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A - La fiscalité de la propriété intellectuelle et l’optimisation fiscale internationale

Le développement du capital lié à la connaissance (knowledge-based capital) est une tendance observée au cours des dernières années.

Dans les pays membres de l’OCDE, ce type d’investissements (R&D, achats de données, de brevets, acquisition de savoir-faire, etc.) s’est développé plus rapidement que les investissements physiques (machines, bâtiments, etc.)

Ce phénomène a des répercussions dans le domaine de la fiscalité.

La concurrence fiscale se développe non seulement au stade du projet de recherche, avec le CIR, mais également, en aval, au stade des revenus liés aux titres de propriété intellectuelle (revenus, cessions). Pour les grandes entreprises, ces différents dispositifs incitatifs entrent dans les stratégies d’optimisation des prix de transfert, impliquant des actifs incorporels.

1 - L’essor des régimes de fiscalité privilégiée pour les revenus liés à la propriété intellectuelle.

Les crédits d’impôt recherche ne sont pas les seuls dispositifs d’incitation fiscale en matière de R&D. Beaucoup de pays ont également mis en place des régimes fiscaux privilégiés pour les revenus liés à la propriété intellectuelle, dits « Patent Box », dans l’optique d’attirer ces revenus. Ces régimes prévoient des taux d’impôt réduits sur les redevances ou les cessions de brevets et autres titres de propriété intellectuelle ainsi que, pour certains d’entre eux, la commercialisation de produits incorporant une invention de l’entreprise. Le régime applicable aux Pays-Bas taxe les revenus liés à l’innovation à 5 % (taux normal de l’IS : 20 à 25 %). Le Royaume-Uni et la Belgique ont mis en place une Patent Box, inspirée du régime néerlandais, aboutissant à des exonérations d’impôt sur les sociétés de 80 % en Belgique (taux effectif de 6,8 %) et de 50 % au Royaume-Uni (taux effectif de 10 %).

Ces régimes ne sont généralement pas conçus pour des holdings passives de détention de brevets. Ainsi, le régime britannique prévoit que la société doit avoir contribué « significativement » à l’innovation.

L’intention est bien d’attirer les droits de propriété intellectuelle et leur exploitation économique sur le territoire du Royaume-Uni. En revanche, d’autres régimes particulièrement généreux existent pour la propriété intellectuelle détenue par des holdings dans certains États membres (Luxembourg, Chypre). Dans le cas néerlandais, le régime de patent box

est couplé avec des possibilités de transfert de bénéfices vers des paradis fiscaux57.

La disposition fiscale applicable en France (art. 39 terdecies du CGI) permet de taxer les plus-values de cessions de brevets et les redevances au taux réduit des plus-values à long terme (15 %), au lieu du taux d’IS de droit commun. Dans le projet de loi de finances 2013, le coût de cette mesure était estimé à 810 M€ en 2010, 850 M€ en 2011 et 680 M€ en 2012, soit des montants significatifs. Le bénéfice du dispositif est très concentré : 150 bénéficiaires environ. En 2007, les dix premiers bénéficiaires concentrent 89 % du coût du dispositif, la pharmacie étant le secteur le plus bénéficiaire. L’inspection générale des finances estime que le taux réduit concernant les redevances constitue une part « très majoritaire » du coût du système. Le rapport du comité d’évaluation sur les dépenses fiscales et les niches sociales (juin 2011) avait donné à cette mesure la note 1 (de 0 à 3, par degré d’efficacité)

Une pression existe pour renforcer le régime français, en abaissant le taux à 10 %. L’Agence française pour les investissements internationaux a proposé cette mesure pour renforcer l’attractivité de la France. Il faut toutefois noter que le taux « facial » de 15 % est, selon certains spécialistes58, aussi intéressant que le taux de 10 % du Royaume-Uni, compte tenu des différences d’assiette et de frais déductibles. En revanche, la direction de la législation fiscale estime que le volet de la patent box britannique, qui s’applique aux produits incorporant des inventions, serait très difficile à transposer en France.

L’inclusion des cessions de brevets dans le champ de la mesure a fait l’objet d’un aller-retour : inclusion en 1971 lors de la création du dispositif, puis exclusion de 1997 à 2008 suivie d’une réincorporation en 2008. La justification traditionnellement avancée est d’inciter les entreprises à céder des brevets inscrits à leur bilan mais qu’elles n’exploitent pas.

On peut s’interroger sur la logique économique sous-jacente d’une mesure fiscale incitant à la cession de brevets, dans un contexte où une part de ces cessions de brevets est effectuée vers l’étranger, au détriment de la valorisation en France. On peut noter que ce taux réduit s’applique à un actif, le brevet, qui a souvent déjà fait l’objet au stade de la recherche d’une aide fiscale avec le CIR. La direction de la législation fiscale estime pour sa part que la suppression de cet avantage fiscal pour les cessions de brevets pourrait conduire à des délocalisations vers des pays à fiscalité

57 L’utilisation de ces dispositifs par les grandes sociétés internationales du domaine de l’internet a fait l’objet de nombreux articles de presse au début 2013.

58 UK patent box : la France conserve tout son attrait. Option Finance, juin 2013.

plus avantageuse que la France, dès lors que l'entreprise a pris la décision de céder ses actifs.

Cette mesure fiscale a un coût significatif : elle a représenté en 2011 plus du quart de la dépense fiscale du CIR (850 M€ contre 3 072 M€). Pourtant, son impact n'a jamais fait l'objet d'une évaluation, en contraste avec le nombre de rapports consacrés au CIR. Il conviendrait de disposer, de la part de l’administration fiscale, des données réelles sur le montant de la dépense fiscale et sur le nombre de bénéficiaires, au-delà des estimations fournies. La concentration du bénéfice de cette niche fiscale sur un petit nombre de bénéficiaires mériterait également d'être explicitée.

