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Trouble dans la maternité. Pour une histoire des folies puerpérales, XVIIIe-XXe siècles

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Academic year: 2022

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Trouble dans la maternité. Pour une histoire des folies puerpérales, XVIIIe-XXe siècles

ARENA, Francesca

Abstract

Ce livre propose pour la première fois une histoire sur la longue durée des « folies puerpérales » . Les dépressions périnatales frapperaient un nombre important de femmes comme en attestent les manuels de psychiatrie, de pédopsychiatrie et d'obstétrique, ainsi que la pratique clinique des médecins et des psychiatres, psychologues et psychanalystes. Elles sont aussi au centre de politiques de prévention de santé, au regard notamment du risque accru d'infanticide. Diagnostic aujourd'hui au centre des politiques de prévention de santé et de dispositifs biomédicaux d'accompagnement à la maternité, il prend au regard de l'histoire une dimension critique, relevant à quel point on a naturalisé la parentalité. À travers une analyse fine de sources d'archives (dossiers médicaux des malades) et de sources médicales, cet ouvrage permet de combler enfin une lacune historiographique et offre des éléments d'analyse importants pour sortir la maternité d'une histoire positive. À partir d'une perspective de genre, ce livre permettra aussi de nourrir l'histoire de la santé et sera de grande [...]

ARENA, Francesca. Trouble dans la maternité. Pour une histoire des folies puerpérales, XVIIIe-XXe siècles. Aix en Provence : PUP, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:137503

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penser le genre

dirigée par

Randi Deguilhem Laurence Hérault

Lucia DIRENBERGER, Azadeh KIAN, dir., État-nation et fabrique du genre, des corps et des sexualités. Iran, Turquie, Afghanistan, 180 p., 2019

Blandine CHELINI-PONT, Florence ROCHEFORT, dir., Femmes, féminismes et religions dans les Amériques, 164 p., 2018

Agnès MARTIAL, dir., Des pères « en solitaire » ? Ruptures conjugales et paternité contemporaine, 202 p., 2016

Christophe REGINA, Genre, mœurs et justice. Les Marseillaises et la violence au XVIIIe siècle, 284 p., 2015

Pascale BONNEMÈRE, Agir pour un autre. La construction de la personne masculine en Papouasie- Nouvelle-Guinée, 230 p., 2015

Jacques GUILHAUMOU, Karine LAMBERT, Anne MONTENACH, dir., Genre, Révolution, Transgression.

Études offertes à Martine Lapied, 336 p., 2015

Laurence HÉRAULT, dir., La parenté transgenre, 148 p., 2014

Constance DE GOURCY, Francesca ARENA, Yvonne KNIBIEHLER, dir., Familles en mouvement.

Migrations et parentalité en Méditerranée, 238 p., 2013

Coline ZELLAL, À l’ombre des usines en fleurs. Genre et travail dans la parfumerie grassoise 1900-1950, 130 p., 2013

Nicole CADÈNE, « Mon énigme éternel » Marie-Edmée…, une jeune fille française sous le Second Empire, 370 p., 2012

Geneviève DERMENJIAN, Jacques GUILHAUMOU, Karine LAMBERT, dir., La place des femmes dans la cité, 182 p., 2012

Karine LAMBERT, Itinéraires féminins de la déviance. Provence 1750-1850, 312 p., 2012

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penser le genre

Trouble dans la maternité

Pour une histoire des folies puerpérales

XVIII

e

- XX

e

siècles

Francesca Arena

2019

Presses Universitaires de Provence

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Aix Marseille Université

29, avenue Robert-Schuman – F – 13621 Aix-en-Provence CEDEX 1 Tél. 33 (0)4 13 55 31 91

pup@univ-amu.fr – Catalogue complet sur presses-universitaires.univ-amu.fr/editeur/pup facebook

DIFFUSIONLIBRAIRIES : AFPUDIFFUSIONDISTRIBUTIONSODIS

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Dans les quelques analyses contemporaines issues des sciences sociales, l’actualité des pathologies mentales périnatales laisse supposer une origine récente du diagnostic : un trouble mental de la maternité à une époque où la charge du travail de care des femmes ne cesse d’augmenter et de se fragmenter.

En s’inscrivant à la fois dans une histoire sociale de la médecine et du genre ce travail souhaite problématiser cette approche questionnant les origines du diagnostic qui connaît, malgré les nombreuses controverses qui s’enchainent depuis sa naissance, une longévité qui dépasse largement tous les autres diagnostics des troubles mentaux.

Pourquoi un tel succès ?

À partir d’une analyse diachronique sur la longue durée (xviiie-xxe siècles), il s’agit de retracer les origines du diagnostic médical de la « folie puerpérale » et ses transformations, soulignant les points de ruptures et les continuités ainsi que les enjeux sous-jacents. Si le diagnostic s’est en effet transformé dans le temps, la description des symptômes reste plus ou moins inchangée : des états dépressifs ou psychotiques plus ou moins graves qui frappent les femmes durant la période puerpérale (aujourd’hui périnatale). Une certaine médecine, dont celle représentée par la pédopsychiatrie française, utilise en effet désormais la terminologie de « dépressions périnatales » : ces dernières frapperaient un nombre considérable de femmes comme en attestent les manuels de psychiatrie, de pédopsychiatrie et d’obstétrique, ainsi que la pratique clinique des médecins et des psychiatres, psychologues et psychana- lystes. Les dépressions périnatales sont par ailleurs au centre de politiques cœrcitives de prévention de santé, au regard notamment du risque accru d’infanticide. Dans cette approche biomédicale, on peut distinguer trois formes essentielles de la maladie : la psychose puerpérale, la dépression post partum, et le baby blues.

Toutefois, lorsqu’on aborde la question depuis une perspective interna- tionale, on se rend compte que la psychiatrie n’a pas trouvé de consensus sur ces diagnostics : certains courants de la psychiatrie (dont l’APA et celles de l’OMS dans l’ICM) s’interrogent depuis les années 1980 sur l’utilité de séparer ces pathologies des plus grands tableaux cliniques de dépression et psychose.

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En effet il s’agit du seul trouble mental existant encore aujourd’hui qui ne frapperait qu’un seul sexe, si on exclut le « trouble dysphorique prémenstruel » contesté par une partie de la psychiatrie, mais qui a trouvé un nouvel aménagement dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : le DSM-5. Bien que la médecine s’attèle à investiguer les troubles mentaux paternels et à refonder la nosologie des troubles de la parentalité, elle n’arrive pas à sortir d’une représentation biologique de la parentalité. Ainsi, la maternité devient plus encore que par le passé une fonction bio-psychique des femmes.

Qu’en est-il de la paternité ?

Retracer l’histoire des folies de la maternité devient une perspective particulièrement éclairante pour dégager l’ambiguïté de certains discours scientifiques autour de la parentalité et du genre. Médicalisée différemment au fil du temps, comme d’autres « pathologies » contemporaines, cette espèce de folie permet aussi de problématiser la frontière entre normes et transgressions féminines. Qui sont-elles ces femmes folles de maternité ? Peut-on vraiment accorder à la folie un pouvoir dissident ?

