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De la fin du XIX e siècle à la Première Guerre mondiale

Durant la deuxième partie du xixe siècle et les premières années du xxe, nous voyons apparaître, dans les internements à l’asile, les premiers diagnostics liés plus précisément à la folie puerpérale. L’usage que l’on en fait est pourtant encore mixte : anciennes et nouvelles définitions se mélangent.

À Marseille, c’est seulement en 1899 que nous trouvons dans les registres deux femmes atteintes de « manie puerpérale », puis en 1901, deux femmes atteintes de « lypémanie puerpérale » 20. En 1900, on compte quatre diagnostics qui relèvent de la folie maternelle, dont trois sont très hétérogènes : Mme M. A.

internée pour « mélancolie stupéfaite puerpérale », deux malades sont internées pour « démence de l’allaitement 21 » et enfin seulement Mme C. R.

est atteinte de « manie puerpérale. »

Lorsque nous entrons dans le détail de la folie, grâce aux informations plus abondantes sur les malades contenues dans les dossiers personnels 22, nous pouvons apercevoir toute la complexité de la question de la folie puerpérale et de façon plus générale, du fonctionnement de l’internement dans le premier quart du xixe siècle.

Pour ainsi dire, l’asile reste de manière prioritaire une structure d’accueil pour les personnes indigentes : malnutrition, misère et précarité sociale restent les caractéristiques fondamentales de l’internement. Les dossiers médicaux mélangent plusieurs interprétations de la folie : d’une part, ils

19 Ibid.

20 ADBdR, 13 HD, 149.

21 Ibid.

22 À partir de la fin du xixe siècle, les dossiers personnels s’enrichissent d’informations.

essayent de donner une explication empirique de la maladie en faisant souvent référence à la vie et aux conditions de vie des malades. De l’autre, ils essayent de se conformer aux nouveautés de la clinique. Cela s’applique tant aux hommes qu’aux femmes et ne concerne pas spécifiquement la folie puerpérale. Ce double registre de lecture, pratique et théorique, est pourtant plus net dans les dossiers des femmes, pour lesquelles une vision organique de la maladie reste centrale.

Nous pouvons analyser cela particulièrement en France, qui grâce à sa législation précoce, suit dans les dossiers médicaux des procédures homogènes d’internement sur la longue période et des enregistrements plus précis.

À Marseille par ailleurs l’une des manières d’être internée à l’asile pour une mère considérée comme folle est sans doute celui d’être envoyée à l’asile directement par l’hôpital où elle a accouché. C’est le cas par exemple de Mme P. A. C. 23 née en 1861, domiciliée à Toulon, internée en 1882. Malgré cet envoi et le certificat qui l’accompagne, le diagnostic d’internement à l’asile dit qu’elle est « atteinte de lypémanie aiguë ». Cependant sur le certificat de l’Hôtel-Dieu, nous lisons :

Je, soussigné, Dr en médecine et chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu certifie que Mme de P. huit jours après ses couches normales a donné des signes non équivoques d’une aliénation mentale des facultés intellectuelles, actuellement elle est atteinte de manie puerpérale et par moments l’affection change de forme pour devenir de la démence furieuse, en l’état comme elle est peut être dangereuse soit pour elle, soit pour son entourages. J’estime qu’il y a lieu de l’évacuer sur un asile public d’aliénés 24.

Comme nous l’avons déjà signalé par ailleurs, la définition de folie/manie puerpérale est plus une nécessité descriptive qu’interprétative.

Encore au début du siècle, l’asile semble par ailleurs ne pas prêter une attention particulière à la maternité et à ses malades, mais plutôt à la vie

« génésique » en général.

C’est ainsi que Mme C. R., 39 ans, née à Bastia en 1860 25, est internée en 1900, car elle est « atteinte d’agitation maniaque, hallucination due à la ménopause ». Cette ménopause précoce est par ailleurs démentie par le reste du dossier, car nous découvrons qu’elle a des enfants, dont un tout petit (18 mois). En outre, on signale dans le dossier qu’elle a des attitudes violentes et on note qu’« elle frappe les enfants ». L’impression est que cette folie due à la ménopause soit plus une tentative maladroite de rattacher la folie de la personne à un événement de la vie reproductive.

23 Archives départementales des Bouches-du-Rhône [ADBR], 13 H dépôts 559, Registre des entrés par placement volontaire : hommes et femmes, vol. 1, 12/2/1924-04/09/1925.

[La malade rentre à nouveau à l’asile durant les années 20].

