• Aucun résultat trouvé

L’accès aux soins des personnes les plus démunies

CHAPITRE II - L’EXERCICE DES MISSIONS DE L’HOPITAL

2. L’accès aux soins des personnes les plus démunies

Au début des années 90, la mise en place dans les hôpitaux de cellules d’accueil des plus démunis75 s’est progressivement généralisée ce qui a constitué une avancée importante dans l’amélioration de l’accès aux soins et aux droits sociaux des personnes en situation de précarité. Fort judicieusement, plusieurs de ces cellules d’accueil ont été implantées dans les services d’urgences, lesquels doivent faire face à de nombreuses urgences à caractère social76.

Cependant, selon le mouvement ATD-Quart-monde, les évolutions que connaît aujourd’hui l’hôpital public rendraient plus difficile l’accès aux soins des populations en situation de précarité.

75 Le seuil de pauvreté correspond à un revenu par unité de consommation inférieur à la moitié du revenu médian avant impôts. Le revenu médian est tel qu’il partage exactement en deux la population : la moitié dispose d’un revenu plus élevé, l’autre d’un revenu moins élevé. Quant aux unités de consommation, il s’agit d’une façon de compter le nombre de personnes vivant dans un ménage : le premier adulte compte pour un, les suivants pour 0,5 chacun, chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3. Chacun de ces coefficients est censé mesurer ce que coûte une personne de plus, de sorte que le niveau de vie du ménage ne soit pas modifié.

76 Voir les deux circulaires des 17 septembre 1993 et 21 mars 1995 relatives à l’accès aux soins des plus démunis.

L’hyperspécialisation de la prise en charge hospitalière peut être adéquate lorsqu’un patient se présente à l’hôpital avec un seul problème clairement identifié. C’est cependant rarement le cas pour les populations les plus démunies, qui nécessitent, plus que toutes autres, une approche globale de l’individu. Aux problèmes de santé proprement dits, s’ajoutent des problèmes d’ordre financier, d’éducation sanitaire, voire de vie sociale tout simplement.

De plus, la prise en charge hospitalière est d’autant plus efficace qu’en amont, tout ce qui relève de la prévention et du diagnostic aura été fait à temps, et qu’en aval, la réadaptation éventuelle, puis la réintégration dans la société seront rapidement effectuées. Or, pour les populations en situation de précarité, l’amont et l’aval du service hospitalier posent problème, comme cela ressort clairement des opinions émises par les adultes en situation de grande pauvreté dans le cadre des Universités populaires d’ATD-Quart-monde.

En amont tout d’abord, les personnes en situation de précarité retardent au maximum leur entrée dans l’hôpital, pour de multiples raisons.

Les premières raisons sont financières : l’avance des frais médicaux ou une couverture médicale insuffisante restent un obstacle pour l’accès aux soins malgré la mise en place de la Couverture maladie universelle (CMU) qui a constitué un réel progrès77. En effet, si la CMU de base permet à tous les résidents en France de bénéficier des prestations en santé couvertes par les régimes d’assurance maladie obligatoires, ces régimes ne prennent pas en charge la totalité des dépenses de santé engagées. De surcroît, la CMU complémentaire qui prend en charge ce qui n’est pas couvert par les régimes de base n’est accessible que sous conditions de ressources. Or, le plafond de ressources est jugé insuffisant par certains78, au regard notamment de divers minima sociaux, comme les allocations de base du minimum vieillesse/invalidité et l’Allocation adulte handicapé (AAH). Il en va de même pour le crédit d’impôt, en vigueur à compter du 1er janvier 2005, qui est une aide également attribuée sous conditions de ressources. Cette aide est versée à un organisme complémentaire (mutuelle, institution de prévoyance, assurance) au choix des usagers et vient en déduction du prix du contrat passé avec cet organisme.

77 Instituée par la loi 99-641 du 27 juillet 1999 à effet du 1er janvier 2000, la CMU permet à toute personne résidant en France de façon stable et régulière, et qui n’est pas déjà couverte à quelque titre que ce soit par un régime obligatoire d’assurance maladie, de bénéficier de la Sécurité sociale pour la prise en charge de ses dépenses de santé : c’est la CMU de base, qui ne dispense pas de l’avance de frais et ne rembourse pas le ticket modérateur.

78 Voir le rapport de mission d’Yves Carcenac et Evelyne Liouville, IGAS 2001

Les raisons d’ordre psycho-social sont liées notamment à la peur, peur de l’autre, peur de ne pas comprendre ce qu’on leur dit ou d’être insuffisamment informé : « Je veux savoir ce qu’on me fait, on ne me dit rien », peur d’être maltraités : « A mon arrivée, on m’a demandé de me déshabiller et de me laver devant d’autres personnes » ; « Un docteur a dit en parlant de moi : on peut le relâcher, comme si j’étais en prison ! »79.

D’autres raisons tiennent à la crainte de l’expulsion, s’agissant des étrangers en situation irrégulière, pour lesquels le droit d’asile a été définitivement refusé, même s’ils peuvent prétendre, dans des conditions qui ont été récemment restreintes, à l’aide médicale d’Etat.

Pour tous les patients en situation de précarité, la prise en charge hospitalière et post-hospitalière est plus difficile que pour les autres patients, du fait de difficultés de compréhension, de dialogue, et tout simplement de leur état de santé car, attendant d’être vraiment malades pour aller à l’hôpital, ils arrivent le plus souvent dans un état de santé très dégradé.

