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La gouvernance actuelle de l’hôpital, un pouvoir éclaté

CHAPITRE II - L’EXERCICE DES MISSIONS DE L’HOPITAL

1. La gouvernance actuelle de l’hôpital, un pouvoir éclaté

Le mode actuel d’organisation de l’hôpital découle d’une conception classique du service public, de type pyramidal. Il vise à faire appliquer la politique de l’Etat en matière de santé. L’hôpital est géré par un directeur nommé par le ministre de la Santé. A titre d’exemple, la dénomination des fonctions faisait plus appel à un vocabulaire hiérarchique de type militaire (surveillants158, chefs, agents de première ou de deuxième classe) qu’à des termes issus de la gestion des organisations. Par exemple, il n’existe pas de logisticien 159 dans l’hôpital.

155 Source : étude commandée en 2003 par les CHU et l’INSERM auprès de l’Observatoire des sciences et techniques (O.S.T.) sur la production scientifique des sites hospitalo-universitaires.

156 Conférence de presse des CHRU le 15 décembre 2004.

157 Enquête nationale Légibio 2 - Fédération hospitalière de France - 2003

158 Depuis la réforme des cadres de santé de 1995 toutefois, les termes de surveillant et surveillant-chef ont été remplacés par cadre et cadre supérieur, auxquels s’ajoutent la profession exercée, exemple : cadre infirmier et cadre supérieur infirmier.

159 Le logisticien est la personne qui doit s’assurer que les ressources matérielles sont présentes dans chaque service

Depuis la loi de 1941, le pouvoir du directeur est constamment renforcé au détriment du conseil d’administration. Néanmoins, les processus de décision sont multiples, complexes et peuvent de ce fait être à l’origine de dysfonctionnements.

En effet, il existe aujourd’hui trois circuits de décision : conseil d’administration, directeur, médecins.

La décision politique revient en théorie au conseil d’administration, qui définit la politique générale de l’établissement et dispose d’attributions énumérées de manière limitative par l’article L. 6143-1 du Code de la santé publique. De plus, le financement du projet d’établissement doit être contenu dans l’enveloppe régionale de l’ONDAM et être compatible avec les objectifs du SROS. En outre, même s’il doit servir de base au Contrat d’objectif et de moyens (COM), celui-ci est négocié, le plus souvent en amont, entre le directeur de l’ARH et le directeur de l’hôpital. Le premier, qui alloue les moyens financiers, est nommé en Conseil des ministres ; le second n’est pas responsable devant le conseil d’administration, mais devant le ministre de la Santé, qui l’a nommé. Il est pour sa part « noté » par le directeur de la DDASS, sous l’autorité du préfet, alors même qu’il doit répondre de son action auprès de l’ARH, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des contrats d’objectifs et de moyens.

En outre, pour les CHU, les présidents d’universités signent avec le ministère de l’Éducation nationale un contrat quadriennal relatif à l’enseignement universitaire, sans que celui-ci et le directeur ne soient associés à la signature de ces contrats.160

Cette situation a fait dire à plusieurs des personnes auditionnées que le conseil d’administration n’était qu’une « chambre d’enregistrement161 ».

Par ailleurs, les conseils d’administration des hôpitaux publics sont présidés depuis plus de deux siècles par le maire de la commune ou le président du Conseil général, s’il s’agit d’établissements psychiatriques. De ce fait, certaines des décisions du conseil d’administration de l’hôpital peuvent être influencées par leurs éventuelles répercussions sur l’économie locale, notamment en matière d’emplois, ou de choix d’investissements. La décision stratégique prise par le conseil d’administration est ainsi de fait sous la double contrainte de la politique de l’Etat déclinée localement par un contrat établi entre deux de ses représentants, et de la politique des collectivités locales environnantes, tant en matière sanitaire que médico-sociale ou tout simplement économique.

La décision organisationnelle revient, elle aussi en théorie, au directeur.

Celui-ci assure certes la gestion et la conduite générale de l’établissement, mais son action est soumise à une triple contrainte.

Premièrement, il n’intervient pas dans l’organisation des soins médicaux et paramédicaux, domaine réservé des médecins et des soignants. Les médecins

160 Jean-Marie Clément ; Réflexions pour l'hôpital ; Les études hospitalières, 2004.

161 Voir aussi le rapport de séminaire « Les politiques de santé », ENA, juillet 2003.

élisent en leur sein le président de la CME, qui est l’interlocuteur privilégié du directeur de l’hôpital. La CME n’exerce pas sur ses confrères de responsabilités hiérarchiques, puisque c’est le ministre de la Santé qui nomme également les médecins chefs de service. Le président de la CME éprouve souvent des difficultés à faire émerger une position commune parmi les membres nombreux qui composent cette instance et reproduisent les clivages existant à l’intérieur de l’établissement. Le taux élevé de non reconduction du mandat des présidents de CME traduit la fragilité de cette « instance de dialogue ».

