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4.1 Contexte et strat´egie

4.1.1 Des outils existants inutilisables

La mesure de courbes de charge a depuis toujours ´et´e un ´el´ement clef dans la caract´e- risation des bolom`etres, et ce `a juste titre. En effet, il est crucial de connaˆıtre parfaitement le comportement du senseur thermique sur lequel repose le fonctionnement d’un bolom`etre. Ce sen- seur ´etant une (( simple )) r´esistance, elle est caract´eris´ee en mesurant le courant qui la traverse en fonction de la diff´erence de potentiel qui lui est appliqu´ee. Jones (1953) a d´evelopp´e une th´eo- rie g´en´erale sur les performances de bolom`etres en se basant sur une analyse ´electro-thermique. Le point de d´epart de cette th´eorie est une courbe I-V dont il extrait entre autre l’imp´edance ´electrique du bolom`etre ainsi que sa r´eponse. Low (1961) utilise ´egalement des courbes I-V pour caract´eriser un bolom`etre en germanium refroidi `a 2 K. Dans l’article de Zwerdling et al. (1968), nous retrouvons une analyse tr`es compl`ete du fonctionnement et des performances d’un bolo- m`etre pour l’infrarouge lointain. Le mod`ele qu’il ´elabore fait aussi appel `a ces incontournables (( load curves )). Les exemples sont multiples (Duncan et al. 1990 ; Wang et al. 1996 ; Turner et al. 2001). Pour illustrer l’utilisation concr`ete de courbes I-V, j’ai choisi les articles plus r´ecents de Sudiwala et al. (2002) et de Woodcraft et al. (2002) qui pr´esentent conjointement la caract´e- risation d’un bolom`etre de type spider-web pour la bande `a 143 GHz de l’instrument Planck/HFI. D’apr`es Sudiwala et al. (2002), l’objectif de la proc´edure standard est de mesurer des courbes I-V pour diff´erentes temp´eratures du bain thermique, avec et sans flux radiatif incident ; ceci dans le but de d´eterminer exp´erimentalement un jeu de param`etres qui d´ecrit les propri´et´es physiques et le comportement des mat´eriaux mis en jeu dans l’´equilibre thermique et ´electrique du bolom`etre. Commen¸cons par introduire le formalisme et les briques de base sur lesquelles repose le mod`ele ´electro-thermique. Le bolom`etre est d´efini de fa¸con suivante : c’est une thermistance d’imp´edance R et de temp´erature T qui est faiblement coupl´ee `a un puit de chaleur de temp´erature T0 par une fuite thermique de conductance statique GS. Un courant

I traverse la thermistance cr´eant ainsi une diff´erence de potentiel `a ses bornes V = I × R. Le courant est habituellement g´en´er´e par une r´esistance de charge RL mont´ee en s´erie avec

une source de tension. L’´energie totale dissip´ee dans le bolom`etre est W = P + Q o`u Q est la puissance radiative absorb´ee et P = V × I est la puissance ´electrique dissip´ee par effet Joules dans la thermistance elle-mˆeme. En r´egime stationnaire, l’´energie ´evacu´ee vers le puit de chaleur est W = GS× (T − T0).

Sudiwala et al. (2002) exprime la conductance statique comme une loi de puissance : GS(φ) = GS 0 (β + 1) µ φβ+1− 1 φ − 1 ¶ (4.1) o`u GS 0 est la conductance thermique `a T0, β l’exposant de la loi de puissance et φ = TT0. Comme

nous l’avons d´ej`a pr´esent´e dans la section 3.2.2, le m´ecanisme de conduction dominant `a 300 mK pour un semi-conducteur dop´e est la conduction par saut. La r´esistance du bolom`etre ´evolue

alors avec la temp´erature et le champ ´electrique comme indiqu´e dans l’´equation (3.4). Toutefois, les bolom`etres classiques fonctionnent avec des tensions ´electriques si faibles que l’effet de champ peut en g´en´eral ˆetre n´eglig´e. L’existence d’un ´eventuel d´ecouplage ´electron-phonon est ´egalement n´eglig´e. L’imp´edance de la thermistance s’´ecrit alors :

R(T ) = R∗expµ· Tg T

¸n¶

(4.2) o`u R∗ et T

g d´ependent du mat´eriau et du dopage, et n d´epend du m´ecanisme de conduction.