La folie de la maternité est en effet un sujet paradigmatique car elle se situe à la frontière de plusieurs questions permettant d’interroger à la fois l’histoire des maladies, l’histoire de la folie ainsi que l’histoire de l’infanticide depuis une perspective de genre.

Aux origines : une pathologie ancienne ?

La folie puerpérale aurait pour les médecins, comme d’ailleurs pour l’histoire d’autres maladies une origine ancienne : en particulier si nous suivons l’histoire tracée par la psychiatrie contemporaine, elle nous guide jusqu’à Hippocrate, qui annoncerait dans le livre troisième des Épidémies le cas d’une femme devenue folle après son accouchement. La référence à Hippocrate tout court est reprise par la plupart de textes contemporains de psychiatrie qui se penchent sur la question des origines de la folie maternelle et qui retracent l’histoire du diagnostic. Pourtant cette référence reste générique et floue dans les textes : la plupart des auteurs contemporains ne font pas vraiment référence à un texte précis. Hippocrate et le corpus hippocratique deviennent alors les précurseurs a priori, sans qu’aucune précision ne soit apportée par les auteurs.

Cette référence à Hippocrate a été en vérité reprise et transmise dans le temps depuis le traité de l’aliéniste Esquirol, mais Esquirol donnait des précisions qui par la suite ont été perdues 1. À travers les indications d’Esquirol

1 « Hippocrate, dans le troisième livre des Épidémies, rapporte plusieurs observations d’affections graves avec délire, survenues aux femmes accouchées pendant l’épidémie dont il donne la description : ce sont pour la plupart des fièvres. Peut être l’observation xiv est- elle une manie aiguë. Il s’agit de la femme d’Epicrate qui, ayant accouché de deux jumeaux délira dès le même jour de l’accouchement, et mourut frénétique le vingt-et-unième. »

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nous pouvons alors regarder dans le détail cette référence à Hippocrate, qui a été considérée depuis plus d’un siècle comme la première description de la folie maternelle.

Dans l’un des textes qui fait référence au corpus hippocratique, traduit au xixe siècle nous lisons :

Quatorzième malade. A Cyzique, une femme, ayant mis au monde deux filles jumelles après un accouchement laborieux, et les purgations n’ayant pas été complètes, fut prise d’abord d’une fièvre tremblante et vive ; pesanteur, avec douleur, dans la tête et le col. Dès le début, elle eut de l’insomnie ; en même temps elle était taciturne, renfrognée, et n’obéissait à aucune recommandation ; urine ténue et incolore ; soif ; nausées la plupart du temps ; le ventre était irrégulier, il se relâchait, puis derechef se resserrait. Le sixième jour, dans la nuit, elle eut beaucoup de délire ; elle ne dormit nullement. Vers le onzième jour, elle eut un transport, puis revint à elle ; urine noire, ténue, et, par intervalles, huileuse ; les évacuations alvines étaient abondantes, ténues et troublées. Quatorzième jour, convulsions fréquentes ; extrémités froides ; nul retour de raison ; l’urine se supprima. Seizième jour, perte de la voix. Dix-septième jour, mort. Phrénitis.

(Interprétation des caractères : Il est vraisemblable que la mort fut causée, au dix-septième jour, par le transport au cerveau, suite de l’accouchement) 2

Cette « description princeps » nous montre toute l’ambiguïté du discours médical sur la folie des femmes en couches. En effet la description d’Hippocrate nous montre une femme délirante après son accouchement, qui meurt peu de temps après.

Sans vouloir s’engager dans la problématique du diagnostic rétrospectif 3, il nous semble important de signaler que cette description ressemble beaucoup à toute une série de descriptions de la fièvre puerpérale du xviiie siècle. La description hippocratique montre, des cas de délire provoqué par la fièvre et donc probablement par des infections puerpérales. Elle appartient à une époque pré-pasteurienne où le rôle des infections puerpérales n’a pas encore été mis en valeur complètement. À quel titre Hippocrate est-il mis en valeur par la suite ? La description que nous avons citée depuis le corpus hippocratique ne serait-elle pas plutôt la première description d’un cas de fièvre puerpérale ? La médecine a en fait entre-temps découvert le rôle des infections puerpérales.

Pourquoi alors le maintien de cette ambiguïté ?

Ce point est très important car il décèle à la fois les difficultés du diagnostic de la folie puerpérale et la volonté de la médecine de chercher une forme de légitimité à travers une référence à des racines issues de l’Antiquité.

Par ailleurs le quiproquo est sûrement renforcé par l’usage en médecine de transcrire les citations des cas cliniques. L’erreur d’Esquirol a été recopiée passivement dans l’histoire du diagnostic en continuant à entretenir les ambiguïtés du discours sur cette folie.

2 Hippocrate, Œuvres complètes, Littré vol. 3 : Épidémies Livre III, Paris, J.-B. Baillière, 1841, p. 109-113.

3 Œuvre entreprise par Mirko D. Grmek dans Les Maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983.

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Le fil conducteur tracé par les psychiatres et avant eux par les aliénistes, porte les a priori de la médecine du xixe, ainsi que la volonté de donner une légitimité au diagnostic. Et il nous montre une ambiguïté importante concernant l’histoire des diagnostics de la fièvre puerpérale et de la folie puerpérale et plus généralement une difficulté à dissocier le symptôme du délire de celui de la fièvre : le délire fiévreux est en fait considéré comme une signe de la présence de la fièvre. Conçu comme une manifestation organique il faudra attendre le xixe siècle pour que l’on s’intéresse à son contenu hallucinatoire.

Origines du discours et visibilité des folies

La réflexion sur les origines de la folie nous permet néanmoins de souligner un aspect important de la question. Dans la notion contemporaine de la folie des mères il y a deux dimensions qui sont mises en évidence et parfois confondues : l’une est organique, l’autre psychique. La dimension organique renvoie à la description du symptôme de délire associé à une fonction organique de la femme, voir génésique. L’on constate alors qu’un délire peut survenir chez la femme enceinte, celle qui accouche ou qui a déjà accouché.

Comme pour d’autres maladies « féminines » on y souligne le rôle des organes féminins (en particuliers l’utérus), ou des fonctions féminines (allaitement).

Nous voyons le lien de ce délire avec la maternité depuis le corps de la femme (enceinte, accouchée etc.), mais dans les descriptions de ce délire (qui peut parfois prendre la forme de la manie ou de la mélancolie), le rôle maternel n’est pas souligné. C’est donc le corps reproducteur féminin, en tant que tel, qui est visé : la grossesse, l’accouchement, ses suites, sont intégrés ici au même titre que les règles ou la ménopause. La folie est organique au sens qu’elle est une folie corporelle, matérielle. La description de cette folie ne nous dit rien, donc, de la relation de la femme avec son enfant. C’est une folie féminine tout court.

La dimension psychique de la folie maternelle renvoie à l’inverse à des éléments où il est question du rôle maternel : comment la mère approche-t-elle son enfant. Ici trois éléments peuvent être soulignés : les attitudes, les sentiments et les émotions de la mère. L’on regarde alors l’étrangeté ou la légitimité d’un, ou plusieurs, de ces éléments à l’égard de l’enfant. La dimension psychique de la folie maternelle permet donc de sortir du corps maternel, puisqu’on en observe ses effets sur les autres : l’enfant. On n’aurait pas avoir une représentation négative de la maternité sans regarder la relation de la femme avec son enfant.

