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Les défis posés par le progrès médical

CHAPITRE III - LES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION DE

1. Les défis posés par le progrès médical

L’accélération du progrès médical pose un triple défi à l’hôpital public.

Le premier défi, d’ordre technologique, découle des nombreuses applications de l’informatique dans le domaine médical231. Celle-ci facilite la circulation des informations et modifie les pratiques médicales. La télémédecine permet ainsi de réaliser des consultations à distance, dans des situations d’urgence par exemple, ce qui évite de transporter les patients et réduit des dépenses non justifiées. L’informatique ouvre aussi d’autres voies nouvelles comme celles des techniques assistées par ordinateur dans le domaine de la chirurgie. La chirurgie assistée par ordinateur, comme la coelio-chirurgie qui en est la première étape, se développe, posant ainsi des questions d’ordre organisationnel dans les années à venir.

229 Avis et rapport du Conseil économique et social adopté le 25 février 2004, « Pour une prise en charge collective, quel que soit leur âge, des personnes en situation de handicap », présenté par M. Maurice Bonnet, au nom de la section des affaires sociales.

230 Bernard Glorion, Quelle médecine au XXIéme siècle, Editions Plon, 2000.

231 Rapport Santé 2010, santé, maladies et technologies, groupe « prospective du système de santé », présidé par Raymond Soubie, Commissariat général du Plan, juin 1993.

Dans le domaine particulier des cancers, la chirurgie restera encore longtemps une arme essentielle du traitement. Mais une évaluation plus précise de ces pathologies par la biologie (programme « Carte d’identité génétique des tumeurs » mis en place par la Ligue contre le Cancer en 2002) et l’imagerie permettra d’adapter au mieux la nature du geste chirurgical. Dans le domaine de la chirurgie digestive, les thérapeutiques médicamenteuses sont appelées à concurrencer de façon efficace les grands motifs d’intervention chirurgicale tels la lithiase biliaire et ses complications, les ulcères gastroduodénaux et les cancers digestifs dans leur ensemble. Les progrès de la médecine augmentent parfois de façon considérable l’espérance de vie dans certaines pathologies. Ainsi, depuis vingt ans, l’espérance de vie des personnes atteintes de myopathie de Duchenne a augmenté de plus de dix ans, grâce à une prise en charge adaptée (trachéotomie, arthrodèse, gastrostomie, attelles, corsets…).

Le bouleversement des connaissances issues de la génétique depuis vingt ans n’a pas encore eu beaucoup de conséquences concrètes dans les soins curatifs. Sans verser dans un optimiste excessif, on se doit de constater que ces connaissances ont cependant déjà révolutionné les diagnostics cliniques et la nosologie médicale. Par exemple, les travaux de Christine Petit232 ont démontré que plus de cinquante gènes étaient impliqués dans les surdités héréditaires de l’enfant, incitant les cliniciens à revoir les évolutions naturelles de chacun de ces sous-groupes de pathologies, et à adapter les prises en charge en conséquence. La surdité, déficit sensoriel le plus fréquent, touche plus d'un enfant sur 1000 à la naissance et un sur 500 avant l'âge adulte.

Sur le plan thérapeutique, la progression des connaissances des mécanismes physiopathologiques des maladies commence tout juste à se traduire par l’apparition de nouveaux médicaments issus des biotechnologies. Ainsi pour la maladie de Fabry, maladie rare qui touche une centaine de personnes en France, l’identification du gène responsable a permis de connaître l’enzyme défectueuse normalement produite par ce gène, et de construire un traitement enzymatique substitutif (TES)233, comme l’insuline pour les personnes diabétiques. Ce TES permet de maîtriser, voire de faire régresser, l’évolution de nombreuses complications de la maladie de Fabry (insuffisance rénale, crise cardiaque, AVC). Le traitement est certes onéreux (environ 200 000 € par patient et par an, soit pour la France un coût annuel d’environ 20 millions €), mais son coût doit être rapproché de celui de la prise en charge de ces patients avant traitement, et après la survenue des complications énoncées précédemment.

232 Communiqué de presse, Institut Pasteur, « Vers un diagnostic moléculaire des surdités », 20 avril 1999.

233 ESI Canada, bulletin Nouvelles-éclair sur la santé, volume 6, numéro 10, 21 juillet 2004

Les admissions en Affections de longue durée (ALD) ont augmenté de 46 % entre 1990 et 2002. Près de 6 millions de patients en bénéficient. Les dépenses liées aux ALD ont crû de 41 % entre 2000 et 2003. Ce domaine reste cependant mal connu, en raison de l’insuffisance des systèmes d’information, qui ne codent pas la pathologie, mais les lettres clés et le remboursement, protégeant ainsi le droit au secret médical des assurés sociaux, mais rendant difficile la connaissance du coût de chacune des 30 ALD répertoriées, ainsi que du nombre de patients en ALD. Enfin, les connaissances de l’origine ou des facteurs génétiques de pathologies aujourd’hui encore incurables n’ont pas encore trouvé de développements thérapeutiques autres qu’expérimentaux, même s’ils sont prometteurs, en thérapie génétique et en thérapie cellulaire. Or, il s’agit probablement là des prémices d’une nouvelle révolution médicale qui corrige la cause des maladies au lieu d’en pallier les effets. L’impact économique de cette révolution thérapeutique est potentiellement considérable, car elle ouvre la voie à une médecine définitivement curative, en éliminant les coûteux traitements qui s’inscrivent dans la durée.

Le second défi est d’ordre éthique. Force est de constater que les questions éthiques occupent une place grandissante dans notre société. Liées au développement de la biologie moléculaire et de la connaissance du génome humain, de nouvelles spécialités et techniques médicales apparaissent, comme le diagnostic anténatal et la médecine fœtale. Face aux possibilités nouvelles qu’offre la connaissance très précise de notre patrimoine génétique et des moyens de le modifier, il est nécessaire de fixer des cadres éthiques. Il en va également ainsi pour l’accompagnement des malades en fin de vie. La pratique des soins palliatifs et de l'accompagnement des personnes en fin de vie fait désormais partie des priorités affichées de santé publique.

Le troisième défi est d’ordre économique. Le progrès technique dans le secteur de la santé est porteur de fortes ambitions, mais aussi d’attentes contradictoires. Il offre l’espoir de réaliser dans le système de santé des gains de productivité très attendus, mais il est en même temps accusé de faire indûment croître les dépenses de santé.

Tous les spécialistes s’accordent à considérer que les besoins médicaux augmenteront et que le progrès médical restera une cause structurelle d’augmentation des dépenses de santé. Mais, il n’est pas non plus inutile de rappeler que le progrès médical peut aussi permettre un redéploiement de ressources budgétaires. Ainsi, un diagnostic plus précoce ou un traitement plus actif peuvent réduire les besoins. À titre d’exemple, pour certaines pathologies de l’appareil digestif, les traitements médicamenteux se substituent désormais à la chirurgie. Un redéploiement des ressources est donc possible, même s’il est évident que ce phénomène restera limité et ne pourra pas compenser l’augmentation des dépenses liées aux progrès de la médecine. Il est donc impératif que le coût du progrès médical soit mieux pris en compte dans le financement des établissements de santé.

Au niveau collectif, le coût des techniques nouvelles impliquera, en situation de contrainte budgétaire, des arbitrages et la définition de priorités de santé publique claires. De même, les bénéfices escomptés en termes d’années de vie gagnées, de qualité de vie, de réduction de la dépendance devront aussi être évalués pour chaque patient au regard des risques thérapeutiques que font courir l’utilisation de techniques nouvelles.