24 Ibid.

25 DBR, 5 X 88 femmes A Z 1920 : le dossier contenait par erreur trois dossiers des « sorties » de 1900.

Encore durant les années 1910, malgré l’acquisition des découvertes scientifiques sur le rôle des infections de la puerpéralité et la structuration conséquente du diagnostic de psychose puerpérale, nous retrouvons encore des cas où la folie n’est pas du tout mise en relation avec une entité nosologique spécifique de la puerpéralité, bien que l’on souligne les comportements violents des mères pour montrer la dangerosité de la malade et pour solliciter l’internement.

Voyons par exemple le cas de Mme F. A. C. 26 internée en 1910 à Marseille. La malade est née à Collodi, en Toscane ; âgée de 31 ans, elle est mariée avec un cordonnier et elle a émigré en France durant sa première grossesse. Elle vit à Marseille depuis un an, avec cinq enfants, dont le plus petit a 9 mois quand elle est placée d’office en 1910. Dans le certificat médical qui accompagne l’internement nous apprenons que la malade :

présente de la dépression mélancolique avec préoccupation hypocondriaque et idées de suicide 27.

Dans le certificat de l’asile le diagnostic est maintenu. La malade est : atteinte de mélancolie avec préoccupations hypocondriaques et idée suicide 28. Mais si nous regardons bien dans le dossier, des précisions supplémentaires nous sont fournies par d’autres documents. Dans une lettre manuscrite du mari qui demande l’internement de sa femme, nous lisons :

Monsieur, père de 5 enfants, ma femme étant actuellement presque folle, je vous prierai de la faire admettre dans un hôpital publique. Cette femme dans des moments ne peut être maîtresse de soi-même. Pour sauver les cinq enfants qu’en tous instants elle […] peut tuer, je vous prierais de l’admettre dans un hôpital 29.

C’est encore le mari qui nous donne des précisions durant le procès-verbal : Depuis 15 jours ma femme […] a perdu la raison. Depuis huit jours ses crises de violence sont plus violentes. La nuit elle se lève et elle cherche à se donner la mort, mercredi dernier j’ai du lui enlever des mains un rasoir avec lequel elle voulait se tuer, elle veut partir pour son pays ; en un mot elle se livre à toutes sortes d’excentricités. Comme je n’ai pas les moyens de lui faire donner des soins et qu’elle est dangereuse pour son entourage, je sollicite son placement dans un asile d’aliénés 30.

L’impression encore une fois est qu’on souligne ces incapacités domestiques et maternelles pour obtenir l’internement et la prise en charge et non parce qu’elles évoqueraient un lien particulier avec la maladie.

26 ADBR 5 X 85 femmes A Z 1910.

27 Ibid.

28 Certificat de quinzaine, Ivi.

29 La lettre est manuscrite et contient des fautes que nous avons laissées.

30 Ibid.

En parcourant les documents nous avons l’impression que l’on essaye, avec une grande difficulté, de tenir compte de toutes les dimensions interprétatives de la folie.

Au fur et à mesure des découvertes scientifiques on essaye d’intégrer les nouvelles notions dans l’observation du malade. Théories humorales, anatomo-pathologie, organicisme, se mélangent à un pragmatisme qui fait écho au traitement moral de la folie.

Dans les asiles, la théorie et la pratique médicale se superposent. En effet, on y reste toujours à proximité de la vie quotidienne des internés et l’on interprète souvent les maladies comme des accidents de la vie.

Par ailleurs, il faut remarquer que dans les dossiers médicaux, sont utilisées des interprétations différentes quand on parle des femmes. À propos des femmes internées, les explications données font toujours référence à l’univers féminin : la vie reproductive (règles, grossesse, accouchement, allaitement, ménopause) ou la vie privée (le statut de la femme en rapport avec le mariage, le travail domestique et la maternité).

Dans ce contexte, la folie puerpérale est alors l’une des explications possibles à l’intérieur de cette vision ; au même titre qu’une femme célibataire est internée pour des « chagrins d’amour » ou parce qu’elle n’a pas pu se marier. À l’inverse, dans les dossiers médicaux des hommes, on fait souvent référence au statut par rapport au travail, mais on ne parle jamais de paternité et l’on découvre qu’ils ont des enfants seulement grâce aux renseignements administratifs qui servent à établir la pension.

À l’asile, l’interprétation médicale n’est jamais spéculative. La maladie est conçue à l’intérieur d’un système qui intègre les pratiques et les représentations collectives. Le dossier personnel, avec l’ensemble de ses sous-rubriques, est alors une sorte de photographie instantanée du malade et du monde qui l’entoure.