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Chapitre 3. La naissance des zones d’attente

2. La frontière en camp et en réseau

2.1 Des aérogares à Zapi 1, 2, 3

La loi Quilès du 6 juillet 1992 créant les zones d’attente institue en effet des « lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier ». Or nous n’avons pas tant affaire à des acquis de droits nouveaux, ou à l’ajout des normes inédites censées améliorer les conditions « indignes » de détention, qu’ici aussi, à l’institutionnalisation d’une pratique administrative déjà établie. Si l’on en croit en effet un témoignage publié dans la revue Plein Droit en mars 1991 (c'est-à-dire avant le premier projet de loi déposé en décembre 1991) :

« depuis quelque temps, le salon de correspondance de la zone internationale est plus calme. ‘Les chambres de fortune qui s'y trouvent ont été fermées pour cause de non-conformité. L'endroit, mal entretenu, où parfois des gens étaient frappés, offrait un spectacle qu'on ne tenait sans doute pas trop à montrer au public’, commente Jean-Marie Balanant (agent de liaison des Aéroports de Paris). Non loin de là, à la sortie de la station du RER, le premier étage de l'hôtel Arcade est ‘réservé’. Faciles à repérer, grâce aux barreaux qui ‘ornent’ les fenêtres, les quelque vingt-cinq chambres ont été

décrétées ‘zone sous douane’. (…) C'est le ‘couloir des inads’ (diminutif

1 Ainsi, ayant contacté la police de l’aéroport de Strasbourg-Entzheim au nom de l’Anafé pour le cas d’un

enfant congolais de trois ans maintenu en zone d’attente (« mineur isolé »), je me suis entendue répondre : « Le petit est dans le bureau, il joue au puzzle (…) non, mon collègue (chef de poste) ne peut pas vous répondre pour le moment, il est allé lui acheter un sandwich ».

désignant les étrangers ‘inadmis’), bien gardé de chaque côté par des policiers. (…) l'hébergement à l'hôtel est un moyen de rendre plus discrètes les situations pénibles engendrées par le rejet à la frontière. Cela évite les drames en public… » (Gisti 1991b)

De façon ambivalente, au-delà d’une volonté d’amélioration effective des conditions de détention, prouvée dans les faits, la mise en place d’un dispositif d’hébergement des étrangers semble d’abord répondre à une nécessité de gestion et de centralisation dans l’enfermement d’étrangers de plus en plus nombreux, et à un principe pragmatique de séparation qui désamorce les scandales et les tensions liés à la visibilité de ces situations. L’hôtel est en France pour « la clientèle ordinaire qui avale son steak ou ses sandwichs (et) ne se doute pas un instant qu'au-dessus de sa tête, des hommes et des femmes sont enfermés » (Gisti 1991b), alors qu’il est considéré hors de France pour les étrangers enfermés à l’étage. Après l’institution légale des zones d’attente, l’étage de l’hôtel Arcades1 a continué à être loué par le ministère de l’Intérieur au prix de 240 000 euros par mois au groupe Accor, et de servir, sous le nom de Zapi 1, de lieu d’hébergement aux étrangers. Devant l’augmentation des personnes non-admises, le deuxième étage de l’hôtel Arcades a été ouvert en août 1999, mais la solution était provisoire2. En 2000 et 2001 des

bâtiments sont construits et deux autres zones sont ouvertes : Zapi 2 et 3. En juillet 2000, une partie du Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot pour les sans-papiers en attente d’expulsion, construit en préfabriqué à proximité de l’Aérogare 1 de l’aéroport de Roissy, est transformée en zone d’attente. Zapi 2 dispose de 72 places et héberge des hommes célibataires demandeurs d’asile3. Les étrangers maintenus en zone d’attente et les

1 Qui deviendra à cette époque un hôtel de la chaîne « Ibis », géré par le même groupe.

2 Un médecin expert auprès du Tribunal administratif de Paris décrivait ainsi ces deux étages visités le 20 août

2001 : « le second étage est d'une propreté satisfaisante, le premier couvert d'immondices... la chambre 34 a deux lits séparés en bon état (...) une salle d'eau fonctionnelle (...) une fenêtre que l'on ne peut ouvrir (...) une climatisation parfaitement inefficace (…) en période de chaleur, l'atmosphère est singulièrement pesante, l'air manquerait à ceux qui accuseraient des troubles respiratoires (…) le sommeil est problématique aux personnes retenues » (Anafé 2001).

3 Un rapporteur de l’Anafé observe : « Zapi 2 n’a aucun équipement collectif, les personnes traînent dans les

étroits couloirs lorsqu’elles ne peuvent pas sortir. Les locaux sont exigus et les étrangers sont soumis à un manque d’intimité évident, notamment dans les douches qui n’ont pas de portes (…)La police gère le lieu et les demandeurs d’asile, la surveillance extérieure (porte d’entrée et clôture) est assurée par la gendarmerie et l’intendance par la pénitentiaire, conjointement avec le Centre de rétention administrative. La partie administrative accueille les bureaux de la police, l’OMI (Office des migrations international) est utilisé pour les visites personnelles. La partie d’hébergement se compose de trois bâtiments de douze chambres de deux

sans-papiers en instance d’expulsion sont donc hébergés dans une même structure, dont le régime est carcéral : promiscuité, possibilité de mouvement réduite, intendance pénitentiaire, repas communs à heures fixes. La superposition géographique des deux régimes de détention administrative n’est ni anecdotique, ni fortuite, mais en révèle au contraire la complémentarité juridique, sociale, et politique. L’hôtel Arcades (Zapi 1) est fermé au début de l’année 2001, suite à l’inauguration de la Zapi 3, première zone d’attente spécifiquement pensée et construite pour le maintien aux frontières.