Nous pouvons ´egalement d´efinir un autre param`etre important souvent utilis´e comme figure de m´erite des performances d’un bolom`etre, c’est le coefficient de temp´erature :

α = 1 R dR dT = − nTn g Tn+1 (4.3)

La r´eponse th´eorique du bolom`etre en fonction de la fr´equence de modulation du flux incident ω s’´ecrit : S(ω) = S(0) p1 + ω2τ2 e (4.4) avec S(0) = dV dQ = αV Ge · RL R + RL ¸ , τe= C/Ge et Ge= Gd− αP· RL− R RL+ R ¸

o`u S(0) est la r´eponse `a fr´equence nulle, τe est la constante de temps effective, Gd = dWdT est la

conductance thermique dynamique, et Geest la conductance thermique effective qui rend compte

de l’effet de r´etroaction ´electro-thermique, ou electrothermal feedback en anglais (Mather 1982). En d´efinissant δ = Tg/T0 et γ = Q/(GS 0T0) et en faisant l’hypoth`ese que RLÀ R, i.e. RL est

utilis´e comme source de courant constant, Sudiwala et al. (2002) exprime S(0) en fonction des param`etres d´efinis pr´ec´edemment :

S(0) = s R∗ GS 0T0     nδn r exp³hφδin´ hφβ+1β+1−1 − γi φβ+n+1+ nδnhφβ+1−1 β+1 − γ i     (4.5)

Cette formule n’est en r´ealit´e qu’un exemple parmi tant d’autres ; le mod`ele analytique permet en effet d’exprimer virtuellement toutes les grandeurs pertinentes `a l’utilisation d’un bolom`etre, notamment sa NEP, sa constante de temps ou encore la puissance radiative incidente. L’int´erˆet d’un tel mod`ele est clair : il nous permet en th´eorie de pr´edire les performances d’un bolom`etre `a partir d’une poign´ee de param`etres physiques. Il ne reste plus qu’`a mesurer ces quelques para- m`etres et `a v´erifier que le mod`ele s’applique bien au d´etecteur dans le domaine de fonctionnement explor´e.

La premi`ere ´etape de la proc´edure standard consiste `a d´eterminer les param`etres R∗,

Tg et n `a partir de courbes I-V mesur´ees pour diff´erentes temp´eratures du bain thermique T0 en

s’assurant qu’aucune charge optique n’est absorb´ee par le d´etecteur. En effet, pour ces mesures, la dissipation ´electrique de la thermistance doit ˆetre la seule source d’´energie pour le bolom`etre. L’id´ee est de calculer l’imp´edance du bolom`etre dans la limite o`u le courant qui le traverse tend

94 Chapitre 4: La proc´edure d’´etalonnage

vers 0 A. Dans ce cas, la dissipation Joule tend vers 0 W et la temp´erature de la grille tend vers la temp´erature du bain qui est connue. Nous pouvons alors calculer R(T0) pour chacune

des temp´eratures test´ees et ainsi caract´eriser la thermistance du bolom`etre.

Ensuite, connaissant R∗, Tg et n, il est possible d’extraire les param`etres GS 0 et β `a partir des

mˆemes courbes I-V en les ajustant avec le mod`ele. Cela n´ecessite de param´etriser les grandeurs I et V `a partir de la variable T (ou φ). En associant la loi d’Ohm et la formule de dissipa- tion ´electrique nous pouvons ´ecrire V = pP × R(T ) et I = pP/R(T ) ; d’autre part le bilan thermodynamique de la grille suspendue nous donne :

P (φ) = GS 0T0 β + 1 (φ

β+1− 1) − Q (4.6)

avec Q = 0 pour les courbes I-V `a ajuster. La figure 4.1 donne l’exemple d’un tel ajustement pour un bolom`etre prototype de Planck/HFI `a diff´erentes temp´eratures du bain thermique. L’ajustement du mod`ele est excellent au-dessus de 100 mK ; toutefois, il se d´egrade `a plus basses temp´eratures. La raison invoqu´ee par Woodcraft et al. (2002) est l’apparition d’une imp´edance thermique additionnelle qui serait due au d´ecouplage ´electron-phonon dans la thermistance ; il ajoute qu’un effet de champ aurait le mˆeme impact sur les ajustements du param`etre β.

