iron Horse, la tribu d’Alita n’est pas alliée à l’armée américaine.

On peut identifier une variation très déformée de l’épisode-type AR dans Denver and Rio Grande. Durant la phase finale de l’épisode-type G, l’héroïne se trouve du côté des vilains. Réussissant à fuir pour retrouver le clan du Denver & Rio Grande, elle révèle une information cruciale sur les plans d’attaque des vilains qui permettra au héros de gagner la bataille. Généralement, l’aide militaire apportée par les renforts participe à la geste collective de la Railroad Building Story, mais elle est souvent initiée par l’action d’un individu. Dans The Iron Horse, c’est grâce au rassemblement orchestré par le héros qu’un télégramme invoquant les secours de l’armée

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est envoyé. Dans le cas de Union Pacific, c’est l’héroïne qui conçoit un moyen pour communiquer avec l’armée : elle coupe le fil du télégraphe le long du chemin de fer et utilise la pointe d’un fusil pour dicter un message en code Morse. Dans Canadian Pacific, le sidekick Dynamite Duke quitte le champ de bataille pour avertir la compagnie de chemin de fer de la situation. Finalement, dans Rock Island Trail, s’apercevant de l’ampleur de l’attaque ennemie, la princesse indienne communique par signaux de fumée pour alerter sa tribu. Donc, ces actions insufflent une dose d’individualisme au travers de cette action essentiellement collective.

Mais qu’en est-il de l’implication de la cavalerie américaine dans l’histoire du chemin de fer transcontinental? Le transcontinental étant un projet gouvernemental et l’Union Pacific une compagnie créée par le gouvernement, il est donc logique que l’entreprise puisse compter sur la protection des forces armées nationales. Comme le dit Pedrono, « sait-on ainsi que, dans la réalité du XIXe siècle, l’US Cavalry fut nettement moins encline à escorter les diligences qu’à faciliter le

travail des constructeurs de lignes de chemin de fer » (PEDRONO,2010 :9), en faisant naturellement référence au voyage en diligence dans le célèbre Stagecoach. En effet, les travailleurs de l’Union Pacific bénéficièrent de la protection de la cavalerie américaine, mais cette protection fut très inégale durant le cours des travaux. Très fréquemment, les dirigeants de l’Union Pacific demandèrent une protection accrue de la part de l’armée qui ne répondait pas à l’appel. Une fois la construction entrée dans les territoires de chasse indiens, ce problème ne faisait que s’empirer : « The Army supplied partial protection, but the troopers were too few. As General George Crook tartly remarked, it was difficult to surround three indians with one soldier » (HOLBROOK, 1947 : 169).Dodge, qui était d’ailleurs un général hautement considéré dans l’armée américaine, avait grandement à cœur ce problème de protection. Il communiquait régulièrement avec le commandant général Willam T. Sherman sur le sujet :

Aware that the railroad crews and surveyors were venturing into country where the Indians were most active, Dodge spent the winter pleading with Grant and Sherman for more protection. « It is hard to make a lot of Irishmen believe », he reminded them. « They want to see occasionally a soldier to give them confidence. » The generals were sympathetic but lacked enough troops to fill all the demands on them (KLEIN,2006 :99).

Dodge continua de réitérer sa demande et une fois que les travaux s’aventuraient dans le territoire des Cheyennes, il envoya ce télégraphe à Sherman : « We need 5,000 soldiers east of the mountains and north of the Platte » (HOWARD,1962 :242),qui nechangea malheureusement pas la situation. Néanmoins, Dodge rapporte un incident en particulier qui aurait amélioré leur sort :

I remember one occasion when [Indians] swooped down on a grading outfit in sight of the temporary fort of the military some 5 miles away, and right in sight of the end of the track. The government commission to examine that section of the completed road had just arrived and the commissioners witnessed the fight. The graders had their arms stacked on the cut. The Indians

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leaped from the ravines, and, springing upon the workmen before they could reached their arms, cut loose the stock and caused a panic. Gen. Frank P. Blair, General Simpson, and Doctor White were the commissioners, and they showed their grit by running to my car for arms to aid in the fight. We did not fail to benefit from this experience, for, on returning to the East the commission dwelt earnestly on the necessity of our being protected (DODGE,1966 :15).

On peut donc conclure que la protection offerte à la construction du chemin de fer, bien que réelle et graduellement améliorée, était toutefois loin d’être idéale aux yeux du principal intéressé, l’ingénieur en chef Dodge. La représentation donnée de cette protection est magnifiée dans les films de la Railroad Building Story, tant pour des raisons dramatiques qu’idéologiques. La convention du sauvetage de dernière minute est un procédé narratif servant à étirer la tension dramatique de la scène à son paroxysme, mais cet effet s’inscrit également dans une visée patriotique. Le sauvetage de dernière minute est l’affirmation que la communauté américaine peut toujours compter sur la supériorité de ses institutions militaires. Plus l’anxiété de la défaite est ressentie, plus le soulagement de l’arrivée des renforts est grand, car c’est grâce à ce doute temporaire que le sauvetage de la cavalerie américaine est tant glorifié. Cette représentation idéalisée est aussi soutenue par l’arrivée imposante des soldats. C’est un régiment complet qui se présente sur le champ de bataille. L’armée américaine ne saurait faire dans la demi-mesure, elle allie stratégie militaire à l’esthétique du spectaculaire, puisque la quantité des effectifs requis assure non seulement la victoire, mais un véritable triomphe. Or, dans tous les ouvrages historiques consultés, à une seule occasion avons-nous rencontré la narration d’un tel renfort pour contrer une attaque indienne, qui était destiné à venger le déraillement de train des Cheyennes menés par Turkey Foot : « Omaha rounded up soldiers and railroaders and rushed out a trainload armed for a major battle. […] Next morning, when [the Indians] sighted the relief train and its soldiers, they rode off » (HOWARD,1962 :253).Soulignons ici que les renforts n’ont même pas été près d’arriver en temps, les Indiens ayant fui le lendemain matin de leur carnage.

Pour conclure sur cette question, mentionnons simplement que The Iron Horse rend un hommage justifié aux Indiens Pawnee dans la scène de l’arrivée des renforts, car ils ont effectivement été utilisés pour protéger les travailleurs de l’Union Pacific :

Further, the Pawnees protecting some of the graders and others were getting better at their task. In truth, they were living what they regarded as a joyous life. The army furnished them with arms and ammunition, food, clothes, and pay, all this to do what they wanted above all other things to be doing, fighting their enemies. And if their enemies proved to be too strong for them, they could always retreat to the nearest white troops for protection. In addition, they were now much farther west than they had ever been or would have dared to go by themselves (AMBROSE,2000 :265-266).

À cet éloge teinté de précautions patriotiques, ajoutons que les Pawnees, ayant une connaissance ancestrale de leurs tribus ennemies, étaient très utiles pour repérer les intentions d’attaques de

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celles-ci, particulièrement une fois que la construction du chemin de fer entrait en terrain hostile.