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Nous savons de quelle manière durant le xviie siècle les accoucheurs font référence à Hippocrate et à la théorie des humeurs pour décrire les pathologies qui suivent l’accouchement 21. Le délire qui survient, parfois, durant les suites des couches est pour les médecins provoqué essentiellement par une irritation, et survient et s’accompagne souvent d’une fièvre, preuve d’une inflammation produite par un déséquilibre organique entre humeurs. On ne prête pas jusqu’alors à ce délire une attention particulière ; ce symptôme de

recement. Cf. les travaux de Sylvie Chaperon : La médecine du sexe et les femmes. Anthologie des perversions féminines au xixe siècle, Paris, La Musardine, 2008 ; Sylvie Chaperon, Nahema Hanafi, « Médecine et sexualité, aperçus sur une rencontre historiographique », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2013 p. 123-142. Sylvie Chaperon, « Le trône des plaisirs et des voluptés. Anatomie politique du clitoris de l’Antiquité à la fin du xixe siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 2012, p. 41-60. Médicalisation de la sexualité Histoire, médecine et santé, [En ligne], 12, hiver 2017.

Mais aussi : Robert Muchembled, L’orgasme et l’occident. Une histoire du plaisir du xvie siècle à nos jours, Seuil, 2005 ; Karen Harvey, « Le Siècle du sexe ? Genre, corps et sexualité au dix-huitième siècle (vers 1650-vers 1850) », Clio, 31-2010, p. 207-238.

20 Pierre Dionis, Traité général des accouchemens qui instruit de tout ce qu’il faut faire pour être habile accoucheur, op. cit., p. 464-465.

21 Francesca Arena, « La maternité : entre santé et pathologie. L’histoire des délires puerpéraux à l’époque moderne et contemporaine », Histoire, médecine et santé, no 3, 2013, p. 101-113.

déséquilibre organique est rarement nommé dans les traités des accoucheurs.

On ne s’arrête pas pour l’instant sur le contenu et la forme de cette folie.

On considère en effet que ce symptôme est en relation avec d’autres plus importants : la fièvre ou la mort de l’accouchée, selon les interprétations.

Ces phénomènes sont progressivement séparés et isolés dans une sorte de pré-étiologie et on commence à les rassembler dans des typologies. C’est sans doute le travail du docteur Nicholas Puzos 22, médecin chirurgien à Paris, premier à donner, dans les écoles de chirurgie, des cours d’accouchement aux sages-femmes, qui participe à ces distinctions. Dans son traité sur les accouchements, il rassemble en effet ces pathologies sous le nom de Dépôts Laiteux :

Le dépôt de lait sur le cerveau est heureusement moins commun que les autres : car il produit les accidents les plus graves par le dérangement qu’il cause dans les fonctions de ce viscère ; & il faut employer les plus grands efforts de l’art,

& pendant très long-temps [sic], pour débarrasser le cerveau de ce corps étranger. Quand le lait, dans une femme nouvellement accouchée, n’enfile point les routes naturelles qu’il a coutume de prendre pour sortir du corps, il peut être déterminé à se porter sur le cerveau, si, trouvant de la résistance partout ailleurs, il n’y a que cet organe qui cède aux efforts que le lait fait pour se fixer quelque part. L’effet le plus ordinaire du dépôt de lait sur le cerveau, est de produire la démence ou la folie 23.

Nous sommes pour l’instant à l’intérieur d’une représentation humorale, mais Puzos introduit dans le discours une mécanique du cerveau :

Malgré le voile obscur qui dérobe à nos yeux le jeu mécanique du cerveau pour exciter les divers mouvements de l’âme, on conçoit que le lait venant à se déposer sur cet organe, il peut, par les engorgements qu’il y cause, comprimer fortement quelqu’une de ses parties, ou mettre ses fibres dans un degré de tension excessive : la compression, qui fait obstacle à l’action mécanique du cerveau, produira la démence ; & la tension excessive des fibres, rendant cette même action trop vive, causera la folie 24.

Par ailleurs en soulignant une temporalité dans les couches il distingue cette folie spécifique par sa durée qui dépasse la fin des écoulements de lochies :

En effet une femme relève de sa couche, & le désordre de sa raison continue;

parce que les moyens employés pour le dissiper n’avoient, par leur peu d’efficacité, aucune proportion avec une cause aussi puissante que l’infiltration du lait dans un viscère qui a aussi peu de ressort que le cerveau 25.