2.2 « Beau comme un hôtel »

Zapi 3 se trouve dans la zone de fret de l’aéroport, juxtaposé aux locaux de l’entreprise Servair. Le centre est un bâtiment rectangulaire de 3 500 mètres carrés en tôle ondulée et en béton blanc, jaune et orange, sur deux étages, entouré d’un double grillage (de 2,5 puis quatre mètres de haut) et de caméras : une quinzaine de caméras de surveillance sont réparties sur le bâtiment, centralisées dans une salle de contrôle gérée par la police de l’air aux frontières.

Figure 4 : Le bâtiment de Zapi 3 dans la zone de fret © Makaremi

personnes. Dans chaque bâtiment, il y a quatre sanitaires avec des lavabos, quatre douches. Les repas sont servis dans un réfectoire commun avec le CRA mais à des heures différentes. » (Anafé 2001).

Le rez-de-chaussée est réservé à l’administration : s’y trouvent les bureaux de la police, du Gasai et de l’Ofpra, une salle d’attente et des salles réservées aux entretiens privés des maintenus avec leurs familles et avocats. Un double sas accessible grâce à un badge magnétique sépare la partie administrative du bâtiment du centre d’hébergement à proprement parler, situé au bout d’un long couloir au plafond haut. En bas des escaliers centraux qui mènent à l’étage des maintenus se trouve une infirmerie dont la garde est assurée par l’équipe médicale de l’hôpital Ballanger. Le hall donne en outre sur deux salles de télévision (où se déroulent en fait les appels et les attentes de renvoi), un jardin avec des jeux pour les enfants, et un réfectoire de 66 places, toutes ces infrastructures donnant sur les pistes. En effet, Zapi 3 a été construite avec un accès direct aux pistes, ce qui signifie que les convois d’embarquement peuvent accéder aux avions sans passer par les terminaux (cependant, sauf cas de renvoi sous escorte, les maintenus refoulés passent quelques heures dans les terminaux avant d’être conduits dans l’avion).

Figure 5 : Plan du rez-de-chaussée de la Zapi 3, fourni par l’administration

L’étage est réservé à l’hébergement des maintenus (quelques chambres supplémentaires se trouvant au rez-de-chaussée), avec une capacité d’accueil de 160 places.

Les conditions d’hygiène y sont garanties par de nombreuses cabines de sanitaires et de douche privées soumises au nettoyage javellisé incessant de la compagnie d’entretien. Les murs de béton crépi peints en blanc, orange, jaune et vert, et les sols carrelés de gris, la climatisation, l’insonorisation rappellent une construction hôtelière neuve1. En effet, le bâtiment a été construit par l’entreprise GTM (dont le groupe hôtelier Arcades est une filiale) qui en assure également la maintenance. Le centre est un évènement par la générosité qu’il affiche dans l’accueil des étrangers non-admis, comme le suggère la cérémonie d’inauguration :

« L’architecte Danièle Damont expliquait son souci d’amener un peu de soleil grâce aux couleurs. Les agents de la Police de l’air aux frontières (PAF) s’émerveillaient devant leurs bureaux neufs, et le ministre, Daniel Vaillant, ne tarissait pas d’éloges devant l’éclairage zénithal de l’intérieur. »2

Les locaux propres et en bon état inscrivent ainsi dans le béton la volonté affichée par le ministère de l’Intérieur de conformer les conditions du maintien aux principes de dignité humaine que leurs opposent, depuis plus d’une décennie, les associations et les juridictions de l’État. « Assurer la dignité de ces personnes, c’est d’abord se doter de capacités d’hébergement répondant aux normes et aux standards habituels », déclarait ainsi Danièle Vaillant, ministre de l’Intérieur lors de cette inauguration publique3.

Mais malgré les conditions d’hygiène et la couleur des murs, la gestion et la construction du centre reposent la question de savoir jusqu’où la norme carcérale est pertinente pour décrire la zone d’attente. Zapi 3 ne dispose pas de poignée à ses fenêtres et de serrure à ses portes, mis à part aux lourdes portes électrifiées du sas d’entrée; les meubles sont vissés au sol; les couloirs disposent de haut-parleurs tous les dix mètres environ, qui appellent les maintenus à toute heure, et annoncent les repas, obligatoirement pris en commun. Enfin, des dispositions (comme l’absence de sacs en plastique, l’interdiction d’objets en verre, l’usage de couverts en plastique) sont prises pour prévenir les mutilations éventuelles, reconnaissant le haut degré de détresse psychique qui règne

1 « Le bâtiment est beau comme un hôtel Formule 1 » remarque ainsi l’article du Monde consacré à son

inauguration. « Entre hôtel et prison, un nouveau centre pour les étrangers refoulés à Roissy », Le Monde, 10 janvier 2001.

2 Ibid. 3 Ibid.

dans les lieux malgré les « normes » et « standards habituels ». Dès l’abord, Zapi 3 se pose comme un lieu hautement ambivalent, où l’amélioration des conditions matérielles est tout aussi visible que la rationalisation de la gestion policière, les dispositifs néo-carcéraux, la séparation spatiale et l’isolement auxquels est soumise la population maintenue, dans la continuité logique de la pratique d’hébergement à l’hôtel Arcades, pratiquée de fait dès 1991.