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Chapitre 4. Contrôles : la gestion des flux

1. Le contrôle en aérogare

1.3 La détention en aérogare : contrôles ordinaires et espaces de crise

1.3.1 Espaces de détention : obscurité et ambiguité

Alors même que le tout nouveau centre d’hébergement de Zapi 3 est institué comme modèle de l’amélioration des conditions de vie des étrangers et ouvert à plusieurs acteurs privés, de nouveaux espaces discrétionnaires se reconfigurent dans l’aéroport et coexistent avec l’espace officiel de détention. Les postes de police varient d’un satellite à l’autre, comme le montre la brève description en ouverture du chapitre. Le maintien dans les postes de police des aérogares a lieu à l’arrivée et au renvoi : il se caractérise par un enfermement collectif (les personnes, contrairement en Zapi, ne sont pas libres de leurs mouvements dans l’espace clos) et par la contiguïté de l’espace de maintien, ainsi que par les conditions d’hygiène. Le quotidien du contrôle en aérogare n’est pas observable de première main, comme le suggère la description des visites associatives. On peut s’en faire une idée à travers la compilation des témoignages de maintenus rencontrés en Zapi. Toutefois, l’expérience de ceux qui sont directement renvoyés depuis les postes de police de l’aéroport, sans entrer dans la procédure de maintien, et qui représentent la moitié environ des personnes contrôlées aux frontières reste un point aveugle de l’observation. Les permanences en zone d’attente peuvent dans certains contextes particuliers donner un

1 Entretien privé communiqué par un agent administratif (Ofpra), 15 mai 2005.

2 Voir : Archives du Sénat. Question d’actualité de Jean Desessard, sénateur de Paris à Brice Hortefeux,

ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’identité Nationale et du Codéveloppement, Jeudi 10 janvier 2008 (http ://www.senat.fr/seances/s200801/s20080110/s20080110008.html#int1343, consulté le 17 novembre 2008).

aperçu, certes isolé et fragmentaire, de ce qui se passe en aérogare. Cette observation de seconde main est possible par exemple lorsqu’un étranger contrôlé en aérogare présente une situation exceptionnelle et qu’il peut de plus entrer en contact avec un proche présent à l’aéroport pour l’accueillir, qui lui-même parvient à joindre la permanence téléphonique de l’Anafé. Lors d’une permanence en Zapi, je reçois en fin de matinée l’appel d’une jeune femme congolaise ainsi que j’en prends note dans le bilan de permanence :

Date : xx/02/2007

10 h : [Antoinette] enceinte de sept mois a été contrôlée ce matin vers 6 h et gardée au terminal 2B. Elle a appelé sa soeur (Mme Nangui) et s'est plainte que la police refusait de lui donner à boire ou à manger ou de la laisser voir un médecin alors qu'elle se sent mal, se plaint de douleurs au ventre.

13 h 10 : Sa soeur me rappelle plusieurs fois paniquée : Antoinette n'a pas signé le refus de jour franc (a refusé de signer), mais la paf [police de l’air et des frontières] l'a quand même transféré directement vers le terminal 2C pour la renvoyer. Elle serait donc à partir de midi en instance de renvoi, et elle essaie de voir un médecin vu son état mais sans succès. J'essaie de joindre le poste de quart au terminal 2C, mais comme toujours ça sonne occupé. Finalement, j'en parle à la CR [Croix-Rouge]. Au pire, je pense demander à l'équipe médicale d'aller en aérogare pour voir (ils font des tournées).

14 h 45 : selon la CR, une ivoirienne les aurait contacté du même poste de police : ils lui ont demandé si une femme enceinte était avec eux au poste. Réponse : oui, mais elle est allée voir le docteur. Je tiens sa soeur au courant (refuse de me croire). Si elle a effectivement consulté un médecin, il est probable qu'elle soit transférée en Zapi dans la journée. Sa soeur ou la CR lui demanderont de venir nous voir.

17 h 30 : Sa soeur me rappelle et me dit qu'elle serait en réembarquement encore : « elle n'est plus au terminal C, on l'a mis dans une cellule, elle ne comprend pas. ». Le téléphone est coupé; j'essaierai de la rejoindre plus tard. » [Bilan de permanence, février 2007].