Deuxièmement, le directeur de l’hôpital n’est parfois qu’une simple courroie de transmission de décisions ministérielles, prises quelquefois sans concertation avec les responsables hospitaliers162, alors qu’elles ont une incidence forte en matière de gestion, notamment de ressources humaines.

Troisièmement, le directeur d’hôpital est soumis à de nombreux contre-pouvoirs. Comme tout ordonnateur de dépense publique depuis 1822, le directeur d’hôpital relève, pour les paiements, d’un fonctionnaire appartenant au ministère des Finances, dénommé comptable du Trésor, même si la loi de 1991 a introduit un début de souplesse. En revanche, depuis cette même loi, le directeur de l’hôpital ne peut affecter du personnel dans les services de soins sans un avis conforme du directeur des soins infirmiers163 qu’il a lui-même engagé. Ainsi, fait rarissime, cela se traduit par une inversion de la hiérarchie dans laquelle un subordonné peut interdire une décision à son supérieur hiérarchique. Par ailleurs, le fonctionnement de l’hôpital public est soumis à celui de vingt et une instances différentes (CA, CME, CE, CHSCT, CLIN, etc.).

La décision technique appartient aux médecins, en application du code de déontologie selon lequel chaque médecin doit être autonome dans sa décision thérapeutique (article R.4127-69 du Code de la santé publique). Les chefs de service ont un pouvoir étendu aux horaires du personnel164. Cependant, depuis plusieurs années, leur pouvoir hiérarchique a diminué compte tenu de l’apparition d’une « double commande » avec la création d’une direction des soins infirmiers afin de satisfaire la revendication d’un encadrement propre aux fonctions rééducative et soignante. En pratique, l’autorité du chef de service sur les cadres infirmiers est faible. Les chefs de service sont de plus responsables de la gestion hôtelière des lits de leurs services. Afin de ne pas mettre l’hôpital en déficit, les directeurs peuvent toutefois imposer des fermetures temporaires de lits en cas d’insuffisance de crédits.

Mais la future organisation en pôles permettra de mutualiser les moyens en lits et en personnel.

162 Par exemple, l’application des 35 heures de nuit payées 39 heures en novembre 1991.

163 Auparavant dénommé « Infirmier général », le directeur des soins infirmiers est formé à l’ENSP.

164 Décision du Conseil d’Etat de 1995, qui a annulé la sanction d’un directeur envers le personnel d’un service de soins psychiatriques parce que ces agents se sont conformés aux décisions du chef de service qui ne tenaient pas compte des horaires fixés par l’administration de l’hôpital.

Face à un tel enchevêtrement de pouvoirs, il est difficile de répondre aux deux questions suivantes : qui est le responsable du bon fonctionnement d’un établissement public de santé dans son ensemble ? Qui est comptable de ses résultats ?

L’interventionnisme croissant de l’Etat dans le fonctionnement de l’hôpital public, ajouté à un mode de financement fondé sur l’attribution d’une dotation globale ont nui au développement d’une véritable culture de gestion à l’hôpital public. Cette situation limite les marges de manœuvre des directeurs d’hôpital et l’empêche de jouer pleinement son rôle de gestionnaire et de manager, réduisant ainsi sa fonction à celle de directeur administratif. De plus, une gestion trop

« administrative » ne favorise pas la culture du résultat, ni l’évaluation des pratiques, car elle privilégie la bonne exécution des règles édictées comme critère de réussite. De par l’existence de trois filières distinctes, tant au niveau de l’accès à la profession que du déroulement des carrières, il existe trois mondes séparés dans l’hôpital : le médical, l’infirmier et l’administratif.

A titre de comparaison, dans les établissements privés (établissements PSPH), le directeur est nommé par le Conseil d’administration et il est révocable ad nutum ; de plus, le président de la CME, élu par ses pairs comme dans le secteur public, est placé sous l’autorité hiérarchique du directeur général : « Cela change tout » selon un directeur d’établissement PSPH rencontré, mais ne signifie pas pour autant un assujettissement total de la politique médicale de l’établissement à une logique gestionnaire, la CME étant un réel contre-pouvoir.

Le directeur a ainsi la possibilité d’exercer pleinement ses qualités de gestionnaire, et doit clairement en répondre devant le Conseil d’administration.

2. Les conditions d’exercice de la prise en charge et la continuité des