La question n’est pas anodine puisque cette relation peut être aussi imaginaire : par exemple on peut observer ou prendre en compte, les émotions de la femme vis à vis de sa grossesse, aussi bien que de son corps ou que de l’enfant porté. Dans tous les cas, la dimension psychique de la folie renvoie à une altérité, à une dichotomique. Ici aussi il peut y avoir la description du

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délire (et de toutes les variantes de la folie) auquel on va en revanche attribuer une signification ponctuelle par rapport au statut de mère.

Quelques exemples : les émotions de la mère se classent-elles du côté du psychisme ? Aujourd’hui, selon une interprétation psychologique ou psychanalytique cela nous parait évident ; mais cette certitude disparaît si nous abordons la question des émotions de la mère selon la médecine de la Renaissance. Ou encore : la fatigue et l’épuisement physique de la femme accouchée sont-ils des états qui relèvent uniquement d’une dimension organique du corps ? La médecine humorale l’interprète ainsi, mais progres- sivement on confère à la fatigue une dimension émotionnelle.

Organique et psychique sont donc des notions soumises aux transformations de l’histoire et nous ne pouvons pas les prendre comme des catégories neutres, sur lesquelles le discours sur la folie des mères se structurerait différemment.

Pour les mêmes raisons, il faudra procéder avec attention avec la temporalité des couches – grossesse, accouchement et suites – car à des époques différentes on n’a pas la même représentation de la physiologie de la femme et c’est seulement au cours du xixe siècle que l’état puerpéral (périnatale aujourd’hui prend un sens). Il est donc déjà évident que pour retrouver des descriptions de ces folies il faut que cette folie soit visible aux yeux des observateurs contemporains à un moment donné. Le fait qu’une femme soit ou devienne folle durant sa maternité ne conduit pas forcement à la visibilité de cette folie. Il faut d’abord que la folie soit remarquée : elle peut l’être parce qu’elle est dérangeante ou extraordinaire.

Il faut qu’elle soit hors norme dans son contexte. D’autre part cette folie peut être remarquée mais dissimulée de manière volontaire pour une raison ou une autre : elle peut représenter des pensées qui ne sont pas socialisables/

montrables. Ainsi les circonstances qui font que la folie devient visible et décrite par la société qui l’entoure, sont variables dans le temps, l’espace, le contexte social et culturel. À une époque où les accouchements ne se font pas à l’hôpital et que la folie n’est pas codifiée dans un corpus systématique, où se trouve la folie des mères ? Est-elle simplement une création artificielle d’une discipline médicale qui apparaît à un moment donné ?

Histoire, folie, genre

Après une phase « politique » dans les années 1970 et 1980, qui reliait la folie féminine à l’oppression masculine dans la société, les études féministes – notamment à travers la catégorie du genre – se sont concentrées sur la déconstruction des notions, telles que nature et corps. Les disciplines scienti- fiques et médicales ont alors également été intégrées comme des objets de recherche 4.

4 De cette nouvelle vague qui a investi progressivement toutes les disciplines on signale les travaux de Londa Schiebinger : The Mind Has No Sex? Women in the Origins of Modern

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Par ailleurs certaines pistes ouvertes plus récemment par l’historiographie apparaissent particulièrement fécondes : la superposition des savoirs autour de la folie (médical et religieux, savant et populaire) est sans doute la piste la plus riche, capable de lui restituer toute sa complexité et son dynamisme.

Les interprétations de la maladie et de la folie sont en effet souvent, au fil de l’histoire, des hybrides culturels de plusieurs points de vue. Si souvent l’un domine en termes de pouvoir sur les autres, cela ne signifie pas que les autres disparaissent ou qu’ils ne participent pas à la construction des représen- tations et des pratiques. Ainsi les médecins utilisent souvent des stéréotypes circulant dans la société. Ou encore, ils emploient une approche interprétative ou thérapeutique pour la maladie qui contient des rituels de type religieux 5.

D’autre part la périodisation classique sur les ruptures de l’histoire de la folie semble aussi être remise en question : à ce propos un très beau livre est paru sous la direction de Luc Berlivet 6. Dans cette publication, issue d’un colloque, c’est Lisa Roscioni qui fait le point sur la périodisation de l’histoire de la folie dans l’article “Soin et/ou enfermement ? Hôpitaux et folie sous l’Ancien Régime” 7. L’historienne italienne souligne ainsi que l’arrivée de l’enfermement dans les asiles au xixe siècle ne change pas la pratique sous l’Ancien Régime d’utiliser les hôpitaux pour les insensés. Puisqu’en effet le principe de soin n’est pas bouleversé mais transformé selon les codes de chaque époque. Une nouvelle question semble apparaître, mais de manière implicite, qui nous paraît alors très importante : la médicalisation serait-elle

Science, Cambridge: Harvard University Press, 1989; Nature’s Body: Gender in the Making of Modern Science, Boston Beacon Press 1993 [nouvelle edition: New Brunswick: Rutgers University Press, 2004]; Has Feminism Changed Science?, Cambridge, Harvard University Press 1999; Feminism and the Body, Oxford University Press, 2000; Feminism in Twentieth- Century Science, Technology, and Medicine, University of Chicago Press, 2001; Gendered Innovations in Science and Engineering, Stanford University Press, 2008.

En France : Delphine Gardey et Ilana Löwy dir., L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Paris, EAC, 2000 ; Hélène Rouch, Elsa Dorlin, Dominique Fougeyrollas-Schwebel, Le corps, entre sexe et genre, Paris, L’Harmattan, 2005 ; Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités : introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, 2008.

5 On assiste très récemment à une nouvelle vague de recherches sur la folie, voir les études de Hervé Guillemain : Diriger les consciences, guérir les âmes. Une histoire comparée des pratiques thérapeutiques et religieuses (1830-1939). Paris, Éditions La Découverte, 2006 ; « Le prêtre et l’aliéniste : Autour d’une « scène » de la psychiatrie au xixe siècle : la bénédiction de la chapelle de l’asile de Quatre-Mares », L’Évolution Psychiatrique, 73, 1, 2008, p. 3-14 ; Chronique de la psychiatrie ordinaire en Sarthe. Patients, soignants et institutions en Sarthe du xixe au xxie siècle, Le Mans, Éditions de la Reinette, 2010. Les travaux de Jean-Christophe Coffin : Conceptions de la folie, pratiques de la psychiatrie autour d’Henri Ey, dir., Perpignan, Cahiers de l’association pour la Fondation H. Ey, 2008 ; La transmission de la folie, 1850-1914, Paris, L’Harmattan, 2003 ; « La réhabilitation de la folie », in Pierre F. Daled, dir., L’envers de la raison. Alentour de Canguilhem, Paris, Vrin, 2008, p. 141-156.

Sur les intersections entre la folie et la criminalité voir : Laurence Guignard, Juger la folie.

La folie criminelle devant les Assises au xixe siècle, Paris, PUF 2010.