Au total, un réexamen de cette mesure, dans son bien-fondé et ses modalités de mise en œuvre, parait aujourd’hui justifié. Ce réexamen devrait prendre en compte l'essor des régimes de patent box en Europe et les risques de délocalisation. Une telle évaluation permettrait une décision éclairée sur les trois options envisageables :

- soit le maintien à l'identique de la mesure, au nom de l'impératif de stabilité fiscale ;

- soit la remise en cause de ce dispositif, complète ou partielle (par exemple, en excluant les cessions de brevet) ;

- ou encore un rapprochement avec les dispositifs britannique ou néerlandais (ce qui implique un taux d'imposition plus bas et l'extension à la vente de produits incorporant les brevets), étant entendu que cette dernière option dégraderait le solde budgétaire.

2 - Un domaine où existent des risques d’optimisation fiscale par les grands groupes

L’existence de ces différents dispositifs incitatifs amène à s’interroger sur les risques d’optimisation fiscale pour les grandes entreprises. En effet, celles-ci sont en mesure d’utiliser successivement les meilleurs systèmes disponibles de CIR pour leurs projets de recherche, puis la fiscalité la plus intéressante pour la taxation des revenus liés à l’innovation. De telles stratégies sont complexes, parfois à la limite de l’abus de droit ou de l’acte anormal de gestion. Seules les très grandes entreprises implantées dans plusieurs pays peuvent y recourir.

Le rapport sur les niches fiscales en 2011 estimait que « le dispositif français [de taxation réduite pour les brevets] peut s’accompagner d’optimisation fiscale au sein de groupes internationaux, au travers d’un choix adéquat de facturation interne de R&D ». De fait, le

droit fiscal français a recherché un équilibre entre la gestion de la propriété intellectuelle au sein d’un groupe et les risques d’optimisation fiscale, en mettant en place dans l’article 39 terdecies des dispositifs anti-abus, revus à plusieurs reprises. Notamment, il a été mis fin à la distorsion aboutissant à rendre plus intéressante une cession ou une concession de brevet à une filiale étrangère, par rapport à une filiale française.

En 2012, l’OCDE a entamé des recherches sur ce sujet dans le cadre de ces travaux sur l’érosion fiscale et les actifs incorporels. Dans ses premières conclusions (mai 2013)59, elle estime que les indicateurs traditionnels de mesure de l’incitation fiscale (telles que le « B Index », cf. supra) prennent mal en compte les stratégies d’optimisation fiscale d’entreprises multinationales et sous-estiment le bénéfice qu’elles en retirent. Elle va même jusqu’à dire que cette situation place dans une situation défavorable les PME indépendantes, qui ne peuvent mettre en place de telles stratégies, et recommande de réserver les avantages fiscaux liés à la R&D aux PME.

Dans son rapport aux ministres de juin 2013 Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, l’OCDE a identifié des stratégies d’optimisation fiscale impliquant des actifs incorporels, reprenant des exemples tirés de travaux du Congrès américain. L’annexe60 présente le cas (tiré des travaux du Congrès américain), dans lequel une grande entreprise bénéficie du crédit d’impôt recherche dans un pays développé, alors que la R&D réalisée lui est remboursé par ses filiales. Dans ce rapport, l’OCDE note également que les normes fiscales internationales n’ont pas évolué au même rythme que les pratiques des entreprises au niveau mondial dans le domaine des actifs incorporels.

Dans le cadre de la réflexion sur les prix de transfert, l’OCDE recommande de développer la coopération internationale sur les enjeux de transfert des actifs incorporels, de répartition artificielle de la propriété d’actifs entre entités juridiques d’un même groupe, et de transactions entre entités qui seraient exceptionnelles entre parties indépendantes.

La DGFiP a confirmé que, dans les vérifications sur le prix de transfert, les flux financiers relatifs à des actifs incorporels constituaient un sujet systématique d’investigation. Le contrôle s’efforce de vérifier le destinataire final de la redevance, en cas de sous-concession de brevet et une attention particulière est portée aux pays ayant une fiscalité nettement

59 “New sources of growth : knowledge-based capital and policy conclusions” OCDE Comité des affaires fiscales.

60 « Un cas d’optimisation fiscale impliquant R&D et propriété intellectuelle ».

plus avantageuse que la France. De même, l’administration fiscale vérifie que ces flux de redevances portent sur des actifs réels et ont un montant correspondant à la valeur économique de la prestation fournie.

Dans plusieurs cas, des entreprises ont été redressées pour avoir refacturé à une autre entreprise du groupe établie à l’étranger, le coût de la R&D effectuée en France moins le montant du CIR obtenu. Il a été demandé aux entreprises de refacturer la R&D selon le principe « coût plus pourcentage » (« cost + »).

Par ses caractéristiques, le crédit d’impôt français peut constituer un mécanisme intéressant pour une grande firme : il n’est pas plafonné, est remboursable et génère donc des flux de trésorerie. Les récents travaux de l’OCDE, tendent à montrer que l’évaluation traditionnelle des CIR (B Index) sous-estime les effets de l’optimisation internationale des grands groupes et, donc, le bénéfice retiré par ces entreprises des mesures d’incitation fiscale à la R&D.

Ceci justifie d’accorder une importance particulière à l’étude du segment des très grandes entreprises, en cas d’évolution du dispositif.

B - Un instrument d’allègement sélectif de l’impôt sur

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