La Lettre du Sénologue • N° 75 - janvier-février-mars 2017 | 43
TRIBUNE
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Médecins et malades d’oncologie, tous vaccinés ?
Immunizations in oncology:
are patients and physicians up-to-date?
Imaginez qu’un virus respiratoire hautement contagieux s’abatte sur la France sans distinction d’âge, de sexe ni de classe sociale. Imaginez que ce virus envoie, en moins de 3 mois, plus de 2,2 millions de malades consulter un médecin, grippant le système de santé et contribuant à transformer les salles d’attente des cabinets médicaux en arènes de circulation virale. Imaginez encore que ce virus vide nos services hospitaliers de leurs personnels frappés par l’infection et remplisse nos cimetières de plus de 18 000 morts. Et imaginez – si c’est encore possible – qu’un vaccin bien toléré et éprouvé de longue date soit disponible plusieurs mois avant l’épidémie mais ne soit utilisé que par, au mieux, 30 % des malades et 25 % des personnels des services d’oncologie.
C’est le tableau que l’épidémie de grippe de la saison 2015-2016, d’une ampleur très habituelle, a dessiné en France. On pourrait dire à peu près la même chose de l’épidémie de 2014-2015, et on en dira probablement autant de celle de 2016-2017.
Que se passe-t-il dans notre beau pays où le vaccin contre la grippe n’est pas obligatoire, comme c’est le cas aux États-Unis, pour les personnels soignants ? Peut-on reprocher aux gens de refuser un vaccin facultatif qu’on leur propose du bout des lèvres ?
Offrir une vaccination gratuite dans un service hospitalier fait souvent froncer les sourcils et hausser les épaules des soignants.
L’épidémie démarrée, un grand nombre de sceptiques se transforment alors en septiques, transmettant une infection le plus souvent inapparente à leurs collègues ou malades et engendrant une nosocomialité qu’on pensait d’un autre âge.
C’est comme si, en matière de vaccination, une masse de résultats
scientifiques concordants (evidence-based medicine) ne concourrait plus à faire changer les habitudes individuelles (post-evidence-based medicine).
Ne nous y trompons pas : les traitements des maladies à prévention vaccinale comme la grippe, les infections invasives à pneumocoques, la diphtérie
ou le tétanos sont souvent incapables d’enrayer leur génie évolutif quand elles ont démarré. Les recommandations nous proposent de vacciner tous les malades atteints d’un cancer contre ces infections. Elles nous proposent d’en faire de même avec leur entourage et les soignants, traçant ainsi autour d’eux un cercle de protection altruiste et salutaire.
Dr Benjamin Wyplosz
Praticien hospitalier, Centre de vaccinations internationales, Service de maladies infectieuses et tropicales, CHU de Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre.
B. Wyplosz déclare avoir des liens d’intérêts avec Pfizer (consultant et invitations à des congrès) et Astellas (invitations à des congrès).
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TRIBUNE
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Suivons ces recommandations de bon cœur ! Les personnels soignants doivent s’engager dans la vaccination pour leurs malades et pour eux-mêmes comme ils l’ont fait sans réticence ces dernières années avec l’hygiène des mains et les solutions hydro-alcooliques.
La vaccination ne fait pas partie du parcours de soins du malade d’oncologie ? Qu’à cela ne tienne ! Est-ce une hérésie de proposer pendant une consultation d’annonce une prévention vaccinale à un malade souffrant d’un cancer, immunodéprimé par nature, et chez qui toute infection retarde le traitement anticancéreux, induit des consultations en urgence et des prescriptions d’antibiotiques parfois inutiles mais toujours favorables à la résistance bactérienne, voire l’emporte dans la tombe alors qu’il aurait pu guérir
de son cancer ? La solution est peut-être de disposer d’ordonnances vaccinales préremplies, d’infirmières formées à la vaccination, et d’un réfrigérateur de consultation plein de vaccins, évitant ainsi aux malades un parcours fastidieux de vaccination en ville.
Organisons-nous pour améliorer la couverture vaccinale de nos malades, et vaccinons-les tous avant qu’ils n’attrapent les microbes de leurs proches.