6 Luc Berlivet, « Médicalisation », Genèses 2011/1, 82, actes du colloque de Rôme La médicalisation : un concept ambivalent, 27-28 juin 2008.

7 Lisa Roscioni, « Soin et/ou enfermement ? Hôpitaux et folie sous l’Ancien Régime », ibid., p. 31-51.

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une manière parmi d’autres, à un moment donné, de prendre soin et soigner les malades et la maladie ?

Quand j’ai décidé il y a plus que dix ans le sujet de ma thèse je souhaitais me concentrer sur un diagnostic précis et le mettre à l’épreuve du temps et de l’espace. À l’époque de mes recherches de master menées à l’université de Florence, grâce à de précieux conseils 8, j’avais constaté les contradictions et les ambivalences d’un diagnostic particulier : celui de la folie puerpérale (en italien « follia puerperale »). C’est-à-dire de la folie qui, selon les médecins de l’Europe du xixe siècle, frappait certaines femmes au moment du puerperium : du latin puer (enfant) et pario (accoucher, engendrer) 9. De l’histoire de ce diagnostic un article de Giovanna Fiume avait constaté la courte durée 10 : il semblait disparaître par la suite au début du xxe en Italie des dossiers médicaux et des traités de médecine. De cette disparition on avait alors donné une lecture ponctuelle : comme si la maladie même – et non la description diagnostique – avait été le fruit d’une appréhension, de brève durée, de la part des médecins vis à vis de « mauvaises mères. » À ce moment on ne savait pas que la folie puerpérale changeait de nom, de symptômes, entre autre, mais qu’elle existait avant et après le xixe siècle ; et que même au cours de ce siècle, médecine et société lui conféraient des significations et des représentations hétérogènes.

En effet, dans l’idée de la folie puerpérale du xixe siècle, il y a des notions qui valent la peine d’être regardées dans le cadre de la société qui les entourent ; et non pas comme un pré-diagnostic qui aurait évolué de manière progressive par la suite. Le risque est en effet de réinterpréter le diagnostic et la maladie à la lumière du présent sans pouvoir voir et reconstruire les éléments du passé.

Par ailleurs, il faut souligner qu’au xixe siècle l’expression « folie puerpérale » ne recouvre pas l’actuelle « psychose puerpérale », mais y sont contenus tous les éléments des trois diagnostics contemporains : baby blues, dépression post natale et psychose puerpérale. De plus dans « folie puerpérale » il y a d’autres notions, que nous essayerons d’analyser et de mettre en perspective

8 Je remercie en particulier Patrizia Guarnieri, qui menait à cette époque des recherches aux archives de l’asile de Florence. Sur son travail cf. « ‘Dangerous Girls’, Family Secrets and Incest Law in Italy 1861-1930 », International Journal of Law and Psychiatry, 21, 1998, 369-383; “Per una storia della psichiatria anti-istituzionale. L’esperienza del rinnovamento psichiatrico in Umbria 1965-1995”, vol. suppl. Annali di neurologia e psichiatria, 92, 2000;

“L’incesto scandaloso: legge e mentalità nell’Italia unita”, Passato e Presente, 58, 45-68, 2003; dir. Bambini e Salute in Europa 1750-2000/Children and Health in Europe 1750- 2000, Firenze, Polistampa. (fasc. mon. di Medicina & Storia, 7), 2004; L’ammazzabambini.

Legge e scienza in un processo di fine Ottocento, Roma-Bari, Laterza, 2006; dir., in scienza e coscienza. Maternità nascite e aborti tra esperienze e biœtica, Roma, Carocci, 2009.

9 Cf. par exemple : « PUERPERIUM… Mal d’enfant, accouchement, enfantement », in Dictionnaire latin-français, Paris, L. Hachette et Cie, 1865, p. 960. L’utilisation de puerpérale pour la folie vient, comme nous allons voir, de l’histoire de la fièvre puerpérale.

10 En 1995 la contribution de Giovanna Fiume dans un ouvrage collectif est consacrée à la question : Giovanna Fiume, « ‘Madri snaturate’. La mania puerperale nella letteratura medica e nella pratica clinica dell’Ottocento », Giovanna Fiume, dir., Madri, Storia di un ruolo sociale, Venezia, Marsilio, 1995, p. 83-117.

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afin de voir quels éléments la psychiatrie contemporaine a choisi de mettre dans ses diagnostics, ceux qu’elle a abandonnés progressivement dans le temps, et le pourquoi. Cela va nous permettre de souligner avant tout, que le corps concerné, et frappé, par la folie puerpérale au xixe siècle n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. À ce moment il s’agissait en effet d’un corps « multiple » : de femme enceinte, accouchée, en couches et allaitant.

Par ailleurs la représentation que l’on donnait du corps de la femme/mère n’est pas la même qu’aujourd’hui : organique et psychique trouvent à chaque époque des équilibres très différents. La folie puerpérale n’était donc pas, au xixe siècle, une folie de la maternité strictu sensu.

Ce questionnement nous rappelle la problématique autour d’autres

« pathologies féminines » comme l’hystérie 11. L’enjeu est toujours celui de l’opposition nature/culture alors que désormais nous connaissons

« l’invention du naturel 12 » :

Il est aujourd’hui largement admis que le « naturel » soit construit par la culture […]. La compréhension des corps et des comportements — y compris l’interprétation que chacun fait de ses sensations corporelles — est toujours historique et située. Par ailleurs, on ne peut pas faire abstraction de la matérialité des corps. La différence des sexes se laisse alors définir comme un phénomène biosocial, qui ne peut exister hors du ‘tissu d’un seul tenant’

(seamless web) liant le biologique au socioculturel. 13

Pouvoir alors revenir en arrière, avant même la formulation des premiers diagnostics, nous permet de replacer la folie dans une perspective d’histoire du genre. En tenant compte de quatre dimensions, discours, représentations, pratiques et vécus, cette perspective nous permet d’appréhender différemment le sujet mère et de l’articuler dans des formes distinctes du corps féminin.

Cette perspective nous permet également de voir la folie sous le prisme de l’histoire du corps et de l’articuler dans une complexité qui va bien au-delà de la dichotomie entre soma et esprit. Plus précisément elle nous permet de montrer que la relation entre mère et folie se fait de manière différente selon les interprétations : parfois on met en évidence le corps biologique, parfois l’esprit, parfois le sentiment, parfois la relation avec le nouveau-né.

Cela nous permet aussi de sortir des certaines impasses de l’histoire de la médecine et de ses problématiques : de plus en plus de recherches durant les dernières années sont consacrées à l’histoire du corps de la femme (et de la mère), aux vécus de la maternité, aux pratiques de la parentalité. Une nouvelle

11 Nicole Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique. Du début du xixe siècle à la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2003.

12 Londa Schiebinger, Nature’s Body: Gender in the Making of Modern Science, New Brunswick, Rutgers University Press, 2004 ; Delphine Gardey et Ilana Löwy, dir., L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Paris, EAC, 2000.

13 Cf. Ilana Löwy et Hélène Rouch, « Genèse et développement du genre : les sciences et les origines de la distinction entre sexe et genre », dossier : « La distinction entre sexe et genre.