Les notes que j’ai prises sur le coup complètent le bilan; elles précisent que durant cette conversation, Mme Nangui se met en colère et me demande des explications. « Moi : ‘Nous ne sommes pas la police, mais une ONG.’ Elle : ‘Vous faites votre travail, je comprends, mais elle est en mauvais état. Il ne faut pas la tourmenter.’ » [Notes de permanence, février 2007]

Le suivi des permanences juridiques permet de reconstituer la suite du parcours d’Antoinette. Le lendemain, Mme Nangui rappelle pour expliquer que sa sœur a passé la

nuit en Zapi; elle a été emmenée à l’hôpital le matin même et sera probablement transférée à nouveau dans l’après-midi au centre, où elle viendra lui rendre visite. Antoinette a déposé une demande d’asile la veille en Zapi; elle dit que les officiers de police avaient refusé d’enregistrer sa demande en aérogare. Mme Nangui rappelle à 18 h : sa sœur est encore hospitalisée; elle-même a contacté un avocat, elle rappellera la permanence le lendemain pour donner des nouvelles. Le lendemain, Mme Nangui informe la permanence qu’Antoinette sera gardée à l’hôpital au moins une journée de plus. Son avocat a annoncé qu’il viendrait la voir à l’hôpital en fin de journée, en vue de préparer son audience devant le juge des libertéset de la détention qui a normalement lieu quatre jours après le placement en maintien, c’est-à-dire le lendemain. Le quatrième jour, un intervenant de l’Anafé va se renseigner auprès de la Croix-Rouge au sujet d’Antoinette. Un employé l’informe qu’elle porte le nom d’Aminata Bailara, de nationalité ivoirienne. Ses collègues ont suivi son hospitalisation; elle est encore à l’hôpital, mais elle n’est plus maintenue en zone d’attente. L’intervenant note sur le bilan :

« J'appelle ensuite le Gasai [bureau de police en charge des décisions de maintien et d’admission], qui me confirme la réponse de la CR, elle est à l’hôpital et n’est plus sur leur liste, car plus en Zapi… donc libre? l’OPJ [officier de police judiciaire] me dit qu’elle a bien fait une DA [demande d’asile]. »

Le permanencier contacte Mme Nangui pour l’informer que, d’après la police, sa sœur n’est plus maintenue en zone d’attente, qu’elle a donc accès au territoire français et doit se présenter avec le sauf-conduit qui a dû lui être délivré. Mme Nangui confirme que lors d’une visite à sa sœur, la veille, celle-ci lui avait montré un sauf-conduit remis par les officiers de police à la porte de sa chambre d’hôpital. Mais l’avocat présent à ce moment dans la chambre avait émis des doutes quant à sa mise en liberté : d’après lui, elle dépendait d’une décision de justice rendue au quatrième jour (c’est-à-dire ce jour). Toutefois, il n’y a plus de policiers à l’hôpital et la sœur de Mme Nangui n’a pas été emmenée devant le juge aujourd’hui; elle est toujours à l’hôpital, où elle devrait être gardée pendant au moins 24 heures encore. Mme Nangui remercie l’intervenant pour ses indications : elle accompagnera sa sœur à la préfecture dès sa sortie de l’hôpital. L’intervenant lui laisse les coordonnées d’une association de soutien des demandeurs d’asile.

L’expérience d’Antoinette-Aminata donne un aperçu bref de la réalité du contrôle en aérogare. Mais il est tout aussi intéressant en ce qu’il rappelle comment l’espace opaque du contrôle aéroportuaire s’inscrit dans un espace plus général de maintien, qui est lui- même ambigu, réversible et parfois difficile à saisir dans sa globalité. La zone d’attente se compose dans ce cas des postes de police des terminaux 2B, puis C, du centre de Zapi, de la chambre d’hôpital qui est considérée comme étant toujours en « zone d’attente », d’après la loi de novembre 2003, et gardée par des officiers de police de l’air et des frontières. Puis, à mesure que l’hospitalisation se prolonge et qu’elle rend impossible le bon déroulement de la procédure de maintien (c’est-à-dire la présentation devant le juge des libertés et de la détention au quatrième jour, l’examen de la demande d’asile), la police décide de lever cette procédure et la chambre d’hôpital recouvre un statut normal de lieu d’hospitalisation situé sur le territoire. Toutefois, ces mouvements de renversement du lieu et du statut de la maintenue sont ambigus et difficiles à suivre pour les juristes eux-mêmes, comme le montrent les hésitations de l’intervenant et de l’avocat sur l’interprétation qui doit être faite des décisions de la police, et la question de savoir si la maintenue « est libre » ou non.