En aval, ensuite, un suivi sanitaire s’impose afin de s’assurer notamment de la prise du traitement prescrit car : « On ne reconnaît pas les médicaments génériques, ils se ressemblent tous ; comme je ne sais pas lire, avant, je reconnaissais un médicament par la couleur du cachet »80.

L’hôpital doit non seulement soigner mais aussi participer à la réinsertion des exclus dans un réseau de soins de type médico-social, adapté aux caractéristiques de cette population. Cela nécessite de mettre en place des partenariats appropriés.

En conséquence, il est fréquemment constaté que les personnes les plus démunies entrent tardivement à l’hôpital, d’autant que quelques services hospitaliers refusent encore de les prendre en charge dans le cadre des soins programmés, et les réorientent vers la médecine de ville. Dans un contexte marqué par le renforcement des contrôles des activités de la médecine de ville, celle-ci est exposée à des risques de dérapages. La démographie des professionnels de santé, inégalement répartis sur le territoire, peut aboutir, dans certaines zones à des carences en nombre de professionnels, qui de ce fait ont une activité particulièrement développée. Certains peuvent alors avoir la tentation de ne plus recevoir des personnes en situation de précarité dont la prise en charge nécessite souvent un temps plus long. En outre, l’existence du secteur 2 (honoraires libres) pour les médecins et le fait que dans certaines spécialités ou certaines zones géographiques seuls exercent des médecins en secteur 2, constituent une entrave à l’accès aux soins pour les populations qui ne bénéficieraient pas de la CMU complémentaire.

79 Universités populaires ATD-Quart-monde, 18 janvier 2005, Paris.

80 Idem

81 Les RIAP contiennent des données en volume et en activité par patient.

Selon des témoignages recueillis par le rapporteur, lors de l’Université populaire ATD-Quart-monde du 18 janvier 2005, il est parfois constaté que le médecin ou le spécialiste serait autorisé à refuser de prendre en charge des personnes s’il ne peut pas en temps et en qualité assurer leur prise en charge et s’il n’y a pas de risque vital. Autre exemple pouvant alimenter les craintes, quelques dentistes ont menacé en janvier 2005 de ne plus prendre en charge les bénéficiaires de la CMU, pour faire pression sur la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et les pouvoirs publics au moment où s’ouvraient des négociations portant notamment sur les tarifs des soins dentaires.

La grande pauvreté étant plutôt concentrée dans les zones urbaines, ce sont souvent les CHU, dotés de plateaux techniques sophistiqués, qui remplissent cette mission d’accueil et de soins de premier secours aux plus démunis, alors que ceux-ci pourraient être pris en charge d’une façon plus adaptée dans les hôpitaux de proximité, voire dans des services clairement dédiés aux soins de proximité au sein de ces mêmes CHU.

Outre l’accès aux soins somatiques, les populations les plus fragiles rencontrent de réelles difficultés en ce qui concerne l’accès aux soins psychiatriques. En France, la psychiatrie publique est organisée en secteurs. Mise en œuvre dans les années soixante-dix, la psychiatrie de secteur reposait sur une idée simple et novatrice à l’époque. La prévention, le diagnostic, et les soins psychiatriques doivent être organisés par une même équipe délivrant ses prestations en ville comme à l’hôpital, favorisant ainsi la continuité des soins.

Or, la population des exclus82 a souvent perdu tout réflexe de recours aux soins83 auxquels elle n’accède que par le biais des urgences ou des consultations médico-sociales. Il s’agit d’une population souvent nomade dont le suivi médical ou psychiatrique peut difficilement être rattaché à un secteur géographique précis. De leur côté, les structures de soins en santé mentale déclarent ne pas pouvoir prendre en charge des personnes présentant parfois un refus radical de soin, et considèrent, à tort ou à raison, qu’elles n’ont pas à médicaliser les conséquences de la détresse sociale. En pratique, ce sont les travailleurs sociaux et les bénévoles des associations d’aide aux démunis qui se retrouvent souvent en première ligne face à des personnes qui présentent des troubles graves de comportement. Diverses études montrent que 30 % à 40 % des SDF souffrent de psychose chronique84.

En conclusion, l’hôpital doit rester un lieu privilégié où les personnes les plus démunies peuvent avoir accès aux soins et faire valoir leurs droits. Une des clés de la réussite de la prise en charge à l’hôpital des plus démunis, mais aussi

82 M. Declerc ; Les naufragés ; Plon Editeur.

83 MM V. Kovess, C. Mangin Lazarus ; La santé mentale dans la ville de Paris ; 1997.

84 « Santé mentale et grande exclusion » in Psychiatrie française, Vol. XXIX, juillet 1998.

de tous les patients, est fournie par le docteur Jacques Lebas85, responsable de la consultation Précarité-accueil des démunis à l’Hôpital Saint-Antoine à Paris :

« On parle aujourd’hui beaucoup d’excellence : elle est en général associée à la technique médicale, aux règles de management. Pour moi, l’excellence doit être dans l’attention au patient, reconnu dans sa dignité, pris dans sa globalité ».

3. Les modalités d’hospitalisation et l’organisation de la prise en charge