Une histoire entre biologie et culture », Cahier du genre, no 34, 2003, p. 8.

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dynamique en sciences humaines semble articuler différemment les rapports entre discours/représentations, normes, trasgressions et pratiques. 14

Finalement il semblerait que vis à vis de la problématique « femmes et maternité » 15 un passage générationnel était nécessaire pour aborder différemment la question du sexe et du genre, utilisée auparavant par une génération de chercheuses féministes en prise avec les luttes politiques d’émancipation féminine.

En 2005 la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés consacrait un numéro à la maternité dans lequel le corps de la mère était presque absent 16. De même, Élisabeth Badinter a consacré à nouveau un ouvrage à la maternité, nous livrant un véritable conflit qui opposerait la mère à la femme ; or la question n’est plus centrée sur le caractère non naturel de l’amour maternel : il s’agirait presque d’un complot des mères contre les femmes 17. On reparle de l’instinct maternel, de l’amour maternel : corps et psychisme, femme et mère, biologique et culturel dans une série de dichotomies et d’oppositions. L’histoire nous met en garde devant ces tentations universalistes et les nouvelles générations d’historie.n.e.s ouvrent la voie à une perspective renouvelée 18 : le corps de la femme qui procrée et enfante va-t-il avoir une nouvelle histoire ?

C’est sans doute l’histoire du corps qui, plus rapidement, chemine vers cette direction. C’est en fait précisément le corps comme objet de recherche

14 Voir par ex : Séverine Gojard, Le métier de mère, Paris, La Dispute, 2011 ; Sandrine Garcia, Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants, Paris, La Découverte, 2011 ; et aussi de Coline Cardi : « Les mauvaises mères : entre prison, justice et travail social », E. Dorlin et E., dir., Reproduire le genre, BPI, Centre Georges Pompidou, 2010 ;

« Le féminin maternel ou la question du traitement pénal des femmes », Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, no 128, « La pénalisation », p. 75-86, 2009 ; « La “ mauvaise mère ” ? : figure féminine du danger », Mouvements, no 49, 2007, p. 27-37 ; « La figure de la mauvaise mère, de l’archive judiciaire au récit de vie », Cahiers de l’ARS, « Genre et identités », no 4, 2007, p. 63-80.

15 Cf. aussi les importants travaux – pionniers – sur l’histoire de la naissance : Gelis Jacques, Laget Mireille et Marie-France Morel, Entrer dans la vie. Naissances et enfances dans la France traditionnelle, Paris, Gallimard, 1978 ; Darmon Pierre, Le mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, éd. du Seuil, 1981 ; Gelis Jacques, L’Arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne. xvie-xixe siècle, Paris, Fayard, 1984.

16 Clio. Histoire, femmes et sociétés, 21, 2005, Maternités. La question de la folie de la mère a été par ailleurs abordée par Dominique Vallaud, « Infanticide et folie au xixe siècle », Pénélope, 8, 1983, p. 51-53.

17 Élisabeth Badinter, Le conflit. La femme et la mère, Paris, Flammarion, 2010. Voir aussi : L’amour en plus, Paris, Flammarion, 1980.

18 Voir, par exemple, parmi les recherches des nouvelles générations d’historiennes : Nahema Hanafi, Le frisson et le baume. Expériences féminines du corps au siècle des Lumières, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017 ; Cathy McClive, Menstruation and Procreation in Early Modern France, Ashgate, 2015 ; McClive Cathy, Nicole Pellegrin, dir., Femmes en fleurs, femmes en corps. Sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux Lumières, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2010. Aude Fauvel, « Cerveaux fous et sexes faibles (Grande-Bretagne, 1860-1900) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 37, 2013 : Quand la médecine fait le genre, p. 41-64. Sabine Arnaud, L’Invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820), Paris, éd. de l’EHESS, 2014 ; Tommy De Ganck,

« Souffrir de folie ou souffrir à la folie ? », Histoire, médecine et santé, 12, 2018, 39-56. Et la thèse d’Emmanuelle Berthiaud, Les femmes enceintes : vécu et représentations en France (xviiie- xixe siècle). Thèse de 3e cycle soutenue en décembre 2011, dirigée par S. Beauvalet, Université de Picardie (en lien avec le Centre Roland Mousnier, Paris IV).

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qui permet aisément de sortir de l’impasse entre biologie, culture et société.

Dans un certain sens, l’histoire de la sexualité de Foucault 19 était déjà une tentative de questionner cet impensé du corps. Par la suite on peut inscrire aussi la quête de chercheuses du genre dans ce cheminement vers le corps. 20

A ce propos il est intéressant de constater de quelle manière les recherches sur la santé et le genre se heurtent à un risque réductionniste et c’est précisément Joan Scott – qui a introduit le genre en histoire –qui nous met en garde. Pour elle le genre risque de perdre – dans l’usage qu’on en fait – son tranchant critique et militant, et il n’arrivera peut-être pas à dépasser la dichotomisation entre les sexes : réduit à une catégorie sociale de la différence de sexes, le genre n’arrive pas à questionner et déconstruire les catégories biologiques qui fondent cette différence :

Nous féministes devons pouvoir nous mobiliser, redoubler d’efforts contre le déterminisme biologique ; nous devons réévaluer la manière dont nous le rejetons […]. Si, dans une veine freudienne un cauchemar peut exprimer un souhait [.] de même on pourrait conclure que le genre n’est plus la catégorie utile qu’il a été, non pas parce que l’ennemi a gagné, mais parce que utiliser ce terme aujourd’hui ne fait plus avancer la cause féministe 21.

Si alors le genre a encore le mérite de questionner et d’historiciser la différence biologique entre les sexes et de restituer la dimension sociale, politique, culturelle au corps des hommes et des femmes, c’est justement le corps comme objet qui permet d’historiciser aussi la dimension biologique.

Concernant alors l’histoire de la folie puerpérale, et donc plus généralement l’histoire de la folie et de la maladie, ainsi que l’histoire de la maternité, la porte ouverte par l’histoire du corps se révèle très précieuse. En effet l’approche proposée par celle-ci nous permet de déceler des questions nouvelles autour du corps de la femme. Et plus précisément de voir que ce corps qui semble immuable dans les représentations de l’histoire sous l’emprise de la domination masculine, est au contraire multiforme et jamais assis sur la seule dimension

19 Cf. Michel Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1 ; La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976 ; vol. 2 : L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984 ; vol. 3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984.

20 Voir en particulier le travail pionnier, autour du corps maternel, de l’historienne allemande Barbara Duden Barbara, L’invention du fœtus : le corps féminin comme lieu public ; Paris Descartes, 1996 (Die Gene im Kopf-der Fotus im Bauch. Historisches zum Frauenkorper, Offizin-Verlag, Hannover, 2002 ed.it : I geni in testa e il feto nel grembo, Bollati Boringhieri, Torino, 2006) et Der Frauenleib als öffentlicher Ort: Vom Mißbrauch des Begriffs Leben, Luchterhand, Hamburg/Zürich, 1991 ed. it. : Il corpo della donna come luogo pubblico.

