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1.2 L’Univers infrarouge et (sub-)millim´etrique

2.1.1 De la thermopile `a l’invention du bolom`etre

Le bolom`etre fut invent´e en 1880 par un ing´enieur am´ericain du nom de Samuel Pier- pont Langley (Langley 1881). Il fabriqua cet instrument de mesure dans le but d’´etudier la (( distribution de chaleur )) dans le spectre du Soleil. `A cette ´epoque, les physiciens spectro- scopistes utilisaient des prismes en verre pour r´efracter la lumi`ere du Soleil et ainsi s´eparer la lumi`ere visible et le rayonnement thermique, comme l’avait fait Herschel au d´ebut du XIXesi`ecle (cf section 1.1). Cependant Langley savait que les lois qui r´egissent la r´efraction de (( l’ultra- rouge )) dans un prisme d´ependent des propri´et´es physiques du mat´eriau. Donc, en plus du verre, il travaillait avec des prismes en sel cristallin (rock-salt en anglais) ou en fluorite. Il a d’ailleurs mesur´e l’indice de r´efraction du sel cristallin jusqu’`a 10 µm (Langley and Abbot 1900) en s’ap- puyant sur les r´esultats de Paschen (1894) et Keeler (1895). Il a donc pu d´eduire une relation entre l’angle de r´efraction et la longueur d’onde, relation qu’il utilisait ensuite pour ´etalonner ses (( bolographes )) (spectres) en longueur d’onde.

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Avant 1880, Langley mesurait le flux d’´energie IR r´efract´e par le prisme avec une thermo- pile1. Mais apr`es plusieurs ann´ees pass´ees `a travailler avec ces thermopiles, il en est arriv´e `a la conclusion que ce type de d´etecteur n’´etait qu’un simple indicateur de rayonnement et non un instrument de mesure suffisamment pr´ecis pour ´etudier le spectre solaire. Il se lance en 1879 dans la fabrication d’un nouvel instrument qu’il d´ecide d’appeller bolom`etre :

(( The earliest design was to have two strips of thin metal, virtually forming arms of a Wheatstone’s Bridge, placed side by side in as nearly as possible identical conditions as to environment, of which one could be exposed at pleasure to the source of radiation. As it was warmed by this radiation and its electric resistance proportionally increased over that of the other, this increased resistance to the flow of the current from a battery would be measured (by the disturbance of the equality of the “bridge” currents) by means of a galvanometer. )) Extrait de Langley 1881, page 343.

Les premiers travaux de Langley sur les bolom`etres sont consign´es dans un article tr`es int´eressant publi´e en 1881 (Langley 1881) dans les (( Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences )). La figure 2.1 contient trois illustrations extraites de cet article. Nous trouvons en bas un dessin de l’enceinte qui abrite le bolom`etre, en haut `a gauche se trouve un dessin de la partie sensible `a la lumi`ere infrarouge, c’est-`a-dire le bolom`etre lui-mˆeme, et en bas `a droite nous voyons le sch´ema ´electrique, en configuration de pont de Wheatstone, que Langley utilisait pour lire le signal aux bornes de la r´esistance. La r´egion d´enomm´e A sur la droite du sch´ema constitue la partie sensible du d´etecteur, une r´esistance est expos´ee `a la radiation thermique du Soleil alors que l’autre ne l’est pas. Le changement de temp´erature dˆu au flux incident change l’imp´edance de la r´esistance expos´ee et des´equilibre le pont de Wheatstone. Un galvanom`etre (G sur la figure) mesure la variation du courant qui circule dans le bolom`etre et d´etecte ainsi l’´energie absorb´ee. Langley a fabriqu´e de nombreux bolom`etres avec des r´esistances en fer, en acier, en carbone mais le mat´eriau qui donne les meilleurs r´esultats reste le platine (ce qui n’est vrai qu’`a temp´erature ambiante, le platine est en plus tr`es pratique puisque c’est un mat´eriau relativement mal´eable). Il fabrique lui-mˆeme ces r´esistances en forme de fines bandelettes de 2 `a 10 µm d’´epaisseur, de 1 cm de long et de 1 mm de large. Ces bandelettes de platine ont une imp´edance de quelques Ohms, et les variations de temp´erature typiques, lorsqu’elles sont expos´ees `a la lumi`ere r´efract´ee du Soleil, sont de l’ordre de 7 degr´es. D’apr`es son article de 1881, cet instrument de mesure est capable de d´etecter un ´echauffement de la r´esistance inf´erieur `a (( 100001 )) degr´es Celsius ! Les performances du bolom`etre de Samuel Langley sont exceptionnelles, elles sont bien meilleures que celles de la plus sensible des thermopiles.