La proc´edure d’´etalonnage continue par des mesures de courbes I-V `a diff´erentes tem- p´eratures pour des bolom`etres charg´es optiquement (Q 6= 0). Le but principal est de mesurer l’efficacit´e de la chaˆıne optique, mais ces courbes permettent ´egalement de v´erifier la coh´erence des param`etres GS 0 et β dans des configurations du syst`eme proches des v´eritables conditions d’utilisation du d´etecteur. Woodcraft et al. (2002) mesurent des courbes de charge pour deux flux diff´erents et en d´eduit le r´eponse du bolom`etre. Celle-ci est en accord avec la pr´ediction du mod`ele. Cependant, `a cause d’une d´eg´en´erescence du mod`ele, l’ajustement de la r´eponse ne peut en aucun cas ˆetre utilis´e pour extraire les param`etres physiques du probl`eme (plusieurs jeux de param`etres peuvent reproduire une mˆeme courbe de r´eponse).

La pr´esentation de ce mod`ele montre qu’il existe des outils standards relativement per- formants pour caract´eriser les bolom`etres r´esistifs. Toujours est-il que cette proc´edure n´ecessite la mesure de courbes I-V, et que nous ne pouvons pas produire ce type de courbes pour chacun des pixels d’une matrice de bolom`etres. En effet, nous avons seulement acc`es au potentiel ´electrique des points milieux de chaque pixel, et nous ne pouvons pas utiliser les r´esistances de r´ef´erence comme sources de courant constant car leur imp´edance d´epend de la temp´erature du plan focal et de la tension appliqu´ee `a leurs bornes. Sans sources de courant connu et constant, il nous est impossible de mesurer des courbes de charge et la proc´edure que nous venons de pr´esenter de- vient alors inutilisable. Malgr´e cela, serait-il possible de mettre `a profit le mod`ele analytique d´ej`a d´evelopp´e ? La r´eponse est malheureusement non. Nos bolom`etres doivent en effet ˆetre fortement polaris´es pour surmonter le bruit de l’´electronique de lecture ; l’effet de champ (cf section 3.2.2) et le d´ecouplage ´electron-phonon deviennent alors des ph´enom`enes non-n´egligeables qui d´epassent le domaine de validit´e du mod`ele ´electro-thermique pr´esent´e. Grannan et al. (1997) proposent une extension de ce mod`ele pour inclure l’effet de champ dans la pr´ediction des performances, mais il est n´ecessaire de faire l’hypoth`ese que le bolom`etre est aliment´e par un courant constant,

Fig. 4.1 Cette figure est extraite de Woodcraft et al. (2002). Les points repr´esentent une fa- mille de courbes I-V mesur´ees `a diff´erentes temp´eratures du bain thermique. Les bolom`etres ne sont pas illumin´es ce qui permet d’extraire les param`etres R∗, T

g et n en extrapolant vers

une dissipation Joule nulle. Les courbes en trait plein montre l’ajustement des donn´ees qui per- mettent d’obtenir les param`etres GS 0 et β. `A basses temp´eratures, le mod`ele ne reproduit plus parfaitement le comportement du bolom`etre.

ce qui n’est pas le cas des bolom`etres du CEA. Galeazzi and McCammon (2003) proposent ´egalement un mod`ele analytique qui prend en compte le d´ecouplage ´electron-phonon ainsi que l’effet de champ, mais, encore une fois, l’utilisation de ce mod`ele n´ecessite de pouvoir mesurer les param`etres physiques du bolom`etre, ce que nous ne pouvons faire faute de pouvoir mesurer le courant qui circule dans chacun des pixels individuellement.