Sull’abuso del concetto di vita, Bollati Boringhieri, Torino, 1994. Plus récemment on peut constater une nouvelle dinamique autour du genre médecine et histoire, Cf. le numero de revu : Clio. Femmes, genre, histoire, no 37 : Quand la médecine fait le genre ; Histoire, médecine et santé : Expertise psychiatrique et genre, 3, printemps 2013 et Médicalisation de la sexualité, 12, hiver 2017 .

21 Joan Scott, « Fantasmes du millénaire : le futur du « genre » au xxie siècle », Clio, 32, 2011.

Sur cette question voir aussi : Karen Offen, « Le gender est-il une invention américaine ? », Clio, no 24, 2006 ; Judith Butler et al., « Pour ne pas en finir avec le “genre”... Table ronde », Sociétés & représentations, no 24, 2007 ; Éric Fassin « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », L’Homme, nos 187-188, 2008.

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organique/biologique. Il faut donc pouvoir le repenser et le relire dans l’histoire, au prisme de la dimension sociale qui est toujours présente et à l’œuvre, autant dans les représentations de la femme que dans les pratiques féminines.

Par ailleurs il faut souligner que certaines des interrogations proposées par le féminisme se révèlent trompeuses et dangereuses. Une parmi d’autres est la querelle autour de l’instinct maternel. À ce propos il nous semble que la piste ouverte par l’histoire des émotions soit très riche et féconde. Nous pouvons en effet finalement envisager d’écrire une histoire de la maternité sans retomber dans le piège de l’amour maternel 22. L’expression des émotions humaines est en effet aussi codifiée socialement, comme d’autres objets de l’histoire : on ne peut pas mesurer l’amour, qui reste une expérience exclusivement subjective, mais on peut dire avec quels codes (normatifs et transgressifs) l’amour s’exprime dans le temps et l’espace.

L’histoire de la folie puerpérale sur la longue durée se révèle un paramètre parfait pour regarder les différentes codifications faites autour du corps et de l’esprit de la femme qui engendre et enfante. En effet il est plus facile de regarder la construction sociale de la maternité et du féminin depuis la frontière entre norme et transgression. Puisque là, dans cet espace gris de frontière, la pensée dichotomique montre toute son ambiguïté : nous révélant d’abord que dans le passé il est difficile de découper le corps en deux (soma et anima).

Ce corps maternel est en réalité un corps au pluriel : il n’est pas toujours pensé comme matière seulement mais aussi comme esprit. Une vision qui oppose l’esprit à la chair ou le cerveau à la psyché est le fruit d’une pensée dichotomique artificielle redondante de contemporanéité. Les superpositions et les articulations dans les pratiques, les représentations, les expériences du corps sont nombreuses : bref, établir, une fois pour toutes, la frontière entre normes et transgressions est très complexe. C’est pourtant probablement dans ces articulations que les usages du corps se montrent le mieux.

Ce livre est le fruit du remaniement de la partie contemporaine de ma thèse de doctorat 23 : dans la première partie « Normer la maternité » il s’agit de revenir sur l’histoire des folies autour de la grossesse, de l’accouchement et des suites de couches durant le xviiie siècle, c’est-à-dire durant l’époque

22 Pour le dépassement de cette problématique voir : Damien Boquet et Piroska Nagy,

« Émotions historiques, émotions historiennes », dans Écrire l’histoire, 2 (2008), p. 15-26 et « Pour une histoire des émotions. L’historien face aux questions contemporaines », dans Damien Boquet et Piroska Nagy, dir., Le Sujet des émotions au Moyen Âge, op. cit., p. 39-43.

23 Doctorat d’histoire sous la direction d’Anne Carol (Telemme) soutenu à Aix-Marseille Université, 2012 : Folles de maternité. Théories et pratiques d’internement autour du diagnostic de la folie puerpérale (xviie – xxe siècles, France – Italie. Mention très honorable avec félicitations. Membres du jury : Scarlett Beauvalet, professeure des Universités à l’université de Picardie ; Vincent Barras, professeur des Universités, Institut universitaire d’histoire de la Médecine et de la Santé publique, Lausanne, Suisse ; Jean-Christophe Coffin, maître de conférences université Paris Descartes ; François Poinso professeur des universités AMU ; Isabelle Renaudet, maître de conférences habilité à diriger des recherches, AMU.

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pré-aliéniste. Cette partie est basée sur l’analyse des sources médicales des spécialités qui sont concernées. Pour explorer les questions autour de l’infanticide avant le code pénal de 1810 elle s’appuie également sur des textes de jurisprudence et sur les archives judiciaires des affaires d’infanticide.

Les deuxième et troisième parties s’appuient notamment sur l’analyse des dossiers médicaux de l’asile St. Pierre de Marseille, de sa fondation en 1844 jusqu’à 1940 (année limite pour la dérogation de la consultation des dossiers personnels des patients) conservés aux Archives départementales des Bouches du Rhône, croisés avec la littérature médicale de la même époque. Pour la période successive, ne pouvant pas consulter les dossiers, j’ai choisi de suivre les évolutions plus importantes autour du diagnostic dans les théories et les pratiques médicales dans les textes de médecine.

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Normer la maternité

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C’est sans doute au tournant du xviiie siècle que le processus de hiérarchi- sation des savoirs sur les corps des femmes se consolide à travers notamment la stabilisation de professions liées à la reproduction féminine. Du point de vue théorique et discursif les frontières de la physiologie et de la pathologie du corps féminin se redéfinissent, mettant en lumière de nouveaux éléments qui vont participer à la construction d’une nouvelle idée de maternité.

Ce processus s’effectue tout au long du siècle xviiie, c’est-à-dire que se produisent des discontinuités théoriques sur plusieurs niveaux. Ces disconti- nuités ont pour conséquence qu’à la fin du xviiie siècle, les savants s’inter- rogent sur ce que seraient des couches normales et introduisent des éléments importants sur la notion de la folie des mères. Pour autant, la réflexion ne se concentre pas encore sur le diagnostic : il faut attendre l’essor de la médecine aliéniste pour que le regard sur cette question bascule complètement, et pour que l’on évoque par différents biais la folie puerpérale.

Au début du xviiie siècle nous constatons dans les discours, la cœxistence de théories très différentes, dont certaines sont en continuité avec les siècles précédents. À la fin du xviiie un nouveau regard s’est imposé : les discours médical, scientifique et philosophique décrivent différemment le corps et l’esprit de la femme, qui devient, essentiellement, un corps de mère. Les pratiques des femmes ne changent pas vraiment à cette époque, mais la frontière entre normes et transgressions autour de la maternité se déplace.

La perception des contemporains sur ces questions se transforme : la signification que l’on donne à certaines théories se modifie, les disciplines concernées aussi.

Parmi les deux origines de la folie puerpérale que nous avons souligné au départ – organique/physique et « psychique »/émotionnelle – , c’est la seconde qui subit, durant cette période, les transformations les plus importantes.

Ces transformations, qui investissent le regard sur le comportement de la mère et les pratiques autour de l’enfant, induisent dans un second temps un rapprochement avec la folie organique.