Puzos nous livre enfin une importante réflexion : l’absence de spécificité étiologique jointe à l’incurabilité de la maladie, auraient contribué à la confondre avec les autres espèces des folies. Puzos emploie alors du tartre pour « dissoudre » les dépôts de lait et cite des cas cliniques où son traitement aurait fonctionné : ses

22 Nicolas Puzos (1686-1753).

23 Nicolas Puzos, Traité des accouchements, contenant des observations importantes sur la pratique de cet art ; Deux petits traités, l’un sur quelques maladies de matrice & l’autre, sur les maladies des enfans du premier âge. Quatre mémoires, dont le premier a pour objet les pertes de sang dans les femmes grosses, & les trois autres sur les dépôts laiteux, Paris, Desaint & Saillant, 1759, p. 387-390.

24 Ibid.

25 Ibid., p. 388.

malades se purgent les intestins évacuant ainsi aussi la folie. Nonobstant le fait que Puzos évoque encore la médecine des humeurs et des fluides, et qu’ainsi du coté interprétatif (et thérapeutique) il n’y ait pas une grande discontinuité à propos de la production du délire chez la femme accouchée, il faut constater l’apparition de termes différentes (fibres du cerveau, folie, âme) et d’une spécificité particulière et nouvelle attribuée à ces dépôts de lait. On commence, en fait, à remettre en question la pure dimension organique de la folie : on lui prête maintenant une mécanique nouvelle sous l’impulsion des découvertes anatomiques.

De manière analogue, dans l’un des rares abrégés de médecine pratique du début du xviiie siècle, nous trouvons un paragraphe entier consacré au délire des accouchées. Le traité, qui est une traduction française du texte de médecine du docteur Allen, montre l’intérêt grandissant pour ce délire qui, il faut le rappeler, était déjà évoqué au xviie siècle.

Dans ce texte nous lisons :

Le délire des accouchées est un symptôme que la mort termine pour l’ordinaire ou qui se convertit en une manie qui dure long tems & quelquefois toujours. Il faut employer les remèdes internes propres à exciter le flux des vidanges dans le temps qu’elles doivent couler. On appliquera des vésicatoires aux jambes, et aux plantes des pieds le cataplasme suivant. prenez des têtes de pavot broyées avec leurs semences, quatre onces ; du sel armoniac [sic], demi once ; de la fiente de bœuf récente, une livre ; de l’eau de vie ce qu’il en faut. faites de tout cela un cataplasme 26.

Le délire des accouchées, cité encore parmi des symptômes éminemment organiques, est pourtant décrit désormais comme étant un phénomène autonome. Plus important encore, on constate que ce délire peut se transformer en manie et il peut donc s’installer dans la durée des couches, sans cependant amener à la mort de la femme.

Durant cette période, même s’il n’y a pas de véritables ruptures qui se produisent du côté interprétatif autour de la folie, la question du savoir -faire des mères entre dans le discours médical. Du coté organique, certaines pathologies féminines sont isolées, donnant au corps maternel une nouvelle dimension physiologique et pathologique.

On commence déjà à opposer les différents troubles féminins qui étaient auparavant réunis : l’hystérie se structure de plus en plus autour d’une notion de désir sexuel frustré, alors que la manie qui frappe les accouchées est pour les médecins probablement causée par quelque chose d’autre qui est spécifique aux couches.

26 John Allen, Abrégé de toute la médecine pratique, ou les sentiments des plus habiles médecins sur la nature des maladies, de leurs causes et des remèdes, nouvelle éd., revue, corrigée, & augmentée de plus du double, tant des additions contenues dans la dernière édition de l’auteur, que de quantité d’autres pièces & articles intérêt sans pour la pratique médicinale, & chirurgicale, vol. 5, chez J.-P. Huart, t. III, 1741, p. 176. Publié en français pour la première fois en 1728 : John Allen, Abrégé de toute la médecine pratique, ou les sentiments des plus habiles médecins sur la nature des maladies, de leurs causes et des remèdes qui leur conviennent, joint avec La méthode de Sydenham pour guérir presque toutes les maladies, trad. de Jean Devaux, Paris, éd. G. Cavelier, 1728.

La fonction sociale de la mère et la folie maternelle