Cependant, pour Samuel Langley, l’invention du bolom`etre n’´etait pas une finalit´e mais plutˆot un moyen pour ´etudier le Soleil dans un domaine de longueur d’onde encore inexplor´e. Il mesure

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Une thermopile est une association en s´erie de thermocouples qui utilisent l’effet thermo-´electrique, ou effet Seebeck, pour g´en´erer une diff´erence de potentiel `a partir d’un gradient de temp´erature le long d’un mat´eriau conducteur.

Fig.2.1 Sch´ema du premier bolom`etre con¸cu par Samuel Langley en 1881 avec lequel il mesura le spectre solaire dans l’infrarouge proche. En bas : Enceinte du bolom`etre. La lumi`ere rentre par la gauche, passe les 4 diaphragmes qui minimisent la circulation d’air dans l’instrument (donc les fluctuations de temp´erature), puis elle est absorb´ee par les bandelettes de platine qui sont reli´ees ´electriquement `a l’ext´erieur par deux fils connecteurs (visibles en bas `a droite). En haut `

a gauche : Vues de dessus et en coupe du d´etecteur. Les bandelettes de platine sont suspendues et plac´ees l’une `a la suite de l’autre en s´erie. En haut `a droite : Sch´ema ´electrique du pont de Wheaston utilis´e par Langley pour mesurer les variations d’imp´edance de son bolom`etre. Il mesure le d´es´equilibre du pont avec le galvanom`etre G. Le potentiom`etre R est utilis´e pour r´eguler le courant qui alimente le pont bolom´etrique.

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Fig.2.2 Spectre du Soleil dans l’infrarouge proche mesur´e avec le spectro-bolom`etre de Samuel Langley. Ce (( bolographe )) a ´et´e obtenu au Mount Whitney en 1896 avec un prisme en sel cristallin. Langley attribue les deux larges raies d’absorption `a 0.92 et 1.1 µm `a l’absorption de la vapeur d’eau atmosph´erique.

le spectre solaire dans l’infrarouge proche2 en 1881 et d´ecouvre des bandes d’absorption `a 0.92 et 1.1 µm qu’il attribue `a la vapeur d’eau contenue dans l’atmosph`ere terrestre. En 1900, alors qu’il est directeur du Smithsonian Astrophysical Observatory qu’il a lui mˆeme fond´e, Langley publie ses r´esultats sur les diverses observations du Soleil, ainsi que de quelques sources terrestres, avec son spectro-bolom`etre (Langley and Abbot 1900). La figure 2.2 montre le spectre solaire qu’il a obtenu en 1896 au Mount Whitney en Californie.

En 1881 d´ej`a, Langley avait mesur´e le spectre du Soleil de l’ultra-violet `a (( l’ultra-rouge )) et affirmait que le pic d’´emission se situe dans l’orange, autour de 0.6 µm, et non dans la partie (( non-lumineuse du spectre )) comme le pensaient les scientifiques de l’´epoque. De plus, il a montr´e que l’´emission thermique des sources terrestres pique `a de plus grandes longueurs d’onde que celle du Soleil, et que plus la temp´erature de la source augmente et plus le pic se d´eplace vers les courtes longueurs d’onde. D’apr`es les travaux de Paschen (1897) sur l’´emission de corps noir, il mesure pr´ecisemment la temp´erature de quelques sources chauff´ees `a la bougie. L’´emission du corps noir sera expliqu´ee quelques ann´ees plus tard par Max Planck qui introduisit le quantum d’´energie et ouvrit la voie `a la m´ecanique quantique.