Nous décrirons tout d’abord les transformations du discours médical, durant la première moitié du siècle ; nous considérerons ensuite la circulation

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de ces idées dans la pensée philosophique. Enfin nous nous arrêterons sur la deuxième partie du xviiie siècle pour observer comment deux discours – sur le moral et l’organique – se rejoignent par le biais de la théorisation d’une maternité normative qui s’oppose à une maternité déréglée, non naturelle, pathologique, folle.

L’émergence du corps maternel

Dans la médecine de la Renaissance le corps de la femme captait déjà l’attention des médecins pour sa capacité à enfanter. Fécondation, grossesse, accouchement et lactation sont alors observés et décrits de manières différentes selon les théories. Les termes employés sont alors « femme grosse », « accouchée » mais les textes de médecine font rarement référence au mot « mère » pour indiquer le sujet du processus de la procréation et de l’enfantement. Ce processus de procréation n’est pas représenté comme un ensemble de transformations conséquentes et physiologiques, mais à l’inverse, comme une ensemble de discontinuités essentiellement patholo- giques. La fonctionnalité procréative du corps est assurée par un organe motile et changeant (l’utérus) et par une substance protéiforme : le sang. C’est ce dernier qui permet le lien entre intérieur et extérieur du corps de la femme et qui garantit par exemple, le nutriment de l’enfant, dans le ventre, et en dehors en se transformant en lait.

La mère n’est nullement responsable de ce qui se passe dans son corps et la maternité est regardée comme un moment assez pénible : même si on évoque les « pouvoirs maternels » c’est pour souligner la dangerosité des couches et envisager des prescriptions. La femme n’a pas de dispositions maternelles intrinsèques, au contraire il faut les encourager à travers la proximité avec le nouveau né par exemple lors de la pratique de l’allaitement. La fonction féminine est donc la procréation et non la maternité.

Cela du moins est l’avis de la plupart des médecins, mais la maternité est cependant présente dans d’autres descriptions : dans le texte de morale religieuse. On y évoque d’autres caractéristiques propres à la mère : le caractère, les comportements, les sentiments et les émotions. Or c’est précisément durant le xviiie siècle que progressivement la mère devient également un sujet à part entière du discours scientifique et médical.

Cette transformation n’est donc pas le fruit d’une nouvelle sensibilité ou d’un nouveau regard mais de transformations qui s’opèrent notamment au sein des professions médicales.

Si évidemment les accoucheurs, qui se rendent dans les campagnes et qui rédigent les premiers recueils masculins d’accouchement, donnent une nouvelle impulsion aux descriptions, ce sont les accouchements à l’hôpital qui donnent une visibilité nouvelle et particulière à ces phénomènes. Malgré le

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fait qu’une minorité de femmes accouche en étant assistée par un médecin ou à l’hôpital, les textes de médecine sont pourtant rédigés à partir de ce peu d’observations.

Parallèlement, la nouvelle attention portée à la fonction de l’allaitement restructure le discours sur le comportement et le caractère de la nourrice et sur les conséquences sur l’enfant. On commence ainsi à réfléchir aux tâches effectuées par la nourrice et par la mère. C’est la volonté de distinguer entre savoirs féminins qui permet une séparation entre les diverses aptitudes maternelles. La normativité progressive du discours médical à ce sujet ouvre une porte à la définition du normal, du naturel et de leur opposé : le comportement pathologique de la mère.

Accoucher et nourrir ? Le savoir-faire de la mère

Le siècle xviiie siècle s’ouvre sur un débat autour des compétences et du savoir- faire de la mère. Ce sont deux importantes personnalités de l’époque qui réfléchissent à la question : le médecin janséniste Philippe Hecquet, Docteur-régent de la faculté de médecine de Paris, et Guillaume Mauquest de La Motte, chirurgien-accoucheur. Plus exactement, le débat va se concentrer sur l’opportunité d’employer des accoucheurs auprès des femmes et des nourrices ; il est le révélateur d’une fracture qui est en train de se produire entre deux professions au sujet du corps de la femme : médecins et chirurgiens-accoucheurs. En effet, il s’agit du premier de toute une série de débats entre différents savoirs sur la question, qui reprend en quelque sorte la fracture entre médecine pratique et médecine théorique des siècles précédents.

Ce débat est important également parce qu’il nous signale encore une fois la cœxistence de différentes conceptions et représentations du corps féminin.

Loin d’être seulement un débat entre anciens et modernes sur la question de la médicalisation de la naissance, il montre la complexité du discours qui continue à se nourrir des pratiques et des croyances autour de la naissance.

Pourtant, le débat entre savoirs et différentes disciplines se focalise progres- sivement sur un objet précis : le savoir-faire de la mère. C’est en distinguant

« ce qu’elle sait faire » de ce qu’elle ne sait pas, que les hommes de science trouvent une nouvelle légitimité dans le domaine de la naissance.

Ainsi la raison la plus importante qui pousse Philippe Hecquet à se positionner, en 1707, contre les chirurgiens accoucheurs est déjà annoncée dans le titre de son traité : De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes [et de l’obligation des mères de nourrir leurs enfants]. Dans ce texte nous pouvons lire :

Le métier d’Accoucheur n’appartient donc pas aux hommes : ce n’est en eux qu’une usurpation, ou une entreprise téméraire fondée sur la timidité des

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femmes, qui ont cru par cette indigne soumission assurer leurs vies, & sur la crédulité des maris, qui par cette dangereuse complaisance ont cru plus sûrement conserver leurs femmes. Mais on verra dans la suite que c’est abuser de la confiance des uns & des autres, en montrant que le secours d’un Accoucheur est rarement nécessaire, que cette profession est intruse dans le monde, sans titre, & de nouvelle invention, dont on s’est toujours aisément passé & dont on peut sûrement se passer encore 1.

La dénonciation de l’intrusion masculine dans le monde féminin de la naissance met en lumière une dimension importante et pourtant sous-estimée par l’historiographie : la pudeur du corps féminin. Cette intrusion choque avant tout les sensibilités : l’accouchement montre à des hommes étrangers le sexe de la femme. C’est cela qui pousse Hecquet, comme d’autres, à considérer l’accouchement comme un domaine réservé aux femmes. Il ne s’agit donc pas d’une apologie du savoir des femmes au sujet de la naissance, ni d’un refus du progrès, comme nous le signalait déjà Helen Rouch 2, mais de la nécessité de respecter les lois de la pudeur.

Il faut en fait considérer que le sexe féminin qui accouche n’a pas encore acquis complètement un intérêt scientifique : il n’a pas une valeur en tant qu’objet d’étude scientifique. À ce moment et dans certaines interprétations pendant longtemps, l’accouchement est considéré comme un acte honteux, presque sale. D’autant plus que l’accouchement, comme tout autre phénomène touchant le corps féminin, n’a pas été encore mis en relation avec la notion de nature, du moins en médecine.

