• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : Les formes du lien social au Royaume d'Arabie Saoudite

II- I Introduction : Le lien social aujourd’hui :

La notion de lien social renvoie, en sociologie, à l'ensemble des appartenances, des affiliations, des relations qui unissent les individus ou les groupes sociaux entre eux. Le lien social représente la force qui lie les membres d'une même communauté sociale, d'une association, d'un milieu social. Cette force peut varier dans le temps et dans l'espace ; c'est-à- dire que le lien social peut se retrouver plus ou moins fort selon le contexte dans lequel se situe le phénomène étudié. Lorsque le lien social devient de faible intensité ou de piètre qualité, certains chercheurs et courants politiques abordent le problème sous l'angle de la « crise » du lien social, puisque la qualité et l'intensité du lien social agissent comme des déterminants de la qualité et de l'intensité des rapports sociaux des membres du groupe.

A l’époque de Durkheim, l’expression « lien social » n’était pas encore utilisée. Mais lorsque celui ci parle d’ « anomie »139, au sens de perte des repères sociaux, on pourrait traduire

cette formule dans le langage de la sociologie contemporaine par celle de « crise du lien social » A chaque étape du développement des sociétés humaines, il a été nécessaire de réorganiser les relations sociales entre les membres qui la composent et d'élaborer des règlements qui protègent ces relations, grâce à des limites fixées aux relations et aux comportements individuels et collectifs. Au cours de cette évolution, est apparue la nécessité de créer des États et la nécessité de mettre en place de lois et des règlements. Ces derniers se sont accumulés au fil du temps pour s’associer aux coutumes et aux traditions non écrites qui organisent la vie de la communauté. Même si les lois et les règlements ne reprennent pas toutes les coutumes et traditions qui caractérisent la vie collective de la plupart des communautés, elles ont cependant le même pouvoir organisateur et sont respectées par l’ensemble de la communauté, en particulier pour ce qui touche à la moralité. La caractéristique la plus importante des structures sociales qui soudent un groupe est la puissance des relations et des liens sociaux qui unissent et fédèrent, mais aussi assurent la défense du groupe. Elles protègent l’homme, non seulement contre les dangers naturels, mais aussi contre les attaques des autres groupes humains.

139 Durkheim Emile, Le Suicide, étude de sociologie, Paris, Félix Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie

73

Dans les sociétés européennes et dans la sociologie de langue française, la notion de lien social est très fortement associée à celle de travail. Etre privé de travail et du revenu qui va avec, c’est risquer une situation de précarité et de désocialisation, c’est à dire de perte progressive des liens sociaux indispensables au bien être et à la survie. Les travaux d’Emile Durkheim140 insistent sur la solidarité organique qui s’est instaurée dans les sociétés modernes

industrielles dans lesquelles la division et la spécialisation du travail sont très fortes. Le travail, l’état, la famille et les différents groupes d’appartenance, qu’il s’agisse d’une classe d’âge, d’un parti politique, d’une association, d’un groupe religieux, construisent le lien social nécessaire à l’être-ensemble de la communauté à peu près partout aujourd’hui. Mais l’importance de chacune de ces instances de socialisation a varié en fonction des époques, et diffère aujourd’hui en fonction des sociétés considérées et de leur histoire, de leur structure, de leur démographie. Les sociétés traditionnelles pré-étatiques étaient organisées autour du clan, de la tribu et de la famille. Dans les sociétés industrielles et post industrielles de type européen, le travail est en revanche considéré comme l’un des éléments principaux pour la constitution et le maintien du lien social. Et l’Etat remplace les anciennes solidarités inter-individuelles du petit groupe familial lorsque l’individu perd son emploi et ses revenus. Depuis Emile Durkheim et jusqu’à Robert Castel141 et Serge Paugam142, on explique le lien social principalement par l’état de la

division et de la répartition du travail. Car les sociétés européennes possèdent une histoire marquée par l’industrialisation, qui a mis en place tout un ensemble de mutations qui touchent l’ensemble des instances socialisatrices, et productrices de lien social telles que la famille ou la religion qui, elles, voient leur importance dans le rôle du maintien des solidarités décliner. On peut faire référence à Henri Mendras143 qui indique que « le sabre et le goupillon », en d’autres

termes l’armée et la religion, ont perdu une grande partie de leur capacité intégratrice en France. Et les sociétés rurales traditionnelles ont à peu près disparu aussi en France par exemple aujourd’hui. Nous ne reprendrons pas dans notre approche, la notion de travail, en priorité, pour aborder le lien social même s’il commence à représenter, en Arabie saoudite aussi, une importance capitale. Mais nous rappellerons l’histoire de l’Arabie saoudite, sa démographie, sa structure sociale, sa stratification, son identité économique particulière, les valeurs partagées par l’ensemble de ses membres, pour comprendre cette situation. Toutes ces caractéristiques

140 Durkheim Emile, De la division du travail social, thèse présentée à la faculté des lettres de Paris, Paris, Félix

Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine».1983

141 Castel Robert (1995), Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Fayard, Paris,

réédition Folio-Gallimard, Paris, 2000.

142 Serge Paugam (2008), Le lien social, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », p : 127, EAN :

9782130559580.

74

doivent être rappelées dans le cadre de cette recherche, afin de permettre au lecteur de mieux comprendre l’importance et les formes du lien social qui caractérisent ce pays. Ainsi la famille, en Arabie saoudite, est un socle central sur lequel s’érige l’organisation sociale. Et l’islam constitue un cadre de références morales partagé par tous. La fonction militaire est très importante et prestigieuse. Entre traditions et modernité, ce pays, très mal connu, doit être présenté dans ces différentes dimensions afin qu’on saisisse dans quel contexte prend forme la protection sociale des familles des victimes du terrorisme par l’Etat dans ce pays, si différent par ses valeurs, son histoire et ses traditions des pays d’Europe. Par ailleurs Durkheim prévoyait déjà l’affaiblissement du lien familial avec l’« anomie conjugale », provoquée par l’apparition des tout premiers divorces en France à l’époque où il écrivait son œuvre majeure « le suicide, étude de sociologie »144 et on sait l’importance prise ensuite au fil du temps par des types de

famille fort différents de la famille traditionnelle, en Europe, avec les familles recomposées ou mono parentales par exemple. Rien de tel en Arabie saoudite. Qu’il s’agisse de l’histoire, de la structure sociale, de l’importance et de la solidité de la famille, de la démographie, des valeurs liées à l’islam, tous les éléments constitutifs du lien social dans ce pays, s’ils sont explicités comme nous le ferons dans les pages qui suivent, permettent de comprendre comment s’insèrent les actions de protection sociale des familles des victimes du terrorisme et l’importance des thèmes que nous développons dans notre recherche, pour la société saoudienne d’aujourd’hui . Selon nous, les sociétés humaines font face aujourd’hui à des transformations structurelles provoquées par l’industrialisation des sociétés. Ainsi le matérialisme et l’individualisme qui en découlent peuvent, à terme, transformer et modifier la famille traditionnelle, qui était le noyau des sociétés humaines.

C’est pourquoi, dans le quatrième point de ce chapitre, nous analysons les moyens qui permettent de favoriser le concept d'appartenance, entre autres d’appartenance familiale, et de le renforcer auprès des familles des victimes du terrorisme, en Arabie saoudite.

144 Durkheim Emile, Le Suicide, étude de sociologie, Paris, Félix Alcan, coll. «Bibliothèque de philosophie

75

II-II Histoire, démographie et structure sociale de la société

Documents relatifs