Ce qui est biologique n’est pas associé, pour le moment, à une idée de spontanéité ou de naturalité positive. Cela est très important car c’est précisément sur cette question de nature et naturalité que dorénavant les médecins et les sciences naturelles vont réfléchir et débattre de manière différente. Nous allons y revenir. Suivons pour l’instant l’argumentation de Hecquet, médecin pieux, qui essaye de convaincre ses contemporains des raisons qui interdisent aux hommes la profession d’accoucheur :

L’art d’accoucher appartient uniquement aux femmes & que la profession d’accoucheuse est aussi ancienne que le monde […]. On répond cependant à tout ce qu’on a dit contre les femmes sur ce sujet, touchant leur peu de capacité leur ignorance naturelle, leur peu de génie pour les sciences & sur ce qu’on leur reproche que c’est des hommes qu’elles tiennent le peu qu’elles savent sur les accouchements. L’on tire aussi cette conséquence, qu’on peut se passer d’accoucheurs, & que les femmes seules suffisent pour une profession qui leur

1 Philippe Hecquet, De l’indécence aux hommes des accoucher les femmes et l’obligation aux mères de nourrir leur enfant. Ouvrage dans laquelle on fait voir par des raisons de physique, de morale et médecine que les mères n’exposeraient ni leur vie ni celles de leur enfans en se passant ordinairement d’accoucheurs et des nourrices, Paris, Étienne, 1708, p. 9-10.

2 Hélène Rouch, Préface à Philippe Hecquet, De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes suivi de : De l’obligation aux mères de nourrir leurs enfants, [1707], Paris, Côté- femmes éd., 1990.

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appartient de droit, qui n’est point au dessus de leur portée que l’intérêt seul leur a enlevé & dont l’injustice des hommes les prive encore aujourd’hui 3.

Dans la pensée de Hecquet la médecine est au service du religieux : le Salut est garant de santé. Pour obtenir l’un, et donc l’autre, il faut que les femmes fassent profession de vertu :

Les accoucheurs eux mêmes n’offriront plus aux femmes que des secours nécessaires et indispensables : car la Providence récompensant la piété des mères, facilitera la naissance de leur enfans [sic] & affranchira leur sexe, du moins en ce point, de la dépendance des hommes 4.

Il est important de souligner un autre aspect de la pensée de Hecquet qui nous parait inédit à cette époque : les femmes, à travers la maternité, pourraient se libérer partiellement du pouvoir masculin. Savoir accoucher pourrait alors se transformer en une aptitude spécifique, une compétence féminine.

Cette idée est consolidée d’ailleurs par le deuxième volet de son œuvre : De l’obligation des mères de nourrir leurs enfants, dans lequel le médecin essaye de persuader le lecteur de l’importance de l’allaitement maternel :

On a donc crû devoir encore aider les mères de s’acquitter de leur devoir en ce point et après les avoir rassurées contre les frayeurs quelles se faisaient d’être accouchées par d’autres que par des hommes, on s’est proposé de les ramener de l’erreur qu’elles font de confier leurs enfants à des Nourrices étrangères.

L’entreprise est grande il est vrai, mais ce n’est pas la difficulté qui se présente dont il faut s’occuper mais de la vérité de ce qu’on recherche quand la matière est aussi grave que celle-ci 5.

Hecquet, tout en soulignant la difficulté, insiste sur ce qu’il serait souhaitable d’attendre d’une mère c’est-à-dire qu’elle allaite son propre enfant.

S’il est difficile de nuancer les préoccupations de Hecquet, il est cependant certain que la question du savoir faire des mères rentre dans l’espace de la discussion médicale.

La réaction de La Motte, au traité de Hecquet, nous permet de saisir tous les enjeux présents à cette époque sur la question des compétences maternelles. Dans l’édition de 1718 de sa Dissertations sur la génération, sur la superfétation, La Motte donne La réponse au livre intitulé De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes, & sur l’obligation aux mères de nourrir leurs enfans de leur propre lait 6 :

3 Philippe Hecquet, De l’indécence aux hommes des accoucher les femmes et l’obligation aux mères de nourrir leur enfant, op. cit., « Préface », [sans numération p. 8-10].

4 Ibid., [sans numération p. 16].

5 Philippe Hecquet, De l’obligation des mères de nourrir leurs enfants, « Préface » [sans numération : p. 98-99].

6 Guillaume Mauquest De La Motte, Dissertations sur la génération, sur la superfétation, et la réponse au livre intitulé « De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes, & sur l’obligation aux mères de nourrir leurs enfans de leur propre lait », Paris, Laurent d’Houry, 1718.

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L’objet de cette réponse, est de prouver bien sérieusement l’avantage que les femmes reçoivent journellement, de deux sortes d’usages dans lesquelles elles ne peuvent ni ne doivent être troublées à l’avenir, comme elles ne l’ont point été par le passé. Le premier usage, est de se servir d’hommes pour s’accoucher.

Le second, qu’elles ne doivent pas nourrir leurs enfans [sic], d’elles-mêmes, à moins que l’inclination qui les y porte, ne soit soutenue d’un bon tempérament, d’une bonne santé, d’une complexion forte & vigoureuse, & d’une intégrité de mœurs irréprochable 7.

La Motte pose le problème des compétences féminines, en matière d’accou- chement et allaitement, d’une autre manière : l’ignorance des femmes à ce sujet provoquerait des conséquences négatives sur le développement de l’enfant.

L’ignorance & l’extrême témérité des Sages-femmes, qui mettent souvent leurs Accouchées dans un si mauvais état, qu’elles sont obligées de s’exposer aux yeux des Chirurgiens, pour réparer leurs fautes, ce qui met leur pudeur à une terrible épreuve 8.

Il est alors important de souligner l’idée sur laquelle La Motte insiste : le bien-être moral et physique de l’enfant et l’incapacité des femmes d’en prendre soin :

les devoirs de la nature, en donnant un secours à l’enfant, dont la délicatesse, l’âge, la complexion, & le tempérament de la mère la rendent souvent incapable.

Ajoutez que les mauvaises inclinations d’une mère pouvant se communiquer à son enfant avec son lait, comme on le voit d’ordinaire, on n’a pas de meilleur moyen, que le lait d’une Nourrice d’un caractère tout opposé, pour remédier à ce défaut. Ainsi cette substitution, d’un lait étranger à celui de la mère devient alors un devoir de Religion 9.

Cependant l’inquiétude de La Motte dissimule un enjeu professionnel : c’est en questionnant le savoir-faire des femmes que le chirurgien peut imposer sa présence à côté de la mère.

C’est au profit de cette idée que l’on impose une nouvelle exigence : il faut surveiller et contrôler l’accouchement et il faut établir des règles, des limites à l’action des femmes qui s’occupent de l’enfant. Il faut seconder l’effort que la nature fait pour procréer, en protégeant les enfants de l’ignorance des sages-femmes et du comportement des mères. C’est là, pour l’instant, qu’intervient une idée de nature : elle n’est pas féminine, au contraire les femmes sont spontanément ignorantes à propos de l’enfance. C’est un véritable manque de savoir-faire qu’il attribue aux femmes. Il faut donc veiller et surveiller les gestes des sages-femmes ainsi que les attitudes des mères.

Dans ce contexte, de La Motte estime que la solution qui permettrait de contrôler les soins des enfants est la professionnalisation des tâches féminines.

D’un côté le savoir masculin des accoucheurs doit remplacer l’absence de

7 Ibid., p. 131-132.

8 Ibid., p. 131-132.

9 Ibid.

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